Le gouvernement britannique, à la demande du Pr. de neurologie Doug Turnbull de l'université de Newcastle, a donné fin juin 2013 son feu vert à l'ouverture d'un débat au Parlement relatif à une "technique de procréation assistée dans laquelle l'ADN  de trois parents est utilisé pour créer un embryon en bonne santé". Un projet de loi, en cours de préparation par le gouvernement, devrait être transmis au Parlement l'an prochain. Ainsi on pourrait naître de trois parents biologiques! De quoi s'agit-il?

Source: Lepoint.fr 29/06/2013

Commentaire "les2ailes.com"

Le rôle de l’hérédité mitochondriale

Les travaux d’une équipe du CNRS dirigée par Pierre Roubertoux, avaient expliqué en 2003 le rôle insoupçonné de l’ADN mitochondrial.
Chaque cellule contient deux génomes :
* le génome nucléaire (contenu dans le noyau) compte 30 000 gènes environ,
* et le génome mitochondrial (contenu dans la cellule mais hors du noyau) en compte seulement 37 dont 13 codent pour des protéines.
Le génome mitochondrial se transmet exclusivement de mère à enfant.
Dans la technique de la FIVETE consistant à injecter un spermatozoïde dans l’ovule (ICSI), on met l’ADN du spermatozoïde en contact avec l’ADN mitochondrial de l’ovule ; quand ce processus a lieu naturellement, l’ovule choisit son spermatozoïde et l’élimine spontanément s’il y a incompatibilité.
La prudence s’imposait donc, et il conviendrait, avant tout, d’approfondir les recherches sur les mécanismes d’interaction entre l’ADN mitochondrial et l’ADN nucléaire.
Une étude de New England journal of Medicine de mars 2002 avait annoncé un doublement des malformations congénitales (2,4% pour la FIV contre 1,2% pour les grossesses spontanées) et fait de la FIV associée à l’ICSI une technique à risques, même si on ne peut évaluer la part de responsabilité de l’ICSI dans ces résultats liés à la FIV.
Est-ce à ces études que se référait Axel Kahn quand il fit sa déclaration au Sénat en 2008 ?
Axel Kahn, avait déjà déclaré « que les enfants nés au moyen de l’ICSI semblaient rencontrer davantage de problèmes de santé que les autres, contrairement à ceux nés au moyen d'une FIV classique ». Ce risque accru d’anomalies chromosomiques transmises a été évoqué également dans l'étude du conseil d’état « la révision des lois de bioéthique" du 9.4.2009.
Les inquiétudes ne se limitent pas à ce point. Le rapport sur l’évaluation de l’application de la loi du 6.8.2004 relative à la bioéthique, parlait également (rapport  tII, p.169-171) d'un risque d’infertilité chez le garçon conçu.
C'en est au point que la Haute autorité de santé estime que « l’information des parents concernant le risque d’infertilité chez les descendants est nécessaire ». Elle estime d'ailleurs que « l’ICSI n’a fait l’objet que de très peu d’expérimentations animales préalables »  (source : évaluation de fécondation in vitro avec ICSI ; indications, coût efficacité et risques pour la descendance- déc 2006, pp. 103 et 112).
Le Comité consultatif d’éthique  conclut : « il pourrait être reproché aux pouvoirs publics d’avoir accepté que se développent des techniques de FIV sans s’assurer de leur innocuité …» (source : CCNE avis n° 75 du 12.12.2002)
La bioéthique est décidément un domaine où le "principe de précaution" s'applique bien peu! Pourquoi?

La "FIV trois parents"

C'est au moment où on craint les conséquences de manipulation de l'hérédité mitochondriale masculine que l'Angleterre franchit un pas supplémentaire en jouant avec l'hérédité mitochondriale féminine.
La "FIV trois parents" ("Three parents IVF") consiste à extraire le noyau de l’ovocyte d’une femme (susceptible de transmettre une maladie mitochondriale) et de le transférer dans l’ovocyte d’une femme donneuse dont les mitochondries[1] sont saines et dont on a retiré préalablement le noyau. Ce nouvel ovocyte est alors fécondé in vitro avec le sperme du partenaire de la première femme. L’enfant qui naîtrait de cette pratique aurait principalement les caractéristiques génétiques de sa mère et de son père mais aussi quelques unes de la donneuse ayant fourni le cytoplasme de l’ovocyte. Il s'agit bel et bien de la production d'œufs hybrides. Si l'enfant naissant de cette technique est une fille, alors ces changements seront transmis à tous ses descendants!
L'objectif affiché est d’éviter ainsi la transmission de maladies mitochondriales, héritées de la mère, et résultant de mitochondries qui ne sont pas saines. Souvent invalidantes, les maladies mitochondriales sont relativement rares, elles affectent environ 100 enfants chaque année
Cette annonce a suscité de nombreuses réactions dénonçant les dérives auxquelles la "FIV à trois parents" pourraient mener. David King, directeur de l'organisation laïque Human Genetics Alert, spécialisée dans les questions génétiques, alerte sur les "risques significatifs pour la santé de l'enfant parce que [ce procédé] implique des manipulations de l'embryon qui vont bien plus loin que ce qui se fait actuellement [...]. Il franchit la ligne éthique cruciale, acceptée par les gouvernements du monde entier, selon laquelle nous ne devrions pas modifier génétiquement des êtres humains". Cette technique, a-t-il précisé, ouvrirait la voie à "un marché eugéniste de bébés sur mesure".
La "Société de protection des enfants à naître" (Society for the Protection of Unborn Children) a déclaré:  "Ces expériences macabres sont à la fois destructrices et dangereuses, et donc contraires à l’éthique. Les scientifiques devraient abandonner ce champ fallacieux de l’expérimentation, destructrice, sur les embryons, et promouvoir à la place l’alternative éthique de la recherche sur les cellules souches adultes qui fournit déjà des traitements pour de telles affections"
Chantal Delson disait déjà[2] en 2009 en s'appuyant sur l'analyse de Benoit Bayle: "La loi du désir a un prix. Le prix à payer, c'est une nouvelle psychologie de l'enfant issu du seul désir de ses parents... Mais, surtout, la société procréatique est celle de la surproduction, de la sélection et de la surconsommation embryonnaire". Effectivement, pour procréer selon son désir, il faut beaucoup trier et beaucoup supprimer. Le désir est juge suprême pour répondre à la question: cette vie-là vaut-elle ou non d'être vécue?

Une technique proche de celle du clonage reproductif et de celle des chimères

Le clonage humain consiste en la création d'un être humain à partir de la totalité du matériel génétique d'un humain déjà conçu. Le clonage, pour être mené à terme, passe lui aussi par la technique de l'énucléation et du transfert du noyau d'une cellule de l'individu que l'on veut cloner.
La loi française a interdit le clonage reproductif, s'appuyant sur l' avis n° 54 du 22 avril 1997 du Comité national consultatif d'éthique  qui avait rappelé que « si le fait d'avoir même génome n'entraîne nullement que deux individus aient aussi même psychisme, le clonage reproductif n'en inaugurerait pas moins un bouleversement fondamental de la relation entre identité génétique et identité personnelle dans ses dimensions biologiques et culturelles. Le caractère unique de chaque être humain, dans quoi l'autonomie et la dignité de la personne trouvent support, est exprimé de façon immédiate par l'unicité d'apparence d'un corps et d'un visage, laquelle résulte de l'unicité du génome de chacun. On peut se représenter au contraire vers quelle réalité sociale nous orienterait une production de clones qui ne serait plus de hasard ni d'exception, et n'exclurait d'ailleurs plus les décalages dans le temps. Etres humains psychiquement individualisés comme des personnes singulières malgré leur similitude génétique, ils seraient cependant vus -au sens propre et figuré- comme des répliques à l'identique les uns des autres et de l'individu cloné dont ils seraient effectivement la copie. Ainsi serait minée la valeur symbolique du corps et du visage humains comme supports de la personne dans son unicité. A la différence de Dolly, des clones humains sauraient qu'ils sont des clones ; ils se sauraient aussi reconnus tels par autrui. Comment ne pas voir l'intolérable chosification de la personne que recèlerait une telle situation ? »
La question qu'on  peut se poser est celle de savoir ce que testent les laboratoires malgré les interdictions.
La Grande Bretagne n'en n'est pas à sa première transgression réglementaire en autorisant la "FIV trois parents".Déjà en 2007, elle avait autorisé la création de "chimères" qui s'appuie également sur la technique de de l'énucléation et du transfert de noyaux. Il s'agit d'énucléer un ovule de bovin et d'y réimplanter un noyau humain.  La demande  avait été formulée par  trois  équipes de recherche à Londres, Edimbourg et Newcastle. La transgression était d'autant plus évidente qu'une fois adoptée la loi anglaise, aucun des laboratoires n'a profité de l'autorisation qui leur était donnée. Ils savaient depuis longtemps, que la production de telles cellules souches embryonnaires à partir de chimères seraient vouées à une impasse thérapeutique. Qui accepterait de se faire transfuser des cellules chimériques?

Conclusion

Cette domination de la technique sur l'origine et la destinée de la personne humaine créé une relation de domination qui est en soi contraire à la dignité et à l'égalité qui doivent être communes aux parents et aux enfants. Les raisons utilitaristes mises en avant n'y change rien car l'enfant n'est pas le fruit d'une "utilité".


[1] Organites cellulaires produisant l’énergie des cellules, présents dans le cytoplasme de celles-ci et qui contiennent eux-mêmes de l’ADN.

[2] Source: Valeurs actuelles - 17.12.2009.