Q. Du 9 au 11 novembre 2011, l’Eglise a réuni des experts scientifiques autour du thème des « cellules souches adultes ». Pourquoi l’Eglise prend-elle parti dans un débat qui est d’essence scientifique ? Pourquoi condamne-t-elle la recherche sur les cellules souches embryonnaires ? Si la liberté de la recherche scientifique est bridée, les progrès bénéfiques à l’homme ne courent-ils pas de grands risques ?

R. L’Eglise a le souci de tous les patients qui ont la possibilité de bénéficier « des recherches et des thérapies dérivant des cellules souches adultes ». Benoit XVI sait que « leur potentiel est considérable … Celles-ci sont une alternative aux thérapies à partir de cellules embryonnaires, dont l'emploi implique la destruction d'embryons » En effet, contrairement à celles qui, au nom du progrès de la médecine, détruisent des embryons pour « satisfaire des besoins purement utilitaristes », ces recherches et thérapies « protègent la dignité de l’homme » et sont porteuses de « nouveaux espoirs pour de nombreux malades et leurs familles ». (Discours de Benoit XVI aux congressistes le 9 novembre 2011)[1]

Dossier: "Ordinatissima.com"

EN SYNTHÈSE :

1. L’intérêt de l’Eglise pour les questions médicales

Le Vatican a réuni en novembre 2011 un Congrès international intitulé "Cellules souches adultes: science et avenir de l'homme et de la culture". Son but était d'informer le grand public sur les nouvelles thérapies.  L’Eglise manifeste, ainsi, son attention particulière aux malades.

2. Les cellules souches régénératrices. Un besoin de vulgarisation

Afin de mieux informer le public, l’église a eu le souci de vulgariser ces nouvelles thérapies.  Aujourd’hui, plus de 3000 transferts de cellules souches adultes ont été pratiqués dans le cadre de protocoles cliniques sur l’homme.

3. L’utilité d’une recherche ne peut être un principe d’action.

La position de l’Eglise résulte d’une analyse d’un autre ordre : la question ne doit pas être envisagée en fonction de son utilité.  

4. La liberté de la science n’est pas un absolu.

De nombreux chercheurs ont défendu le droit de poursuivre leurs recherches sur les cellules souches embryonnaires au nom de la liberté de la science. La science a pourtant un réel pouvoir qui justifie la mise en place d’un réel contre-pouvoir. Seule l’éthique peut constituer ce contre pouvoir.

1. L’intérêt de l’Eglise pour les questions médicales

Le Vatican a réuni un Congrès international intitulé "Cellules souches adultes: science et avenir de l'homme et de la culture". Son but était d'informer le grand public sur les nouvelles thérapies prometteuses qui emploient les cellules "souches" adultes, prélevées sur le corps du patient lui-même, évitant ainsi la manipulation de cellules embryonnaires. Ce congrès était organisé, du 9 au 11 novembre 2011, par le Conseil pontifical de la culture, en collaboration avec le Conseil pontifical pour la pastorale de la santé, et l’Académie pour la vie, et dans le cadre d’une nommé Projet STOQ (Science, Theology and the Ontological Quest). Ce projet a pour but de promouvoir le dialogue entre sciences, philosophie et théologie et de rendre compte de la vision chrétienne de la personne et de la société en fonction des défis théoriques, éthiques et culturels.

Ce congrès a rassemblé 350 experts scientifiques, civils et religieux dont M. Tommy G. Thompson, ancien secrétaire d'Etat américain aux Affaires sociales et sanitaires des Etats Unis, L. Smith, administrateur délégué de « NeoStem » et présidente de la Fondation « Stem for Life Foundation ».  

L’Eglise manifeste, bien sûr, une attention particulière aux malades. C’est pourquoi Benoit XVI a conclu ce congrès en assurant de ses prières tous ceux qui « travaillent durement » pour apporter « salut et espoir » aux personnes qui souffrent, et … tous les patients qui ont la possibilité de bénéficier « des recherches et des thérapies dérivant des cellules souches adultes », « indépendamment des moyens » financiers dont ces patients peuvent disposer[2].

 2. Les cellules souches régénératrices. Un besoin de vulgarisation

Afin de mieux informer le public, l’église a eu le souci de vulgariser ces nouvelles thérapies.

L’expression “cellule souche” a pour définition d’être une cellule qui, en se divisant, donne deux cellules :

a. une nouvelle « cellule souche » identique, ce qui lui confère une capacité d’auto-renouvellement illimité, c’est-à-dire de se reproduire longtemps sans se différencier;
b. un « progéniteur », c'est-à-dire une seconde cellule  de transition cellule dont proviennent des populations de cellules hautement différenciées (nerveuses, musculaires, hématiques, etc.).

Depuis trente ans environ, ces cellules ont constitué un vaste domaine de recherches, soit dans des tissus adultes[3], soit dans des tissus embryonnaires[4].

Ainsi, la première greffe de sang de cordon ombilical a été effectuée en 1970 chez un adolescent de 16 ans atteint d’une leucémie[5]. En 1982, des expériences en laboratoire ont confirmé que le sang de cordon ombilical contenait des cellules souches pouvant convenir à des greffes[6].

Le mérite de l’Eglise a été d’alerter aussitôt les consciences sur les problèmes éthiques posés par la recherche embryonnaire. Elle l’a fait en 1987, avec son instruction « Donum Vitae » : « La loi … devra expressément proscrire - que des êtres humains, fussent-ils au stade embryonnaire, soient traités comme des objets d'expérimentation, mutilés ou détruits, sous prétexte qu'ils apparaîtraient inutiles ou inaptes à se développer normalement »[7]. On réalise aujourd’hui le caractère visionnaire de son propos.

Les débats relatifs à la recherche embryonnaire prenant de l’ampleur, l’Eglise organisa en septembre 2006, un  symposium qui s’est tenu à Rome sous la triple égide de l’Académie pontificale pour la Vie, de l’Association internationale des médecins catholiques et de la Fondation Jérôme Lejeune. Elle avait déjà à cette époque, invité le professeur japonais, Shinya Yamanaka, devenu ensuite célèbre pour les découvertes qu’il a faites des fameuses « cellules pluripotentes induites » (iPS), à partir de simples cellules de peau reprogrammées pour les ramener à l’état de cellules souches embryonnaires.

Le bouleversement de cette découverte a été tellement important que Ian Wilmut, le « père » du premier clonage d’un mammifère avec sa célèbre brebis Dolly, a abandonné ses recherches sur le clonage embryonnaire humain. Nombreux furent, dans la communauté scientifique, ceux qui estimèrent que les cellules iPS rendaient totalement obsolètes les études sur les cellules embryonnaires humaines. La société de biotechnologie californienne Geron a annoncé le 14 novembre 2011 qu'elle mettait fin à son essai clinique à partir de cellules souches embryonnaires.

Il est à noter qu’aucun comité d’éthique hospitalier ne souhaitait prendre la responsabilité d’en permettre la greffe chez l’homme. En effet, une publication dans la revue Nature Médecine en 2006 constatait  déjà  une expansion incontrôlée de neurones issus de cellules souches embryonnaires dans les cerveaux de souris[8].

A l’opposé, aujourd’hui, plus de 3000 transferts de cellules souches adultes ont été pratiqués dans le cadre de protocoles cliniques sur l’homme

3. L’utilité d’une recherche ne peut être un principe d’action.

L’expérience est donc en train de montrer que la recherche sur les cellules souches embryonnaires pourrait ne déboucher sur aucune utilité. Est-ce la raison qui a amené l’Eglise à prendre parti pour l’autre technique, celle des cellules souches adultes ?

La position de l’Eglise résulte d’une analyse d’un autre ordre : en effet, la question ne doit pas être envisagée en fonction de son utilité.

L’utilité est une pratique indispensable à nos activités humaines. Mais l’utilité ne peut être érigée en un principe d’action. L’utilité d’une action ne peut être retenue que si cette action ne contrevient au préalable à aucun autre principe qui lui est supérieur, comme le principes de dignité de l’être humain, ou celui d’intégrité du corps humain. La recherche médicale, si grande soit son utilité, ne doit pas échapper à cette réflexion préalable.

En 2000, l’académie pontificale pour la vie avait évoqué cette question de la finalité de la recherche : « Aucune fin considérée comme bonne, telle l’utilisation de cellules souches qui pourraient en être obtenues pour la préparation d’autres cellules différenciées en vue de traitements thérapeutiques dont on pourrait beaucoup attendre, ne peut justifier une telle intervention. Une fin bonne ne rend pas bonne une action en soi mauvaise »[9] 

Jean-Paul II l’avait rappelé en 2003: « Tout traitement qui affirme sauver des vies humaines, et qui est pourtant fondé sur la destruction de la vie humaine à son stade embryonnaire, est logiquement et moralement contradictoire, comme l'est toute production d'embryons humains dans des buts directs ou indirects d'expérimentation ou d'éventuelle destruction »[10].

Benoit XVI a encore confirmé cette analyse en clôturant le colloque de novembre 2011: « Les considérations éthiques – notamment la protection de tout être humain depuis sa conception – doivent l’emporter sur celles de résultat et d’efficacité » [11].

Dès lors, est-il moralement licite de produire et/ou d’utiliser des embryons humains vivants pour la préparation de cellules souches ?

La réponse est négative, pour les raisons suivantes:

a. L’embryon est un être humain : c’est un « être », parce que ce n’est pas une chose et cet être est humain car il ne peut donner naissance à un animal. Le magistère explique ce point sous une forme plus élaborée[12] : « Sur la base d’une analyse biologique complète, l’embryon humain vivant est - à partir de la fusion des gamètes - un sujet humain avec une identité bien définie, qui, dès ce moment-là, commence son propre développement de façon coordonnée, continue et graduelle, de sorte qu’il ne pourra être considéré, à aucun stade ultérieur, comme un simple amas de cellules »[13].

En disant que l’embryon est un « être humain », l’Eglise, contrairement à ce qu’on imagine souvent, ne se prononce pas sur le fait de savoir s’il s’agit d’une « personne » : « Le Magistère ne s'est pas expressément engagé sur une affirmation de nature philosophique ». Mais l’Eglise se pose, malgré tout, la question: « comment un individu humain ne serait-il pas une personne humaine ? » Sur la base de cette question, elle conclut : « L'être humain doit être respecté et traité comme une personne dès sa conception, et donc dès ce moment on doit lui reconnaître les droits de la personne »   (Donum Vitae I.1)

b. Cet « être humain » a droit à la dignité même si les capacités dont il dispose ne sont encore que potentielles. Les capacités d’un être humain se mesurent, or il n’existe pas de moyen de mesurer la dignité : les capacités ne relèvent donc que de l’AVOIR. Même le concept de « projet parental » relève de l’avoir. Un embryon qui en serait dépourvu n’en demeure pas moins un « être » humain. Puisque la dignité ne peut se fonder sur des AVOIR, ce n’est que le fait d’ÊTRE un individu humain qui peut fonder cette dignité. C’est ce qui amène le magistère à conclure[14] : «  Il s’ensuit que, comme “individu humain”, il a droit à sa vie propre; c’est pourquoi toute intervention qui n’est pas en faveur de l’embryon lui-même constitue un acte qui lèse ce droit »[15].

C’est pour cette raison que l’ablation de la masse cellulaire interne du bourgeon embryonnaire humain, « qui l’altère de façon grave et irréparable, en arrêtant son développement, est un acte gravement immoral et donc gravement illicite » [16].

4. La liberté de la science n’est pas un absolu.

De nombreux chercheurs ont défendu le droit de poursuivre leurs recherches sur les cellules souches embryonnaires au nom de la liberté de la science. La science a véritablement un pouvoir qui justifie la mise en place d’un réel contre-pouvoir. Seule l’éthique peut constituer ce contre pouvoir. 

D’une manière très générale, Jean-Paul II avait expliqué : « certains hommes de science, privés de tout repère éthique, risquent de ne plus avoir comme centres d'intérêt la personne et l'ensemble de sa vie. De plus, certains d'entre eux, … semblent céder… à la tentation d'un pouvoir démiurgique sur la nature et sur l'être humain lui-même » (Encyclique Foi et raison - § 46). Il concluait : « Le scientisme est un autre danger qu'il faut prendre en considération. Cette conception philosophique se refuse à admettre comme valables des formes de connaissance différentes … renvoyant au domaine de la pure imagination … le savoir éthique ». (Id. § 88).

Benoit XVI en clôturant le colloque du 11 novembre 2011 a rappelé que « le progrès sans règles a des coûts humains inacceptables ». Cette position n’est pas méprisante à l’égard de la science. Il a décrit, encore une fois, les beautés de la science quand celle-ci, en se servant du génie humain, explore « les merveilles de l’univers, la complexité de la nature et le beauté particulière de la vie, y compris la vie humaine ».

Mais, a-t-il précisé, « à partir du moment où les êtres humains sont dotés d’une âme immortelle et qu’ils sont créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, il y a des dimensions de l’existence humaine qui se trouvent au-delà des limites de ce que les sciences naturelles ont compétence à déterminer » et que l’on ne saurait transgresser. Franchir ces limites, ou les transgresser, c'est courir le risque de « mettre de côté les objections éthiques et d’aller de l’avant avec n’importe quelle recherche » sous prétexte de vouloir « réaliser une percée »[17].

 

POUR CONCLURE :

L’Église n’a cessé de dénoncer la transgression éthique qui consiste à faire de l’embryon humain un vulgaire matériau de laboratoire. « Face à la suppression directe de l’être humain, il ne peut y avoir ni compromis ni tergiversation ; on ne peut concevoir qu’une société puisse combattre de façon efficace le crime, lorsque elle-même légalise le délit dans le domaine de la vie à naître ( ... ). L’histoire elle-même a condamné par le passé et condamnera à l’avenir un tel type de science, non seulement parce qu’elle est privée de la lumière de Dieu, mais également parce qu’elle est privée d’humanité » [18], a déclaré en 2006 le Benoit XVI devant des chercheurs du monde entier au cours d’une audience historique.


[1] ZENIT.org - lundi 14 novembre 2011  

[2] ZENIT.org - lundi 14 novembre 2011 

[3] Cf. M. LOEFFLER, C. S. POTTEN, Stem cells and cellular pedigrees - a conceptual introduction, in C. S. POTTEN (éd), Stem Cells, Academic Press, London (1997), pp. 1-27; D. Van der KOOY, S. WEISS, Why Stem Cells?, Science (2000), 287, pp. 1439-1441

[4] « Déclaration sur la production et l’usage scientifique et thérapeutique des cellules souches embryonnaires humaines » - Académie pontificale pour la vie – (25.8.2000) 

[5] Ende M, Ende N. « Hematopoietic transplantation by means of fetal (cord) blood », Virginia Med Monthly, vol. 99, 1972, p. 276–80.

[6] Broxmeyer HE, Douglas GW, Hangoc G, Cooper S, Bard J, English D et coll. « Human umbilical cord blood as a potential source of transplantation hematopoietic stem/progenitor cells », Proc Natl Acad Sci USA, vol. 86,

1989, p. 3828–32.

[7] Instruction « Donum vitae » sur le respect de la vie humaine naissante et la dignité de la procréation – Congrégation pour la doctrine de la foi - 22 février 1987 (cf § III)

[8] Nature Medecine, le 22 octobre 2006 - travaux de l’Université Cornwell de New York

[9] « Déclaration sur la production et l’usage scientifique et thérapeutique des cellules souches embryonnaires humaines » - Académie pontificale pour la vie – (25.8.2000)

[10] Discours de Jean-Paul II aux membres de l’académie des sciences - 10 novembre 2003

[11] ZENIT.org - lundi 14 novembre 2011 

[12] « Déclaration sur la production et l’usage scientifique et thérapeutique des cellules souches embryonnaires humaines » - Académie pontificale pour la vie – (25.8.2000)

[13] Cf. A. SERRA , R. COLOMBO, Identiy and Status of the Human Embryo: the Contribution of Biology; in PONTIFICIA ACADEMIA PRO VITA, Identità and Statute of Human Embryo, Libreria Editrice Vaticana, Città del Vaticano (1998), pp.106-158.

[14] « Déclaration sur la production et l’usage scientifique et thérapeutique des cellules souches embryonnaires humaines » - Académie pontificale pour la vie – (25.8.2000)

[15] Cf. I. CARRASCO de PAULA, ll rispetto dovuto all'embrione umano: prospettiva storico-dottrinale, in idem, pp. 9-33; R. LUCAS LUCAS, Statuto antropologico dell'embrione umano, in idem, pp.159-185; M. COZZOLI, L'embrione umano: aspetti etico normativi, inidem, pp. 237- 273; L. EUSEBI, La tutela dell'embrione umano: profili giuridici, in idem, pp. 274-286.

[16] « Déclaration sur la production et l’usage scientifique et thérapeutique des cellules souches embryonnaires humaines » - Académie pontificale pour la vie – (25.8.2000)

[17] ZENIT.org - lundi 14 novembre 2011 

[18] BENOÎT XVI, Discours aux participants du Congrès organisé par l’Académie pontificale pour la Vie sur le thème :  Les cellules souches : quel avenir pour la thérapie ?, 16 septembre 2006, ORLE n. 40 (2951).