Evolution et création s’excluent-elles l’une de l’autre ?
Le concept d’évolution appartient à la science. Celui de création est d’ordre philosophique et religieux.
Saint-Augustin et Saint-Grégoire de Nysse ont écarté l’interprétation littérale de la Genèse[1]. Pie XII, dans l’encyclique Divino afflante Spiritu a attiré, lui aussi, l’attention sur les genres littéraires de l’écriture sainte[2].

Commentaire "Ordinatissima"

Concernant l’évolution biologique

On ne doit pas penser que la solution serait de se référer en partie à Dieu et en partie à l’agent naturel, mais il faut faire pleinement référence aux deux, selon des modalités diverses[3].  C’est ce que nous indique le livre des Maccabées : « Je te conjure, mon enfant, regarde le ciel et la terre, contemple tout ce qui est en eux et reconnais que Dieu les a créées de rien, et que la race des hommes est faite de la même manière » (2 Maccabées 7,28).
« Dieu est la cause première qui opère dans et par les causes secondes », dit le catéchisme de l’Eglise catholique[4]. La création ne concerne pas seulement le début des choses ; c’est une dimension des choses.
C’est une analyse très thomiste qu’a reprise Jean-Paul II en 1985 : « une foi en la création correctement comprise et un enseignement de l’évolution correctement entendu ne créent pas d’obstacles. L’évolution présuppose la création, et la création se place même à la lumière de l’évolution comme un évènement qui s’étend dans le temps, comme une ‘creatio’ continuelle dans laquelle Dieu devient visible aux yeux des croyants comme créateur du ciel et de la terre »[5].

Jean-Paul II, en 1996, reconnaissait le caractère de théorie scientifique de l’évolution : « Aujourd'hui, …de nouvelles connaissances conduisent à reconnaître dans la théorie de l'évolution plus qu'une hypothèse. Il est en effet remarquable que cette théorie se soit progressivement imposée à l'esprit des chercheurs, à la suite d'une série de découvertes faites dans diverses disciplines du savoir. La convergence, nullement recherchée ou provoquée, des résultats de travaux menés indépendamment les uns des autres, constitue par elle même un argument significatif en faveur de cette théorie »[6].
Il mettait toutefois une condition sur les méthodes à utiliser pour aborder cette question : « La considération de la méthode utilisée dans les divers ordres du savoir permet de mettre en accord deux points de vue qui sembleraient inconciliables. Les sciences de l'observation décrivent et mesurent avec toujours plus de précision les multiples manifestations de la vie et les inscrivent sur la ligne du temps. » (§6)

Quant au Cardinal Ratzinger, il déclarait vers 1970, au cours d’une émission radiophonique : « la création, considérée à partir de notre compréhension du monde, n’est pas un lointain commencement ni même un commencement divisé en plusieurs étapes, mais elle concerne l’être en tant que réalité temporelle et en devenir : l’être temporel est englobé comme un tout par l’unique acte créateur de Dieu qui, dans sa division, lui donne aussi l’unité dans laquelle se trouve en même temps sa signification »[7].
En 2007, le cardinal Schönborn observe que « la foi en un créateur, en son projet, en son gouvernement universel, la croyance qu’il conduit le monde vers un but qu’il s’est proposé, ne peut pas rester sans points de contact avec la recherche concrète du monde. Pour cette raison, toutes les variantes de la théorie de l’évolution ne sont pas  forcément compatibles avec la foi en la création…En limitant la méthode des sciences naturelles à des processus purement matériels, on ne peut pas venir à bout de la totalité de la réalité »[8].

Concernant l’évolution culturelle et spirituelle

Le Cardinal Ratzinger, dans un discours de 1968[9], note que « Dieu a voulu l’homme …capable de se tourner vers Lui.  Pour cette raison, ce n’est pas la paléontologie qui peut fixer le moment de l’anthropogenèse ».
Jean-Paul II avait observé en 1986 : « On peut donc affirmer que, du point de vue de la doctrine de la foi, on ne voit pas de difficulté à expliquer l’origine de l’homme, pour ce qui est de son corps, moyennant l’hypothèse de l’évolution… C'est-à-dire qu’il est possible que le corps humain, en suivant l’ordre imprimé par le Créateur dans les énergies de la vie, se soit préparé graduellement dans les formes d’êtres vivants précédents. L’âme humaine cependant, dont dépend en définitive l’humanité de l’homme, étant spirituelle, ne peut être issue de la matière »[10].
Dans un message à l’Académie Pontificale des Sciences, le 22.10.1996, Jean-Paul II entra un peu plus dans le détail sur le caractère de théorie scientifique, et non plus d’hypothèse, de l’évolution, contrairement à ce que disait Pie XII dans Humani generis en 1950. L’important, dit-il, c’est  que, « avec l'homme, nous nous trouvons donc devant… un saut ontologique... Mais poser une telle discontinuité ontologique, n'est ce pas aller à l'encontre de cette continuité physique qui semble être comme le fil conducteur des recherches sur l'évolution, et ceci dès le plan de la physique et de la chimie? »[11].

Quant au moment du passage au spirituel, Jean-Paul II note : celui-ci « n'est pas objet d'une observation… [On] peut néanmoins déceler, au niveau expérimental, une série de signes très précieux de la spécificité de l'être humain. Mais l'expérience du savoir métaphysique, de la conscience de soi et de sa réflexivité, celle de la conscience morale, celle de la liberté, ou encore l'expérience esthétique et religieuse, sont du ressort de l'analyse et de la réflexion philosophiques, alors que la théologie en dégage le sens ultime selon les desseins du Créateur »[12].

Que conclure ?

D’un côté, nous croyons au dogme du péché originel qui a bien été formulé par le concile de Trente le 17 juin 1546.
Quant au polygénisme, le congrès de la faculté théologique de l’Emilie Romagne sur le « péché originel entre théologie et science », le 6.12.2007, a simplement reconnu qu’il n’est plus pertinent de savoir si  la dérivation provient d’un seul couple ou de plusieurs[13].


[1] Il existe une vision islamique créationniste présentée dans un ouvrage monumental « Atlas de la création » d’Harun Yahya (pseudonyme du turc Adnan Oktar). Il soutient que les espèces ne viennent pas de processus évolutif, mais ont été crées directement par Dieu. Sans nier la dimension historique de la vie, il en exclut les processus évolutifs.

[2] « Les défis de l’évolution » de Fiorenzo FACCHINI (Communio- août 2009),  p. 125

[3] « Ainsi resplendit encore la beauté de l'ordre dans la création. En outre il est clair qu'un même effet n'est pas attribué à sa cause naturelle et à Dieu, comme si une partie était de Dieu et l'autre de la cause; il est tout entier de l'un et de l'autre, mais suivant des modalités diverses, tout comme un même effet ressortit tout entier à l'instrument et tout entier à la cause principale. » (St-Thomas d’Aquin- « Summa contra Gentes » III, 70, 8)

[4] CEC § 308

[5] Source : l’Osservatore Romano du 27 avril 1985

[6] Message à l’Académie Pontificale des Sciences du 22.10.1996 (§4),

[7] Cité par le Cardinal Schönbron,  dans « Fides-Ratio-Scientia. Le débat sur l’évolution »  (EDB Bologne, 2007b)

[8] « Les défis de l’évolution » de Fiorenzo FACCHINI (Communio- août 2009),  p. 113

[9] Dans un premier texte de 1968 intitulé « Foi en la création et théorie de l’évolution », Joseph Ratzinger

[10] Source : Osservatore Romano 17.4.1986  cité dans « Les défis de l’évolution » de Fiorenzo FACCHINI (Communio- août 2009),  p. 171

[11] Message à l’Académie Pontificale des Sciences du 22.10.1996. (§ 6)

[12] Id.

[13] Voir les Actes du congrès