Si la création de l’homme a plutôt été mise à mal par le darwinisme, et son  approche trop « posiviste », la découverte du Big-Bang a plutôt eu l’effet inverse, car elle semble conforter cette idée d’un temps zéro et donc d’une création. Qu’en est-il ?

Commentaire: "ordinatissima"

Origine de l’expression « Big-Bang »

C’est un belge, Georges Lemaître, prêtre et astrophysicien, professeur à Louvain, qui est l’inventeur de la fameuse théorie du « Big-bang ».
En 1922, il avait rédigé un mémoire qu’il publia en 1927 et qui se voulait une synthèse personnelle de la relativité restreinte et générale, intitulée: « La physique d’Einstein ». Albert Einstein, dans un premier temps persuadé de l’immuabilité de l’Univers en mouvement, avait contesté la théorie du Big-bang.
Pour l’abbé Lemaître, l’Univers, à l’origine, était extrêmement chaud et terriblement condensé. Il  imagine cet univers presque minuscule, qui explose pour entrer en expansion. Cette explosion donne naissance à des astres et des galaxies : les explosions continuent toujours et notre soleil vieux de cinq milliards d’années est toujours actif.
Cette appellation dite du Big-bang résulte d’un mot de dérision d’un astronome anglais Fred Hoyle, qui contestait la note de l’abbé Georges Lemaître lui reprochant d’avoir bâti cette théorie pour coller au récit de la Bible.
Quels sont les fondements du Big-bang ?

Les fondements scientifiques du Big-bang

La parution de l’article sur le Big-bang du Père Lemaître suivit de près peu la formulation de la physique quantique, en 1920. Nous nous proposons de la résumer en nous appuyant essentiellement sur l’ouvrage intitulé « Philosophie des sciences de la matière » de Ludovic Bot[1], docteur en physique nucléaire.

Dans la théorie du Big-bang, l’univers est un ensemble en expansion à partir d’un point originel. C’est l’image de l’origine de l’univers qui colle le mieux à nos connaissances actuelles, en particulier de la physique quantique. Elle constitue une bonne extrapolation de la cosmographie et de la science connue sur terre. Le Big-bang est l’histoire du refroidissement d’un gaz de matière-énergie, l’univers, au départ dans un état très dense et très chaud, en expansion avec le temps, dans un espace temps décrit par la relativité générale.

L’expansion de l’univers a pour effet de refroidir le gaz qui subit alors plusieurs changements d’états, allant d’un état totalement désordonné -très chaud-, vers un état -froid- de plus en plus en plus ordonné.
Les calculs vont jusqu’à chiffrer un certain nombre de données :
-     La température de l’univers, … était de l’ordre de 1032 degrés aux stades les plus reculés.
-     C’est pendant la durée des trois à trente premières minutes seulement que les conditions de température et de densité auraient été remplies pour permettre aux atomes lourds (fer, uranium, etc…) de se former[2].
-     L’univers, à l’époque du Big-bang, aurait eu une taille minuscule comprise entre 10-35 et 10-26 mètre16.
-     La date du Big-bang est estimée à -13,7 milliards d’années.

Toutes ces précisions pourraient donner l’impression d’une certitude scientifique. Beaucoup de questions restent pourtant ouvertes. Voyons en quelques unes :

Les incertitudes concernant le « Big-bang »

Ne pas confondre Interpolation et extrapolation

La théorie du Big-bang est essentiellement le fruit d’une extrapolation de calculs faits sur des données relevant de la physique quantique. Or,
-     autant l’interpolation est une procédure très répandue, par exemple permettant de construire une courbe à partir des données d'un nombre fini de points,
-     autant l’extrapolation est une procédure plus hardie. Il s’agit de repousser la limite de nos connaissances hors de leur champ reconnu de validité.

Certains physiciens des particules font l’erreur de vouloir vulgariser leurs expériences comme étant des « Big-bang » en miniature sans toujours reconnaître qu’une telle extrapolation soulève des difficultés de principe.

Le Big-bang reste un scénario historique

La question la plus significative posée par la physique macroscopique est celle de l’irréversibilité de certains phénomènes. Pourquoi, par exemple, l’énergie mécanique que l’on transforme en énergie thermique n’est-elle pas récupérable en totalité sous forme mécanique par la transformation inverse ?

La fameuse loi de gravité, F=G m*m'/r², dans laquelle G est le « coefficient de gravité » est une fonction du temps. Or, en physique quantique, il suffit d’opérer le changement de variable  t’=-t pour que la nouvelle équation de Newton, écrite[3] en fonction de la variable t’, soit exactement la même que celle écrite en fonction de la variable t. La réversibilité prendrait alors le sens suivant : futur et passé sont équivalents. Pour les physiciens, le temps est essentiellement un concept métaphysique. C’est ce qui fait dire à Ludovic Bot que « ce dont parlent les scientifiques, ce sont des phénomènes qui se déroulent dans le temps et non pas du temps lui-même »[4].
Mais, lorsqu’il s’agit des phénomènes macro-physiques, la variation par rapport au temps ne peut pas être négative. C’est ce qui amène les physiciens à parler du Big-bang comme un processus qui s’inscrit dans l’histoire.
Cette contradiction amène Ludovic Bot à dire que « la question de savoir si le monde est vraiment irréversible, sur un plan ontologique ou métaphysique, ou s’il nous apparait seulement comme tel sur un plan épistémologique reste entière à ce niveau. Il est peu probable que les sciences de la matière puissent épuiser une telle interrogation »[5]. L’irréversibilité est donc une des frontières face à laquelle buttent nos tentatives d’objectivation d’une réalité que nous ne pouvons pas décrire totalement. Une des questions fondamentales sous-jacentes est celle de la nature du temps.

La quantité d’énergie initiale du Big-bang reste inconnue

La loi d’expansion du « Big-bang » reste la grande inconnue. Ludovic Bot pose la problématique sous forme de trois cas possibles qui conduisent  tous à des solutions de types « Big-bang » compatibles avec les observations actuelles[6], selon que la quantité totale de matière-énergie du Big-bang par rapport à une certaine valeur critique:
-  Si elle est supérieure, l’attraction gravitationnelle sera suffisante pour absorber totalement l’inertie de l’expansion. Dans ce cas, l’expansion s’inversera et se contractera en un « Big-crunch ». La matière revivrait son histoire à l’envers en se réchauffant et en se densifiant vers un point singulier à partir duquel l’expansion pourrait recommencer à nouveau… L’histoire de la matière serait cyclique[7].
-  Si elle est égale, l’expansion perdurera tout en ralentissant vers une vitesse asymptotiquement nulle. Le « Big-bang » tendra alors vers un espace-temps plat de taille infinie dans lequel la matière énergie sera infiniment diluée et froide.
-  Si elle est inférieure, l’attraction perdurera avec une vitesse asymptotiquement non nulle. La partie spatiale sera également infinie, mais restera de courbure non nulle.

Nous ne connaissons pas suffisamment précisément le contenu en matière-énergie de notre « Big-bang » pour savoir de quelle nature il est parmi ces trois cas. Le fait  que rien n’ait été observé semble indiquer que notre « Big-bang » est encore isolé. Mais cela ne signifie pas que d’autres « Big-bang » n’existent pas. En émettant l’hypothèse de l’existence de plusieurs « Big-bang », nous émettrions l’idée d’un ailleurs ou d’un extérieur tant au sens spatial que temporel.

La « matière noire » remet-elle en cause le Big-bang ?

La théorie du Big-bang rend bien compte des observations visuelles du cosmos. Mais, près de 90% de la matière de l’univers est invisible. C’est le fait de la matière noire qu’on peut expliquer comme résultant de la différence entre le contenu en matière gravitationnelle et le contenu en matière quantique de l’univers. Cet écart peut s’expliquer de trois manières différentes :
-       La première est l’existence d’astres très petits et très froids. Les recherches récentes ont confirmé leur existence, mais ils constituent tout au plus un dixième de la matière manquante
-       La seconde hypothèse est la masse des neutrinos, particules qui ont une masse tellement faible qu’on ne sait pas  si elle est nulle ou non. Des mesures très précises tendent à montrer qu’ils auraient bien une masse non nulle, mais qu’elle reste cependant trop faible pour expliquer à elle seule toute la matière noire.
-       La troisième hypothèse postule l’existence de particules massives soumises à d’autres forces que les forces quantiques connues.

Cette troisième hypothèse pourrait engendrer un renouvellement de la physique, et donc des théories actuellement en vigueur.

L’« antimatière » remet-elle en cause le Big-bang ?

La densité de masse-énergie du Big-bang est dominée par la matière et non par l’énergie des rayonnements. Il y aurait eu une phase d’expansion extrêmement rapide, quelques 10-35 et 10-32 secondes après l’origine supposée du temps, juste après ce qu’on appelle le mur de Planck. Cette rapidité serait telle que cela pourrait briser jusqu’au principe même de causalité. Or le Big-bang est bien le reflet d’un enchaînement de causalités.

Le « principe d’action et de réaction » remis en cause ?

Sans entrer dans le détail, disons que faute d’avoir réussi à découvrir le fameux « boson de Higgs », c’est le principe même de l’action et de la réaction qui reste inexpliqué. Bien que le CERN ait annoncé avoir identifié un nouveau « boson », il a indiqué la nécessité d’études complémentaires pour déterminer si cette particule possède bien les caractéristiques du « boson de Higgs ». Ludovic Bot dit à ce propos que « le fait qu’il ne soit pas découvert constitue une énigme »[8]. Or les causalités qui étayent le Big-bang s’expliquent elles-mêmes par des jeux d’actions et de réactions.

L’« énergie sombre » remet-elle en cause le Big-bang ?

L’énergie sombre a été imaginée pour rendre compte de l’accélération de l’expansion du Big-bang. Or cette accélération a bel et bien été mesurée. Beaucoup d’hypothèses ont été posées à ce sujet, consistant en particulier :
-       à donner une certaine énergie au vide. Le problème est qu’il en résulte que l’univers serait considérablement plus grand qu’il n’est.
-       à prêter aux neutrinos, particules de très faible masse, des propriétés d’interaction nouvelles avec la matière. « Une telle hypothèse a l’avantage de mener à des prédictions très proches de celles de la théorie du Big-bang » dit Ludovic Bot[9].

Comment rendre compte d’une origine de l’univers ?

L’origine du Big-bang : une utopie scientifique ?

Les incertitudes, que nous venons rapidement de balayer, se heurtent à ce qu’on appelle le fameux « mur de Planck », indépassable dans l’état actuel de nos connaissances. Il suffirait, en théorie, que nous disposions d’une physique unifiant de façon cohérente la physique quantique et la théorie de la gravitation pour que le mur s’effondre. Mais, sur le plan expérimental, nous n’avons pas découvert le « graviton » qui serait le véhicule de l’interaction gravitationnelle.
En attendant, la physique piétine au pied de ce mur. La tentation est alors grande, pour la physique, de déraper vers des spéculations métaphysiques sur les origines du Big-bang. Il serait dommage que la physique se pense seule dépositaire de cette réflexion sur les origines.
La question métaphysique consiste, par excellence, à se demander pourquoi l’univers contient  quelque chose plutôt que rien. Il en est également une autre : Qu’y avait-il avant le Big-bang ? Cette question ne sera jamais résolue par une science justement incapable de concevoir l’apparition de quelque chose à partir de rien.
Notre connaissance du Big-bang est en quelque sorte « in vivo », ce qui pose toujours un problème en ce qui concerne le développement des connaissances. En effet, en physique quantique, l’objet observé est toujours influencé par la présence même de l’observateur !
Ludovic Bot résume ainsi la problématique : « Si jamais un « extérieur » était concevable, la définition du terme « univers », au sens de tout ce qui existe, deviendrait problématique. Et donc, il n’est pas certain que la question d’une origine des temps soit pertinente. Il faut cependant noter qu’un univers qui serait éternel, de taille finie ou infinie, semble incompatible avec les observations astronomiques. Par conséquent, l’idée que l’univers puisse avoir une histoire ne doit pas nous choquer »[10].

Ne pas confondre « cosmographie », « cosmologie » et « cosmogonie ».

Pour progresser, notre pensée doit bien distinguer ce qui ressort de trois domaines de connaissance distincts :

·  La cosmographie (« carte du cosmos »)

Elle porte sur la description des objets observés dans le ciel.

·  La cosmologie (« langage du cosmos »)

Elle recherche une théorie globale de l’univers. Aujourd’hui, on l’a vu, malgré les incertitudes, la synthèse cosmologique moderne est celle du Big-bang

 

·  La cosmogonie (« genèse du cosmos »)

Elle réfléchit aux origines de l’univers et en particulier à répondre à la question suivante : Existe-t-il ou non une cause suprême à toutes les causes secondaires ? Ludovic Bot classe les réponses « en trois catégories :
La première catégorie affirme qu’une cause primaire existe… Si elle existe, elle ne peut pas être incluse dans une succession de causalités,… sinon elle ne serait qu’une cause secondaire de plus[11].
La seconde catégorie consiste à dire que les relations entre causes secondaires génèrent une linéarité infinie. La science [serait] une marche infinie sur le fil d’un enchaînement de causes secondaires. Cette position est très proche de l’empirisme. Elle a pour elle la modestie d’accepter de ne pas parler de ce que la science ne peut pas connaître[12].
La troisième catégorie affirmerait que la succession des causes secondaires est cyclique. Selon cette vision cyclique, l’origine du monde est à trouver dans le monde. Cette inspiration est présente dans le bouddhisme. Bien que cohérente, cette position pose le problème de l’altérité. Quelle place fait-on à la relation avec l’autre que soi-même si chaque être s’auto-engendre de façon autonome [13]?

L’astrophysique moderne s’approprie progressivement des thèmes cosmogoniques. Ces thèmes étaient auparavant l’apanage de la théologie ou de la métaphysique pour réfléchir à la question de l’origine de l’univers. Un minimum de formation dans ce domaine fait cruellement défaut aux grands physiciens de notre temps… Parmi les pays de culture latine, la France est probablement, par sa tradition culturelle de tendance intellectualiste et sa longue expérience des conflits entre philosophie, sciences et religion[14], l’un des pays les mieux armés pour animer ce dialogue. Les anglo-saxons, tentés par le syncrétisme, manquent de gardes fous philosophiques »[15].

Qu’adviendrait-il donc si les hypothèses actuelles parvenaient à donner  crédit à une physique future qui se placerait « au-delà de l’espace et du temps », mais dont la matière et l’énergie resteraient des concepts premiers ?
Ludovic Bot répond : «  Imaginons qu’une telle physique offre des solutions satisfaisantes aux énigmes actuelles de la cosmologie. Aura-t-elle parlé de Dieu ou percé sa pensée ? Aura-t-elle mis au jour la finalité de l’existence ou de l’univers ? Nous ne le pensons pas »[16].


[1] Docteur en physique nucléaire à l’ENSIETA (Ecole Nationale supérieure d’ingénieur et des Techniques avancées)

[2] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 213)

[3] Ibid. (page 166)

[4] Ibid. (page 167)

[5] Ibid. (page 174)

[6] Ibid. (page 220)

[7] Ibid. (page 220)

[8] Ibid. (page 233)

[9] Ibid. (page 238)

[10] Ibid. (page 239)

[11] Ibid. (page 241)

[12] Ibid. (page 242)

[13] Ibid. (page 244)

[14] Pour un exemple de dialogue avec la théologie, voir T. Magnin, 1998, « entre science et religion, quête de sens dans le monde présent » (Ed. du Rocher)

[15] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 246)

[16] Ibid. (page 250)