Q - Dans certains pays développés, l’avortement concerne près d’une femme sur deux en âge de procréer ! Les instances internationales ne cessent de militer pour que le recours à l’avortement soit inscrit dans les législations comme une sorte de droit des femmes. Dans beaucoup d’états, les sondages montrent que la très grande majorité des femmes ne sont pas favorables à des évolutions restrictives des législations existantes sur l’avortement. Pourquoi donc l’Eglise est-elle tellement en retrait sur cette question ?

R - S’il ne se passe pas d’année sans que l’Eglise et les papes évoquent la question de l’avortement, c’est qu’il est considéré comme un « des crimes qu'aucune loi humaine ne peut prétendre légitime ». L’Eglise sait pourtant que « le choix de l’avortement revêt pour la mère un caractère dramatique et douloureux ». Mais elle rappelle pourquoi l’avortement créé plus de désordre qu’il n’apporte de solutions. Malgré tout, l’Eglise est pleine de sollicitude vis-à-vis des femmes qui portent cette blessure dans leur âme et les appelle « à ne pas se laisser aller au découragement et à ne pas renoncer à l'espérance ».

Dossier: Ordinatissima.com"

EN SYNTHESE

1-    L’Eglise a conscience des détresses dans laquelle la société peut placer certaines femmes

La vraie question consiste à se demander comment une société peut tolérer des situations de détresse qui semblent toucher près d’une femme sur deux ? L’avortement est une mauvaise réponse à ces détresses et la société doit les traiter en amont.

2-    L’avortement crée plus de désordres qu’il n’apporte de solutions

L’avortement n’est pas une solution aux problèmes rencontrés par la société. Il génère des traumatismes de toutes sortes, chez la femme elle-même, mais également dans les fratries, et chez le conjoint lui-même. Tout cela nuit gravement à la paix dans le monde.

3-    L’embryon est un être humain qui mérite respect et dignité

C’est un être humain parce que ce n’est pas une chose.  Il mérite donc respect et dignité et il faut donc le traiter comme une personne créée à l’image de Dieu et aimée par lui.

4-    La sollicitude de l’Eglise est totale vis-à-vis des femmes qui ont eu l’initiative de recourir à un avortement  

Si l’Eglise qualifie l’avortement de crime, Elle connait les blessures des femmes qui y ont recours et  les couvre de toute sa sollicitude.


1-    L’Eglise a conscience des détresses dans laquelle la société peut placer certaines femmes

L’Eglise n’ignore pas la situation des femmes. Une étude[1] a permis de recueillir les sentiments de détresses déclarées par des femmes ayant demandé l’avortement. Les réponses ont été, par ordre décroissant :

-  manque ressenti de ressources financières, chômage, études non terminées,…
-  relation précaire avec le père de l’enfant,… 
-  volonté de retravailler ou de ne plus rester mère au foyer,…
-  nombre d’enfants perçu comme trop élevé,…
-  travail précaire,…
-  relation trop récente avec le père,…
-  souci éducatif ou difficultés de santé avec un enfant,…
-  santé ou psychisme fragile de la mère,…

Viennent s’ajouter à cette liste les situations plus rares de risque de handicap, ou plus exceptionnelles encore comme le viol[2]. D’autres raisons sont plus rarement déclarées: violences conjugales, père inconnu, pression des parents ou du conjoint.

Parmi les détresses parfois invoquées, s’ajoutent les échecs de traitements contraceptifs. Il est souvent reproché à l’Eglise de favoriser de fait l'avortement parce qu'elle continuerait obstinément à enseigner l'illicéité morale de la contraception.  L’Eglise pense que cette « objection se révèle en réalité spécieuse. … En effet, les contrevaleurs présentes dans la « mentalité contraceptive » … sont telles qu'elles rendent précisément plus forte cette tentation, face à la conception éventuelle d'une vie non désirée. De fait, la culture qui pousse à l'avortement est particulièrement développée dans les milieux qui refusent l'enseignement de l'Eglise sur la contraception ». (Evangelium vitae, n. 13).

L’Eglise connait toutes ces détresses. C’est ce que la déclaration « Questio de Abortu »[3] a exprimé ainsi : « Nous ne méconnaissons pas ces très grandes difficultés : ce peut être une question grave de santé, parfois de vie ou de mort, pour la mère; ce peut être la charge que représente un enfant de plus, surtout s’il y a de bonnes raisons de craindre qu’il sera anormal ou demeurera arriéré ; ce peut être le poids que prennent en divers milieux des considérations d’honneur et de déshonneur, de déclassement, etc ». Malgré tout, le texte poursuit : « Nous proclamons seulement que jamais aucune de ces raisons ne peut donner objectivement le droit de disposer de la vie d’autrui, même commençante ; et, pour ce qui est du malheur futur de l’enfant, personne, pas même le père ou la mère, ne peut se substituer à lui, même s’il est encore à l’état d’embryon, pour préférer en son nom la mort à la vie. … La vie est un bien trop fondamental pour qu’on le mette ainsi en balance avec des inconvénients même très graves » (« Questio de abortu » § 14). Jean-Paul II exprima, lui aussi, sa conscience des détresses rencontrées: « Il est vrai que de nombreuses fois, le choix de l’avortement revêt pour la mère un caractère dramatique et douloureux, lorsque la décision de se défaire du fruit de la conception n’est pas prise pour des raisons purement égoïstes et de facilité, mais parce que l’on voudrait sauvegarder des biens importants, comme la santé ou un niveau de vie décent pour les autres membres de la famille. … Cependant, ces raisons et d’autres semblables, pour graves et dramatiques qu’elles soient, ne peuvent jamais justifier la suppression délibérée d’un être humain innocent » (Evangelium vitae, n. 58).

Face à cette situation, plusieurs questions se posent : comment une société peut-elle tolérer des situations de détresse qui semblent toucher près d’une femme sur deux ? Peut-on parler d’un « libre choix » des femmes quand elles sont dans une situation perçue comme un état de « détresse », sentiment ayant, au demeurant, un caractère subjectif, émotionnel et invérifiable ? C’est pourquoi l’Eglise appelle les autorités à traiter ces problèmes en amont : « Les autorités publiques …doivent s'employer le plus possible à procurer aux familles toute l'aide- économique, sociale, éducative, politique, culturelle- dont elles ont besoin ». (Familiaris consortio § 45).

 L’avortement est d’ailleurs une mauvaise réponse à ces détresses.

2-    L’avortement crée plus de désordres qu’il n’apporte de solutions

L’avortement n’est pas une solution aux problèmes rencontrés par la société. Il génère des traumatismes de toutes sortes.

Les traumatismes post-avortement surgissent rapidement après des sentiments éphémères d’apaisement intérieur. Mais, la femme prend conscience, avec le temps, qu’elle n’a pas seulement été coupable d’avortement mais qu’elle en a été aussi la victime, du fait des pressions dont elle a été l’objet de la part de son entourage, familial, amical ou médical. Plusieurs études internationales[4] montrent qu’elles sont plus exposées à entrer dans des états dépressifs que celles qui, dans des conditions de détresse identiques, avaient porté leur grossesse à terme. Même après un viol, certaines femmes ont vécu l’avortement comme un second viol qui leur avait été imposé.

Les traumatismes du survivant apparaissent aussi dans les fratries. Ils ont fait également l’objet d’études[5] : dans les familles, même si l’avortement est un non-dit,  c’est un pseudo secret entretenu par toutes les générations. L’enfant qui y a échappé découvre, dans son subconscient, qu’il n’a été gardé en vie que pour des raisons fortuites, ou parce que le désir de ses parents a mis en balance d’autres considérations secondaires au regard de ce qu’il est. Il a ensuite des difficultés à se construire lui-même et, ensuite, à respecter autrui.

Le traumatisme se répercute sur les générations suivantes dans la mesure où le survivant, bien que victime, lui aussi sera pris dans le mimétisme. Les psychologues expliquent que  le survivant ressent la perte d’équilibre chez ses parents qui résulte de l’avortement précédent. Les parents en font porter la responsabilité aux enfants suivants… qui, inconsciemment, en endossent la responsabilité.  Mais le « survivant » sait qu’il a besoin de ses parents pour survivre et va donc intervenir dans les disputes des parents pour détourner leur colère contre lui. Ce faisant, plus âgé, l’enfant se retournera contre la société et aura tendance à l’asociabilité puis sera amené à répéter sa propre histoire… comme s’il lui était nécessaire de le revivre afin de le comprendre.

Le traumatisme du père est moins souvent évoqué: en n’ayant pas eu son mot à dire, le père a failli à sa vocation qui est de défendre sa femme et ses enfants. Cet échec fait naître en lui un sentiment d’impuissance dont l’aboutissement est le refus d’assumer sa paternité, une crainte de s’engager comme époux, voire une perte de virilité. Les troubles dus à la démission des pères se transmettent et se répètent, en s'aggravant d'une génération à l'autre.

Il est mensonger de prétendre que ces traumatismes seraient la conséquence d’une culpabilisation née uniquement de réalités culturelles.  Ces traumatismes naissent du plus profond de la nature anthropologique de l’homme. L’Eglise sait que la culture de vie qu’elle promeut: « trouve un écho profond et convaincant dans le cœur de chaque personne, croyante et même non croyante » (Evangelium vitae §2)

Tous ces traumatismes expliquent que l’avortement, en étant une négation directe de l’attitude d’accueil envers l’autre, va jusqu’à rendre impossible l’instauration de relations de paix durable entre les hommes. C’est ce que Jean-Paul II avait expliqué dans son message pour la paix du 1er janvier 2007 et déjà le 22 mai 2003 : « Il ne peut y avoir de paix authentique sans respect pour la vie, en particulier si elle est innocente comme l'est celle des enfants non encore nés. Une cohérence élémentaire exige que celui qui cherche la paix défende la vie. Aucune action pour la paix ne peut être efficace si l'on ne s'oppose pas avec la même force aux atteintes contre la vie à chacune de ses étapes, de sa conception à son déclin naturel ». 

3-    L’embryon est un être humain qui mérite respect et dignité

L’embryon est un être humain : c’est un « être » car ce n’est ni un simple organe du corps de la femme ni une chose, et cet être est « humain », car il ne donne pas naissance à un animal. « Le corps d’un être humain, dès les premiers stades de son existence, n’est jamais réductible à l’ensemble de ses cellules. Ce corps embryonnaire se développe progressivement selon un « programme » bien défini et avec une finalité propre qui se manifeste à la naissance de chaque enfant » (Dignitatis Personnae – 1ère partie ! 4).

La date à laquelle l’embryon recevrait son âme[6] est un problème mal posé. En effet, cette question relève de la philosophie et trouve sa réponse dans la définition même de l’âme : étant un principe de vie, « l’âme est une partie de la nature humaine »[7] . L’âme est donc un « état ». Ce n’est pas un « avoir » qui serait acquit à tel ou tel stade du développement embryonnaire.

L’embryon est-il une personne ? Sur ce sujet, l’Eglise ne « s'est pas expressément engagée sur une affirmation de nature philosophique ». Toutefois, Elle révèle  que, même si la présence d’une âme spirituelle ne peut être détectée par aucune observation de donnée expérimentale, les conclusions scientifiques elles-mêmes au sujet de l’embryon humain « fournissent une indication précieuse pour discerner rationnellement une présence personnelle dès cette première apparition d’une vie humaine : comment un individu humain ne serait-il pas une personne humaine ? ». C’est pourquoi, en quelque sorte par précaution, elle retient comme critère que « l'être humain doit être respecté et traité comme une personne dès sa conception, et donc dès ce moment on doit lui reconnaître les droits de la personne, parmi lesquels en premier lieu le droit inviolable de tout être humain innocent à la vie. » (Donum vitae 1ère partie §5)

L’embryon a d’autant plus droit à la dignité[8] qu’il est plus faible. Il s’agit d’une longue tradition de l’Eglise, vis-à-vis de l’esclave, de la femme, du vieillard et de l’enfant à naître.

Quelque soit son stade, même embryonnaire, tout être humain est aimé de Dieu. « L’homme a une vocation éternelle et est appelé à communier à l’amour trinitaire du Dieu vivant. Cette valeur s’applique à tous sans distinction. … En ce qui concerne la dignité, l’introduction de critères de discrimination, sur la base du développement biologique, psychologique, culturel ou de l’état de santé, est à exclure. En l’homme, créé à l’image de Dieu, se reflète, à chaque phase de son existence, « le visage de son Fils unique […] Cet amour infini et presque incompréhensible de Dieu pour l’homme révèle jusqu’à quel point la personne humaine est digne d’être aimée en elle-même, indépendamment de toute autre considération ». (Dignitatis Personnae § 8)

Il a donc un caractère sacré  car Dieu nous a créés à sa ressemblance. Il est créateur et maître de toute vie : « À la lumière de ces données de la foi, le respect dû à l’être humain et requis par la raison, est encore plus accentué et renforcé. C’est pourquoi il n’y a pas d’opposition entre l’affirmation de la dignité de la vie humaine et son caractère sacré » (Dignitatis Personnae 1ère partie §7)

4-    La sollicitude de l’Eglise est totale vis-à-vis des femmes qui ont eu l’initiative de recourir à un avortement  

Tout concourt donc à ce que l’Eglise conclue que : «  l'avortement [est un] des crimes qu'aucune loi humaine ne peut prétendre légitimer. Des lois de cette nature, non seulement ne créent aucune obligation pour la conscience, mais elles entraînent une obligation grave et précise de s'y opposer par l'objection de conscience ». Le droit à l’objection de conscience, expression du droit à la liberté de conscience, devrait être protégé par les législations civiles » (Evangelium vitae §73)

Mais ce rappel n’exclue pas la sollicitude de l’Eglise vis-à-vis des personnes. Evoquant la blessure de l'avortement, le pape a adressé une exhortation compatissante aux femmes qui portent cette blessure dans leur âme: « ne vous laissez pas aller au découragement et ne renoncez pas à l'espérance. Sachez plutôt comprendre ce qui s'est passé et interprétez-le en vérité. Si vous ne l'avez pas encore fait, ouvrez-vous avec humilité et avec confiance au repentir : le Père de toute miséricorde vous attend pour vous offrir son pardon et sa paix dans le sacrement de la réconciliation. C'est à ce même Père et à sa miséricorde qu'avec espérance vous pouvez confier votre enfant ».

« …On ne peut s'approcher des victimes et leur permettre de se relever et de reprendre le chemin de la vie, qu'avec l'attitude de l'amour miséricordieux »[9].

 

POUR CONCLURE :

Tout homme est appelé à vivre « selon la vérité et dans la charité » (Ep 4, 15). C’est pourquoi,  avant de dénoncer l’avortement, « selon la vérité », il faut s’approcher des victimes et répondre personnellement aux questions qui se posent à chaque membre de la société. Tout un chacun, de bonne volonté, est concerné. Est-il prêt, « dans la charité » : 

♦ à dire que « le bien est bien » ou « le mal est mal », sans jeter la pierre à celui qui « fait le mal » ni rester un « témoin silencieux » ?
♦ à dire aux personnes en détresse : « je te plains »  plutôt que « tu as bien fait » ?

Tout un chacun est-il prêt à accepter un changement de vie – au risque de combien de sacrifices matériels-  et au bénéfice de la vie:

♦ si sa femme lui annonçait une naissance imprévue?
♦ si son mari lui disait: « je ne veux pas en entendre parler » ?
♦ si une amie lui décrivait sa « détresse » et sa décision d’avorter ?

Tout un chacun, avant de s’engager définitivement avec celui –ou celle- qui sera le père – ou la mère- de ses enfants, a-t-il la conviction d’avoir avec lui –ou elle- un projet éducatif commun pour ses enfants et que ce projet devra fondamentalement privilégier le bénéfice de la vie?

Seul cet « amour dans la vérité (Caritas in veritate), … est la force dynamique essentielle du vrai développement de chaque personne et de l’humanité tout entière » (1ère phrase de Caritas in veritate)


[1] Etude menée en 1998 menée en France par Monsieur Jacques SALVAT, Madame Chantal d’ARMANCOURT et Madame Solange VANDAME, pour répondre au rapport NISAND de février 1999 demandé par Martine Aubry et Bernard Kouchner. L’étude analyse 191 demandes d’avortement

[2] Amélie Desrumeaux, chanteuse, n’a pas hésité à témoigner du viol dont elle a été victime : « une femme qui a été violée ne peut reporter ce crime sur l’enfant. C’est dur de vivre deux viols successifs, celui du viol proprement dit et celui de l’avortement. Cela fait deux blessures à porter. Pour une femme c’est beaucoup. L’avortement est un viol. On fait rentrer dans son corps la mort. Comment une femme peut-elle se redresser après cela » ? On peut comprendre que la femme après avoir accouché ne puisse pas élever cet enfant qui lui rappelle son traumatisme. Cependant de nombreuses associations proposent de trouver des familles d’accueil pour l’accompagner pendant sa grossesse et qui sont prêtes à garder l’enfant si, une fois le premier choc passé, elle se sent toujours incapable de le garder.

[3] S. S. Paul VI, au cours de l’audience accordée au soussigné secrétaire de la congrégation pour la Doctrine de la foi, le 28 juin 1974, a ratifié et confirmé cette déclaration sur l’avortement provoqué et a ordonné de la publier

[4] L’étude de 2002, publiée  dans le « British Medical Journal », réalisée par les Dr D.C. Reardon et J.R. Cougle, porte sur 4463 femmes suivies durant  huit ans après leur avortement et montre que les femmes qui avaient terminé leur grossesse par un avortement étaient 138% de fois plus exposées à entrer en dépression dans les années suivant ce geste que les femmes qui avaient porté leur grossesse à terme.
Une autre étude de 2003,  publiée dans le « Medical Science Monitor » et dans le « Canadian Medical Association Journal », réalisée par les mêmes médecins, porte sur 138.666 cas d’avortement montrant également que les admissions en service de psychiatrie pour dépression ou maladie maniaco-dépressive étaient plus fréquentes chez les femmes qui avaient avorté.

[5] Etudes menées par les professeurs Jacques Couvreur (hôpital Trousseau- Paris), du Dr Monique Rollet (maternité Ste-Félicité à Paris), du Dr. Marie Peeters (Hopital des Enfants Malades à Paris)

[6] Renvoi à un article d’Aleteia sur l’âme

[7] Somme de Théologie » St-Thomas d’Aquin, Ia Q 29

[8] Renvoi à un article d’Aleteia sur le concept de dignité

[9] Discours de Benoît XVI au Congrès International de l’Institut Pontifical Jean-Paul II pour les études sur le mariage et la famille. Samedi 5 avril 2008