Q – De plus en plus de pays recommandent le dépistage systématique de maladies comme la trisomie 21. Les parents qui découvrent que leur enfant risque de naître avec un handicap grave peuvent juger qu’ils ne seront pas en mesure d’élever cet enfant où qu’il vivra des conditions « inhumaines ». Pour la majorité, le recours à l’avortement est donc justifié dans de tels cas. Qu’en pense l’Eglise ?
R - Le diagnostic prénatal[1] est gravement en opposition avec la loi morale quand il prévoit, en fonction des résultats, l'éventualité de provoquer un avortement : « on ne doit pas sous-estimer la possibilité que par le moyen de techniques de diagnostiques prénataux, on arrive à mesurer la valeur d'une vie humaine seulement selon des paramètres de normalité et de bien-être physique » (Jean-Paul II, Evangelium vitae, 63). Pour répondre à la souffrance des parents, il serait plus urgent d’encourager la recherche sur les maladies concernées plutôt que l’éradication des malades[2].
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EN SYNTHESE
1- La complexité des méthodes de diagnostic
On doit, préalablement à toute réflexion concernant l’avortement médical, accorder une attention particulière à l'évaluation morale des techniques de diagnostic prénatal, qui permettent de mettre en évidence de manière précoce d'éventuelles anomalies de l'enfant à naître. En effet, à cause de la complexité de ces techniques, cette évaluation doit être faite avec beaucoup de soin et une grande rigueur.
2- L’Eglise comprend les difficultés d’accueillir un enfant handicapé
L’Eglise ne méconnait pas les craintes que peuvent vivre les parents. En cas de risque de handicap, l’avortement est, malgré tout, un acte gravement illicite et une mauvaise solution.
3- La position de l’Eglise sur le caractère sacré de la vie.
Outre que l’avortement médical porte atteinte au caractère sacré de la vie, il crée plus de désordre qu’il n’en résout sur la mère mais également sur les enfants survivants, sur la communauté des personnes handicapées et sur toute la société elle-même qui adopte ainsi une mentalité eugénique.
4- Le risque sur les enfants suivants
Après un avortement médical, les enfants suivants peuvent prendre conscience qu’ils n’ont survécu qu’à une forme de sélection correspondant aux critères parentaux et que leur vie n’a donc pas été accueillie pour ce qu’elle est, mais pour des motivations subjectives de leurs parents.
5- Le risque sur la communauté des personnes handicapée
L’Eglise souligne que les démarches sélectives des enfants à naître, « blessent gravement les personnes atteintes de handicaps congénitaux et celles qui les accueillent ».
6- Le risque d’eugénisme
Reconnaître l’avortement médical revient à faire courir à la société un risque de dérive eugénique.
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1- La complexité des méthodes de diagnostic
On doit accorder une attention particulière à l'évaluation morale des techniques de diagnostic prénatal, qui permettent de mettre en évidence de manière précoce d'éventuelles anomalies de l'enfant à naître. Ces techniques font souvent preuve d’une précision imparfaite voire font peser des risques sur l’embryon lui-même.
Mais, les questions éthiques qui sont soulevées ne concernent pas l’efficacité de ces types d’examens. Même si leur efficacité se développait au point d’être sans risque d’erreur ni d’accident pour le fœtus, la principale question de l’avortement demeurerait. Si ces diagnostics peuvent favoriser des thérapies prénatales, ils sont parfaitement licites, au moins s’ils ces thérapies ne sont pas disproportionnées. L’Eglise ne juge donc pas le diagnostic en lui-même qui n’est ni bon ni mauvais en lui-même. L’important réside dans l’intention de la démarche de ceux qui y ont recourt.
En revanche, le recours à un avortement médical serait gravement illicite même dans le cas où se révèlerait une « anormalité » par rapport à ce qu’attendrait ou aurait imaginé les parents.
Pourquoi ? L’Eglise serait-elle insensible aux souffrances des parents ?
2- L’Eglise comprend les difficultés d’accueillir un enfant handicapé
L’Eglise ne méconnait pas les craintes dans lesquelles peuvent vivre les parents pendant une grossesse : « Nous ne méconnaissons pas ces très grandes difficultés : ce peut être une question grave de santé, … la charge que représente un enfant de plus, surtout s’il y a de bonnes raisons de craindre qu’il sera anormal ou demeurera arriéré ….. Nous proclamons seulement que jamais aucune de ces raisons ne peut donner objectivement le droit de disposer de la vie d’autrui, même commençante » (Questio de Abortu).
L’encyclique Evangelium vitae souligne cette conscience de l’Eglise dans sa proximité avec personnes handicapées. « Le courage et la sérénité avec lesquels un grand nombre de nos frères, affectés de graves infirmités, mènent leur existence quand ils sont acceptés et aimés par nous, constituent un témoignage particulièrement puissant des valeurs authentiques qui caractérisent la vie et qui la rendent précieuse pour soi et pour les autres, même dans des conditions difficiles. L'Eglise est proche des époux qui, avec une grande angoisse et une grande souffrance, acceptent d'accueillir les enfants gravement handicapés; elle est aussi reconnaissante à toutes les familles qui, par l'adoption, accueillent les enfants qui ont été abandonnés par leurs parents, en raison d'infirmités ou de maladies ». (Evangelium vitae 63)
3- La position de l’Eglise sur le caractère sacré de la vie.
Il s’agit d’une position de principe[3] : « l'avortement [est un] des crimes qu'aucune loi humaine ne peut prétendre légitimer » (Evangelium vitae §73)
Dans le contexte d’un avortement pour motifs médicaux, les désordres entrainés par l’avortement ont des dimensions très spécifiques :
4- Le risque sur les enfants suivants
Le désir d’enfant est légitime pour les époux. Il participe à leur vocation de procréateur. Mais ce désir doit être fondé sur un principe d’égalité entre les parents et les enfants. Or le rêve d’un enfant « zéro défaut » constitue un déséquilibre qui relève d’une forme de domination sur l’enfant contraire à cette vocation procréatrice. Après un avortement médical, les enfants suivants peuvent prendre conscience qu’ils n’ont survécu qu’à une forme de sélection correspondant aux critères parentaux et que leur vie n’a donc pas été accueillie pour ce qu’elle est, mais pour des motivations subjectives de leurs parents.
L’Eglise explique qu’en matière de bioéthique, de nombreuses dérives relèvent d’ « une telle relation de domination,… de soi, contraire à la dignité et à l'égalité qui doivent être communes aux parents et aux enfants » (Donum viate II-B-5).
Ce qui fonde l’équilibre d’un enfant, c’est cette prise de conscience que « la vie est un bien trop fondamental pour qu’on le mette ainsi en balance avec des inconvénients même très graves. …. A ce point de vue, il n’y a pas ici-bas de malheur absolu, même l’affreuse peine d’élever un enfant déficient. … C’est tourner le dos à l’Evangile que de mesurer le bonheur à l’absence de peines et de misères en ce monde » (questio de abortu). Les enfants suivants ne pourraient comprendre que leurs parents aient pu juger du futur d’un autre membre de la fratrie : « Pour ce qui est du malheur futur de l’enfant, personne, pas même le père ou la mère, ne peut se substituer à lui, même s’il est encore à l’état d’embryon, pour préférer, en son nom, la mort à la vie » (questio de abortu)
Méconnaître ces risques provoque de graves désordres dans les familles : « La sélection des enfants à naître… plus ou moins généralisée conduit aussi, comme on commence à s'en apercevoir, à l'apparition d'un certain nombre de pathologies conjugales et familiales ». (Jean-Paul II - 2001[4]).
5- Le risque sur la communauté des personnes handicapées
Les personnes handicapées ressentent très vivement dans leur chair, ce risque d’exclusion.
C’est ce qu’ont démontré deux chercheurs français, Danielle .Moyse et Nicole Diederich, dans leur étude[5] "Les personnes handicapées face au diagnostic pré-natal". Ce travail cite Robert Murphy, sociologue américain devenu handicapé, qui a écrit: « Dire à une personne handicapée qu’il vaudrait mieux être mort plutôt que vivre handicapé, est la suprême insulte qu’on puisse lui faire ». Dans cette étude, J-C. Parisot, atteint d’une forme de myopathie, pose la question: « et si mes parents m’avaient avorté ? … Si on cherche à supprimer le malade plus que la maladie, il y aura peu de malades et on n’investira pas dans la recherche. …J’ai été effaré de lire un article intitulé : « la trisomie éradiquée » dans lequel on comprenait que ce n’était pas la trisomie qui était éradiquée mais les trisomiques… ». Le présupposé, d’après lequel il est préférable de ne pas naître plutôt que de naître handicapé, apparaît à la majorité des participants de l’étude comme une négation même de leur personne.
A la question: « le diagnostic prénatal est-il moins violent que l’avortement médical ? », J-C. Parisot, répond: « Cette méthode paraît plus soft, mais est aussi violente, car si vous êtes vivant et handicapé, vous devenez une erreur médicale ». A. Kramoroff, tétraplégique de naissance, répond dans la même étude, à ceux qui pensent que la société ne peut pas faire mieux pour les handicapés que le diagnostic prénatal : « Le problème c’est que l’élimination anténatale va rendre encore plus intolérante cette société qui l’est déjà ».
C’est pour ces raisons que l’Eglise souligne que ces démarches sélectives des enfants à naître, « blessent gravement les personnes atteintes de handicaps congénitaux et celles qui les accueillent. … De tels comportements ne peuvent que …renforcer chez ces dernières un fort sentiment d'anormalité et d'exclusion ». (Jean-Paul II - 2001[6]).
Ce type d’exclusion, poussé à son extrême, a pu conduire certains parents à des dérives pires, consistant à demander réparation d’une naissance indésirable. Si la naissance d’un enfant normal devait devenir la règle, le fait de n’avoir pu éviter la naissance d’un enfant anormal, par avortement, se transformerait en préjudice réparable. Le seul acte par lequel le dommage pourrait être évité serait l’avortement. Face à ces attitudes, comment ne seraient pas gravement blessées les personnes qui, par ailleurs, accueillent ou adoptent des enfants atteints d’handicaps ?
6- Le risque d’eugénisme
Par eugénisme, il faut entendre un ensemble de méthodes visant à améliorer le patrimoine génétique de groupes humains, en limitant la reproduction des individus porteurs de caractères jugés défavorables, ou en promouvant celle des individus porteurs de caractères jugés favorables. Une société qui développe dans ces buts, la systématisation des diagnostics prénataux entre dans cette définition.
Il est faux de prétendre qu’il faudrait distinguer entre un eugénisme négatif, destiné à écarter certaines personnes qui transmettent de mauvais caractères, et un eugénisme positif, qui encouragerait la reproduction des personnes capables de transmettre les bons caractères.
En effet, la principale difficulté éthique concerne la détermination des critères de choix entre les enfants qui mériteraient de venir au monde et ceux à qui on refuserait ce droit.
L’Eglise qualifie de « mentalité eugénique [celle] qui accepte l'avortement sélectif pour empêcher la naissance d'enfants affectés de différents types d'anomalies ». Elle considère cette démarche comme répréhensible : « Une pareille mentalité est ignominieuse et toujours répréhensible, parce qu'elle prétend mesurer la valeur d'une vie humaine seulement selon des paramètres de "normalité" et de bien-être physique » (Dignitatis personae 2nde partie § 22).
Ce risque d’eugénisme est souligné par l’Eglise : « De nombreux pays sont déjà engagés sur la voie d'une sélection des enfants à naître, tacitement encouragée, qui constitue un véritable eugénisme et qui conduit à une sorte d'anesthésie des consciences…. Le développement à visée sélective du dépistage prénatal, …, constituent de graves atteintes au respect absolu dû à toute vie et à la grandeur de tout être humain ». (Jean-Paul II - 2001[7]).
Cette dérive est suffisamment grave pour que Benoit XVI l’évoque de nouveau en 2007 : « dans les pays plus développés grandit l'intérêt pour … pour instaurer des méthodes d'eugénisme, subtiles et étendues, jusqu'à la recherche obsessionnelle de « l'enfant parfait », avec la diffusion … de diverses formes de diagnostics visant à en assurer la sélection. Une nouvelle vague d'eugénisme discriminatoire est approuvée au nom du soi-disant bien-être des individus » (Benoît XVI – 24 Feb 2007[8])
POUR CONCLURE :
Tout homme est appelé à vivre « selon la vérité et dans la charité » (Ep 4, 15). C’est pourquoi, avant de dénoncer le diagnostic prénatal, « selon la vérité », il faut s’approcher des victimes et répondre personnellement aux questions qui se posent à chaque membre de la société. Tout un chacun, de bonne volonté, est concerné. Est-il prêt, « dans la charité » à se poser les questions suivantes:
- ♦ Quel regard ai-je sur un handicapé et quelle dignité suis-je prêt à lui reconnaître?
- ♦ Suis-je, aujourd’hui, prêt à imaginer une remise en cause de mes modes de vie si je venais, demain, à être parent d’un handicapé?
- ♦ Suis-je prêt, aujourd’hui, à m’engager pour la vie avec un conjoint qui accepterait d’être parent d’un handicapé?
- ♦ Aurais-je le courage de me soustraire à une proposition de diagnostic prénatal?
- ♦ Quel regard avait Dieu sur les handicapés? Pourquoi veut-il les guérir ? Ne suis-je pas, moi-même,
- le paralysé de l’Evangile, (la peur d’évangéliser)?
- l’aveugle (Refus de la lumière)?
- le muet (Refus de dénoncer le mensonge)?
[1] Renvoi à la réponse d’Aleteia sur le « diagnostic prénatal »
[2] « Propos pour un dialogue » de Mgr d’Ornelas, évêque de Rennes
[3] Renvoi à la réponse d’Aleteia sur la question générale de l’avortement.
[4] Lettre du Pape Jean-Paul II lu au cours de la session 2001 des Semaines Sociales de France.
[5] Reférence : Danielle Moyse et Nicole Diederich, "Les personnes handicapées face au diagnostic prénatal, Eliminer avant la naissance ou accompagner", Collection Connaissance de l’éducation.
[6] Lettre du Pape Jean-Paul II lu au cours de la session 2001 des Semaines Sociales de France.
[7] Lettre du Pape Jean-Paul II lu au cours de la session 2001 des Semaines Sociales de France.
[8] Discours que le pape Benoît XVI a prononcé lors de l'audience aux participants à l'Assemblée générale de l'Académie pontificale pour la vie et au Congrès international sur « La conscience chrétienne en soutien du droit à la vie », le samedi 24 février 2007