La Commission des Episcopats de la Communauté Européenne COMECE a publié en mars 2012 un recueil d’avis élaborés sur les perspectives d’amélioration de l’homme (‘human enhancement’) par des moyens technologiques, sujet étudié par son « groupe de réflexion bioéthique ».   Le rapport conclue que les techniques d’amélioration de l’homme « ne proposent pas de moyens pour résoudre les problèmes principaux de la vie humaine : la souffrance, le manque de confiance et d’amour. Pour le Groupe de Réflexion Bioéthique, une vie humaine réussie comporte l’acceptation des limites de la condition humaine. Nous invitons donc à un débat approfondi sur la promesse – ou l’illusion - de la création d’une nouvelle condition humaine ».
Quelle est l’analyse menée par la COMECE pour faire cette recommandation ?

Source : COMECE : Science & Éthique, volume 2,

Commentaire « les2ailes.com »

Nous nous contentons de reprendre in extenso le rapport de la COMECE qui s’articule autour de la table des matières suivantes :

Les perspectives d’amélioration de l’homme (‘human enhancement’) par des moyens technologiques
1-   Introduction
2-   Définitions et techniques
2.1- Définition
2.2-Techniques
3-   Réflexion éthique
3.1- Promotion de la santé et amélioration de l’homme
3.2- Attentes
3.3- Réflexions anthropologiques
4-   Quelques critères pour l’évaluation des techniques d’amélioration
4.1- Un développement harmonieux de la personne
4.2- La solidarité globale y compris la justice internationale
4.3- Le principe de précaution : prise en compte des effets secondaires, des risques et des pertes
4.4- Consentement et répercussions sur les générations futures
4.5- L’évaluation au cas par cas
5-  Conclusion

1. INTRODUCTION

Le désir de développement, voire de perfectionnement, est présent en chaque être humain et a suscité de tout temps dans l’humanité une recherche qui a porté des fruits indéniables, comme l’accès à l’éducation pour tous dans de nombreux pays ou l’allongement de la longévité.

Avec le rapide essor des technologies, désignées par le sigle NBIC, qui cherchent à associer nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives, apparaît une nouvelle catégorie d’applications envisageables. On utilise déjà des implants cochléaires, dispositifs électroniques destinés à restaurer l’audition de personnes atteintes d’une perte d’audition sévère à profonde, en stimulant directement par l’intermédiaire d’électrodes les fibres du nerf auditif. On parvient aussi à réaliser une connexion entre le cerveau humain et l’ordinateur et le réseau Internet, ce qui permet d’obtenir des résultats surprenants, mais pourrait aussi mettre en question la distinction entre l’homme et la machine.

Dans bien des cas, ces techniques ont été mises au point pour combattre ou prévenir des troubles ou des déficiences jugés pathologiques ; elles ont donc une origine médicale. Mais ces mêmes techniques pourraient bien souvent être utilisées dans un but ‘d’amélioration’, (en anglais : ‘enhancement’), c’est-à-dire pour développer, renforcer ou modifier des capacités communément présentes en l’homme.

Il est actuellement proposé de se donner de tels objectifs, c’est-à-dire de développer les techniques NBIC pour augmenter les capacités humaines, au bénéfice de certains individus, ou de l’humanité entière. Certains, qui se désignent par le terme de ‘transhumanistes’, voudraient même, grâce à ces techniques, changer l’homme, non seulement physiquement mais aussi dans sa pensée, sa vision du monde et ses valeurs, et même parvenir à créer une nouvelle espèce humaine. Dans ce contexte, il semble important de s’interroger sur les notions d’ ‘humain’, ‘trans-humain’ et ‘post-humain’.

Un débat d’actualité

Ces possibilités nouvelles d’une ‘amélioration de l’homme’ (human enhancement) font l’objet d’un débat international, spécialement dans le monde anglophone. Les institutions européennes s’en sont saisies, le Comité d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (‘STOA’- Science and Technology Options Assessment) du Parlement européen ayant créé un groupe de travail sur cette question. Quant au Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies auprès de la Commission européenne (GEE), il avait déjà élaboré en 2005 un avis (n° 20) sur les ‘Aspects éthiques des implants TIC dans le corps humain’ (le sigle TIC – en anglais ICT - désignant les ‘technologies de l’information et de la communication’). Le Groupe européen d’éthique avait d’ailleurs estimé, à l’époque de la rédaction de son avis, qu’en raison de l’évolution rapide de ces technologies ‘‘qui soulève autant d’espoirs que de craintes sur le plan sociétal’’, ‘‘une révision de l’avis pourrait s’imposer d’ici trois à cinq ans’’ (§ 6.5.6). Ce temps est advenu.

2. DÉFINITION ET TECHNIQUES

2.1 Définition

Une définition assez largement acceptée de ‘l’amélioration de l’homme’ (human enhancement) est celle de Douglas[1] (2007) : ‘‘l’utilisation de technologie biomédicale pour atteindre d’autres buts que le traitement ou la prévention de maladies’’.

On peut déjà constater que le domaine de ‘human enhancement’ ainsi défini est large et complexe, et que la définition n’est pas précise : le concept peut être appliqué à des activités bien différentes comme l’emploi de la caféine, l’utilisation par des étudiants d’un stimulant du système nerveux central, le Ritalin, pour augmenter leurs capacités de concentration, ou bien encore la création de nouvelles capacités dont l’homme ne dispose pas ‘normalement’ comme la capacité de percevoir des rayonnements infra-rouges, ou une connexion directe entre le cerveau et l’ordinateur.

2.2 Techniques

Pour évaluer les différentes formes de ‘human enhancement’ il convient de distinguer les objectifs et les moyens.

  • Les objectifs

Le groupe de travail sur l’amélioration de l’homme du comité d’évaluation STOA propose les quatre catégories suivantes[2]: cognitive enhancement (développement des capacités cognitives), mood enhancement (amélioration de l’humeur), body enhancement (renforcement de capacités corporelles) et enhanced life span (augmentation de la longévité).

Dans le domaine du développement des capacités cognitives (Cognitive enhancement) l’exemple classique déjà cité est celui de l’utilisation de Ritalin - médicament destiné à soigner des personnes atteintes de trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité motrice (Tda-h) - par des personnes en bonne santé, pour améliorer leur capacité de concentration.

L’amélioration de l’humeur (Mood enhancement) concerne par exemple l’utilisation d’antidépresseurs par des personnes en bonne santé, ou l’implantation d’électrodes dans le cerveau dans le but de réaliser une stimulation cérébrale profonde, dans d’autres situations que celle d’une maladie (telle que la maladie de Parkinson) pour laquelle une telle stimulation pourrait être envisagée comme traitement médical.

L’amélioration corporelle (Body enhancement) couvre le domaine des opérations cosmétiques, celui de la recherche sur les interfaces cerveau-ordinateur (déjà utilisées de manière expérimentale pour aider des patients tétraplégiques à communiquer avec des ordinateurs et, par ce moyen, avec le monde extérieur), celui des modifications génétiques destinées à un accroissement de certaines fonctions corporelles, et finalement toute la gamme des prothèses, dont certaines peuvent être très sophistiquées et permettre d’obtenir des capacités renforcées, par exemple une force musculaire ou une résistance du squelette supra-normales.

L’allongement de la longévité (Enhanced life span) vise le ralentissement du processus de vieillissement grâce à des médicaments adéquats ou même le remplacement des organes.

  • Les moyens

Il existe une grande variété de moyens qui peuvent être utilisés pour de telles fins ‘d’amélioration de l’homme’ (human enhancement), entre autres :
- la nourriture (par exemple la caféine, les alicaments…)
- les produits pharmaceutiques (par exemple le Ritalin utilisé par des personnes saines pour augmenter leurs capacités de concentration)
- les implants et prothèses (par exemple les stimulateurs cardiaques, les implants cochléaires, les rétines artificielles, les neuro-implants tels que les électrodes destinées à exercer une stimulation cérébrale profonde, les puces intégrées dans le système nerveux…)
- les interfaces cerveau-machines (expérimentées jusqu’à présent par le Professeur Warwick[3]; à long terme, d’autres applications sont envisageables)
- le diagnostic pré-implantatoire pour le tri d’embryons humains.

  • Réversibilité/non-réversibilité

Il convient enfin de distinguer entre les moyens qui, comme les modifications génétiques irréversibles, produisent des changements permanents, et ceux qui, comme la plupart des produits pharmaceutiques, ont des effets réversibles.

3. RÉFLEXION ÉTHIQUE

3.1 Promotion de la santé et ‘amélioration de l’homme

Il importe de distinguer entre ‘traitement’ – restauration de l’homéostasie d’un organisme altéré par une maladie ou une diminution physique – et ‘amélioration’ ou modification des fonctions ou capacités de cet organisme au-delà de leur niveau normal. Cette frontière n’est pas toujours totalement claire, d’autant que la culture exerce une certaine influence sur les représentations concernant la santé et la maladie. Elle peut être nette en certains domaines, tout en étant mouvante en d’autres.

Chaque technique nouvelle doit donc être soumise à un examen approfondi, de manière à distinguer entre d’éventuelles applications proprement ‘thérapeutiques’, et d’autres emplois qui devraient être classés en recherche ‘d’amélioration’ des capacités humaines.

3.2 Attentes

Ces nouvelles techniques apportent ou sont censées apporter des avantages individuels, et cela crée des attentes dans la population. Il est légitime de se demander si ces attentes ne sont pas parfois excessives, et s’il n’existe pas en ce domaine un effet de mode, qui pourrait amener à négliger les moyens classiques de développement humain (éducation, pédagogie, style de vie, habitudes alimentaires, développement de capacités relationnelles…). En outre, on peut se demander si ne sont pas attendus des nouvelles technologies des bénéfices dans l’ordre de l’efficacité individuelle et donc des avantages dans la compétitivité sociale, au détriment de la solidarité avec les plus faibles.

Les nouvelles technologies ont, bien sûr, d’importantes applications dans la lutte contre les différentes formes de handicap : par exemple les implants cochléaires chez des personnes atteintes de surdité bilatérale profonde, la rétine artificielle[4] pour les personnes aveugles, les techniques d’interface cerveau-ordinateur pour des personnes atteintes de ‘locked-in-syndrome’… Elles peuvent alors être considérées comme des ‘traitements’, ce qui ne dispense pas de prendre en compte dans chaque cas individuel non seulement les bénéfices espérés mais aussi les risques qu’elles comportent, les privations qu’elles entraînent, le coût et le poids pour la société. Nombre de ces techniques demeurent expérimentales, et leur usage peut se révéler disproportionné ou hors de portée pour un pays déterminé.

3.3 Réflexions anthropologiques

Tout ceci nous invite à nous interroger sur le sens et les limites de ce qui est appelé ‘human enhancement’ : S’agit-il d’un développement de l’homme ou uniquement de certaines capacités ?

La distinction s’impose en effet entre le développement de certaines capacités comme la mémoire, la concentration, ou même la vision dans le domaine de l’infrarouge, et ce qu’on pourrait appeler le développement de la personne tout entière[5].

Il convient aussi de souligner que la santé humaine ne concerne pas uniquement la dimension corporelle, ne réside pas dans la seule absence de maladie somatique, mais comporte, selon la définition bien connue de l’OMS, une dimension psychologique et sociale, et aussi, il ne faudrait pas l’oublier, une dimension spirituelle.

Plus profondément, le regard porté sur la notion ‘d’amélioration de l’homme’ (human enhancement) ne peut que différer selon la conception que l’on a de l’homme lui-même.

L’homme n’est-il qu’une machine biologique[6], pour reprendre les termes de Marvin Minsky et d’autres post- ou transhumanistes, ou sommes-nous appelés à reconnaître en lui, à la suite d’Aristote, un animal rationnel, ou une personne, véritable fin en soi revêtue d’une incomparable dignité selon la philosophie d’Emmanuel Kant, ou un être créé à l’image et à la ressemblance de Dieu et appelé à l’amour de son créateur et de son prochain ?

Selon ces différentes conceptions, toute ‘amélioration de l’homme’ par le moyen des technologies NBIC s’impose comme prolongement de ce qu’est en lui-même l’homme, ou, au contraire, doit être évaluée en fonction de l’accomplissement qu’elle permet de la finalité reconnue à l’existence humaine.

4. QUELQUES CRITÈRES POUR L’ÉVALUATION DES TECHNIQUES D’AMÉLIORATION

 

4.1 Un développement harmonieux de la personnes

Etant donnée la complexité du contexte technologique et anthropologique, il semble prématuré de proposer des réponses définitives. Cependant, le débat est urgent, car certaines technologies pourraient modifier profondément l’humanité. Des auteurs parlent d’une extinction de l’espèce humaine et de l’avènement d’une ‘race trans-humaine’. Cela témoigne certainement d’illusions sur la puissance transformatrice des technologies NBIC, mais pose néanmoins la question de seuils à ne pas franchir au nom du respect de l’humanité[7].

Sans chercher à modifier l’humanité dans son ensemble, certains invoquent un ‘principe d’autonomie’ auquel ils donnent une valeur suprême, et au nom duquel ils revendiquent la liberté de l’individu de choisir la personne qu’il veut devenir grâce aux nouvelles technologies, et récusent toute limitation mise par une autorité quelle qu’elle soit à l’accomplissement de leurs volontés. Ce ‘principe d’autonomie’, compris comme principe d’autodétermination, a été prôné il y a trente ans par une école bioéthique américaine. Ses auteurs ont reconnu qu’il avait été mal formulé[8]. De toute façon, il y aurait une véritable contradiction à récuser toute autorité sociale en un domaine et à formuler la revendication de droits créance en ce même domaine.

En tout cas, il s’impose de garder en perspective un développement harmonieux et plénier de la personne. Il faut donc vérifier si le développement de telle capacité n’est pas obtenu au prix d’un appauvrissement humain général[9]. Il ne faudrait surtout pas perdre le sens de la responsabilité de la personne ni porter atteinte à l’identité personnelle.

4.2 La solidarité globale, y compris la justice internationale

A propos de chaque application, il faudrait veiller à ce qu’elle ne contribue pas à élargir le fossé qui existe entre pays riches et pays en voie de développement.

4.3 La justice au sein de chaque pays

Au niveau national, l’évaluation de toute application de ces technologies devrait prendre en compte les questions de justice sociale, dans le souci d’éviter toute aggravation des ruptures d’égalité.

Or, si certains cherchent à bénéficier de techniques ‘d’amélioration’ pour des raisons strictement personnelles, ce qui est souvent recherché dans le recours aux technologies de ‘human enhancement’ c’est la supériorité sur autrui, donc l’inégalité et même la domination. Dans le domaine du sport, cela s’appelle du dopage. Mais un tel ‘dopage’ ne concerne pas seulement le domaine du sport, il peut exister aussi dans la vie sociale, en faussant le jeu de la compétition entre agents sociaux.

4.4 Le principe de précaution : Prise en compte des effets secondaires, des risques et des pertes

Le principe de précaution demande que soit faite une analyse soigneuse et indépendante des risques impliqués dans chaque application, en tenant compte de la réversibilité ou non des effets produits. Or, en ce qui concerne par exemple la stimulation cérébrale profonde, les effets ne peuvent guère être évalués faute de données suffisantes.

4.5 Consentement et répercussions sur les générations futures

Le principe général de l’expérimentation sur l’homme est que toute recherche exige un consentement exprès et éclairé de la personne concernée. Cela pose de graves questions à toute application des technologies NBIC qui aurait des effets sur les générations futures. En matière de thérapie génique, est actuellement exclue toute modification du génome qui serait transmise à la descendance. Une telle règle, communément admise, devrait être gardée en mémoire chaque fois qu’est envisagée une modification profonde de l’humain par les nouvelles technologies.

La Commission des Episcopats de la Communauté Européenne COMECE a publié en mars 2012 un recueil d’avis élaborés sur les perspectives d’amélioration de l’homme (‘human enhancement’) par des moyens technologiques, sujet étudié par son « groupe de réflexion bioéthique ».   Le rapport conclue que les techniques d’amélioration de l’homme « ne proposent pas de moyens pour résoudre les problèmes principaux de la vie humaine : la souffrance, le manque de confiance et d’amour. Pour le Groupe de Réflexion Bioéthique, une vie humaine réussie comporte l’acceptation des limites de la condition humaine. Nous invitons donc à un débat approfondi sur la promesse – ou l’illusion - de la création d’une nouvelle condition humaine ».
Quelle est l’analyse menée par la COMECE pour faire cette recommandation ?

Source : COMECE : Science & Éthique, volume 2,

Commentaire « les2ailes.com »

Nous nous contentons de reprendre in extenso le rapport de la COMECE qui s’articule autour de la table des matières suivantes :

Les perspectives d’amélioration de l’homme (‘human enhancement’) par des moyens technologiques
1-   Introduction
2-   Définitions et techniques
2.1- Définition
2.2-Techniques
3-   Réflexion éthique
3.1- Promotion de la santé et amélioration de l’homme
3.2- Attentes
3.3- Réflexions anthropologiques
4-   Quelques critères pour l’évaluation des techniques d’amélioration
4.1- Un développement harmonieux de la personne
4.2- La solidarité globale y compris la justice internationale
4.3- Le principe de précaution : prise en compte des effets secondaires, des risques et des pertes
4.4- Consentement et répercussions sur les générations futures
4.5- L’évaluation au cas par cas
5-  Conclusion

1. INTRODUCTION

Le désir de développement, voire de perfectionnement, est présent en chaque être humain et a suscité de tout temps dans l’humanité une recherche qui a porté des fruits indéniables, comme l’accès à l’éducation pour tous dans de nombreux pays ou l’allongement de la longévité.

Avec le rapide essor des technologies, désignées par le sigle NBIC, qui cherchent à associer nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives, apparaît une nouvelle catégorie d’applications envisageables. On utilise déjà des implants cochléaires, dispositifs électroniques destinés à restaurer l’audition de personnes atteintes d’une perte d’audition sévère à profonde, en stimulant directement par l’intermédiaire d’électrodes les fibres du nerf auditif. On parvient aussi à réaliser une connexion entre le cerveau humain et l’ordinateur et le réseau Internet, ce qui permet d’obtenir des résultats surprenants, mais pourrait aussi mettre en question la distinction entre l’homme et la machine.

Dans bien des cas, ces techniques ont été mises au point pour combattre ou prévenir des troubles ou des déficiences jugés pathologiques ; elles ont donc une origine médicale. Mais ces mêmes techniques pourraient bien souvent être utilisées dans un but ‘d’amélioration’, (en anglais : ‘enhancement’), c’est-à-dire pour développer, renforcer ou modifier des capacités communément présentes en l’homme.

Il est actuellement proposé de se donner de tels objectifs, c’est-à-dire de développer les techniques NBIC pour augmenter les capacités humaines, au bénéfice de certains individus, ou de l’humanité entière. Certains, qui se désignent par le terme de ‘transhumanistes’, voudraient même, grâce à ces techniques, changer l’homme, non seulement physiquement mais aussi dans sa pensée, sa vision du monde et ses valeurs, et même parvenir à créer une nouvelle espèce humaine. Dans ce contexte, il semble important de s’interroger sur les notions d’ ‘humain’, ‘trans-humain’ et ‘post-humain’.

Un débat d’actualité

Ces possibilités nouvelles d’une ‘amélioration de l’homme’ (human enhancement) font l’objet d’un débat international, spécialement dans le monde anglophone. Les institutions européennes s’en sont saisies, le Comité d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (‘STOA’- Science and Technology Options Assessment) du Parlement européen ayant créé un groupe de travail sur cette question. Quant au Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies auprès de la Commission européenne (GEE), il avait déjà élaboré en 2005 un avis (n° 20) sur les ‘Aspects éthiques des implants TIC dans le corps humain’ (le sigle TIC – en anglais ICT - désignant les ‘technologies de l’information et de la communication’). Le Groupe européen d’éthique avait d’ailleurs estimé, à l’époque de la rédaction de son avis, qu’en raison de l’évolution rapide de ces technologies ‘‘qui soulève autant d’espoirs que de craintes sur le plan sociétal’’, ‘‘une révision de l’avis pourrait s’imposer d’ici trois à cinq ans’’ (§ 6.5.6). Ce temps est advenu.

2. DÉFINITION ET TECHNIQUES

2.1 Définition

Une définition assez largement acceptée de ‘l’amélioration de l’homme’ (human enhancement) est celle de Douglas[1] (2007) : ‘‘l’utilisation de technologie biomédicale pour atteindre d’autres buts que le traitement ou la prévention de maladies’’.

On peut déjà constater que le domaine de ‘human enhancement’ ainsi défini est large et complexe, et que la définition n’est pas précise : le concept peut être appliqué à des activités bien différentes comme l’emploi de la caféine, l’utilisation par des étudiants d’un stimulant du système nerveux central, le Ritalin, pour augmenter leurs capacités de concentration, ou bien encore la création de nouvelles capacités dont l’homme ne dispose pas ‘normalement’ comme la capacité de percevoir des rayonnements infra-rouges, ou une connexion directe entre le cerveau et l’ordinateur.

2.2 Techniques

Pour évaluer les différentes formes de ‘human enhancement’ il convient de distinguer les objectifs et les moyens.

  • Les objectifs

Le groupe de travail sur l’amélioration de l’homme du comité d’évaluation STOA propose les quatre catégories suivantes[2]: cognitive enhancement (développement des capacités cognitives), mood enhancement (amélioration de l’humeur), body enhancement (renforcement de capacités corporelles) et enhanced life span (augmentation de la longévité).

Dans le domaine du développement des capacités cognitives (Cognitive enhancement) l’exemple classique déjà cité est celui de l’utilisation de Ritalin - médicament destiné à soigner des personnes atteintes de trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité motrice (Tda-h) - par des personnes en bonne santé, pour améliorer leur capacité de concentration.

L’amélioration de l’humeur (Mood enhancement) concerne par exemple l’utilisation d’antidépresseurs par des personnes en bonne santé, ou l’implantation d’électrodes dans le cerveau dans le but de réaliser une stimulation cérébrale profonde, dans d’autres situations que celle d’une maladie (telle que la maladie de Parkinson) pour laquelle une telle stimulation pourrait être envisagée comme traitement médical.

L’amélioration corporelle (Body enhancement) couvre le domaine des opérations cosmétiques, celui de la recherche sur les interfaces cerveau-ordinateur (déjà utilisées de manière expérimentale pour aider des patients tétraplégiques à communiquer avec des ordinateurs et, par ce moyen, avec le monde extérieur), celui des modifications génétiques destinées à un accroissement de certaines fonctions corporelles, et finalement toute la gamme des prothèses, dont certaines peuvent être très sophistiquées et permettre d’obtenir des capacités renforcées, par exemple une force musculaire ou une résistance du squelette supra-normales.

L’allongement de la longévité (Enhanced life span) vise le ralentissement du processus de vieillissement grâce à des médicaments adéquats ou même le remplacement des organes.

  • Les moyens

Il existe une grande variété de moyens qui peuvent être utilisés pour de telles fins ‘d’amélioration de l’homme’ (human enhancement), entre autres :
- la nourriture (par exemple la caféine, les alicaments…)
- les produits pharmaceutiques (par exemple le Ritalin utilisé par des personnes saines pour augmenter leurs capacités de concentration)
- les implants et prothèses (par exemple les stimulateurs cardiaques, les implants cochléaires, les rétines artificielles, les neuro-implants tels que les électrodes destinées à exercer une stimulation cérébrale profonde, les puces intégrées dans le système nerveux…)
- les interfaces cerveau-machines (expérimentées jusqu’à présent par le Professeur Warwick[3]; à long terme, d’autres applications sont envisageables)
- le diagnostic pré-implantatoire pour le tri d’embryons humains.

  • Réversibilité/non-réversibilité

Il convient enfin de distinguer entre les moyens qui, comme les modifications génétiques irréversibles, produisent des changements permanents, et ceux qui, comme la plupart des produits pharmaceutiques, ont des effets réversibles.

3. RÉFLEXION ÉTHIQUE

3.1 Promotion de la santé et ‘amélioration de l’homme

Il importe de distinguer entre ‘traitement’ – restauration de l’homéostasie d’un organisme altéré par une maladie ou une diminution physique – et ‘amélioration’ ou modification des fonctions ou capacités de cet organisme au-delà de leur niveau normal. Cette frontière n’est pas toujours totalement claire, d’autant que la culture exerce une certaine influence sur les représentations concernant la santé et la maladie. Elle peut être nette en certains domaines, tout en étant mouvante en d’autres.

Chaque technique nouvelle doit donc être soumise à un examen approfondi, de manière à distinguer entre d’éventuelles applications proprement ‘thérapeutiques’, et d’autres emplois qui devraient être classés en recherche ‘d’amélioration’ des capacités humaines.

3.2 Attentes

Ces nouvelles techniques apportent ou sont censées apporter des avantages individuels, et cela crée des attentes dans la population. Il est légitime de se demander si ces attentes ne sont pas parfois excessives, et s’il n’existe pas en ce domaine un effet de mode, qui pourrait amener à négliger les moyens classiques de développement humain (éducation, pédagogie, style de vie, habitudes alimentaires, développement de capacités relationnelles…). En outre, on peut se demander si ne sont pas attendus des nouvelles technologies des bénéfices dans l’ordre de l’efficacité individuelle et donc des avantages dans la compétitivité sociale, au détriment de la solidarité avec les plus faibles.

Les nouvelles technologies ont, bien sûr, d’importantes applications dans la lutte contre les différentes formes de handicap : par exemple les implants cochléaires chez des personnes atteintes de surdité bilatérale profonde, la rétine artificielle[4] pour les personnes aveugles, les techniques d’interface cerveau-ordinateur pour des personnes atteintes de ‘locked-in-syndrome’… Elles peuvent alors être considérées comme des ‘traitements’, ce qui ne dispense pas de prendre en compte dans chaque cas individuel non seulement les bénéfices espérés mais aussi les risques qu’elles comportent, les privations qu’elles entraînent, le coût et le poids pour la société. Nombre de ces techniques demeurent expérimentales, et leur usage peut se révéler disproportionné ou hors de portée pour un pays déterminé.

3.3 Réflexions anthropologiques

Tout ceci nous invite à nous interroger sur le sens et les limites de ce qui est appelé ‘human enhancement’ : S’agit-il d’un développement de l’homme ou uniquement de certaines capacités ?

La distinction s’impose en effet entre le développement de certaines capacités comme la mémoire, la concentration, ou même la vision dans le domaine de l’infrarouge, et ce qu’on pourrait appeler le développement de la personne tout entière[5].

Il convient aussi de souligner que la santé humaine ne concerne pas uniquement la dimension corporelle, ne réside pas dans la seule absence de maladie somatique, mais comporte, selon la définition bien connue de l’OMS, une dimension psychologique et sociale, et aussi, il ne faudrait pas l’oublier, une dimension spirituelle.

Plus profondément, le regard porté sur la notion ‘d’amélioration de l’homme’ (human enhancement) ne peut que différer selon la conception que l’on a de l’homme lui-même.

L’homme n’est-il qu’une machine biologique[6], pour reprendre les termes de Marvin Minsky et d’autres post- ou transhumanistes, ou sommes-nous appelés à reconnaître en lui, à la suite d’Aristote, un animal rationnel, ou une personne, véritable fin en soi revêtue d’une incomparable dignité selon la philosophie d’Emmanuel Kant, ou un être créé à l’image et à la ressemblance de Dieu et appelé à l’amour de son créateur et de son prochain ?

Selon ces différentes conceptions, toute ‘amélioration de l’homme’ par le moyen des technologies NBIC s’impose comme prolongement de ce qu’est en lui-même l’homme, ou, au contraire, doit être évaluée en fonction de l’accomplissement qu’elle permet de la finalité reconnue à l’existence humaine.

4. QUELQUES CRITÈRES POUR L’ÉVALUATION DES TECHNIQUES D’AMÉLIORATION

 

4.1 Un développement harmonieux de la personnes

Etant donnée la complexité du contexte technologique et anthropologique, il semble prématuré de proposer des réponses définitives. Cependant, le débat est urgent, car certaines technologies pourraient modifier profondément l’humanité. Des auteurs parlent d’une extinction de l’espèce humaine et de l’avènement d’une ‘race trans-humaine’. Cela témoigne certainement d’illusions sur la puissance transformatrice des technologies NBIC, mais pose néanmoins la question de seuils à ne pas franchir au nom du respect de l’humanité[7].

Sans chercher à modifier l’humanité dans son ensemble, certains invoquent un ‘principe d’autonomie’ auquel ils donnent une valeur suprême, et au nom duquel ils revendiquent la liberté de l’individu de choisir la personne qu’il veut devenir grâce aux nouvelles technologies, et récusent toute limitation mise par une autorité quelle qu’elle soit à l’accomplissement de leurs volontés. Ce ‘principe d’autonomie’, compris comme principe d’autodétermination, a été prôné il y a trente ans par une école bioéthique américaine. Ses auteurs ont reconnu qu’il avait été mal formulé[8]. De toute façon, il y aurait une véritable contradiction à récuser toute autorité sociale en un domaine et à formuler la revendication de droits créance en ce même domaine.

En tout cas, il s’impose de garder en perspective un développement harmonieux et plénier de la personne. Il faut donc vérifier si le développement de telle capacité n’est pas obtenu au prix d’un appauvrissement humain général[9]. Il ne faudrait surtout pas perdre le sens de la responsabilité de la personne ni porter atteinte à l’identité personnelle.

4.2 La solidarité globale, y compris la justice internationale

A propos de chaque application, il faudrait veiller à ce qu’elle ne contribue pas à élargir le fossé qui existe entre pays riches et pays en voie de développement.

4.3 La justice au sein de chaque pays

Au niveau national, l’évaluation de toute application de ces technologies devrait prendre en compte les questions de justice sociale, dans le souci d’éviter toute aggravation des ruptures d’égalité.

Or, si certains cherchent à bénéficier de techniques ‘d’amélioration’ pour des raisons strictement personnelles, ce qui est souvent recherché dans le recours aux technologies de ‘human enhancement’ c’est la supériorité sur autrui, donc l’inégalité et même la domination. Dans le domaine du sport, cela s’appelle du dopage. Mais un tel ‘dopage’ ne concerne pas seulement le domaine du sport, il peut exister aussi dans la vie sociale, en faussant le jeu de la compétition entre agents sociaux.

4.4 Le principe de précaution : Prise en compte des effets secondaires, des risques et des pertes

Le principe de précaution demande que soit faite une analyse soigneuse et indépendante des risques impliqués dans chaque application, en tenant compte de la réversibilité ou non des effets produits. Or, en ce qui concerne par exemple la stimulation cérébrale profonde, les effets ne peuvent guère être évalués faute de données suffisantes.

4.5 Consentement et répercussions sur les générations futures

Le principe général de l’expérimentation sur l’homme est que toute recherche exige un consentement exprès et éclairé de la personne concernée. Cela pose de graves questions à toute application des technologies NBIC qui aurait des effets sur les générations futures. En matière de thérapie génique, est actuellement exclue toute modification du génome qui serait transmise à la descendance. Une telle règle, communément admise, devrait être gardée en mémoire chaque fois qu’est envisagée une modification profonde de l’humain par les nouvelles technologies.