Plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme traite de l'IVG, du mariage des personnes de même sexe, et d'autres sujets dits "sociétaux". On en finit par se demander qui sont ces juges? Qui les nomme? Qui sont-ils? Les procédures retenues n'entachent-elles pas la légitimité même de cette cour?

Réponses "les2ailes.com"

1- La légitimité des droits de l'homme

L’existence d’une cour européenne des droits de l'homme pourrait être en soi intéressante pour l’équilibre des institutions. Sa création date de 1959.
Cependant, cette cour présente deux défauts majeurs.

a- D’une part le texte de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ni la convention européenne des droits de l'homme de 1950 ne font référence aux principes du droit naturel et à la nécessaire soumission du droit positif à ce droit naturel. Comme le dit  le Pr. Philippe Pichot-Bravard, docteur en droit, spécialiste de l’Histoire des institutions, "en faisant référence à une tradition juridique occidentale plurimillénaire, il serait nécessaire, compte tenu des mentalités actuelles, de préciser les implications concrètes de ce droit naturel, à savoir le respect de toute vie humaine, depuis la conception jusqu’à la mort naturelle, le respect de la dignité et de la liberté individuelle des personnes, la reconnaissance de la famille reposant sur le mariage entre un homme et une femme, le droit des parents de choisir l’éducation de leurs enfants, le droit de propriété, le règne de la justice qui consiste à donner à chacun la part qui lui revient, la juste part, notamment dans les relations de travail, l’existence de hiérarchies sociales impliquant pour ceux qui assument des responsabilités un surcroît de devoirs".
Au XVIe siècle, le Parlement opérait une distinction décisive entre les lois du roi, muables et mortelles, et les lois du royaume, immuables et éternelles, considérant que les lois du roi ne sont recevables qu'à la condition d'être conformes aux lois du royaume. La montée en puissance de l'État absolu monarchique conduit sous Louis XIV à une mise en sommeil de ce constitutionnalisme, qui se réveille sous Louis XV. Tandis que Louis XV affirme à plusieurs reprises être dans "l'heureuse impuissance" de changer les lois fondamentales du royaume, le mot "constitution" est utilisé avec son sens contemporain dans les remontrances du Parlement et dans les ordonnances royales à partir des années 1720.
Cette tradition devrait s'appliquer à nos démocraties modernes. Ce n'est pas parce que des opinions publiques, des gouvernements ou des parlements élus contribuent à l'établissement de lois qu'elles sont légitimes. On s'est bien aperçu au cours du XXe siècle que la loi pouvait mal faire : des régimes dictatoriaux (le régime nazi, le régime de Vichy, le régime chilien dans les années 1970) ont pu avoir un système législatif portant atteinte à la dignité de l’Homme. L'idée s'impose donc que la loi ne peut pas être, seule, l'ultime barrière au pouvoir : La CEDH pourrait être un rempart utile à condition de considérer que certains droits fondamentaux ne sont pas susceptibles d'être modifiés, même par le peuple.
Or la procédure de choix des juges procède trop de ce qui relève des carrières cooptées par les pouvoirs en place.

b- D’autre part, la cour européenne des droits de l'homme est une juridiction constituée de personnalités politiques élu par une assemblée parlementaire, celle de l'Europe, mais sur une liste qui a été sélectionnée au préalable par un appel d'offre lancé par des instances exécutives nationales, le ministre de la justice et des affaires étrangères. Il s'agit donc d'une procédure tributaire des forces qui leur ont permis d’accéder à de hautes fonctions. Mais si la cour veut accomplir convenablement sa mission il faudrait qu’elle soit composé de personnalités indépendantes désignées par une autorité indépendante sur des critères culturels et non sur des critères juridiques..
Seule cette référence culturelle permettrait à la cour de ne pas oublier des concepts essentiels comme celui du service du "bien commun", celui de la reconquête des intelligences, de la transmission de valeurs .

2- Concrètement, comment la France a-t-elle choisi son représentant à la Cour européenne des droits de l'homme?

 

La CEDH est composée de 47 juges élus pour 9 ans et mis à la retraite d'office à 70 ans.

Le vote de l'Assemblée parlementaire

Le représentant français élu le 4 novembre 2011 est  André Potocki. On pourrait penser qu'il a été élu par l'Assemblée parlementaire. C'est exact, mais les candidatures ne sont pas libres. Trois candidats seulement étaient admis à concourir :
-
André Potocki, conseiller à la Cour de cassation et ancien juge au TPICE, a été élu avec 110 voix. Les deux autres candidats présentés par La France étaient:
- Edwige Belliard, conseiller d'État et directrice des affaires juridiques au ministère des affaires étrangères, qui a pour sa part recueilli 42 voix,
- et Jean-Paul Valat, président de la chambre d'instruction à la cour d'appel de Versailles, qui a obtenu 8 voix.
Ces trois candidats offraient certes des CV plus que respectables : diplômes, langues pratiquées, décours de carrière prestigieux tant sur le plan juridique et judiciaire que dans les affaires européennes.

La sélection préalable de la "Cour permanente d'arbitrage"

Mais qui avait sélectionné ces trois candidats? C'est le groupe français de la "Cour permanente d'arbitrage" qui a sélectionné ces trois candidats sur une liste de cinq.
La cour permanente 'Arbitrage a été créée par la Convention de La Haye pour le règlement pacifique des conflits internationaux en 1899, la CPA est une organisation internationale, offrant à la communauté internationale un large éventail de prestations pour le règlement des différends.

Les membres français de la CPA sont:

- Son Excellence M. Gilbert Guillaume, (o 1930), ancien juge de la Cour internationale de Justice ; ancien Directeur des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères. 36 rue Perronet, 92200 Neuilly-sur-Seine, France
- M. Jean-Pierre Puissochet, (o 1936) Conseiller d’État ; juge à la Cour de justice des Communautés européennes. Plateau du Kirchberg, L-2925 Luxembourg, Grand Duché de Luxembourg ;- M. Prosper Weil, Professeur émérite à l’Université de droit, d’économie et de sciences sociales de Paris ; membre de l’Institut de droit international ; membre et ancien Président du Tribunal administratif de la Banque Mondiale. 4 place du Président Mithouard, 75007 Paris, France ;
- M. Marc Perrin de Brichambaut, Secrétaire général, Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Kaertner Ring 5-7, 1010 Vienne, Autriche ;  ancien Chef de cabinet du ministre Roland Dumas, et ancien conseiller auprès de Jean-Pierre Chevènement, - Europe. Kaertner Ring 5-7, 1010 Vienne, Autriche.
On voit que ce groupe est composé de juristes vénérables.

Qui étaient les cinq candidats proposés à la CPA?

Un appel public à candidatures a été publié sur le site internet du ministère des Affaires Etrangères[1] et sur celui du ministère de la Justice au début du mois de septembre 2010. Cet appel a également été signalé dans plusieurs revues juridiques. Les personnes intéressées avaient jusqu'au 15 octobre 2010 pour présenter leur candidature.

Le gouvernement décide en dernier ressort:

Pour compléter la liste des noms particulièrement signalés par le Groupe national de la Cour permanente d'arbitrage, le Gouvernement peut choisir un autre candidat dont la candidature n'avait pas été retenue par le Groupe national mais dont le profil est jugé complémentaire de celui des autres candidats proposés. C'est ce qui s'était passé en 2010[2].

3- Une procédure imparable

Le résultat de cette procédure fait que les candidats sont retenus au vu de leur compétence juridiques mais aucunement sur leur référence culturelle ou éthique.

Il n'est qu'à voir le CV[3] de André Potocki qui n'a occupé que des fonctions dans la justice.

Lorsqu'il a été interviewé en  juin 2012 dans la "revue des droits de l'homme"[4], André Potocki n'a jamais évoqué le moindre problème de fond. Quand on lui demande  "quelle a été sa motivation à être élu à la Cour européenne des droits de l’Homme, ou... les difficultés qu'il redoute  le plus s’agissant des décisions sur le fond", il ne parle que de l'organisation de la cour, des "risques de submersion de la cour par le flot des requêtes". Quant aux domaines qui pourraient être "sensibles" concernant les rapports de la France avec la Cour, André Potocki n'évoque que des questions financières ou les risques de crispation populiste! C'est un peu court en ce qui concerne les aspects sociétaux.
Quand il aborde les questions de fond, c'est pour dire que "les temps classiques et rassurants sont révolus...  La nature de la norme est composite". On est loin d'une référence à la "loi naturelle" qui passe à travers les modes et répond aux réalités anthropologiques de l'homme


[1] http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/FichePoste_diffusion.pdf)

[2] http://assembly.coe.int/ASP/Doc/XrefViewHTML.asp?FileID=12814&Language=FR

[3] La carrière d'André Potocki est la suivante:

  • Licence en droit à l’université de Paris II ; diplômé de l’Institut des Etudes Judiciaires, 1973
  • Ecole Nationale de la Magistrature, Bordeaux, 1975
  • Secrétaire général adjoint de la première présidence de la cour d’appel de Paris, 1979
  • Vice-président au tribunal de grande instance de Senlis, 1982
  • Secrétaire général de la présidence du tribunal de grande instance de Paris, 1984
  • Secrétaire général de la première présidence de la cour d’appel de Paris, 1985
  • Secrétaire général de la première présidence de la Cour de cassation, 1988
  • Vice-président au tribunal de grande instance de Paris, 1990
  • Chef du service des Affaires européennes et internationales au ministère de la Justice, 1991-1994
  • Juge à la cour d’appel de Paris, 1994
  • Professeur associé à l’université de Paris X-Nanterre en droit des communautés européennes, 1994
  • Juge au Tribunal de première instance des Communautés européennes à Luxembourg, 1995
  • Président de chambre à la cour d’appel de Paris, chambre commerciale, 2001
  • Vice-président de la Commission pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) du Conseil de l’Europe, 2002-2006
  • Juge à la Cour de cassation, 2005-2011
  • Visiting Scholar à la Law School de l’Université de Columbia à New-York, 2011
  • Juge à la Cour européenne des droits de l’homme depuis le 4 novembre 2011

[4] http://revdh.org/2-les-numeros-de-la-revue-des-droits-de-lhomme-2/numero-1-juin-2012/entretien-avec-andre-potocki/