Rappelons que, Monseigneur André-Julien Léonard a prêché, à la salle Clémentine du Palais Apostolique, la retraite de Carême du Pape Jean-Paul II et de la Curie Romaine, du 21 au 27 février 1999.
Les2ailes.com se sont intéressés à cet ouvrage pour approfondir la compréhension de l'encyclique Laudato si. Celle-ci, en effet n'évoque pas le passage compliqué de Saint-Paul aux Romains, 8, 18-25
Or, la "création" ne s'identifie pas à l'état présent de l'Univers livré dès l'origine à la servitude de la corruption. Les derniers chapitres de Mgr Léonard concernant l'eschatologie et la protologie nous semblent devoir être lus pour approfondir l'encyclique Laudato si.
Ce sont donc essentiellement des extraits de ces chapitres qui sont repris ci-dessous:

Transcription: "les2ailes.com"

Résumé

Le plus grand enjeu du monde contemporain est celui de la foi.
Oui ou non, Dieu existe-t-il ? Oui ou non, s’il existe, Dieu plane-t-il loin au dessus de nos vies et des drames du monde, ou bien intervient-il activement dans notre histoire, pour l’éclairer et la conduire à son aboutissement ? Oui ou non, Jésus-Christ est-il l’Unique en lequel Dieu s’est révélé et livré à l’humanité pour toujours ? Oui ou non, Jésus-Christ est-il aujourd’hui vivant et accessible dans l’Église ?
Dans notre monde occidental déchristianisé, ces questions retrouvent, à la mesure même du paganisme ambiant, toute leur acuité et tout leur tranchant. Qu’en est-il de l’espérance chrétienne qui attend tout de Dieu, au beau milieu d’un monde qui semble attendre si peu de lui ?
Le propos de ce livre est de montrer qu’aujourd’hui plus que jamais, il est raisonnable de croire. Même si la foi dépasse la raison, elle n’est pas sans raisons. il s’agit donc ici de manifester les raisons qui justifient rigoureusement la foi face aux requêtes légitimes de l’intelligence humaine. Certes, croire est plus qu’une affaire de compréhension intellectuelle ; mais si elle veut résister aux remises en question massives auxquelles la soumettent les nombreuses idéologies du monde contemporain, la foi doit pouvoir rendre raison d’elle-même sur le plan de l’intelligence commune à tout homme. Elle doit, en particulier, relever le terrible défi du mal qui semble contredire Dieu. Tel est le propos de ce livre, fruit des nombreuses années d’enseignement de l’auteur à l’université de Louvain.

LIVRE 1 : L’IMPORTANCE D’UNE JUSTIFICATION RATIONNELLE DE LA FOI

CHAPITRE 1 : LA FOI TRANSRATIONNELLE ET RAISONNABLE

CHAPITRE 2 : LE DOUBLE ÉCUEIL DU RATIONALISME ET DU FIDÉISME

Grâce et nature
« Le don de Dieu à l’homme, celui par lequel Il le divinise pour lui  faire partager sa propre vie, ce don est par définition gratuit, mais il ne peut être reçu comme tel, comme gratuit, que par un homme doué d’une nature consistante, sans quoi ce don serait absolument requis tout simplement pour que l’homme soit homme... Seul un homme libre, consistant, dont la nature est pénétrée d’autonomie, peut être, dans l’accueil de la grâce divinisatrice, un reflet adéquat de la gloire divine. » (p. 31).

LIVRE II : LES RAISONS DE CROIRE EN DIEU

CHAPITRE 3 : DU MONDE A DIEU

CHAPITRE 4 : DE L’ESPRIT A DIEU

CHAPITRE 5 : LES PREUVES DE DIEU A L’ÉPREUVE DU MAL

Le Mal
« Le problème du mal ne se pose de manière tout à fait aigüe que si Dieu existe... Dans une perspective athée, le mal, sous toutes ses formes, « s’explique » très bien. Quoi de plus normal que l’homme, issu évolutivement de la jungle animale, où l’on ne survit qu’en tuant, soit habité par un redoutable égoïsme. Quant aux maux naturels, ... c’est la loi bien connue d l’entropie, du « retour en arrière » ou de la dégradation de l’énergie qui se traduit par un état de désordre toujours croissant de la matière... L’entropie du monde tend vers ... l’état du plus grand désordre possible... En ce sens, la mort est parfaitement « naturelle » dans l’univers.

Dans une perspective théiste, par contre, la réalité du mal devient vite insoutenable. » (p. 84-85)

LIVRE III : LES RAISONS DE CROIRE EN JESUS CHRIST

CHAPITRE 6 : LA FIGURE INCOMPARABLE DE JESUS

Les implications de la résurrection
« Dieu inaugure un monde nouveau. Pâques est ainsi, pour la foi chrétienne, le début de ce que l’écriture appelle « les cieux nouveaux et la terre nouvelle[1] ». (p. 113-114).

CHAPITRE 7 : UNE ESPÉRANCE SÉDUISANTE ET UNE COHÉRENCE UNIQUE

Les hérésies simplificatrices
« La figure de Jésus demeure miraculeusement indissoluble malgré les efforts sans cesse renouvelés pour la réduire et la ramener à des proportions humaines... Ces tentatives ... sont les « hérésies » qui consistent à « choisir » les éléments de la figure jugés acceptables en laissant tomber les autres...
Certaines théologies de la libération marxisantes... ne sont que la reprise des anciennes hérésies avec quelques atours nouveaux en plus et, généralement, le génie en moins. Semblables à ces vieilles coquettes ou à ces bellâtres avancés, qui enveloppent de parures criardes des charmes depuis longtemps fanés, les hérésies n’ont de la jeunesse que l’apparence. Elles s’imposent tapageusement à l’actualité alors que, le plus souvent, elles sont profondément rétrogrades ». (p. 125)

Le temps de l’épreuve et du libre arbitre
« Dans la vie éternelle,.. nous serons subjugués par sa présence et incapables de nous refuser à lui. De notre liberté, il ne restera, face à lui, que l’adhésion spontanée par laquelle nous nous précipiterons vers Lui et trouverons en Lui notre épanouissement définitif et notre personnalisation maximale... Avant le temps de l’évidence où notre libre choix disparaîtra face à Dieu et où notre liberté sera pure adhésion irréversible et béatifiante, il faut ce pèlerinage terrestre où, Dieu étant caché, notre libre arbitre peut se donner ou se refuser et préparer ainsi une option définitive qui soit à la fois digne de Dieu et digne d’une créature spirituelle. Si nous commencions d’emblée par la vision béatifique de Dieu, il manquerait à notre adhésion la libre offrande de notre personne ». (p. 136-137).

CHAPITRE 8 : LA GARANTIE DE L’HISTOIRE

CHAPITRE 9 : LA VÉRIFICATION PAR L’EXPÉRIENCE

L’Église-Institution ... Une Église que Jésus a voulue
« Chacun sait qu’une institution faite d’hommes souffre inévitablement de déficiences humaines, ce qui n’est pas encore une raison suffisante pour ne pas recourir à ses services... « La sainte Église catholique »... invoque la présence active en elle d’une sainteté qui ne vient pas d’elle,.. à savoir la sainteté du Christ lui-même se communiquant à elle par les articulations majeures du corps ecclésial : la Tradition vivante issue des Apôtres, l’Écriture Sainte, les sacrements ». (p. 177)
... « Je bâtirai mon Église et la Puissance de la mort n’aura pas de force contre elle » (p. 180)

Le miracle : un prodige où Dieu fait signe
« La distinction du « miracle » et du simple « prodige » est capitale. Si tout miracle comporte un aspect de prodige, il s’en faut de beaucoup que tout prodige soit miraculeux au sens religieux et surtout au sens chrétien du terme. Les religions non chrétiennes, les domaines mystérieux de la magie et de la parapsychologie connaissent aussi des prodiges étonnants. Il serait trop facile de vouloir s’en débarrasser, soit dans une perspective rationaliste, soit par souci de monopole chrétien, en les déclarant a priori mensongers ou illusoires. L’existence de ces prodiges témoigne de ce que les ressources de l’univers créé, à la fois physique et spirituel, sont infiniment plus complexes que nous le pensons. ... Le coeur du monde créé est dans l’esprit, avec sa face lumineuse et sa face obscure, avec ses énergies conscientes et inconscientes ; il se ramifie à travers les mille replis du psychisme humain, et qui sait s’il ne bat pas, d’une manière à peine soupçonnable pour nous, dans d’autres créatures, purement spirituelles, angéliques ou démoniaques, en connexion mystérieuse avec notre monde humain ?... Les « prodiges » nous font entrevoir la profondeur secrète du réel créé. Mais le miracle chrétien est plus que le prodige, il fait intervenir essentiellement a dimension du « signe ». Risquons dans cette perspective une définition du miracle chrétien : le miracle est un prodige se produisant dans un contexte religieux qui exprime dans la nature physique une intervention spéciale de la causalité divine et que Dieu adresse aux hommes comme signe du salut offert en Jésus ».  (p. 191-192)

Le miracle : une échappée sur le monde nouveau
« ... on présuppose que l’ordre du réel s’identifie à l’ordre des lois d la nature... On réduit le réel total au seul réel atteint par la science. Or, métaphysiquement, le premier Réel, c’est Dieu lui-même... Le monde nouveau inauguré par la résurrection, c’est à dire le monde de la gloire de Dieu transfigurant l’univers, appartient lui aussi au réel... Les miracles sont un clin d’oeil du monde nouveau à l’adresse de l’ancien ; avec eux, un coin du voile se soulève sur cet univers abîmé par le mal et laisse entrevoir la splendeur de l’humanité et du cosmos réconciliés avec Dieu et entre eux...
Les miracles affectant la nature inanimée sont riches de sens eux aussi : ils sont une prophétie du salut général d l’univers et non seulement de l’homme. Dès lors, les miracles ne sont pas, comme on le redoute parfois, une violation des lois du réel : ils ne bousculent que la réalité du monde déchu, assujetti à la vanité, comme dit Paul (Rm 8,20), et,  dans ce « désordre établi » d’un univers cassé, introduisent furtivement l’ordre supérieur du monde régénéré par la résurrection. Le miracle, qui apparaît comme l’exception par rapport au monde présent, est donc la loi pleine d’harmonie, de l’Univers réconcilié ; il n’échappe à la légalité d’un réel limité, celui du monde après la chute originelle que pour manifester déjà discrètement, à travers une bienheureuse échappée, la légalité supérieure du Réel intégral et intègre inauguré par la résurrection du Christ... ». (p. 193-194)

Une page « miraculeuse »
Nous ne savons pas comment Dieu s’y prend pour laisser filtrer en ce monde, à travers la  grâce du miracle, un peu de son monde à lui, un peu de ces cieux nouveaux et de cette terre nouvelle (2P 3,13) qu’Il a inaugurés avec la résurrection de Jésus. Mais cela se passe, incontestablement, et les miracles sont ainsi un index pointé en direction de la rénovation de toutes choses dans le Christ. Et le premier des miracles, le miracle par excellence, c’est bien sûr la résurrection de Jésus elle-même, au centre de l’histoire du salut. Tous les autres ne sont là que pour attester sa réalité et son efficacité premières » (p. 195)

Les saints : les plus humains des hommes
Certains saints ...témoignent de ce que la foi en Dieu et en Jésus est vraie, et même expérimentalement vérifiable, puisqu’elle porte, en ces hommes et en ces femmes, des fruits aussi merveilleux et aussi incontestables, au point que, sur leur passage, les miracles ont souvent fleuri et que leur seule présence suffisait à élever ceux qui les fréquentaient. En même temps qu’ils rendent gloire à Dieu, ils contribuent tous, d’une manière ou d’une autre à sauver le monde ». (p. 199)

LIVRE IV : LA FOI CHRETIENNE A L’EPREUVE DU MAL

CHAPITRE 10 : LA NOUVEAUTÉ DE PÂQUES ET LA CONTINGENCE DU MAL

Contingence du mal et espérance
« Le mal appartient-il à la nature nécessaire des choses, à leur essentielle imperfection ?  (p.205)
Si le mal est vraiment contingent [2], non seulement nous pouvons espérer sa suppression à venir, mais nous pouvons affirmer un état originel du monde où il n’aurait pas existé, et même n’a, de fait,  pas existé. Bref, si le mal est vraiment ce-qui-n’aurait-pas-dû-être, alors nous pouvons entrevoir qu’il est peut-être également ce qui, à la fin, ne sera plus et, même, ce qui, à l’origine, n’a pas été. Ainsi comprise, l’énigme du mal nous conduit inévitablement à la problématique du salut eschatologique (la fin du monde, la vie éternelle, les cieux nouveaux et la terre nouvelle) et à la redoutable question de la chute originelle (le premier péché, la faute d’Adam, le péché originel) » (p. 206)

La réduction sociologique du péché originel [3]
« L’état de péché originel est alors compris comme le résultat d’une corruption historique. Il a son fondement dans un entraînement collectif au al qui conditionne négativement l’individu préalablement à toute décision personnelle. Cette théorie, fort répandue aujourd’hui, a le mérite de souligner que le péché originel n’est un péché que dans un sens analogique, puisqu’il ne s’agit pas d’une faute personnelle que nous aurions librement commise ni des conséquences d’une telle faute, mais d’une situation mauvaise (et, en ce sens, peccamineuse) affectant la condition humaine comme telle, avant toute décision libre des individus. Mais c’est le seul mérite de cette théorie. Pour le reste, non seulement elle laisse sans réponse la question de l’origine du mal physique (la maladie, la mort, les catastrophes naturelles), mais elle contredit une affirmation très claire du Concile de Trente, selon laquelle le péché originel est « un par son r=origine » (à savoir Adam) et est « transmis à tous par propagation héréditaire et non par imitation ».  ... Le Concile de Trente parle de « propagation héréditaire », entendant par là qu’il atteint l’homme tel qu’il naît, c’est à dire dans sa nature même... Ce péché est « un par son origine », affectant d’emblée et par principe toute la nature humaine comme telle [4] ». (p. 207-208)

Qui sont Adam et Eve ?
« Les théologiens appellent les "dons préternaturels" [5] (praeter naturam) d’Adam, c’est à dire cette immortalité dont, selon le 16° concile de Carthage (en 418), le 2nd d’Orange (en 529) et celui de Trente, Adam était pourvu, avant la chute, au delà des exigences constitutives de la nature humaine et qui accompagnaient gracieusement l’état proprement surnaturel de justice et de sainteté, c’est à dire de communion avec Dieu, en lequel il avait été créé de manière absolument gratuite. Mais... comment comprendre d’une manière qui ne soit pas purement mythique cet état préternaturel de l’homme avant la chute ? » (p. 209)

Du Nouvel Adam au Premier Adam
« Il faut renoncer à construire immédiatement une théorie sur l’origine du mal et,... partir de la fin, et en tout cas, des événements du salut situés à l’intérieur de l’histoire et, de là, remonter vers le mystère de l’origine » (p. 209)

Une humanité intègre
« Une vie humaine nouvelle a commencé en Jésus ressuscité et en Marie glorifiée... Puisque nous contemplons en Jésus ressuscité une vraie nature humaine créée, exempte du pouvoir du péché et de la mort, et puisque nous admirons en Marie glorifiée une vraie créature humaine échappant aux impasses de notre condition présente, il s’ensuit qu’il est faux de lier les maux qui affligent notre vie humaine actuelle à notre statut même de créatures, comme s’ils en étaient un corolaire inévitable » (p. 213)

Ne pas lier le mal à la finitude
«  Nous ne voulons pas nier que la création ait eu lieu en vue de l’Incarnation du Fils et de la divinisation de l’homme, mais la gratuité du surnaturel nous interdit de comprendre l’Incarnation comme une sorte de correctif nécessaire à un scandale inhérent à la création ». (p. 215)

La radicale contingence du mal
A partir de la nouveauté de Pâques et de la condition pleinement humaine et pourtant irréversiblement harmonieuse qu’elle institue, nous concluons donc à la radicale contingence du mal. Mais alors, si le mal est ce qui n’aurait pas dû être et pouvait ne pas être, nous pouvons espérer sa disparition et entrevoir la « fin » où il ne sera plus. Et symétriquement, nous pouvons comprendre qu’il n’a pas toujours infecté la condition humaine et sommes autorisés à penser l’« origine » où il n’était pas encore ». (p. 215)

CHAPITRE 11 : LE MONDE NOUVEAU ET LA FIN DU MAL

L’événement méta-historique de la résurrection
« La Résurrection n’est pas une réalité intérieure au monde. Elle inaugure précisément un monde nouveau, elle appartient... au nouvel « éon » (« monde » en grec), tellement réelle qu’elle n’est pas enfermée dans l’ancien « éon » de l’univers déchu ou « déréalisé » où nous sommes présentement ». (p. 218)

L’identité nouvelle du Ressuscité - Un homme réel
« Si donc nous voulons préciser le statut de ce monde nouveau, il nous faut souligner quelques traits de la nouvelle condition d’existence du Ressuscité lui-même... Le Jésus des apparitions pascales est en effet très différent du Jésus terrestre ; il apparaît subitement et disparaît tout aussi soudainement. Quand il s’est fait reconnaître, il refuse qu’on le retienne dans les limites de l’ancien « éon »... Il porte encore en son corps glorieux les traces de la passion ».. . Dans sa gloire, Jésus reste bien un homme ayant chair et os » (p. 220-221)

La parousie et le renouvellement de toutes choses
« Tout comme la Résurrection de Jésus n’est pas un événement de ce monde, ni non plus une pure aventure intérieure dans l’âme des croyants, mais le passage de Jésus, par la puissance de l’Esprit, à une nouvelle condition d’existence, ainsi la parousie du Seigneur coïncidera avec l’universelle résurrection de la chair et la transformation de l’univers en ces cieux nouveaux et cette terre nouvelle dont parle l’Écriture...
Lors de cet ultime accomplissement de l’univers,... la corporéité humaine et la matérialité de l’univers seront à la fois en continuité et en discontinuité avec celles que nous connaissons maintenant... Il en sera de même pour l’univers entier qui sera bien ce monde-ci,  le monde de nos existences singulières et de l’histoire universelle, mais aussi le ciel nouveau et la terre nouvelle recréés par la puissance du Ressuscité et offerts en partage, par Lui, à l’humanité régénérée » (p.223-224)

L’éternelle médiation du Christ
« Jésus restera pour l’éternité, le lieu personnel de notre divinisation accomplie » (p. 226)

Coexistence du monde nouveau et de l’ancien
« Cette résurrection pour la vie impérissable sera essentiellement un cadeau, et non le fruit de nos efforts terrestres. D’ailleurs, même quand il couronne nos mérites, Dieu ne couronne jamais que ses propres dons. il s’agira d’une transfiguration venant d’en haut ...
Elle est présente, la réalité du monde à venir puisque, très vraiment, ce monde futur existe déjà en Jésus et Marie, et contient en germe tout l’univers nouveau. Il s’ensuit donc qu’actuellement, en attendant la fin des temps, l’ancien monde et le nouveau coexistent. L’univers régénéré existe déjà, mais l’ancien « éon » continue sa course aussi longtemps que dure la patience de Dieu. Ce n’est qu’à la fin des temps que le monde présent sera définitivement jugé et que tout ce qui, en lui, peut être sauvé sera transfiguré et engrangé dans le nouvel éon ». (p. 226-227)

Non-coïncidence et incommensurabilité
« Dans l’entre deux où nous sommes, ne croyons pas cependant que la coexistence des deux mondes implique qu’il se trouvent sur le même pied. En effet, non seulement cet univers à la fois présent et à venir qu’est le monde de la résurrection est déjà pleinement réel dans le Christ et en Marie, mais il est le plus réel des deux. ... Jésus ressuscité se rend bien réellement présent à notre monde, et le lieu de cette présence réelle, c’est l’Eucharistie. Mais, justement, la présence du Seigneur crucifié et ressuscité dans l’Eucharistie est réelle, et même souverainement réelle, sans pour autant être mesurable selon les critères de nos réalités quotidiennes. La présence eucharistique du Ressuscité est réelle sans être chosifiable ». (p. 227-228)

Penser le monde nouveau et non l’imaginer
« Le fait qu’entre l’ancien éon et le nouveau, il y ait à la fois continuité et discontinuité a pour conséquence que le passage de l’un à l’autre est strictement irreprésentable... Décrire un événement, c’est, pour nous, le situer dans le monde et selon les coordonnées de ce monde. Or la Résurrection est précisément le surgissement d’un autre monde, dont les critères et les points de repère sont nécessairement différents des nôtres. Nous pouvons et nous devons « penser » et « affirmer » le monde de la résurrection, mais il nous faut renoncer à l’imaginer » (p. 229-230)

Les pièges du mythe
« La nature du passage nous échappe par définition. Quand nous l’expérimenterons, à la fin du monde, que nous soyons encore vivants  ou déjà morts, nous serons autres, car nous serons nous-mêmes transformés avec la transformation même du monde » (p. 231)

CHAPITRE 12 : LE PÉCHÉ D’ADAM ET L’ORIGINE DU MAL

Une guérison qui transfigure
« L’intégrité originelle de l’homme et du cosmos est une vérité de fait qu’il faut considérer.. Le mot « restauration » pourrait être trompeur dans la mesure où il suggérerait un simple retour à la condition première, une sorte d’immense tour pour rien, plus proche du mouvement circulaire de la mythologie païenne que du dynamisme chrétien... La prière de l’offertoire dans l’usage extraordinaire l’exprime : « Dieu qui as créé la nature humaine dans une condition admirable et qui l’as restaurée de manière plus admirable encore ». (p. 233-234)

Dieu n’a pas créé la mort
Extrait de la Sagesse : « Dieu n’a pas fait la mort, il ne prend pas plaisir à la perte des vivants. Il a tout créé pour l’être ; les créatures du monde sont salutaires, en elles il n’est aucun poison de mort et l’Hadès ne règne pas sur la terre, car la justice est immortelle » (Sg 1, 13-15)

Une nature contre nature
« La création telle qu’elle est sortie des mains de Dieu était intègre et promise à l’intégrité. Tout ce qui la défigure maintenant était absent de l’harmonie originelle du monde et résulte précisément de la dégradation introduite en elle par la chute originelle, par le péché d’Adam » (p. 236)

Un monde cassé
« Si la corruption du monde présent s’est inscrite jusque dans les lois de la nature, lois qui soumettent effectivement le monde et l’homme à la tyrannie de l’égoïsme et de la mort, et si, par ailleurs, la création originelle n’était pas livrée à ce pouvoir du néant, alors il s’ensuit que, malgré la continuité réelle entre le monde avant la chute et le monde après la chute, il y a, entre ces deux états de la création, une discontinuité qualitative tout aussi réelle. Certes, même abîmé, le monde déchu demeure fondamentalement bon, mais la blessure qui l’infecte est néanmoins si profonde que la contagion du péché, porteuse de mort, s’est installée jusqu’au cœur de la nature, jusque dans ses lois de fonctionnement, qui acheminent désormais tout être vivant vers sa mort, après l’avoir emprisonné dans son égoïsme. La rupture causée par le premier péché n’est donc pas une variation superficielle comparable aux modifications survenues dans l’univers présent au cours de son évolution cosmologique, géologique, climatologique ou historique. Il s’agit d’une altération qui, tout en préservant son identité foncière, atteint cependant sa qualité d’être, sa condition ontologique ou, en termes plus simples, son niveau ou son degré d’existence...
Notre monde est bien le même que connut le premier Adam avant la chute et notre humanité présente reste substantiellement identique à la sienne. Cependant, entre lui et nous, comme entre la création originelle et le cosmos présent, il y a une discontinuité, une rupture qualitative qui sont comparables à la différence qui sépare les cieux nouveaux de la terre présente en dépit de leur essentielle continuité  » (p. 237-238)

Adam au-delà de la paléontologie
« Entre le monde avant le péché d'Adam et le monde après le premier péché, il y a une discontinuité qualitative, il ne faut donc pas se représenter la chute originelle comme se produisant à l'intérieur du monde présent. Le péché d'Adam est justement à l'origine de la condition présente de l'homme et du monde en tant qu'ils sont infectés par le mal » (p. 238)
« Les premiers hommes auxquels peut remonter la paléontologie se situent à l’intérieur de l’univers déchu et de son histoire, tandis qu’Adam et Ève se trouvent à l’origine de la déchéance même d’un univers originellement intègre... Jésus ressuscité et Marie glorifiée sont actuellement bien réels selon la foi chrétienne... Mais Jésus ressuscité n’est pas quelque part dans notre cosmos. D’une manière comparable, quoique non identique, Adam et son péché ne sont pas à situer à l’intérieur de notre univers avec les lois physiques et biologiques que nous lui connaissons présentement... Si nous cédons à des représentations naïves et identifions Adam et Ève aux premiers hominisés issus de l’évolution, nous nous heurtons aussitôt à des impasses insurmontables » (p. 238-239)
« Les dons préternaturels d'Adam [sont] intégrité, science, immortalité » (p.239)

Les écueils de l’imagination
« Le passage du monde réel avant la chute au monde réel après la chute est tout aussi irreprésentable par l’imagination, ou même par la science, que le passage analogue de ce monde-ci au monde nouveau de la résurrection... Ce récit est évidemment symbolique, non pas parce qu'il raconterait une illusion, mais parce que la réalité qu'il évoque et qui n'appartient pas au monde présent est exprimée selon nos schèmes de notre expérience actuelle. Semblablement, la condition d’existence de l’homme originel est aussi peu imaginable et descriptible en fonction de notre propre condition présente que la condition glorieuse de Jésus et de Marie dans le monde nouveau de la résurrection » (p. 240-241)

La symétrie inadéquate des deux « Adam »
« Nous avons pensé la protologie (du grec prôtos= premier), c’est à dire la question des origines, à partir de l’eschatologie (du grec eschatos = « dernier ») qui, elle, traite des fins dernières. (p.241)...
Nos premiers parents furent créés dans une condition transitoire, caractérisée par cette relative in-évidence de Dieu requise pour que le don de Dieu soit accueilli, dans un premier temps, par un libre choix... Avec nous, ils partageaient une situation de maturation et de probation orientée vers une option décisive, mais qui demeurait donc en deçà de l’achèvement eschatologique. Cependant, cette situation d’épreuve, ils la vivaient dans l’harmonie d’une nature intègre, tandis que nous, nous la vivons dans le tiraillement tragique d’une nature blessée par le péché, si bien que, en ce qui nous concerne, le clair-obscur requis par la liberté se double de l’obscurité redoutable d’un monde enténébré par la chute originelle. L’épreuve pénible qui est actuellement la nôtre se fût déroulée pour Adam et Ève -s’ils n’avaient point péché- sous la forme d’une harmonieuse probation et le passage de leur condition préternaturelle native au plein épanouissement surnaturel de la vision béatifique eût été une douce transition » (p. 241-242)

Une indépendance mortelle
« Et Dieu, dans le respect de ses créatures, créées libres à son image et à sa ressemblance, s’incline devant cette volonté rebelle d’Adam et Ève, comme il s’est incliné devant le Non serviam (« Je ne servirai pas ») de Lucifer et de ses anges mauvais. Il accorde à l’homme originel la fausse autonomie, l’indépendance mortelle qu’il réclame. Il ne lui retire pas sa vocation surnaturelle à la vision béatifique, il ne le prive pas de la grâce de son amour, mais,  respectueux de la volonté perverse de l’homme, il abandonne la nature humaine à ses propres ressources naturelles et la dépossède ainsi à contrecœur des dons préternaturels qui l’ornaient. Désormais, la grâce de Dieu ne pourra plus se contenter de porter à son achèvement surnaturel une nature humaine intègre et harmonieuse, elle devra descendre au fond de l’abîme pour y rechercher une nature humaine dépouillée de ses dons préternaturels, privée de son harmonie originelle, abandonnée -non quant à sa vocation ultime, mais quant à sa condition d’existence- à ses ressources naturelles au sein d’un univers laissé, lui aussi, à ses propres lois » (p. 245)

L'harmonie originelle
« Nous ne pouvons donc pas nous représenter de quelle manière Adam et Eve précontenaient en eux toute l'humanité. Ce devait être d'une manière aussi réelle et aussi mystérieuse que celle dont le Christ total contient aujourd'hui tout son corps mystique... » (p. 246)

Le retentissement cosmique de la chute
« C’est bien le cosmos tout entier qui, à la suite du péché d’Adam, lui-même induit par la tentation satanique, est assujetti à la vanité, livré au pouvoir du néant. Et le résultat de cette perversion, c’est l’univers présent, c’est le monde où nous sommes et tel que nous l’expérimentons : monde à la fois merveilleux et cassé, beau et cruel, grandiose et tragique...
L’important pour nous n’est pas d’imaginer le paradis terrestre ou les cieux nouveaux, mais de bien comprendre, d’une part, que tout l’univers actuel est abîmé par la chute originelle et, d’autre part, que ce monde cassé est appelé à être guéri et même qu’il a commencé de l’être depuis la venue en lui de Jésus » (p. 247-248)

Comment penser la déchéance originelle ?
« Entre la condition de l’homme et du monde avant la chute et notre situation présente, il faut bien penser un passage, une transition puisqu’il y a à la fois continuité et discontinuité ». (p. 249)

Deux hypothèses critiques
« Notre hypothèse revient ...à placer Adam et Eve dans un monde préternaturel réel, mais ne coïncidant pas avec l'univers actuel un peu comme nous situons le Nouvel Adam ressuscité et la Nouvelle Eve glorifiée dans un monde nouveau réel, mais ne recouvrant pas notre cosmos » (p. 251-252)

La déchéance d’une création préternaturelle intègre
« On peut tout d’abord penser la création comme étant, à l’origine, préternaturelle, c’est à dire comme n’étant ni le monde présent assujetti à la vanité, ni les cieux nouveaux et la terre nouvelle de la résurrection, mais justement le monde paradisiaque de l’harmonie originelle. Cette création préternaturelle peut-être conçue comme un cosmos complet...
La conséquence du péché d’Adam, c’est alors précisément que l’ensemble de l’univers préternaturel déchoit et devient, depuis le big-bang initial jusqu’à aujourd’hui, cet univers tel que nous le connaissons, livré à l’irréversibilité du temps et aux lois de vie et de mort de la nature abandonnée à ses propres ressources. Séduit par l’orgueil de Satan et de ses anges rebelles, Adam a voulu la fausse autonomie qui le libérerait de Dieu son créateur. Il obtient ce qu’il a voulu et expérimente combien cette fausse indépendance le condamne à un universel asservissement au point que, créé par Dieu comme esprit incarné dans le monde préternaturel, il se retrouve maintenant comme un pauvre « animal raisonnable » issu de l’évolution biologique et livré à une nature nourricière, certes, où demeure un reflet de l’harmonie paradisiaque, mais si souvent indifférente, voire même hostile à son plus beau fleuron : l’homme[6].
On objectera que cette idée d’une chute du monde préternaturel au monde présent est du délire métaphysique. ... Certes ce passage est irreprésentable mais il n’est pas plus difficile -ni plus facile- à penser que l’opération inverse -quoique non symétrique- par laquelle, à la fin des temps, Dieu fera passer la figure de ce monde et recréera les cieux nouveaux et la terre nouvelle.
Quant à l’événement métaphysique de « décréation » ou de « décompression ontologique » correspondant à la chute originelle, il n’est ni plus ni moins un coup de baguette magique que l’évènement analogue -quoique non identique- par lequel Dieu a ressuscité Jésus et a inauguré en lui le renouvellement de toutes choses.
Que si, malgré ces précautions, le lecteur demeure allergique à ce que, avec Rahner,  il jugera peut-être constituer un miracle « punitif » incompréhensible[7], il peut encore, avec Maxime le Confesseur, concevoir que le premier péché a « coïncidé » de fait  -non de droit !- avec la création, c’est à dire que l’homme s’est « d’emblée » éloigné de Dieu et qu’ainsi, sans qu’il y ait lieu de traduire dans une distance temporelle ce qui fut un jour détournement spirituel « instantané », l’univers n’exista jamais, en fait, que dans sa condition déchue, « aussitôt » voulue par l’homme et par les anges rebelles[8] » (p. 252-254)

L’asservissement à un univers naturel coexistant
"La coexistence éventuelle du monde préternaturel originel et du monde présent n’est pas de soi plus impensable que la coexistence effective du monde présent avec le monde nouveau de la résurrection...
Dans l’hypothèse où Adam et Ève n’auraient point péché, l’Incarnation se serait peut-être[9] produite dans le monde préternaturel, non pour sauver l’homme, demeuré intègre, mais pour l’accomplir en le faisant communier, par le Christ, à la vie divine elle-même. Et, dans le prolongement de cette Incarnation aboutissant à la gloire sans passer par la croix, c’eussent été d’emblée les cieux nouveaux et de la terre nouvelle grâce à l’accueil positif du Verbe incarné par l’humanité issue d’Adam et Ève, dans cette hypothèse, selon un autre processus que la reproduction sexuelle conjurant la mort, processus, bien sûr, aussi peu imaginable que le monde de la résurrection où, comme dit Jésus, « on ne prend plus ni femme ni mari » (Lc 20, 35-36)...
L’univers physique montré à nos premiers parents demeura l’univers physique naturel qu’il était. Et, au lieu d’en être le roi, l’homme en devint le produit, issu de lui par l’évolution biologique et abandonné à son pouvoir écrasant et, en fin de compte, mortel.... L’évolution animale, n’est pas le lieu du premier péché, mais plutôt l’une de ses conséquences. » (p. 255-256)

Notre univers, naturel et insupportable
« Quelle que soit l’hypothèse retenue, voilà dans quel univers splendide et tragique nous sommes pris présentement, à la fois le même et pas le même que le monde avant la chute,... un monde endetté par rapport au plan initial du créateur ». (p. 256-257).

La prétendue injustice du péché originel
« Le monde où nous nous trouvons est, au sens où nous l’avons expliqué, parfaitement « naturel », conforme à l’ordre normal des choses et aux lois spontanées de la matière. Ensuite, ce monde naturel, qui n’est déchu que par rapport au monde préternaturel initialement créé par Dieu, nous le voulons et le ratifions chaque fois que, par nos péchés personnels, nous répétons le péché d’Adam et nous l’approuvons pour notre compte ... L’injustice de la grâce est plus grande que celle du péché puisque, préalablement à tout usage de notre liberté et donc sans aucun mérite de notre part, nous sommes déjà sauvés par la croix du Nouvel Adam...
Le monde nouveau s’est insinué dans l’ancien avec la conception immaculée de Marie et la naissance virginale de Jésus, pour éclater enfin dans la résurrection glorieuse de Celui qui, avant d’inaugurer les cieux nouveaux et la terre nouvelle.. ; a porté tout le poids du monde déchu » (p. 258-259)

Le tragique du mal et la souffrance de Dieu
« Ce monde, Dieu le supporte, à contrecœur, aussi longtemps que dure cette phase nécessaire de maturation et d’option où les libertés créées jouent librement leur jeu ». (p. 259)


[1] cf : 2P3,13 et Ap21,1 reprenant Is 65,17 et Is 66,23

[2] Quelque chose de contingent peut ne pas avoir lieu. Et s’il a lieu, cela ne change rien au fait qu’il aurait pu ne pas avoir lieu.

[3] Avouons que nous n'avons guère trouvé de réflexion speculative sur le péché d'Adam et le péché originel que chez de rares auteurs, la plupart influencés par la tradition orientale. C'est d'eux que nous nous inspirons dans notre chapitre 12. En voici les principales références... Nicolas Berdiaev "Esprit et Réalité" (Paris, Aubier 1943), Nicolas Berdiaev "Le sens de la création" (Bruges DDB 1955), Nicolas Berdiaev (Essai de métaphysique eschatologique" (Paris Aubier 1946)...

[4] Il faut distinguer le « péché originel » qui affecte, sans faute personnelle préalable, tous les hommes de l’histoire sauf Marie et Jésus, et le « péché originel originant », chute originelle commise librement par Adam à l’origine de l’histoire et dont la conséquence pour nous est le « péché originel ».

[5] Les dons préternaturels sont des privilèges accordés par Dieu à l’humanité. Selon la tradition chrétienne, ces privilèges étaient au nombre de trois et exprimaient chacun une harmonie dont l’homme jouissait à l’origine :
- L’homme était doué d’un génie naturel, car sa vie intellectuelle était exempte de défaut natif (« connaissance infuse »).
- L’homme était doué d’un caractère épanoui, car sa vie psychique était exempte de défaut natif (« intégrité des passions »).
- L’homme était doué de l’immortalité, car sa vie corporelle était exempte de défaut natif .
Ces trois privilèges sont dits « préternaturels » car ils vont « au-delà » (praeter en latin) de ce que la nature accorde ordinairement. Ce sont littéralement des dons « extra-ordinaires ». En effet, la nature n’entraîne pas de soi l’absence de défauts corporels, psychiques ou intellectuels. Mais selon la tradition, ces privilèges étaient accordés à l’homme en raison d’un quatrième don qui les fondait et les expliquait.
Ce quatrième don était celui de la grâce sanctifiante et de la justice originelle. Il exprimait la perfection de la volonté et l’harmonie morale dans laquelle vivait le premier homme, l’innocence spirituelle qui était la sienne avant qu’il ne pèche pour la première fois. La rectitude sans défaut de sa volonté et sa sanctification conféraient alors à l’homme une énergie extra-ordinaire (préternaturelle) qui expliquait son immortalité, son intégrité et son omniscience. (source: fr. Paul Adrien d’Hardemare, membre de l’Ordre Dominicain, http://theopedie.com/Que-sont-les-dons-preternaturels.html)

"La création avant la création" (
Auteur: OJC - Date: 19-03-2005 22:32):
"J'estime en effet que les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous. Car la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu : si elle fut assujettie à la vanité - non qu'elle l'eût voulu, mais à cause de celui qui l'y a soumise -, c'est avec l'espérance d'être elle aussi libérée de la servitude la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons en effet, toute la création à ce jour gémit en travail d'enfantement. Et non pas elle seule : nous-mêmes qui possédons les prémices de l'Esprit, nous gémissons nous aussi intérieurement dans l'attente de la rédemption de notre corps" (Rm 8, 18-23).
La portée de ce passage me semble évidente : le péché des origines a une dimension cosmique, et non simplement anthropologique. Il y a donc trois états de la Création : la Création originelle, la Création corrompue, la Création rédimée.
Le péché des origines est la cause du basculement de la Création de l'état originel à l'état corrompu. Cette corruption est, en fait, un véritable cataclysme existentiel : les lois naturelles du monde corrompu ne sont pas les lois naturelles du monde originel (baptisées lois préternaturelles pour  éviter toute confusion).
Ainsi, malgré la continuité réelle entre le monde d'avant la chute et le monde d'après la chute, il y a entre ces deux états de la Création une discontinuité qualitative tout aussi réelle. Certes, même abîmé, le monde déchu demeure fondamentalement bon, mais la blessure qui l'infecte est néanmoins si profonde que la contagion du péché, porteuse de mort, s'est installée jusqu'au coeur de la nature, jusque dans ses lois de fonctionnement, qui acheminent désormais tout être vivant vers sa mort.
A ce point, une conclusion décisive et capitale se dégage : il ne faut pas se représenter la chute originelle comme se produisant à l'intérieur du monde présent. Le péché d'Adam est justement à l'origine de la condition présente de l'homme et du monde en tant qu'ils sont infectés par le mal. Autrement dit, le premier péché n'a pas été commis par les premiers hominisés de l'évolution biologique, telle qu'elle s'est déroulée dans l'univers présent. C'est donc se tromper de registre que de vouloir identifier Adam avec un quelconque homme de Neandertal ou de Cro-Magnon. Car les premiers hommes auxquels peut remonter la paléontologie se situent à l'intérieur de l'univers déchu et de son histoire, tandis qu'Adam et Ève se trouvent à l'origine de la déchéance même d'un univers originellement intègre.
La conséquence du péché d'Adam, c'est alors que l'ensemble de l'univers préternaturel déchoit et devient, depuis le Big-bang initial jusqu'à aujourd'hui, cet univers naturel que nous connaissons, livré à l'irréversibilité du temps et aux lois de vie et de mort de la nature abandonnée à ses propres ressources. Séduit par l'orgueil du Satan et de ses anges rebelles, Adam a voulu la fausse autonomie qui le libérerait de Dieu son Créateur. Il obtient ce qu'il a voulu et expérimente combien cette fausse indépendance le condamne à un universel asservissement au point que, créé par Dieu comme esprit incarné dans le monde préternaturel, il se retrouve maintenant comme un pauvre "animal raisonnable" issu de l'évolution biologique et livré à une nature nourricière.
Ceci nous fait mesurer à quel point notre Dieu a le sens de l'humour (ce qui est déjà manifeste en Jésus)... Sachant, en effet, le Satan serait vaincu, il lui a plu d'inscrire dans le corps même du monde historique une allégorie de cette victoire.
L'hypothèse scientifique qui attribue à un météorite "venu des cieux" la disparition des dinosaures n'en devient que plus savoureuse..."

[6] Mgr Léonard ne résiste pas à la tentation de citer à ce propos une belle page d’Olivier Clément (incluant une citation de Teilhard de Chardin) dans « Questions sur l’homme » Paris Stock- 1972, p. 155 : « C’est dans ces perspectives, me semble-t-il, que la pensée chrétienne devrait envisager le problème de l’évolution. Les découvertes de la géologie et de la paléontologie s’arrêtent nécessairement aux portes du Paradis, puisque celui-ci constituait une autre modalité de l’être. La science ne peut remonter en deçà de la chute puisqu’elle est incluse dans les conditions d’existences provoquées par celle-ci. Ce que la science appelle « évolution » représente spirituellement le processus d’objectivation, d’extériorisation de l’existence cosmique abandonnée par le premier Adam. Le monde cesse d’être le « corps mystique » d’Adam pour s’effondrer dans la séparation et la mort où Dieu le stabilise, le sauvegarde, l’oriente vers l’incarnation du Christ, nouvel Adam. Il est remarquable que Teilhard de Chardin, qui devait par la suite ignorer systématiquement l’état originel de la création, ait tenté, dans un bref écrit de 1924, Mon univers, de rendre compte plus fidèlement des données de la Tradition : « D’où vient à l’univers sa tache originelle ? Ne serait-ce pas... comme paraît l’indiquer formellement la Bible, que le multiple originel est né de la dissociation d’un être déjà unifié (premier Adam) si bien que, dans sa période actuelle, le Monde ne monterait pas, mais remonterait vers le Christ (deuxième Adam) ? Dans ce cas, avant la phase actuelle d’évolution (de l’esprit hors de la matière), se placerait une phase d’involution (de l’esprit dans la matière), phase évidemment in-expérimentale puisqu’elle se serait développée dans une autre dimension du réel ». »

[7] Petit dictionnaire de théologie catholique » de Karl Rahner, (collection Livre de vie, Paris, Seuil, 1970, article « péché premier », p. 350)

[8] H.-U. von Balthasar précise à juste titre que cette tradition patristique n’appartient pas seulement à la gnose (Cf : « La gloire et la Croix, Styles » vol. 2 , coll. Théologie n° 81, Paris Aubier, 1972, p. 193)

[9] Mgr Léonard écrit « peut-être », car le rôle premier de la théologie est de penser l’histoire réelle du salut et non de spéculer sur des futuribles, en l’occurrence sur c qui se serait passé si l’homme n’avait pas péché, alors qu’il a en fait péché. Mgr Léonard  ne veut pas trancher  non plus ici la querelle entre thomistes et scotistes sur la question de savoir si le motif de l’Incarnation est la rédemption de l’homme ou sa divinisation et donc sur la question de savoir si l’Incarnation aurait eu lieu même sans le péché d’Adam. Avec Duns Scot ((vers 1266 à Duns - 1308 à Cologne), surnommé le « Docteur subtil », est un théologien et philosophe écossais, fondateur de l’école scolastique dite scotiste), mais sans négliger la vérité de la thèse thomiste concernant l’ordre réel des faits, Mgr Léonard incline plutôt à penser que l’Incarnation aurait eu lieu même si l’homme n’avait pas péché.