Le 06/08/2013, un sondage sur Le Figaro.fr a demandé à 28.301 participants s'il fallait interdire les signes religieux à l'université. 88,75% ont répondu affirmativement. Deux questions se posent: la laïcité doit-elle interdire l'expression publique des cultes et le port du voile est-il une expression cultuelle ou culturelle? Le cardinal Danielou répondait que "l'oraison est un problème politique". Les2ailes.com commentent la question de la laïcité.
Source: Figaro.fr du 08/08/2013
Commentaire: "les2ailes.com"
La distinction entre l'état et la compétence religieuse
Par laïcité, il faut entendre une saine distinction entre le droit d’état et la compétence relevant du religieux. La laïcité de l’Etat est un devoir, mais la laïcité d’une société est un non sens. Une confusion entre les concepts d’ « état » et de « société » mènerait rapidement au totalitarisme. Mais, a contrario, vouloir imposer une « société » laïque revient à en éliminer l’inclination naturelle de l’homme au fait spirituel.
La laïcité doit garantir l'expression publique des cultes
La laïcité n’a pas à imposer au fait religieux de se cantonner à la sphère privée et ne peut interdire l’expression publique des cultes. La liberté religieuse doit être considérée comme un droit humain fondamental, non seulement pour les individus, mais aussi pour les communautés, ce qui implique de leur laisser le droit à professer publiquement un culte, de disposer de l'espace humain nécessaire pour ordonner la vie selon les exigences de sa religion. Il ne s'agit pas de la reconnaissance du christianisme par les pouvoirs en tant que christianisme, mais de la reconnaissance des institutions religieuses en général, En ce sens, il faut être prudent lorsqu'on s'insurge contre les prières de rue de l'islam. Toute la question est de savoir si le concept de culte existe dans l'Islam, si ces manifestations de rue sont de l'ordre de la revendication identitaire ou d'un libre exercice d'une prière.
En tout état de cause, la réalité de la religion est une donnée sociale et le pouvoir civil, en tant que tel, n'est pas compétent pour décider de la vérité d'une religion. Ce à quoi sont tenus les pouvoirs temporels, c'est de reconnaître la réalité de la religion, et ceci sous la forme concrète sous laquelle celle-ci se présente dans un pays et dans un temps donné.
La liberté religieuse n'a de sens que si elle est concrète, c'est à dire si les conditions matérielles d'existence sont assurées. Or, dans un monde socialisé, elles ne peuvent l'être que par l'état!
Il faut oser dire que l'accès de la foi par les pauvres est un droit. Considérer que les religions et la cité doivent se mouvoir dans des mondes séparés seraient une vue irréaliste et dangereuse. Le risque serait d'arriver à une civilisation rendant la religion inaccessible aux pauvres et n'étant le privilège que d'une élite de spirituels. Ce serait dangereux pour la cité de la laisser se constituer d'une façon incomplète et inhumaine. Or, si le but de la politique est d'assurer le bien commun, la possibilité de réalisation de l'homme à tous ses niveaux est un élément essentiel du bien commun. Il est donc clair que la possibilité de réalisation de l'homme à son niveau religieux, est un élément fondamental.
La laïcité et les "valeurs chrétiennes"
C'est pour que la réalisation de l'homme soit la plus complète possible que nous pouvons être fiers de nos racines, chrétiennes.
L’Eglise rappelle que « la culture européenne plonge ses racines dans la civilisation gréco-romaine, et a bénéficié de la contribution du judaïsme et de l'islam, mais elle a été marquée principalement par le sceau du Christianisme pendant deux millénaires, un sceau qui représente la spécificité de l'Europe. Un tel héritage ne peut être nié aujourd'hui. Le reconnaître ne signifie pas contredire le principe de la laïcité, mais l'interpréter de façon correcte »[1]. Parler de racines chrétiennes met les chrétiens mal à l’aise. Ils ont le sentiment que ce discours cache une volonté de prosélytisme. Ce mot fait peur à lui tout seul alors que sa définition signifie très précisément "convertir sous la contrainte". Pourtant, les chrétiens sont loin de cette idée hégémonique d’imposer les européens dans une pratique religieuse qui doit rester une démarche libre.
Ce n’est pas pour autant qu’il faut renoncer à des valeurs qui ont été fondatrices de la culture européenne: le droit de la défense, la distinction entre l’acte et la conscience de celui qui agit, le respect de toute personne, quand bien même serait-elle reléguée au fond d’une prison, la laïcité[2] c'est-à-dire la neutralité de l’état qui ne doit s’immiscer dans aucune forme de religion ni imposer un quelconque paganisme, la défense du droit à la vie et le principe d’intégrité du corps, l’égale dignité de l’homme et de la femme, le caractère central de la cellule familiale pour la société, le principe de subsidiarité, la liberté de conscience, le "bien commun" qui est la dimension sociale du bien moral. Rappelons également, dans cet ouvrage consacré à l’écologisme, que c’est le christianisme qui a libéré l’homme des divinités liées à la nature. Il a permis à l’homme de se construire, libre de toutes sortes de peurs face aux éléments naturels et des rites cultuels à Gaïa et à d’autres divinités incarnées par la Nature.
Ces valeurs sont européennes. Ce sont elles qui ont permis à l’empire romain de sortir du totalitarisme, et à l’Europe d’intégrer toutes sortes d’invasions barbares Bien sûr, ces valeurs se sont construites progressivement y compris pendant tout le moyen âge. Certes, pendant certaines périodes, y compris récentes, l’Europe a été indigne de ses valeurs. Est-ce une raison pour les mépriser ou les nier?
Tout cela a été résumé par Benoit XVI: « le Christianisme est la source des valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun des peuples européens »[3].
Mais, il ne suffit pas de faire des valeurs chrétiennes autant de référentiels purement humanitaires, en "temporalisant le Royaume des cieux" comme disait Maritain, en réduisant la foi à une culture forcément homologue à d'autres cultures. Ce serait confondre le christianisme spirituel et le christianisme culturel. On en oublierait ce qu'annonce le Christ dans l'Evangile (Luc 11, 24-26): Lorsque l’homme croit avoir chassé le démon, celui-ci erre dans « des lieux arides, en quête de repos ». Mais bientôt, le malin revient chez cet homme après avoir pris « sept autres esprits plus mauvais que lui; ils reviennent et y habitent. Et l'état final de cet homme devient pire que le premier ». Comme le reprochait Nietzsche à beaucoup de chrétiens, l’homme n'est pas assez fort pour chasser tout à fait le démon. Ne rêvons pas non plus d’une conversion purement humaine de l’Europe, qui ne pourra s’effectuer sans la puissance de Dieu.
Le fait religieux ne se réfère pas seulement à l'au delà
Ce serait une illusion de considérer que le fait religieux ne renvoie qu'à un "autre monde". Il est un élément constitutif de ce monde. C'est une des aberrations du laïcisme moderne de penser qu'un humanisme puisse se constituer en dehors du monde d'ici bas.. Un monde sans Dieu, quel qu'il soit, sera un monde inhumain. Dieu fait partie de la civilisation, sous quelque forme qu'il s'exprime.
Il faut donc situer la cité à sa place: elle n'est pas la fin dernière. Dans le fait religieux, il y a l'idée que la destinée humaine a une autre fin que la construction d'une cité périssable, que l'homme va vers une cité impérissable et que les personnes sont appelées à se déployer au delà du monde. Mais, du même coup, ceci nous oblige à situer la cité terrestre dans son ordre propre et à lui donner sa valeur propre . Cette valeur propre est reconnue lorsque le pouvoir temporel est conçu pour la réalisation de la personne humaine, dans sa vie temporelle, c'est à dire lorsque la cité terrestre créé les conditions permettant le plein épanouissement des personnes.
[1] Intervention le 27 janvier 2003 de Mgr Renato, Président du Conseil Pontifical Justice et Paix: "La convention européenne: les racines chrétiennes de l’Europe, de l’Est à l’Ouest"
[2] Par laïcité, il faut entendre une saine distinction entre le droit d’état et la compétence relevant du religieux. Ainsi, on oublie souvent que, dans le catholicisme, la catéchèse est « mystagonique » (CEC n° 1075), c'est-à-dire que la catéchèse permet la libre entrée de chacun dans le mystère de la foi par la pratique liturgique publique d’un peuple.
[3] Benoit XVI lors de la réception des participants à la 45ème réunion commune de la Banque de développement du Conseil de l'Europe qui, pour la première fois, a tenu sa rencontre annuelle au Vatican, en juin 2010.