« La sobriété est le style de vie du chrétien » titrait l’Osservatore Romano, à propos du commentaire de Benoit XVI pendant l’Angelus du 4 décembre 2011. De quelle sobriété s’agit-il ? Le texte de Benoit XVI mérite qu’on s’y arrête pour ne pas se méprendre sur le sens de son propos…

Source : Osservatore Romano du 8 décembre 2011

Commentaire "ordinatissima"

De quelle sobriété parle Benoit XVI ?

Benoit XVI commence par décrire la personnalité et la mission du Précurseur du Christ : « en commençant par son aspect extérieur, Jean est présenté comme une figure très ascétique : vêtu d’une peau de chameau, il se nourrit de sauterelles et de miel sauvage qu’il trouve dans le désert de Judée » (Mc 1,6).
Dans un premier temps, Benoit XVI dit que « le style de Jean-Baptiste devrait rappeler à tous les chrétiens de choisir comme style de vie la sobriété ».

Mais aussitôt après, Benoit XVI explicite ce qu'a été la mission de Jean-Baptiste, celle d' « un appel extraordinaire à la conversion ». Benoit XVI reprend le commentaire qu’il avait fait dans son livre « Jésus de Nazareth », [1] : « son baptême est lié à un appel enflammé pour un nouveau mode de pensée et d’action, lié surtout à l’annonce du jugement de Dieu et à l’imminente apparition du Messie ».

Benoit XVI montre ensuite que « l’appel de Jean va donc au-delà de la sobriété du style de vie, et plus en profondeur : il appelle à un changement intérieur, à partir de la reconnaissance et de la confession du péché personnel ».

Saint-Jean-Baptiste, le « nouvel Elie »

Il n’est pas possible de comprendre Jean-Baptiste si on ne replace pas sa mission dans le contexte de l’Ancien Testament.

Le Second Livre des Rois raconte l’histoire du Roi de Samarie, Ochozias qui, après un accident, envoie des messagers consulter le dieu Baal pour savoir s’il guérirait. Mais les messagers croisent sur la route le prophète Elie qui, au nom du Dieu d’Israël, les dissuade de se tourner vers Baal et les enjoint de retourner chez Ochozias. Celui-ci leur demanda, à leur retour : « "de quel genre était l’homme qui vous a abordés ?"... et ils lui répondirent : "C’était un homme avec une toison et un pagne de peau autour des reins". Il dit : "C’est Elie le Tishbite" ».

C'est délibérément que Jean-Baptiste a pris le costume d’Elie pour s’identifier à lui.
Ce qu’on appelle le « baptême du Christ », devant Jean-Baptiste, n’est pas de la même nature que celui qui était pratiqué par les foules qui se déplaçaient pour « confesser leurs péchés ». Le Christ, en effet, n’a pas péché et descend de Galilée, comme pour authentifier que Jean-Baptiste a raison de se placer dans le rôle du nouvel Elie, de celui qui dissuade ses auditeurs de suivre les faux Dieux, mais au contraire les appelle à préparer une route pour Dieu qui vient. Il s’agit donc d’un appel à la conversion intérieure, d’une sobriété intérieure qui permet de se désencombrer.

Le prophète Isaïe, pendant l’exil des juifs à Babylone, annonce également l’envoi d’un messager. Les évangélistes eux-mêmes appliqueront à Jean-Baptiste la réalisation de cette prophétie : "Une voix crie : ‘’dans le désert, frayez le chemin de Yahvé… Que toute vallée soit comblée,…" (II Rois, 40,3). Quel est le chemin voulu par Yahvé pour chacun ? Il y a un parallèle entre :

  • La descente des hébreux venant d’Egypte, leur traversée au fond de la mer Rouge, et leur remontée vers la Terre promise,
  • La descente des hébreux en Exil à Babylone, leur retour à travers le désert, et leur remontée à Jérusalem,
  • La descente des foules vers Jean-Baptiste, leur plongée dans les eaux du Jourdain, en rémission de leurs péchés, et leur remontée à Jérusalem,
  • La descente du Christ venant de Galilée, son plongeon au point le plus bas des eaux (-300m) et sa remontée dans sa vie publique,
  • La mort du Christ, sa descente aux enfers et sa résurrection,
  • Notre vie de catéchumène, notre baptême dans l’eau et l’esprit et notre renaissance dans la vie chrétienne.

Tous ces évènements ne se comprennent qu'à travers ce véritable baptême du Christ qui est celui de sa passion,de sa mort et de sa résurrection.
On comprend, alors, la symbolique de Jean-Baptiste, installé au point le plus bas, au lieu où le peuple d’Israël est descendu du Mont-Nébo, avant de franchir le Jourdain, puis de remonter vers Jérusalem.

Ce n’est pas par hasard que les dernières lignes de l’Ancien Testament, annoncent Jean-Baptiste : « Voici que je vais vous envoyer Elie le prophète, avant que n’arrive le jour de Jahvé… Il ramènera le cœur des pères vers leurs fils et le cœur des fils vers leurs pères » (Malachie 3, 23). L’enchaînement est continu avec l’évangile de Marc qui, sans transition, commence par la prédication de Saint Jean-Baptiste : « Commencement de l’Evangile de JC, fils de Dieu. Selon qu’il est écrit dans Isaïe le prophète : "voici que j’envoie mon messager …" ». (Mc 1,1).

Benoit XVI rappelle pendant son commentaire de l’Angelus, que la prédication de Jean-Baptiste fait référence à ces passages du prophète Isaïe (Is 40,3) et de Malachie (Ml 3,1).

La mission de Jean-Baptiste n'est donc pas un simple appel à la sobriété pour elle-même. Sa mission est plus profonde. Elle est celle d'un appel à la conversion, celle qui ramène le "cœur des pères vers leurs fils et ceux des fils vers leurs pères". L’appel à la sobriété est un moyen et non un but, un chemin de conversion pour préparer la venue du Seigneur.


[1] Benoit XVI « Jésus de Nazareth », I, Paris, 2007, p. 34