Titre : « Philosophie des sciences de la matière »
Année de parution : février 2007
Auteur : Ludovic Bot
Editions : l’Harmattan
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CV de l’auteur : Docteur en physique nucléaire à l’ ENSIETA (Ecole Nationale supérieure d’ingénieur et des Techniques avancées),  groupe scientifiques et croyants de Bures sur Yvette
Derniers ouvrages :
« Modélisation et activités des ingénieurs », sous la direction de Ludovic Bot et Marie-Laure Vitali (déc 2011)

Résumé

Entre l'ouvrage de vulgarisation et l'essai philosophique, ce livre, qui dément deux idées reçues relatives à l'éclatement de la connaissance, l'incapacité de l'esprit à la maîtriser en totalité, et la disparition des concepts de vérité et d'objectivité, aidera les étudiants, aussi bien en sciences qu'en philosophie, à se constituer une véritable culture humaniste dans ces deux disciplines.

 

1- INTRODUCTION

L’épistémologie est la partie de la philosophie qui s’intéresse à l’acte de connaître. Ce n’est plus une réflexion sur un être, mais déjà une réflexion sur une action[1].

2- LA MATIERE QUANTIQUE

La Physique quantique fut formulée dans les années 1920[2]

Une grandeur physique appelée action qui est le produit d’une échelle spatiale par une échelle d’impulsion. Une impulsion étant elle-même une masse multipliée par une vitesse. Mais le produit d’une échelle d’énergie par une échelle de temps donne également une action. Et une action caractérise, non pas des objets en tant que tels, mais plutôt l’intensité des interactions qui peuvent avoir lieu entre des objets. L’unité d’action utilisée en physique quantique est la constante de Planck, nommée h, qui ramenée en unités classiques est très petite (elle vaut par exemple 6.63*10-34 joules.secondes…[3]

Echelle spatiale x échelle d’impulsion = action  (en K planck)
Echelle d’énergie (joules) x échelle de temps (secondes) = action (en K planck)

La Théorie de la relativité générale et la physique quantique sont incompatibles et en concurrence. Mais cette incompatibilité est avant tout d’ordre conceptuel, car aucun fait expérimental connu ne montre une possible faillite de la physique quantique. [4]

Une matière non localisée

Le concept de base utilisé par la physique quantique pour décrire un système matériel n’est pas, comme pour la partie corpusculaire de la physique classique, la trajectoire –la position et la vitesse en fonction du temps- des particules qui constituent le système. Le concept central est celui, plus abstrait, de fonction d’onde ou encore de champ magnétique. La fonction d’onde d’un système physique est la solution d’une équation, dite équation de Schrödinger qui décrit le système en question à partir de la connaissance des interactions entre ses constituants[5].

Où est l’électron dans l’atome ? Il n’a tout simplement pas de position. Il est décrit par une fonction… L’électron est comme dilué dans une fonction qui occupe tout l’espace. Du point de vue de la physique quantique, l’électron n’est rien d’autre que cette fonction d’onde, à laquelle sont associées quelques grandeurs qui sont ses caractéristiques physiques dites aussi nombres quantiques, telles que sa masse, son énergie, sa charge électrique.

Premier problème pour l’atomiste, il est impossible de dire qu’une particule est un objet localisé à un endroit de l’espace et serait susceptible de s’y mouvoir[6].

Second problème pour l’atomiste, il est impossible de dire que deux objets différents ne peuvent pas être situés simultanément au même endroit. Un objet n’exclut pas l’autre[7].

Un objet peut être au même endroit qu’un autre !

Une matière molle

Ce paradoxe ne fut résolu que dans les années 1970 : lorsque deux objets macroscopiques arrivent en contact l’un de l’autre, les fonctions d’onde des électrons qui constituent leurs surfaces se pénètrent légèrement. Mais la force électrique entre deux électrons étant répulsive, plus les fonctions d’onde se chevauchent, plus la pression à exercer pour les faire pénétrer davantage est grande. Il se trouve qu’en poursuivant ce petit jeu, il faut rapidement dépenser plus d’énergie pour faire se pénétrer plus avant les objets l’un dans l’autre que pour en casser au moins un, c'est-à-dire modifier la structure des fonctions d’onde électroniques qui le composent. Or il se trouve que les lois de la nature cherchent systématiquement à minimiser l’énergie des états des systèmes matériels qu’elles régissent. La nature choisit donc la seconde solution, à savoir que plutôt qu’autoriser les objets à se pénétrer l’un l’autre, elle préfère la rupture des fonctions d’onde électronique qui les composent et par conséquent, les objets se brisent [8].

Une matière qui ne se conserve pas

L’énergie cinétique des particules entrant en collision est convertie en de nouvelles particules, c'est-à-dire en masse -Parler de collision est un abus de langage puisque la matière n’a pas de dureté. Par conséquent les particules se traversent- Energie et masse sont une seule et même chose. C’est le sens de la célèbre relation E=mc² d’Einstein. Donc les particules apparaissent à partir de l’énergie, à partir du mouvement. La réciproque est également vraie, les particules peuvent disparaitre pour se transformer en énergie.
Si les particules ne se conservent pas, en revanche l’énergie –incluant la masse- ainsi que d’autres quantités, se conservent lors de ces collisions. [9]

Pythagore et Aristote

Pour poursuivre cette discussion des renoncements à nos idées intuitives sur la matière auxquels nous contraint la physique quantique, il est utile de se souvenir de certains points de vue déjà avancés par les penseurs grecs. Pythagore enseignait que tout était nombre. Il voyait l’essence de la nature dans des relations entre nombres et non dans les lois de compositions d’atomos matériels. [10]
Aristote avait par ailleurs défini dans sa philosophie quatre concepts de causalité : la cause finale, la cause matérielle, la cause efficiente et la cause formelle. .. Une statue s’explique par le projet de la statue dans la tête du sculpteur (cause finale), par la matière dont est faite la statue (cause matérielle), par le travail de la main du sculpteur (cause efficiente) et par la forme de la statue terminée (cause formelle)… [11] En plus de ces quatre essences, Aristote voyait également le monde comme plongé dans une quintessence, une cinquième essence qu’il nommait éther. Le concept de vide tel que l’utilise aujourd’hui la physique semble assez  proche de cette notion aristotélicienne d’éther. .. Le vide quantique est devenu pour les physiciens le réservoir d’énergie dont les vibrations sont les particules, donc, en quelque sorte la matière[12]. En théorie quantique des champs, le vide contient une énergie potentielle. Le champ quantique qui n’est pas modifié lorsqu’on lui applique une certaine transformation et qui possède l’énergie la plus basse est tout simplement le vide de la théorie associée à la transformation en question. Il est l’état de référence, c'est-à-dire l’état qui contient le moins d’énergie possible par rapport aux interactions décrites par la théorie[13].
La cosmologie  moderne, centrée en grande partie  sur la recherche du vide primordial du big bang ressemble par bien des aspects à une méditation sur l’éther aristotélicien. [14]

Face à ces réelles difficultés se développent des visions de la science que l’on nomme tantôt empiristes, relativistes ou nihilistes… La finalité poursuivie par la science serait alors purement empirique, dans un but d’action sur la nature et non pas synthétique, pour participer à sa contemplation ou simplement à sa connaissance. L’homme se bercerait d’une illusion que quelque chose existe, que quelque chose est à connaître alors que les idées d’être ou de connaître l’être telles que les entend le sens commun s’effondrent lorsqu’elles sont confrontées à la physique d’aujourd’hui. Mais si la physique moderne soulève effectivement des questions difficiles pour toute philosophie se prétendant réaliste, c'est-à-dire basée de près ou de loin sur le choix qui postule qu’une réalité existe pour que les sciences puissent en faire leur objet, l’entreprise n’en devient que plus passionnante. …

En attendant une traduction convaincante dans un langage compréhensible des propos mathématiques tenus par la physique sur la matière, les termes de l’ancien débat grec... sont un début utile. Ils ont le mérite de nous donner des mots déjà existants, de nous permettre de renouer avec notre histoire intellectuelle, de fixer un point de rencontre entre physiciens et philosophes. Ces échanges de points de vue entre physique et philosophie sont plus sérieux et plus constructifs que les vulgarisations rapides et les dérives spiritualisantes que la physique quantique a engendrées. [15]

La non séparabilité quantique

Pour comprendre les propriétés d’une molécule, il ne suffit pas de connaître les atomes qui semblent la constituer… Une molécule n’est pas un assemblage progressif allant de la particule élémentaire à l’atome, puis de l’atome à la molécule, comme du simple vers le compliqué, ou de l’individuel vers le collectif. Une molécule est elle-même décrite par une fonction d’onde qui est solution d’une équation de Schrödinger écrite directement à partir des particules élémentaires et non à partir d’entités intermédiaires qui seraient séparables –les atomes-. Ceci fait apparaître d’emblée l’entièreté et la complexité de la molécule et rend inséparables en son sein ses prétendues parties. Contrairement à une idée très répandue par nos programmes d’enseignement, c’est à partir de fonctions d’onde –définies dans un espace mathématique de taille considérable- que l’on comprend les propriétés physico-chimiques des molécules. On comprend que la non-séparabilité est une remise en cause du réductionnisme atomiste. [16]

Dans une molécule, ses éléments sont inséparables

L’univers tout entier se trouve dans un état non séparable. En effet, si l’on en croit la théorie du big-bang, l’univers est un ensemble en expansion à partir d’un point originel… Mais si l’univers est un tout inséparable, alors la physique quantique nous met face au dilemme de la fonction d’onde de l’univers.  Il serait impossible d’isoler en son sein des sous-parties, des régularités, en clair d’y mener des expérimentations reproductibles. C’est sans doute là la plus grande faillite du réductionnisme et la renaissance la plus nette d’inspirations aristotéliciennes sur l’éther ou de spéculations ésotériques sur le Grand Tout. [17]

3- LA MESURE QUANTIQUE

Après la question Qu’est-ce que la matière ?, la physique quantique nous pose une question adjacente importante : qu’est-ce que connaître la matière ? [18]
Elle  nous interroge sur ce que signifie observer la matière. Cette question constitue le problème de la mesure en physique quantique et débouche sur la question de l’indéterminisme. [19]

La philosophie au chevet de l’interprétation

Les débats portant sur le problème de la mesure et sur l’indéterminisme ont engendré  une question totalement nouvelle en physique, à savoir qu’il faudrait interpréter la physique quantique comme si celle-ci ne pouvait, a priori rien dire qui soit clair et directement compréhensible. De fait la question de l’interprétation de la physique quantique se pose dès lors que celle-ci nous amène à remettre éventuellement en cause l’existence d’un objet, la matière. [20]
Ce n’est qu’à l’intérieur de cadres philosophiques que la plupart des questions posées par l’interprétation de la physique quantique prennent un sens. .. Si rien n’existe et que la science n’est qu’une vaste illusion ou une pure mondanité sociale, nous ne voyons pas comment le problème de l’interprétation pourrait se poser. Si en se prétendant science de la matière, la physique quantique ne parle que du néant, quel paradoxe nous offre-t-elle ? Parler de façon apparemment paradoxale d’un néant qui n’existe pas, est-ce toujours un paradoxe ? N’est-ce pas plutôt un bavardage inutile ? [21]

Le chat de Schrödinger

Il s’agit d’un exercice intellectuel dont on conclut que une seconde mesure intervenant après la première ne donnerait pas  les mêmes résultats que si elle intervenait avant, même dans des cas où les deux grandeurs mesurées sont réputées être indépendantes l’une de l’autre[22]
Si deux scénarios ne sont pas exclusifs l’un de l’autre tant que le système évolue suivant le principe de l’équation de Schrödinger, ils le deviennent dès qu’il s’agit de prédire le  résultat de la mesure. Pour faire cette prédiction, la physique quantique n’applique plus le principe de l’équation de Schrödinger, mais un autre principe souvent nommé réduction du paquet d’onde qui consiste à projeter l’état quantique superposé sur l’un des états de base correspondant à une valeur possible de la grandeur physique mesurée. [23]
L’aspect choquant du problème de la mesure réside dans le fait que la ligne de séparation entre les deux mondes, sujet et objet, peut fluctuer en fonction du scénario de l’expérience. Tantôt il faudrait considérer tel appareil de mesure ou tel système de retranscription automatique comme appartenant au sujet mesurant, tantôt à l’objet mesuré. [24]
Certaines tentatives d’interprétation de la physique quantique ont voulu résoudre ce problème de la séparation Sujet/Objet que suppose une mesure sur un système quantique, en faisant référence à la notion de conscience. La conscience serait ainsi une propriété qui distingue le sujet de l’objet, ce dernier étant seul soumis au principe d’évolution de l’équation de Shrödinger.  Le principe de la réduction du paquet d’onde serait alors le moyen de passer du monde de l’objet matériel à celui du sujet conscient, le sujet conscient étant d’une façon ou d’une autre l’auteur de la réduction du paquet d’onde, car il aurait tout simplement le pouvoir d’agir sur la matière. .. Ces interprétations par la conscience laissent en réalité à peu près entier le problème de la mesure. [25]
Il faudrait décider si un être humain est ou non autre chose que de la matière. De façon générale, les interprétations de la physique quantique faisant appel à la notion de conscience doivent supposer que la conscience n’est pas quelque chose qui peut être décrit par la physique quantique. Mais nulle part ne nous est proposée de définition de la conscience qui aille au-delà de cette simple définition négative. Pour comprendre la physique quantique, il nous parait plus fécond de nous intéresser à ce dont elle parle –l’objet, la matière- que de se référer à une autre réalité –le sujet, la conscience- dont, par définition, elle ne peut pas parler.[26]

L’aspect paradoxal de l’expérience du chat de Schrödinger, pour choquant qu’il parait à première vue, devient cohérent à la lumière de la notion de décohérence et de téléportation quantique. [27] Cette théorie nous permet de  rendre compte de l’aspect séparable de notre univers actuel… Sans contredire les lois de physique, nous pouvons imaginer qu’il existe d’autres big-bang dans lesquels la décohérence ne pourrait pas avoir lieu. Ces univers se présenteraient donc comme séparables en pratique. On ne pourrait les décrire qu’à l’aide d’une seule fonction d’onde[28]

Le principe d’incertitude

Il a été formulé en 1927 par Werner Karl Heisenberg. Il stipule qu’on ne peut pas connaître simultanément la position et la vitesse d’un objet quantique… Ceci signifie qu’il n’est pas équivalent, sur un objet quantique, de faire d’abord une mesure de sa position, puis une mesure de sa vitesse ou l’inverse. .. La fonction d’onde est projetée sur l’un des états de base de l’observable qui est mesurée la première… Le fait de mesurer un système quantique le modifie. [29]

L’indéterminisme quantique

Mais le physicien est bien obligé de faire, de temps à autres des expériences et de procéder à des mesures sur les systèmes qu’il étudie. Sans cela il ne pourrait pas connaître les interactions existant dans la nature.
Niels Bohr,  est à l’origine de l’interprétation de l’Ecole de Copenhague qui est basée sur un principe de complémentarité exigeant que les résultats de la physique quantique coïncident plus ou moins avec ceux de la physique classique. Bohr alla jusqu’à faire de ce principe une norme terminologique, imposant à un physicien observant des systèmes quantiques de faire appel au seul vocabulaire classique pour décrire ses résultats expérimentaux. [30]

La recherche des variables cachées

Les théories statistiques qui utilisent des probabilités pour prédire un résultat le font parfois par simple esprit d’économie et à des fins pratiques… Pour peu que l’on se donne la peine d’une description complète de la réalité considérée, il est imaginable de parvenir à des prédictions totalement sûres et déterministes. Beaucoup de phénomènes que nous qualifions d’aléatoires et que nous modélisons à l’aide de théories non déterministes faisant appel à des probabilités, sont en réalité déterministes à des niveaux de détails accessibles. L’apparence aléatoire et indéterministe de ces phénomènes résulte d’enchaînements de causes si sensibles à des perturbations infimes qu’il nous paraît impossible de les prédire avec certitude. [31]
faisant intervenir des variables encore non découvertes appelées pour cette raison variables cachées.
On peut imaginer, par exemple que les particules quantiques, dont la position n’a pas de sens dans la théorie quantique, seraient en réalité ces variables cachées. [32]
Mais : 
* soit des variables cachées, déterministes et causales existent… et cela nous forcerait à classer la physique quantique comme fausse, 
* soit les variables cachées sont la dernière illusion qui aura bercé l’humanité face aux déplacements philosophiques auxquels l’invite la physique quantique.

Les physiciens optent pour la seconde solution. [33]

Indéterminisme, localité et causalité

La physique quantique est incompatible avec les deux hypothèses du déterminisme et de la causalité condensées par Einstein dans la notion d’élément de réalité physique –déterminisme- et dans l’expression sans perturber un système –causalité-.[34]
Le principe de causalité est une conséquence du fait qu’aucune information émise lors d’un évènement est susceptible d’être la cause d’un autre évènement ne peut se propager plus vite que la vitesse de la lumière. [35]
Le principe de causalité… prend la forme d’une invariance des lois de la physique par l’application successive de trois symétries mathématiques :
-       L’opération C pour la conjugaison de charge qui change les particules en antiparticules
-       L’opération P pour la parité dans l’espace qui inverse la droite et la gauche, le haut et le bas et l’avant et l’arrière
-       L’opération T pour l’inversion du sens de l’écoulement du temps

Ce résultat est connu sous le nom de théorème CPT… Si la symétrie composée CPT n’était pas respectée, nous n’aurions plus aucun moyen d’ordonner les phénomènes et de définir ce qu’est une relation causale en physique[36]. Le théorème CPT est lourd de conséquences car nous connaissons des faits expérimentaux qui violent
-       la symétrie C, montrant que la matière n’est pas tout à fait identique à l’antimatière
-       et la symétrie P, montrant que la droite n’est pas tout à fait identique à la gauche
-       le produit des deux symétries CP dans certaines expériences de physique des particules
Ceci impliquerait que, pour maintenir le principe de causalité, il faille renoncer à la symétrie T, et … accepter que les phénomènes physiques ne soient pas réversibles par renversement du sens de l’écoulement[37]…. Notre univers montrant des brisures C, P, et CP, doit donc briser la symétrie T en se montrant irréversible et en donnant un sens à l’écoulement du temps ; c’est en définitive l’expansion [du big-bang] qui assure ce sens. Mais ce sens reste arbitraire, nous pouvons dire que nous remontons le temps cosmique autant que nous le descendons… nous remontons son histoire vers le début[38].

Nous voilà face à l’indéterminisme quantique qui découle du problème de la mesure dans la mesure où nous ne pouvons pas tirer de conclusions en disant : « la matière est comme ceci ou elle possède telle propriété car nous l’avons mesurée ». Nous pouvons seulement dire : « nous pouvons prévoir tel résultat avec tel protocole de mesure sur tel système quantique ». [39]

L’interprétation de Copenhague

Bohr était conscient que l’interprétation de Copenhague était en quelque sorte une démission provisoire devant le fait de ne pas pouvoir parler des nouveaux phénomènes quantiques de façon cohérente. [40]
La théorie de la décohérence a permis de régler au cours des années 1990 la question de savoir comment les phénomènes quantiques deviennent peu à peu classiques lorsque les quantités d’action échangées entre les objets sont de plus en plus grandes par rapport à la valeur de la constante de Planck. On passe progressivement de l’indéterminisme quantique au déterminisme classique. [41]
La théorie de la décohérence ne sauve en réalité que les apparences. Elle nous montre qu’une matière intrinsèquement quantique doit nécessairement nous apparaître classique à notre échelle. Mais elle nous montre que le classique n’est pas quantique. Elle nous rassure en restaurant une certaine unité dans la physique, mais nous met devant l’impérieuse nécessité de comprendre la physique quantique comme décrivant réellement la nature de la matière et de notre connaissance de la matière. Il nous reste à réfléchir au sens que nous donnons à des probabilités très faibles qui font toute la différence entre la physique classique qui les néglige et la physique quantique. [42]

La théorie de la décohérence

Le point central est de comprendre que la physique quantique est une théorie des interactions entre les objets et non pas une théorie ontologique des objets eux-mêmes…Une particule seule n’a pas de sens pour la physique quantique, les particules sont toujours en interaction avec d’autres. [43]
Une particule seule ne possède pas de fonction d’onde et reste indescriptible en tant que telle.
Au niveau de la théorie quantique, la notion de particule isolable de son environnement n’a pas davantage de sens. Ceci est bien formalisé par la procédure dite de renormalisation. Cette procédure permet d’éviter l’écueil de densités de charges et de masses infinies car concentrées en un point de l’espace d’étendue nulle, auxquelles mènerait inévitablement la notion de particule ponctuelle.
Le physicien, avant de faire un calcul menant à une prédiction expérimentale, doit préciser quelles sont les échelles de longueur, de temps et d’énergie auxquelles le dispositif expérimental donne accès. La procédure de renormalisation précise les lois du zoom qu’il faut appliquer pour tenir compte des propriétés de la matière à ces échelles.
En effet, ces propriétés changent car toute particule est en interaction avec une infinité de particules qui sont autant de vibrations possibles du vide. Plus l’échelle de longueur à laquelle on sonde la matière est petite, plus les interactions avec les vibrations du vide sont importantes.. La procédure de renormalisation est l’un des signes de l’abandon de l’idée atomiste de la physique contemporaine. [44]
… Les phénomènes quantiques sont ceux qui mettent en jeu des quantités d’action faibles (de l’ordre de la constante de Planck h, ou de quelques multiples de h), alors que les phénomènes classiques sont ceux mettant en jeu des quantités d’action très grandes par rapport à h. [45]
La théorie de la décohérence a ainsi clarifié la relation … qui existe entre ce qu’on appelle  le résultat de la mesure et la donnée expérimentale… Les concepts d’environnement et de dissipation d’énergie sur lesquels s’appuie la théorie de la décohérence sont les mêmes concepts qu’utilisent la physique statistique et la thermodynamique, notamment dans le cadre du second principe de la thermodynamique. L’effet de décohérence est un phénomène qui est proportionnel à celui de la dissipation d’énergie, donc à celui de création d’entropie. Il en résulte que les systèmes qui gardent des propriétés de cohérence quantique à grande échelle sont ceux pour lesquels la dissipation est nulle ou extrêmement faible (la lumière est le meilleur exemple). [46]
En thermodynamique, les deux principes les plus importants sont le premier et le second. On leur en ajoute parfois deux autres (principes zéro et troisième).

  • Le principe zéro de la thermodynamique concerne la notion d'équilibre thermique et est à la base de la thermométrie. Si deux systèmes sont en équilibre thermique avec un troisième, alors ils sont aussi ensemble en équilibre thermique.
  • Le premier principe de la thermodynamique affirme que l'énergie est toujours conservée. Autrement dit, l’énergie totale d’un système isolé reste constante. Les événements qui s’y produisent ne se traduisent que par des transformations de certaines formes d’énergie en d’autres formes d’énergie. L’énergie ne peut donc pas être produite ex nihilo ; elle est en quantité invariable dans la nature. Elle ne peut que se transmettre d’un système à un autre. On ne crée pas l’énergie, on la transforme.
    Ce principe est aussi une loi générale pour toutes les théories physiques (mécanique, électromagnétisme, physique nucléaire,...) On ne lui a jamais trouvé la moindre exception, bien qu'il y ait parfois eu des doutes, notamment à propos des désintégrations radioactives.

Elle rejoint un principe promu par Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».

  • Le deuxième principe de la thermodynamique concerne la notion d'irréversibilité d'une transformation et introduit la notion d'entropie. Il affirme que l'entropie d'un système isolé augmente, ou reste constante. Il est associé à l'impossibilité du passage du désordre à l'ordre sans intervention extérieure. Cette interprétation pose des difficultés.
    Ce principe a une origine statistique : à la différence du premier principe, les lois microscopiques qui gouvernent la matière ne le contiennent qu'implicitement et de manière statistique. En revanche, il est assez indépendant des caractéristiques mêmes de ces lois, car il apparaît également si l'on suppose des lois simplistes à petite échelle.
  • Le troisième principe de la thermodynamique est plus controversé. Il est associé à la descente vers son état quantique fondamental d'un système dont la température s'approche d'une limite qui définit la notion de zéro absolu. Il n'est pas nécessaire en thermodynamique classique.

L'entropie est une fonction d'état introduite en 1865 par Rudolf Clausius dans le cadre du second principe. Clausius a montré que le rapport Q/T (où Q est la quantité de chaleur échangée par un système à la température T) correspond, en thermodynamique classique, à la variation d'une fonction d’état qu'il a appelée entropie, S et dont l'unité est le joule par kelvin (J/K).
La thermodynamique statistique a ensuite fourni un nouvel éclairage à cette grandeur physique abstraite : elle mesure le degré de désordre d'un système au niveau microscopique. Plus l'entropie du système est élevée, moins ses éléments sont ordonnés, liés entre eux, capables de produire des effets mécaniques, et plus grande est la part de l'énergie inutilisée ou utilisée de façon incohérente. Boltzmann a formulé une expression mathématique de l'entropie statistique en fonction du nombre d’états microscopiques Ω définissant l’état d'équilibre d'un système donné au niveau macroscopique : formule de Boltzmann S = k Ln Ω.
Cette nouvelle définition de l'entropie n'est pas contradictoire avec celle de Clausius. Les deux expressions de l'entropie résultent simplement de deux points de vue différents, selon que l'on considère le système thermodynamique au niveau macroscopique ou au niveau microscopique.
Dans une période récente le concept entropie a été généralisé et a pénétré dans de nombreux domaines, tels que par exemple :

  • l'entropie de Shannon dans le cadre de la théorie de l'information en informatique ;
  • l'entropie topologique, ainsi que l'entropie métrique de Kolmogorov-Sinaï, dans le cadre de la théorie des systèmes dynamiques en mathématiques

… Bien que proportionnel à la dissipation d’énergie, l’effet de décohérence est nettement plus efficace et plus rapide. Il se produit dès qu’une dizaine d’atomes interagissent entre eux et dans des temps de l’ordre de 10-26 secondes sur le moindre objet qui pèse dix grammes, c'est-à-dire bien avant la mise en mouvement du marteau… dans le scénario imaginé par Schrödinger. L’effet de décohérence est ainsi l’un des effets les plus intenses et les plus rapides que l’on connaisse actuellement en physique. [47]
On montre du même coup que l’effet de décohérence intervenant lors d’une mesure, permet de rendre compte de la nature irréversible du processus de mesure décrit par la règle de la réduction du paquet d’onde. Cette irréversibilité du processus de mesure est liée à la création d’entropie associée à l’effet de décohérence qui a lieu à l’intérieur de l’appareil de mesure. C’est une conséquence du second principe de la thermodynamique. S’il n’y a pas dissipation d’énergie lors de la mesure, il n’y a pas de décohérence.
La notion de décohérence nous  permet de sortir de… ce qu’il y a de fallacieux dans le raisonnement de Schrödinger.
La théorie de décohérence établit donc une équivalence pratique entre le résultat de la mesure et la donnée expérimentale. [48]

  • Dans le cas où le système mesuré a déjà subi, avant la mesure, un effet de décohérence et qu’on peut le décrire avec une excellente approximation à l’aide de la physique classique, l’équivalence qu’établit la théorie de la décohérence entre le résultat (le chat est vivant) et la donnée (je vois le chat bouger)… est réversible dans le temps. On peut dans ce cas identifier avec une très bonne approximation le résultat de la mesure... tel qu’il est indépendamment de la mesure. On retrouve le réalisme naïf de la physique classique.
  • Dans le cas où le système mesuré n’a pas subi, avant la mesure, un effet de décohérence les données manquantes sur … les interactions résiduelles font qu’il est impossible de prédire autrement que sous forme d’une probabilité – très inférieure à un- la donnée expérimentale à laquelle aboutira le processus de mesure.  [49]

La théorie de décohérence confirme deux points que les nouveaux débats… devront prendre en compte :

  • Premièrement, l’interprétation moderne de la physique quantique suppose que l’on assigne un sens à l’écoulement du temps…. Peut importe quel sens est choisi a priori… mais celui-ci ne peut qu’être choisi une fois pour toutes sans possibilité de le remettre en cause… La physique quantique devient... une théorie historique qui décrit les scénarios d’interaction dans le temps. Sans la contrainte de respecter un sens unique pour l’écoulement du temps, on perdrait l’équivalence entre la donnée expérimentale et le résultat de la mesure qui suppose un effet de décohérence[50]
  • Deuxièmement, la théorie de la décohérence permet de comprendre que le résultat concret d’une mesure doit être unique, mais elle interdit de le prédire autrement que sous forme de plusieurs possibilités auxquelles sont associées des probabilités d’occurrence. Il en découle que le contenu effectif d’une réalité empirique ne peut être fondé uniquement sur une théorie. Il est aussi le résultat d’une contingence irréductible à des nécessités scientifiques, contingence… qui nous met face à ce que réalise effectivement la nature… Il s’agit là, sans doute, d’un principe épistémologique général qui consisterait à se souvenir que la connaissance scientifique ne définit pas la réalité qu’elle cherche à décrire, mais, au contraire, qu’elle se doit de rester en accord avec cette réalité[51]. Ceci devrait mettre un point  final aux discussions sur l’existence éventuelle d’univers parallèles parfois mise en avant comme solution au problème de la mesure en physique quantique. L’univers est unique, exactement comme le résultat d’une mesure obtenu après décohérence est unique. [52] … Ceci permet de mettre un point final au débat, souvent ressassé par les ouvrages de vulgarisation qui consiste à se demander si les objets existent lorsqu’ils ne sont pas observés. Beaucoup d’ouvrages tirent de l’indéterminisme quantique des doutes ontologiques sur l’existence des objets lorsqu’ils ne sont pas mesurés. Ces doutes ont inspiré le sous-titre « le monde existe-t-il ? » à deux journalistes scientifiques[53]. …
  • Les objets suffisamment gros pour n’être jamais totalement isolés de leur environnement –la lune, une voiture- existent indépendamment de toute observation. La physique classique est, même dans ce cas,  la seule description pratique que nous puissions faire de ces objets et de leur dynamique.
  • Quant à eux, les objets quantiques qui sont maintenus isolés de leur environnement et ne dissipent pas d’énergie, ils existent également, mais il est simplement impossible de leur attribuer certaines propriétés qui ne prennent de sens que si un effet de décohérence a lieu, lors d’une interaction avec un appareil de mesure ou lors de tout autre mécanisme dissipatif[54].

La nature de l’objectivité scientifique

L’absence d’information sur l’appareil de mesure est à l’origine de notre incapacité à prédire vers quel état évolue le système en interaction lors de la mesure. [55]
L’interprétation ontologique de la physique quantique prend donc la forme d’une pensée métaphysique sur le tout de l’univers matériel que seule une entité extérieure à l’univers pourrait connaître. Si nous acceptons notre condition d’être faits de matière et immanents au monde dans lequel nous sommes plongés, l’interprétation ontologique de la physique quantique nous met dans un état de mutisme profond face à toute idée de matière ou de réalité empirique sur laquelle il serait possible de procéder à des observations et à des expérimentations.
Une interprétation épistémologique de la physique quantique nous permet de sortir de ce mutisme. Cette interprétation fait de la physique quantique, non pas une théorie ontologique du réel tel qu’il est, mais une théorie du réel tel que nous pouvons le connaître, c'est-à-dire tel que nous pouvons entrer en interaction avec lui. [56]
Doit-on en conclure que l’interprétation épistémologique de la physique quantique nous prive définitivement de toute notion d’objectivité ? Une telle question a été analysée avec soin par le physicien Bernard d’Espagnat qui a avancé la notion d’objectivité faible…La forme typique  d’un énoncé objectif au sens faible est la suivante : si nous mesurions telle grandeur physique sur tel système suivant tel protocole expérimental, nous savons quelle serait la probabilité d’occurrence de tel résultat. Cette probabilité pouvant être égale à un, la prédiction peut parfois prendre la forme d’une certitude. Faisant intervenir un sujet, cet énoncé n’est pas objectif au sens fort... [57]

Une connaissance in vivo

L’objectivité faible ne signifie pas la fin de la notion d’objectivité. En effet les énoncés prédictifs de la physique quantique prennent une forme identique quel que soit le sujet qui les énonce. Par conséquent, ils ne dépendent pas de la volonté d’un sujet particulier. [58]
A la suite du physicien Basarab Nicolescu, nous pouvons résumer la situation par la notion de connaissance in-vivo. Pour dire quelque chose d’opératoire sur une partie du réel, il est nécessaire de la mettre à distance et de la constituer comme objet. Celui qui se plie à cet exercice d’objectivation devient par le fait même, comme par effet de miroir, un sujet de connaissance. Mais l’opposition entre sujet et objet… doit être comprise comme une limite de fait à notre connaissance du monde. [59]
En effet, sur le plan ontologique, sujet et objet sont de la même nature. Ils font partie du même monde. Ils sont inséparables… La connaissance empirique, du moins en ce qui concerne la matière suppose la claire conscience pour le sujet, qu’il fait partie de la réalité qu’il cherche à décrire.
La séparation sujet/objet est en quelque sorte un drame métaphysique qu’il faut accepter comme un moindre mal permettant une description scientifique, expérimentale, reproductible et objective au sens faible de la réalité matérielle. Mais le drame se paye par l’abandon de la connaissance de la totalité.
La physique quantique ne signe pas la mort de la réalité, ou la mort de la métaphysique, ou encore la fin de toute objectivité. Elle nous met au contraire face au vrai mystère : une réalité globale. [60]
L’indéterminisme de la physique quantique n’est définitivement déroutant que pour celui qui refuse l’idée d’une réalité englobant sujet et objet. Le nihilisme conclut donc au nihilisme. Mais pour celui qui accepte qu’un tel niveau métaphysique puisse être pertinent, alors la physique quantique n’a rien de futile.
Il n’est guère question d’envisager un retour à la fusion avec la Nature ou avec le Grand Tout qu’a sans doute connue l’humanité dans ses périodes animistes. Il n’est pas question de refuser l’évolution culturelle qu’a engendrée l’objectivation progressive de la nature par un sujet pensant, objectivation dont la philosophie grecque, les grandes religions monothéistes et la science classique représentent les étapes historiques les plus marquantes. [61]
Il s’agit plutôt d’accepter la réalité englobante comme un tiers inclus dans une partie à trois, avec sujet et objet. [62]
On peut trouver des développements importants dans la philosophie de Hegel, dont la notion de dialectique peut être vue comme un outil pour dépasser sans les nier les contradictions que posent les dualistes et entrevoir la vérité comme un tout enveloppant. Sans doute plus abordable, la philosophie de Husserl est une authentique tentative à la fois réaliste et idéaliste.[63]

4- LA PHYSIQUE MACROSCOPIQUE

La diversité du monde macroscopique

La mécanique des milieux continus

Deux branches principales :

  • La mécanique des fluides.

Elle repose sur un modèle microscopique, le modèle de la particule de fluide. Un fluide est défini comme un milieu dans lequel les atomes sont suffisamment serrés les uns contre les autres mais dans lequel ils ne forment pas de structures particulières à grand échelle principales . [64]

  • La mécanique des solides amorphes concernent des matériaux denses sans structures mais qui possèdent une grande viscosité. [65]

Les modèles de la mécanique des fluides possèdent leur niveau microscopique propre, situé à une échelle intermédiaire entre l’Angström (10-10 m)

Thermodynamique et physique statistique

Les bases microscopiques de la thermodynamique sont étudiées par la physique statistique.
Alors que la mécanique analytique repose sur le principe de la conservation de l’énergie dite mécanique (somme de l’énergie cinétique et de l’énergie potentielle), la thermodynamique considère un 3ème état possible de l’énergie qui est l’énergie thermique[66].
La grande majorité des phénomènes qu’on observe dans la nature échappe à la physique. Il faut donc discuter des limites de la physique comme science de la matière et examiner les relations qu’elle entretient avec la chimie et la biologie.

La chimie ou les limites de la physique

La notion d’orbitale est l’un des éléments majeurs qui a montré la pertinence de la physique quantique pour comprendre la matière aux échelles atomiques et établir une continuité entre la physique et la chimie [67]
De l’autre côté, la chimie s’associe de plus en plus à la biologie via la biochimie. [68]

Un monde irréversible

La question la plus significative posée par la physique macroscopique est celle de l’irréversibilité de certains phénomènes. Cette question se pose dans les termes du 2nd principe de la thermodynamique[69] :  Pourquoi l’énergie mécanique que l’on transforme en énergie thermique n’est pas récupérable en totalité sous forme mécanique par la transformation inverse. .. L’énergie se dégrade en passant sous forme thermique[70]. Clausius quantifia cette dégradation à l’aide d’une nouvelle grandeur, l’entropie. L’entropie mesure le pouvoir de transformation spontanée que renferme un corps. Plus l’entropie est élevée, plus sa capacité à se transformer est faible et plus ses structures internes sont désagrégées… Plus un corps est chaud, plus il a tendance à se désagréger : de solide il devient liquide, puis gazeux. La notion d’entropie sera d’ailleurs très vite associée à celle de mesure du désordre interne qui règne dans un corps.
Les transformations réversibles (cycle de Carnot) sont celles qui changent un état thermodynamique A en un autre état B sans création d’entropie. Elles correspondent à des cas théoriques que l’on n’observe jamais dans la nature… Mais on peut approcher les conditions de la réversibilité pour atteindre des optimums de rendements énergétiques des processus de transformation d’énergie.
Les transformations irréversibles (œuf cassé) sont celles qui s’accompagnent de création d’entropie.  La quantité d’entropie cédée par un système à son environnement est supérieure à la diminution de son entropie propre. Le second principe stipule que l’entropie d’un système isolé ne peut qu’augmenter au cours du temps. [71]
L’entropie est un concept statistique lié aux notions de probabilité et de hasard.. Qu’est-ce que l’interprétation statistique de l’entropie ? L’approche du théorème H permet, non seulement de donner une définition opératoire de l’entropie, mais elle permet aussi de rendre compte de l’irréversibilité des phénomènes macroscopiques à partir de concepts microscopiques.[72]
Considérons d’abord un phénomène microscopique[73].
Connaissant les forces qui s’exercent  sur un objet, sa position r(ti) et sa vitesse v(ti) à un instant  ti quelconque, nous pouvons déterminer sa trajectoire qui est… l’ensemble des fonctions v(t) et positions r(t) que l’on déduit toutes de l’équation de Newton. .. qui fait intervenir le temps comme une variable (t).  Il suffit d’opérer le changement de variable
t’=-t… la nouvelle équation de newton écrite en fonction de la variable t’ est exactement la même que celle écrite en fonction de la variable t [74].
La réversibilité prend alors le sens suivant. Imaginons que nous filmions la première trajectoire, celle qui est sensée descendre le temps… et que nous dupliquions le film en le passant à l’envers pour visualiser la seconde trajectoire, celle qui est sensée remonter le temps. Quelqu’un qui n’aurait pas suivi le tournage du film original et qui ne verrait que les deux films (l’original et le dupliqué à l’envers) serait totalement incapable de nous indiquer laquelle des deux trajectoires descend le temps et laquelle le remonte.
En définitive, la question n’a pas de sens pour un physicien. Futur et passé sont équivalents… Les expressions renversement du sens de l’écoulement du temps, descendre ou remonter le temps sont ici des abus de langage. La physique ne dit rien du temps. Le temps est ce qui permet aux choses d’être… La plupart des élucubrations des scientifiques sur le temps sont de nature aporétique. Le temps est essentiellement un concept métaphysique. Ce dont parlent les scientifiques, ce sont des phénomènes qui se déroulent dans le temps et non pas du temps lui-même[75].

Considérons maintenant un phénomène macroscopique[76].
Si nous filmons de la même façon que précédemment la scène de l’œuf se brisant en tombant à terre et que nous dupliquons le film à l’envers, quelqu’un qui n’aurait pas suivi le tournage du film n’hésiterait pas une seconde pour différencier la scène originale de celle dupliquée à l’envers. Passé et futur ne sont plus équivalents. Comment se fait-il que le temps semble avoir un sens dès lors que nous avons à faire à un phénomène macroscopique ? C’est là l’un des résultats fondamentaux de la physique statistique que le théorème H permet de décrire comme une perte d’information[77].
Or nous ne pouvons pas décrire l’état microscopique de l’œuf. Même si cela était possible, nous n’aurions que faire d’autant d’informations. On se rend compte que l’état microscopique est impossible à connaître. La physique statistique fait alors appel à la notion de probabilité[78].
Les équations de Liouville, de Boltzmann, de Navier-Stokes sont mises en œuvre. Parmi l’ensemble de toutes les fonctionnelles, il en est une dont la variation par rapport au temps ne peut pas être négative. Cette fonctionnelle a été nommée H par Boltzmann et a donné lieu au théorème H : « il découle des lois microscopiques et de l’hypothèse du chaos moléculaire que la grandeur H ne peut pas diminuer au cours du temps ». Cet énoncé a permis de donner une base au second principe de la thermodynamique[79].
Tout se passe comme si le désordre interne du système avait dilué toutes les informations qu’on aurait espéré posséder sur son état microscopique. L’entropie  est, d’une certaine façon, une mesure de ce désordre. La définition statistique qu’en donne le théorème H sert d’ailleurs de base à une extension très large d’entropie aux processus de traitement d’informations[80]. L’entropie augmente dès lors qu’une information détaillée est perdue au profit de la survie d’une information plus grossière, mais souvent plus utile en pratique.
Le théorème H nous met face à un mystère rémanent. Il implique des choix de traitement de l’information, comme par exemple l’hypothèse du chaos moléculaire. Alors qu’elle semblait naturelle à première vue, cette hypothèse engendre une conséquence de taille, inattendue au regard des lois de la physique microscopique, qui est l’irréversibilité des phénomènes macroscopiques.
La question de savoir si le monde est vraiment irréversible, sur un plan ontologique ou métaphysique, ou s’il nous apparaît seulement comme tel sur un plan épistémologique reste entière à ce niveau. Il est peu probable que les sciences de la matière puissent épuiser une telle interrogation[81]. En inspectant les différents sens que le temps peut avoir en physique, E. Klein (« le Temps » 1995, Flammarion) développe l’idée que le temps est une notion première, comme celle de la matière, et qu’à ce titre elle résiste à une objectivation scientifique. L’idée que nous savons intuitivement ce qu’est le temps, mais que celui-ci nous échappe dès lors que nous voulons le définir précisément, remonte à Saint-Augustin (Confessions, Livre XI) [82].
D’après certains astrophysiciens, l’irréversibilité pourrait être liée au fait que notre univers est en expansion, ce qui fait de l’irréversibilité une question cosmologique qui dépasse le cadre de la thermodynamique et de la physique. L’irréversibilité est une des frontières face à laquelle buttent nos tentatives d’objectivation d’une réalité que nous ne pouvons pas décrire totalement. Une des questions fondamentales sous-jacentes est celle de la nature du temps[83].

Les notions de chaos et de systèmes

Un comportement chaotique peut être défini comme celui, bien qu’aléatoire et imprévisible, d’un système, pourtant totalement déterminé par des lois mathématiques, possédant un petit nombre de liberté, et sans que le hasard n’intervienne aucunement dans la formulation de ces lois… La notion de chaos découle donc du fait que de nombreux phénomènes sont extrêmement sensibles à de petites perturbations de l’état initial à partir duquel on voudrait prédire leur évolution. Revenons à une image microscopique qui nous permettra d’associer la notion de chaos à celle d’irréversibilité…[84]. Les conditions initiales spécifiant la position et la vitesse de l’atome à un instant quelconque ne sont jamais connues avec une précision absolue… Pour prédire la trajectoire de l’atome, il faut en réalité examiner plusieurs scénarios tenant compte du caractère imprécis de notre connaissance des conditions initiales[85]
Cette sensibilité aux conditions initiales de toute une classe de phénomènes d’intérêt pratique est à la base de la notion actuelle de chaos en sciences. Dans le cas examiné ici, l’information sur les conditions initiales se perd totalement au cours du mouvement… Les équations régissant l’évolution des systèmes chaotiques … deviennent peu utiles en pratique. On ne peut les utiliser pour prédire à long terme le comportement d’un système… En général, il existe une échelle de temps, caractérisée par ce qu’on appelle « l’exposant de Liapounov », pendant laquelle la prédiction est possible. Au-delà de ce temps, les petites imprécisions sur les conditions initiales divergent et rendent le comportement du système imprévisible…. Plus la connaissance des conditions initiales est précise, plus l’horizon de prévisibilité augmente, mais il est toujours limité[86].
L’objet de la théorie du chaos est d’étudier certaines propriétés de sa dynamique… Deux cas se présentent :

  • Le premier cas est constitué par les systèmes qui possèdent peu de degrés de liberté. Le cas d’un mouvement d’une planète… ou encore d’un pendule, sont de cette espèce. Lorsque leur évolution est très sensible aux conditions initiales, l’étude de ces systèmes relève de la théorie dite du « chaos temporel ».
  • Le second cas est constitué par les systèmes physiques possédant un très grand nombre de degrés de liberté. Ces systèmes sont typiquement ceux de la mécanique des milieux continus. Dans un fluide, par exemple, l’écoulement résulte d’arrangements innombrables. On parle alors de la théorie du « chaos spatio-temporel[87] .

L’intérêt de la théorie du chaos est de permettre l’étude des phénomènes de transition progressive vers la turbulence… Cet état final de grand désordre est dit « ergodique » lorsqu’il possède de bonnes propriétés de mélange qui font qu’il est descriptible à l’aide de la physique statistique… Biens décrits par la thermodynamique, ces états de grand désordre ne sont pas ceux qui intéressent directement la théorie du chaos[88].
L’importance médiatique contemporaine du terme de chaos est quelque peu usurpée… Il faudrait plutôt parler de l’étude des systèmes dynamiquement instables du fait d’une grande sensibilité aux conditions initiales… Le problème tient à une interprétation erronée de la physique newtonienne en terme d’un déterminisme absolu que la construction de Newton [a] fait passer dans notre culture[89].
Il nous faut faire la différence entre le déterminisme ontologique, intrinsèque à la nature, et la prévisibilité épistémologique, qui tient compte de nos moyens finis de calcul et de connaissance des conditions initiales…. La théorie du chaos n’infirme pas le déterminisme sur le plan ontologique, au contraire, elle le prend comme hypothèse de départ.
L’image devenue populaire de « l’effet papillon », inventée par Lorens …est trompeuse. Elle fait penser à un principe de causalité universelle, un battement d’ailes de papillon au large du Brésil pouvant causer une tornade au Texas…. Ce genre de causalité totale rappelle les principes de l’astrologie, la position des astres lors de la naissance ayant une influence sur le développement de l’individu… L’« effet papillon » rappelle … les sciences occultes quand tout dépend de tout sans que nous sachions bien comment ni pourquoi. [90]
La « théorie du Chaos » n’est pas le règne de la non compréhension ou de la non connaissance. C’est au contraire une succession d’hypothèses très précises qui permettent d’organiser la pensée...[91]
La nouveauté de la théorie du chaos réside finalement dans la reconnaissance du fait que des systèmes simples peuvent exhiber des dynamiques complexes. [92]
Cette approche a engendré ce que l’on nomme aujourd’hui la « théorie des systèmes »[93]... Un système physique  est simplement constitué d’un objet ou de plusieurs objets en interaction… qui forment.. une unité suffisante pour être étudiée à l’aide de lois et de procédés expérimentaux spécifiques….[94]
Il existe des systèmes qui sont prévisibles après certaines conditions initiales, et ne le sont pas après d’autres, alors que les équations permettant de modéliser leur évolution restent les mêmes. [95]
Les approches systémiques se montrent, dans ces cas, les seules possibles en pratique. … Cependant, alors que certaines approches systémiques rompent clairement avec le réductionnisme et cherchent à développer des raisonnements authentiquement nouveaux et respectueux de la complexité réelle des choses, d’autres ne sont, finalement, qu’une forme renouvelée de réductionnisme... [96].
La raison [du succès de vulgarisation qu’ont permis les notions de chaos et de systèmes],.. la plus profonde, tient aux résonnances que prend l’idée dans notre société faussement agitée mais doutant de son avenir[97]. Car si prédire ne signifie pas expliquer, cela signifie encore moins comprendre…. Le sens de « prédire » se rapporte à une conjecture émise sur un évènement futur dont on va susciter –ou suivre- la réalisation pour vérifier ou infirmer la théorie qui sous-tend la prédiction… Il existe des prédictions justes qui ne nous apprennent rien sur la nature ou sur les théories que nous tentons d’échafauder pour la comprendre. Il est possible également d’aboutir à des prédictions justes à partir de théories fausses. Le sens d’ « expliquer » renvoie à l’explication de relations de causes à effets qui ont une généralité nettement supérieure aux faits qui les étayent….
Comprendre va au-delà d’expliquer car comprendre implique le sujet qui comprend. On ne peut pas comprendre sans s’impliquer, sans une démarche d’adhésion intérieure allant au-delà de la simple cohérence de l’explication et de la communication avec autrui…. Comprendre, c’est en quelque sorte s’approprier une explication. Par conséquent, une compréhension est beaucoup plus difficile à transmettre qu’une explication.
Il ne faudrait pas que les notions de chaos et de systèmes servent d’alibis pour justifier une attitude de renoncement dans d’autres disciplines, … sciences humaines, voire en philosophie. .. Résumée de façon caricaturale, cette attitude consisterait à dire que, puisque tout est chaotique ou imprévisible, il n’y a rien à comprendre… On rejoindrait alors le véritable chaos…[98]

La complexité dans les sciences de la matière

La complexité est une limite de fait au réductionnisme et à la méthode analytique dont les sciences ont pu se réclamer… Les notions de non-séparabilité quantique et d’incomplétude de la théorie des nombres (théorème de Gödel) [99]… ont un sens clairement épistémologique, elles nous disent quelque chose sur la nature de notre connaissance.
Mais l’alibi de a complexité est souvent utilisé par les scientifiques eux-mêmes pour légitimer … des sciences purement prédictives et quantitatives… dont les défauts d’universalité posent question. … Dans un renversement subtil, la complexité est maintenant revendiquée par les chercheurs pour s’isoler au sein de communautés étriquées, créant autant de sous-disciplines autonomes pour acquérir leur légitimité. La crise actuelle que connaît la recherche française ne nous semble pas indépendante de cet éclatement disciplinaire[100].
Des disciplines de la complexité est née toute une famille de modèles très à la mode… applicables à presque tout…. Il n’y a rien ‘étonnant, car ces modèles imitent la nature. Ils possèdent une très grande efficacité heuristique, mais une valeur compréhensive quasiment nulle. Le comble est, … par exemple de nous expliquer qu’ « un cerveau, c’est comme un ordinateur ». N’est-ce pas précisément le contraire ? … Modéliser et comprendre ne sont pas synonymes[101].
Par ces modèles d’imitation de la nature faussement érigés en théorie explicatives, certaines sciences tombent dans un snobisme consistant à ignorer la contingence du monde… Elles choisissent à la place de cet aveu les complications inutiles de modèles qui n’expliquent rien. Il convient de ne pas baisser les bras devant les exigences d’explication et de compréhension que doit garder toute science. .. L’ambiance de complexité dans laquelle nous baignons a quelque chose de cynique.
Si la complexité prend un sens relativement clair dans les sciences de la matière, son extrapolation systématique à tous les secteurs de la pensée est problématique. Les attendus philosophiques ou métaphysiques que renferment les propos faisant de la complexité un objectif isolé de formation sont lourds de conséquences quant à la vision du monde qu’ils peuvent transmettre aux jeunes…. La société étant complexe, il deviendrait vain de vouloir la changer… Comment ne pas voir dans cette situation les échos du doute profond que notre société entretient sur elle-même ? [102]
En ce qui concerne les sciences sociales, l’intérêt de la notion de complexité reste celui d’un rempart contre les explications trop globalisantes du monde… là où il y a le risque d’une connaissance trop directement associée à l’exercice d’un pouvoir de domination ou de maîtrise d’un objet à des fins de manipulation…. La frénésie des méthodes de résolution, de modélisation et de manipulation qui s’est emparée de la science, et les complications sans fin apportées à des problèmes de recherche qui n’apparaissent pas si fondamentaux, n’auraient-ils pas comme effet de nous cacher notre incapacité à affronter les questions existentielles ? [103]
La science ne peut rien contre l’argument philosophique de la complexité qui revient à dire que « quelque chose » lui échappe. Le philosophe peut difficilement préciser de façon positive et concrète ce qu’est ce « quelque chose », puisque, justement, il échappe à l’investigation[104].

5- L’ASTROPHYSIQUE

L’astrophysique, telle qu’elle est médiatisée,… renferme plusieurs types de spéculations scientifiques et philosophiques qui diffèrent sensiblement quant à leur statut épistémologique[105].

La cosmographie

Elle porte sur la description des objets observés dans le ciel[106]… étymologiquement : carte du cosmos. Elle répond pour l’essentiel aux critères pratiques de scientificité : reproductibilité, aller-retour incessants entre l’observation et la théorie, pertinence des concepts[107].

La cosmologie

Elle entrevoit une théorie globale de l’univers[108]… étymologiquement : langage du cosmos.
Aujourd’hui, la synthèse que présente la cosmologie moderne est la théorie du « big-bang ». Elle donne une image de l’univers qui colle à nos connaissances par ailleurs les mieux attestées… Elle est en quelque sorte une extrapolation de la cosmographie et de la science connue sur terre…
La  différence entre interpolation et extrapolation est importante du point de vue épistémologique[109]. L’interpolation est une procédure très répandue. L’extrapolation est une procédure plus hardie. Il s’agit de repousser la limite de nos connaissances hors de leur champ reconnu de validité. L’extrapolation est cependant le moteur du développement de la science.. Tel l’explorateur, le scientifique cherche sans cesse à repousser la frontière de on savoir vers des terres inconnues dont il ne connait pas « l’autre rivage ».
La cosmologie est l’extrapolation ultime de la science moderne. Rendre compte de l’univers tout entier est son utopie. Mais, il faut aussi admettre que la cosmologie, comme extrapolation, possède une fragilité épistémologique. L’univers, en tant que tel, ne peut être un objet de science, car, par définition, il est tout ce qui existe, au moins sur le plan matériel. Il s’agit donc d’un objet unique. L’univers est par essence un fait unique, non reproductible, ni dans le temps, ni dans l’espace, et donc a-scientifique[110].
Cette vérité élémentaire est volontiers ignorée par les physiciens des particules qui vulgarisent leurs expériences comme étant des « big-bang » en miniature. Ils connaissent d’ailleurs les difficultés qu’une telle extrapolation soulève et qui font que peu consentiraient à remettre en cause le modèle du « big-bang » sur la seule base de son éventuelle infirmation par des expériences de physique des particules.
Le physicien cosmologiste… mène son enquête de reconstitution des faits à partir des témoignages du passé que lui apportent les observations astronomiques d’aujourd’hui. Il utilise ses connaissances physiques pour remonter le temps[111].
Le « big bang » est l’histoire du refroidissement d’un gaz de matière-énergie, l’univers, au départ dans un état très dense et très chaud, en expansion avec le temps, dans un espace temps à quatre dimensions décrit par la relativité générale. L’expansion a pour effet de refroidir le gaz qui subit alors plusieurs changements d’états, allant d’un état totalement désordonné –très chaud- vers un état –froid- de plus en plus en plus ordonné.
Un exemple de transition de phase qu’a traversée l’univers est la recombinaison des électrons et des noyaux au sein des atomes.. Ceci n’empêche pas que l’entropie globale de l’univers puisse augmenter, conformément au second principe de la thermodynamique, car chaque transition de phase structurant la matière possède sa contrepartie en émission de rayonnement[112].
Contrairement à une idée répandue, le rayonnement fossile n’est pas la trace des origines du « big-bang ». il est la trace de l’une des transitions de phase que l’univers a traversées… quelques cent mille ans après le temps le plus reculé auquel on puisse remonter.. La température de l’univers, … était de l’ordre de 1032 degrés aux stades les plus reculés…. D’après la « théorie du Big-bang », la recombinaison [des électrons et des noyaux au sein des atomes], n’est donc que l’une des nombreuses « transitions de phase » qu’a connues l’univers. Dans l’ordre chronologique, elle n’est ni la première ni la dernière.
Le fait que les atomes légers –hydrogène, hélium- existent en très grande majorité dans l’univers au détriment des atomes lourds –fer, uranium- indique que la nucléosynthèse a duré très peu de temps, les atomes lourds n’ayant pas eu le temps de se former. Les conditions de température et de densité qui permettent à cette réaction de se produire ont régné dans l’univers entre trois et trente minutes[113].
Devenu la base de la cosmologie, le « big-bang » se présente comme une histoire complète du contenu matériel de l’univers, énergie comprise… Mais cela ne doit pas nous faire oublier que la théorie du « big-bang » reste un scénario historique[114].

  • Relativité générale et « big-bang »

La théorie de la relativité générale est à la fois une théorie de l’attraction gravitationnelle et une théorie de l’espace temps, vu simplement comme un espace à quatre dimensions continues[115].
Le principe de causalité associé à la dynamique du champ de gravitation garantit qu’une modification infinitésimale du contenu de matière énergie en lieu donné de l’espace temps n’entraîne pas d’effets immédiats à l’infini, mais seulement après le temps que l’interaction se propage[116].
Le problème reste de déterminer une solution de départ lorsque le contenu en matière-énergie de l’univers que l’on étudie ne peut pas être vu comme une perturbation infinitésimale d’un espace temps vide. Or ceci est le cas général, y compris, semble-t-il de notre « big-bang » [117]. Parmi ces « bulles d’espace-temps », on en trouve dont la partie spatiale est en expansion avec le temps. On sait que la vitesse d’expansion diminue avec le temps à cause de la nature attractive de l’interaction gravitationnelle qui a tendance à absorber l’énergie d’inertie que représente l’expansion. Mais la loi d’expansion du « big-bang » reste la grande inconnue de la cosmologie moderne. Trois cas se présentent qui sont tous des solutions de types « big-bang » compatibles avec les observations actuelles :
-          Si la quantité totale de matière-énergie que contient le « big-bang » dépasse une certaine valeur critique, l’attraction gravitationnelle sera suffisante pour absorber totalement l’inertie de l’expansion. Dans ce cas, l’expansion s’inversera et se contractera (le big-crunch). La matière revivra son histoire à l’envers en se réchauffant et en se densifiant vers un point singulier à partir duquel l’expansion pourrait recommencer à nouveau… L’histoire de la matière serait cyclique[118].
-          Si la quantité de matière-énergie que contient notre « big-bang »  est égale à la certaine valeur critique, l’expansion perdurera tout en ralentissant vers une vitesse asymptotiquement nulle. Le « big-bang » tendra vers un espace-temps plat de taille infinie dans lequel la matière énergie sera infiniment diluée et froide
-          Si la quantité de matière-énergie est inférieure à la valeur critique, l’attraction perdurera avec une vitesse asymptotiquement non nulle. La partie spatiale sera également infinie, mais restera de courbure non nulle.
Nous ne connaissons pas suffisamment précisément le contenu en matière-énergie de notre « big-bang » pour savoir de quelle nature il est parmi ces trois cas. Par contre les observations montrent que le contenu en matière de l’univers est aujourd’hui beaucoup plus important que son contenu en énergie de rayonnement, ce qui indique que l’expansion spatiale dure depuis un temps fini. Ce temps est appelé, logiquement, âge de l’univers.
Il se pourrait qu’existent d’autres bulles d’espace temps, d’autres « big-bang », contenant eux-mêmes de la matière-énergie. Si ces bulles sont en expansion, on peut penser qu’elles finiront par se rencontrer. Des recherches très sérieuses ont été menées pour tenter d’identifier si des bulles d’espace-temps différentes, les unes contenant de la matière, et les autres contenant de l’antimatière, n’étaient pas en train de se pénétrer les unes les autres. Une telle rencontre provoquerait un flash lumineux observable[119]. Le fait  que rien n’ait été observé semble indiquer que notre « big-bang » est encore isolé. Mais cela ne signifie pas que d’autres « big-bang » n’existent pas. En émettant l’hypothèse de l’existence de plusieurs « big-bang », nous émettons l’idée d’un ailleurs ou d’un extérieur au sens spatial, mais également au sens temporel. … Il faut cependant garder à l’esprit qu’une telle hypothèse, si elle vient naturellement à l’esprit comme conséquence de la taille finie de l’espace temps dans lequel nous vivons, reste une hypothèse qui se situe au-delà de la stricte relativité générale[120].
Avant de terminer cette discussion, il nous faut revenir sur l’incompatibilité entre physique quantique et relativité générale.
-    La relativité générale est une théorie de la seule force de gravitation,  interprétée comme la métrique de l’espace-temps. Par conséquent, la notion de « big-bang ne tient pas compte des propriétés quantiques de la matière connues aux petites échelles d’action.
-    Réciproquement, la physique quantique ne tient pas compte de l’attraction gravitationnelle.

Les échelles quantiques sont très différentes[121].  Mais, si on remonte l’histoire du « big-bang », les échelles vont avoir tendance à converger l’une vers l’autre… Il vient un temps au-delà duquel ces échelles deviennent les mêmes. Ce temps est fixé pa l’échelle de Planck. Le mur de Planck correspond à un temps de 10-43 secondes après ce qui serait… le début de l’expansion du big-bang. Le big-bang aurait eu, à cette époque, une taille comprise entre 10-35 et 10-26 mètre16 et une température de 1032 degrés.
Le mur de Planck n’est un horizon indépassable que dans l’état actuel de nos connaissances. Il suffirait que nous disposions d’une physique unifiant la physique quantique et la théorie de la gravitation au sein d’un formalisme cohérent pour que le « mur » s’effondre… Le mur de Planck n’est donc en  aucun cas d’une limite de droit à la connaissance scientifique sur laquelle nous pourrions bâtir des arguments philosophiques définitifs[122].
Sur le plan expérimental, nous n’avons toujours pas  découvert le « graviton » qui serait la particule véhicule de l’interaction gravitationnelle, comme le photon est le véhicule de l’interaction électromagnétique entre deux particules chargées[123]… La physique d’aujourd’hui connaît un peu la même situation que connaissait la physique du dix-neuvième siècle avec l’incompatibilité entre phénomènes aléatoires et phénomènes corpusculaires[124]. En l’absence de résultats empiriques pour guider notre intuition, … la physique piétine au pied du mur de Planck. Elle tourne à la spéculation « méta-physique » sur les origines du big-bang… Il serait dommage qu’elle se pense seule dépositaire de cette réflexion sur les origines au détriment de l’antique métaphysique[125].

  • Les énigmes actuelles de la cosmologie

Il existe  des observations astronomiques qui montrent que la physique actuelle reste incomplète,… quatre éléments majeurs… qu’elle ne sait pas expliquer[126] :
-       Le premier élément est la présence d’une matière noire dans le cosmos. La matière noire est la différence entre le contenu en matière gravitationnelle et le contenu en matière quantique de l’univers…. Les neuf dixièmes de la matière de l’univers sont invisibles. Il y a trois hypothèses  majeures pour expliquer  la matière noire. La première est l’existence d’astres très petits et très froids. Les recherches récentes ont confirmé leur existence, mais ils constituent tout au plus un dixième de la matière manquante. La seconde hypothèse est la masse des neutrinos, particules qui ont une masse tellement faible qu’on ne sait pas avec certitude si elle est nulle ou non…. Des mesures très précises… tendent à montrer qu’ils auraient bien une masse non nulle, mais qu’elle reste cependant trop faible pour expliquer à elle seule toute la matière noire. La troisième hypothèse consiste à postuler l’existence de particules massives soumises à d’autres forces que les forces quantiques connues. Des observations reproductibles et confirmées pourraient engendrer un renouvellement de la physique.
-       Le second élément est l’asymétrie matière-antimatière,… fait évident du big-bang. Or la matière et l’antimatière en présence l’une de l’autre s’annihilent pour donner des rayonnements extrêmement énergétiques[127]. Si notre big-bang avait été symétrique à son origine, il ne serait constitué aujourd’hui que de rayonnements. Or la densité de masse-énergie du big-bang est dominée par la matière et non par l’énergie des rayonnements. La cosmologie contemporaine spécule sur une période d’ « inflation » du big-bang qui se serait produite juste après le mur de Planck, entre quelques 10-35 et 10-32 secondes après l’origine supposée du temps. Il s’agit d’une phase d’expansion tellement rapide qu’elle brise le principe de causalité qu’Einstein a associé à la théorie de la relativité. Mais l’hypothèse est séduisante.
Au-delà de la recherche d’un formalisme cohérent susceptible de réconcilier physique quantique et relativité générale, il s’agit d’expliquer pourquoi l’univers contient quelque chose plutôt que rien.  C’est la question métaphysique par excellence. Il est possible que l’énigme de la baryogénèse soit un jour levée par la physique, mais la question de ce qu’il y a avant[128] … ne sera pas résolue tant la science est incapable de concevoir l’apparition de quelque chose à partir de rien. Nous entrons ici dans le domaine de la cosmogonie… Si notre univers avait brisé la symétrie matière-antimatière au profit de l’antimatière,… nous aurions nommé matière ce que nous nommons l’antimatière, si bien que définir ce qui existe par rapport à ce qui n’existe pas reste arbitraire[129].
-       La troisième énigme est la masse des particules. Nous ne savons pas expliquer pourquoi la masse de l’électron est 9,1 x 10-31 kg. .. La façon dont nous décrivons la masse d’une particule … brise le principe de l’action et de la réaction qui reste pourtant un principe fondamental…Les physiciens cherchent donc une particule inconnue, … appelée boson de Higgs, qui conférerait leur masse aux autres particules…. Le fait qu’il ne soit pas découvert constitue une énigme[130].
-       La quatrième énigme… .Des mesures de rayonnement ont montré que l’expansion du big-bang tendait à s’accélérer. Jusqu’à présent, il était évident que la vitesse de l’expansion ne pouvait que décroitre, car l’interaction gravitationnelle est exclusivement gravitationnelle[131]. Pour expliquer l’accélération de l’expansion, il faut, ni plus ni moins, postuler l’existence de quelque chose capable de générer l’équivalent d’un effet gravitationnel répulsif, ce qui nous met face à tout ce que nous connaissons. Ce quelque chose ne peut pas  être la matière noire, mais, par analogie, on parle d’énergie sombre
L’hypothèse la plus simple est la reprise d’une vieille idée d’Einstein : la constante cosmologique. Einstein ne supportait pas l’idée que l’univers puisse être autre qu’éternel. L’objet de cette constante cosmologique était de rendre l’espace temps statique.. et de compenser l’attraction gravitationnelle. Einstein finit par admettre son erreur[132]. Une idée avance pour interpréter l’énergie sombre que représenterait la constante cosmologique est de l’identifier à l’énergie du vide. Le problème est qu’il en résulte que l’univers serait considérablement plus grand qu’il n’est[133]. Une seconde hypothèse pour expliquer l’énergie sombre serait de postuler l’existence d’une nouvelle particule… aux propriétés similaires à celles de l’énergie du vide mais aussi au boson de Higgs. Mais, cette zoologie de particules nouvelles reste très hypothétique. D’autres hypothèses d’énergie sombre ont été émises[134]. Un gaz de pression négative… [que] les astrophysiciens ont nommé la quintessence, ou gaz fantôme, aurait l’avantage de pouvoir expliquer en une seule hypothèse, matière noire et énergie sombre. Le gaz fantôme se diluant avec l’expansion, sa pression ne fera qu’augmenter. ..Toute la matière et l’espace temps finiront par se disloquer : c’est le big-rip. L’hypothèse du gaz fantôme semble assez artificielle. La dernière hypothèse d’énergie sombre serait de prêter aux neutrinos, particules de très faible masse, des propriétés d’interaction nouvelles avec la matière. Une telle hypothèse a l’avantage de mener à des prédictions très proches de celles de la théorie du big-bang[135].
Voici donc quelques énigmes posées. Cependant la cosmologie actuelle ne nous donne aucun moyen de nous projeter par la pensée à l’extérieur de cette bulle d’espace temps dans laquelle nous vivons. Notre connaissance du big-bang est donc in-vivo. Si jamais un « extérieur » était concevable, la définition du terme univers, au sens de tout ce qui existe, deviendrait problématique. Et donc, il n’est pas certain que la question d’une origine des temps soit pertinente. Il faut cependant noter qu’un univers qui serait éternel, de taille finie ou infinie, semble incompatible avec les observations astronomiques.
Par conséquent, l’idée que l’univers puisse avoir une histoire ne doit pas nous choquer[136].
Enfin, la cosmologie doit admettre la contingence de ce qu’elle étudie. Elle semble incapable d’expliquer que quelque chose existe plutôt que rien. Il nous faut envisager [ces questions] comme telles si nous ne voulons pas faire de la cosmologie une métaphysique de remplacement pour calmer des questions existentielles.

La cosmogonie

Elle spécule sur les origines de l’univers[137]… étymologiquement : genèse du cosmos. Il s’agit de discuter de l’origine de l’univers et de ses causes. Le terme origine peut prendre deux sens distincts : l’origine historique, au sens chronologique et l’origine  associé aux notions d’explication et de causalité. Existe-il une cause suprême à toutes les causes secondaires ?  La cause primaire pose la question redoutable du pourquoi l’univers existe-t-il. On peut classer les réponses en trois catégories :
-   La première catégorie affirme qu’une cause primaire existe… Si elle existe, elle ne peut pas être incluse dans une succession de causalités,… sinon elle ne serait qu’une cause secondaire de plus. Elle ne peut pas être du même ordre qu’elles, et les méthodes d’investigations ne sont pas les mêmes que celles qui nous conduisent vers les causes secondaires. … Cette cause primaire est unique puisqu’elle est la cause de toutes les autres causes. Cet argument explique pourquoi les mythologies antiques se sont effacées devant le monothéisme dans une spéculation philosophique de nature rationnelle[138]. Non pas que la mythologie grecque ne soit pas digne d’intérêt, ses grands mythes sont autant d’explications partielles de tel ou tel aspect de notre existence. Néanmoins, la prolifération des dieux, et des intermédiaires entre les hommes et la cause primaire ne résout pas le problème de l’être. Il faut bien, à un moment ou à un autre trouver une explication à ce folklore divin qui n’est qu’empilement de causes secondaires.
-   La seconde catégorie consiste à dire que les relations entre causes secondaires génèrent une linéarité infinie. La science [serait] une marche infinie sur le fils d’un enchainement de cause secondaires. Cette position est très proche de l’empirisme. Elle a pour elle la modestie d’accepter de ne pas parler de ce que la science ne peut pas connaître[139].
-   La troisième catégorie affirmerait que la succession des causes secondaires est cyclique. Selon cette vision cyclique, l’origine du monde est à trouver dans le monde. Cette inspiration est présente dans le bouddhisme. Bien que cohérente, cette position pose le problème de l’altérité. Quelle place fait-on à la relation avec l’autre que soi-même si chaque être s’auto-engendre de façon autonome ?
L’astrophysique moderne s’approprie progressivement des thèmes cosmogoniques. Ces thèmes étaient auparavant l’apanage de la théologie ou de la métaphysique pour réfléchir à la question de l’origine de l’univers. Un minimum de formation dans ce domaine fait cruellement défaut aux grands physiciens de notre temps.
Stephen Hawking, probablement le physicien le plus connu actuellement mondial, [à) la recherche d’une théorie de la gravité quantique,… déraille dans ses livres de vulgarisation[140]. Il espère connaître un jour « la pensée de Dieu » et voit ce jour comme celui du « triomphe ultime de la raison humaine » [141]. Plusieurs physiciens se prennent ainsi pour des théologiens des temps modernes… Le danger de ces transgressions est qu’elles sont exprimées publiquement à longueur de livres de vulgarisation[142]. Hawking attribue ses hypothèses à l’Etre, de façon métaphysique, au lieu d’y voir d’abord un moyen de faire évoluer une représentation, la connaissance de l’Etre[143].
Parmi les pays de culture latine, la France est probablement, par sa tradition culturelle de tendance intellectualiste et sa longue expérience des conflits entre philosophie, sciences et religion[144], l’un des pays les mieux armés pour animer ce dialogue. Les anglo-saxons, tentés par le syncrétisme, manquent de gardes fous philosophiques[145].
Les hypothèses actuelles donnent crédit à une physique future qui se placerait « au-delà de l’espace et du temps », mais dont la matière et l’énergie resteraient des concepts premiers. [146] Imaginons qu’une telle physique offre des solutions satisfaisantes aux énigmes actuelles de la cosmologie. Aura-t-elle parlé de Dieu ou percé sa pensée ? Aura-t-elle mis au jour la finalité de l’existence ou de l’univers ? Nous ne le pensons pas[147].

6- LA BIOLOGIE

Le problème de la définition de la vie

La complexité des organismes vivants a comme première conséquence de les rendre mortels. Au bout d’un certain temps, l’organisme ne peut plus assurer la complexité de son fonctionnement[148].
La vie est aujourd’hui définie autour de quatre fonctions majeures :
-          La première fonction est l’individualisation. Tout organisme a un milieu intérieur[149].
-          La nutrition, est la transformation des aliments en provenance du milieu extérieur, pour constituer la matière même dont est fait l’organisme.
-          La respiration rend l’énergie utilisable par les cellules
-          La reproduction est finalement l’élément le plus spécifique aux organismes vivants.[150]

Pour éclairer les problèmes que pose la définition de la vie, il n’est pas inutile d restituer les termes du débat entre le vitalisme et le mécanisme des organismes vivants:
-          La position mécaniste stipule qu’il n’existe pas de différence de nature entre les machines et les êtres vivants[151], ne voit pas dans le tout de l’être vivant une donnée supplémentaire par rapport à l’articulation de ses parties. Elle est matérialiste car elle se passe de l’hypothèse de l’existence d’autre chose que la matière pour transmettre la vie.
-          La position vitaliste se représente d’un côté le monde de la matière inerte et d’un autre le monde de la matière vivante animée par un principe vital[152].

Si le monde de la matière nous apparait aujourd’hui comme continu, la question d’une définition opératoire de la vie reste entière. Quel est le degré minimum de complexité à partir duquel les organismes deviennent vivants ? A partir de quel stade l’être complexe qu’est l’homme meurt pour retourner à l’état de chaos de cellules encore vivantes individuellement ?[153]
L’idée générale de la vie nous mène finalement à des définitions tautologiques et autoréférentes… La notion de conscience n’est souvent définie que par elle-même. La biologie ne conçoit pas encore que la vie puisse provenir d’autre chose que de la vie, ce qui laisse entière la question des origines du vivant.  La vie est probablement une notion première comme l’est celle de matière pour la physique[154].

Les  différentes théories de l’évolution

-          La première hypothèse est de supposer l’existence de liens généalogiques entre les espèces actuelles et certaines espèces fossiles. L’explication que Lamarck (1744-1829) a produite est le transformisme des espèces par adaptation à leur environnement naturel[155].
-          Pour Darwin (1809-1882), les êtres vivants subissent l’évolution plus qu’ils n’en sont les acteurs. Ils sont sélectionnés[156]. Le mécanisme de filiation permet aux individus les plus forts de transmettre leurs caractères acquis à leurs descendants. L’incapacité de Darwin d’expliciter ce mécanisme de l’hérédité devient le talon d’Achille de sa théorie[157]
Après Galilée, l’homme doit abandonner l’idée qu’il occupe le centre géographique de l’univers. Après Darwin, l’homme doit abandonner l’idée que sa constitution biologique existe de toute éternité, et pour toute éternité. Avec Freud, l’homme doit abandonner l’idée qu’il est un animal conscient et que cette conscience lui donne la liberté. Si une liberté reste à conquérir après la psychanalyse, elle réside dans l’acceptation et l’appropriation de son inconscient par l’individu. S’il reste dans l’univers une place singulière possible pour l’homme après les trois décentrements modernes, elle se trouve dans son intériorité la plus intime, siège de son autonomie[158].
Le nom le plus illustre associé à la théorie néo-darwinienne de l’évolution est probablement celui du biologiste français Jacques Monod (1910-1976).
La filiation qui manquait à Darwin est la transmission biologique entre générations de l’ADN. Mais aucun mécanisme ne permet de faire remonter l’information des caractères acquis par l’individu pendant sa vie dans ces brins d’ADN. L’interaction entre les gènes des deux brins d’ADN (parentaux) ne permet ni la sélection naturelle, ni l’apparition de caractères nouveaux inédits. Si des caractères nouveaux peuvent être acquis, ils ne sont pas héréditaires. La source la plus importante d’acquisition de ces caractères semble résider dans les erreurs de réplication entre l’ADN, l’ARN et l’ARN Messager. Mais ces erreurs de réplication n’altèrent pas l’ADN qui contient le programme original. Par conséquent, la transmission des caractères acquis d’une génération à l’autre est tout à fait impossible d’un point de vue strictement biologique[159].
Alors quel est le moteur de l’évolution ? Ce sont les mutations, c'est-à-dire l’altération des brins d’ADN par certaines agressions physiques et chimiques. L’énorme majorité des mutations mène à des individus non viables. Seules quelques mutations sur des millions permettent l’épanouissement de caractères nouveaux chez les individus. Quand, par chance, une mutation donne un avantage, elle est transmise aux générations futures. Mais elle ne consiste pas dans une lutte entre les individus. Aucune autre pression que le hasard ne peut être la cause de l’évolution.
La seconde correction est la réversibilité de l’évolution. L’évolution n’apparait plus, dans la théorie néo-darwinienne, comme une progression positive. Il se peut que les individus d’une espèce dégénèrent aussi bien qu’ils évoluent positivement[160]. Si on considère  que le hasard ne peut être retenu comme cause définitive pour l’explication scientifique, l’évolution apparait chargée de la contingence de l’histoire, sans cause ni finalité. Il n’est pas interdit de spéculer sur la finalité de l’évolution ou sur la place de l’homme dans la nature. Cependant, de telles questions ne sont pas objet de science[161]. Les physiciens sont, malheureusement, incapables de calculer la « fonction d’onde » d’une molécule d’ADN et il est probable qu’ils le resteront.

Le principe anthropique et le problème de la finalité

 

A la dialectique du hasard et de la nécessité posée par Monod, beaucoup d’astrophysiciens répondent aujourd’hui par le principe anthropique[162]. Il existe deux versions du principe anthropique :
-          La version faible stipule que l’univers nous apparait dans un état compatible avec notre existence, ce qui, finalement ne nous apprend pas grand-chose
-          La version forte : Si l’univers existe tel qu’il est, c’est pour faire émerger la conscience[163]. Dès lors, une improbabilité extrême devient nécessité et la signification de l’histoire est son résultat : l’avènement de l’homme. La finalité du big-bang est l’avènement d’une conscience ou d’une complexité permettant l’aboutissement de cette complexité
Non seulement les propriétés physiques de l’univers sont telles que la vie peut apparaître (version faible), mais il était nécessaire qu’il en soit ainsi (version forte). Sans nécessité, l’univers serait inintelligible.
Il est facile de comprendre qu’une telle explication téléologique n’est pas scientifique. La relation de finalité ne peut être testée sur les faits uniques et non reproductibles. Le principe anthropique consiste à expliquer une singularité, celle du big-bang, par une autre singularité, celle de l’apparition de la conscience[164]. Ce qui est aurait pu être autrement, nous l’appelons contingent. L’aveu de la contingence vaut mieux que l’explication autoréférente. Dans sa version forte, le principe anthropique n’est pas autre chose qu’une explication de l’univers par lui-même[165].
Le but de toute cette matière que l’on étudie à travers la science est la conscience permettant la contemplation. Ceux qui présentent le principe anthropique comme une conséquence de la science moderne ont oublié d’où ils viennent. La contemplation du monde est à la fois la fin et l’origine de toute connaissance. Sans le désir humain de contempler, et l’adhésion de la modernité dans la raison comme l’outil de cette contemplation, la science ne serait pas.
La relecture de la théorie de l’évolution que propose Stephen Jay Gould la débarrasse de la question de la finalité[166]. Gould voit la présence de l’homme comme une erreur de la nature. Gould explique que les bactéries sont capables de bien plus d’adaptations intelligentes à leur milieu de vie que les êtres complexes que nous sommes. L’homme est si inadapté à la nature qu’il est allé, avec la technique, jusqu’à adapter la nature à ses besoins.
Cette interprétation a le mérite de montrer l’embarras des scientifiques[167]. S’il veut aborder ces questions, le scientifique doit se faire philosophe.

Le matérialisme biologique

Le matérialisme biologique défend l’idée que la pensée humaine peut être entièrement interprétée en termes de connexions entre les neurones de notre cerveau. Poussé à l’extrême, il devient réductionniste[168].
-          Par exemple, le matérialisme biologique réduit tout ce que l’on peut dire sur la connaissance humaine à un seul objet d’étude : le cerveau humain. Les théorèmes mathématiques ne seraient que des configurations particulières du cerveau. [Mais], deux mathématiciens ne partagent pas des connaissances  en connectant électriquement leurs cerveaux. Deuxièmement, les mathématiques servent à autre chose qu’à elles-mêmes. Si les idées mathématiques ne représentent rien de réel, comment se fait-il qu’elles servent à énoncer des réalités synthétiques sur la nature ? [169] La position du neurologue est incohérente car s’il s’applique à lui-même ses propres principes, il en arrive à la conclusion que sa théorie  du cerveau ira jusqu’à absorber sa propre pensée. Le matérialisme biologique est une réduction de toutes les sciences de l’esprit et aussi de toutes les sciences de la nature, jusqu’à la biologie elle-même et en devient passablement incohérent[170]. Le réductionnisme du matérialisme biologique nie l’existence autonome d’autres niveaux de complexité que le cerveau[171].
-          Le matérialisme biologique connait un regain d’actualité avec la vision biologique de l’évolution des espèces qui en vient à ‘biologiser’ la psychologie et ‘écologiser’ les sciences humaines et toute la société[172]. Sous sa forme écologique, l’inspiration du naturaliste Haeckel  (milieu XIX°) connait un regain d’intérêt dans les réflexions politiques d’aujourd’hui. Il ne faudrait pas que le souci de la protection de la planète … nous fasse oublier la complexité propre aux processus cognitifs d’un côté, et aux processus politiques et sociaux d’un autre côté[173].

7- QU’EST-CE QUE LA SCIENCE AUJOURD’HUI ?

Les critères listés ici constituent de petites recettes épistémologiques … qui permettent de caractériser l’activité scientifique.

Le dialogue entre théorie et expérience

La théorie est souvent synonyme de mathématisation… qui cherche des expressions mathématiques simples pour synthétiser les résultats de mesures expérimentales. L’aventure scientifique moderne est révélatrice de multiples expérimentation, abstraction, mélange de genres, raccourcis intellectuels, impertinence, erreurs, problèmes de financements, de notoriété, luttes d’influence… De tout cela, on retient avant tout l’aller et retour incessant entre l’expérimentation et la théorisation[174].
La question se pose de savoir si la science, la vulgarisation scientifique, la recherche, la connaissance poursuivent réellement des finalités désintéressées… Si l’on n’y prend garde, l’état de spécialisation extrême que demande actuellement la recherche risque de tuer la créativité intellectuelle de beaucoup de chercheurs[175].
-          Du côté de la physique fondamentale, la théorie a pris une avance considérable par rapport à nos possibilités technologiques d’expérimentation (franchissement du mur de Planck, simulation de Big Bang,… ?) [176]
-          La biologie, de son côté manque de théorisation. La prolifération de résultats opératoires pose la question de savoir si l’objectif poursuivi est la manipulation du vivant ou bien sa connaissance[177].
Les deux niveaux expérimental et théorique sont tellement imbriqués qu’il est impossible de distinguer le ‘concret’ de ‘l’abstrait’[178].

Reproductibilité des faits et prédiction

-          Le premier type de faits est le fait d’exister. Le fait de l’existence, qu’il s’agisse de l’existence humaine ou de l’existence de l’univers, n’est pas un objet de connaissance scientifique.
Le fait d’exister est un fait mythique. Il ne nous est rapporté par aucune information et n’est l’occasion d’aucune rationalisation. Plus précisément, le fait d’exister est tellement rationnel qu’il n’est pas dans les capacités humaines de le rationaliser. C’est un fait hyper-rationnel. Il faut donc d’autres stratégies que la rationalisation pour l’aborder. Il faut des mythes et leurs interprétations. L’existence est un sujet de poésie, de rêverie, de création, de fantasmes, de questionnement, d’émerveillement…
-          Le deuxième type de faits est le fait légendaire. La légende est un récit imaginaire [qui] embellit les faits car aucun recoupement d’informations ne nous permet de les remettre à leur place[179]
-          Le troisième type de fait est le fait historique. Sa recherche se fait par collection de témoignages, recoupements, contre enquêtes, critiques internes et externes de la valeur de chaque témoignage. Cependant, les faits historiques restent uniques dans le temps et dans l’espace. Cette unicité rend la prédiction imprudente, ce qui fait que la futurologie n’est pas la spécialité de l’historien.
-          Le quatrième type de fait est le fait scientifique. La science commence quand l’histoire devient reproductible. Il est alors possible de classer les faits en phénomènes. La science dit le pourquoi des choses au prix de l’abstraction, et l’abstraction engendre ensuite la prédiction de faits nouveaux et vérifiables.
Le rapport de la science au temps n’est pas le temps historique ou linéaire, ni le temps cosmique ou mythique, mais le temps cyclique des phénomènes, le temps de l’expérience à reproduire[180].

Pertinence des concepts et des niveaux de description

Pour être scientifique une explication doit être pertinente. L’explication ne doit pas mobiliser des concepts démesurés par leur abstraction, leur généralité, leur universalité, par rapport à la contingence des faits qu’ils expliquent[181].
A l’opposé, les concepts ne doivent pas paraître trop ‘ad hoc’, bricolés exclusivement pour l’occasion.
La pertinence ne se quantifie pas.  Elle est affaire de cas particuliers, de débats, de contenu et non de contenant.
Entre deux théories cohérentes permettant d’expliquer les mêmes faits, la science choisira toujours la plus simple, celle qui ne suppose pas de grandes hypothèses invérifiables, celle qui reste la plus proche des faits qu’elle prétend expliquer[182].

Une généralité toujours précaire

Le quatrième critère de la science réside dans l’état précaire de la généralité prêtée à la validité des explications scientifiques. Il y a un principe d’impertinence qui plane dans tout laboratoire.
Une théorie scientifique n’est jamais exempte d’a priori sur la nature. La force de la science est de savoir faire évoluer ces ‘a priori’ quand un impertinent, les rendant explicites, en a montré soit l’incohérence, soit l’incompatibilité avec des faits prédits puis observés[183].

Quelque chose échappe

Le cinquième critère de la science est son inaptitude à embrasser le tout de ce qu’elle étudie. Bien sûr, les progrès de la science permettent de repousser très loin les limites que la complexité impose à la connaissance. Mais la science reste incomplète. Elle ne peut appréhender le tout de son objet et la singularité de l’existence.

Le doute, mon cher Watson

Le dernier critère de la science est sa pratique intensive du doute, celle de l’enquête de police[184].

8- CONCLUSION

La physique quantique est le socle de toutes les sciences de la matière, bien qu’une rupture existe au niveau de la cellule. Cette rupture consiste dans l’apparition de la vie. Les concepts de ‘matière’ et de ‘vie’ restent des concepts premiers qu’il est impossible d’objectiver totalement[185].
La désuétude dans laquelle est tombée l’idée de nature en Occident est un obstacle pour l’assimilation culturelle de la physique quantique. Dans l’histoire des idées, les philosophies ou les physiques matérialistes ont souvent accompagné des visions réductionnistes et prométhéennes de la matière. On réduisait la réalité à la matière, puis la matière à un mécanisme, en espérant mieux la maitriser. La physique quantique nous invite très clairement à cheminer vers un matérialisme non prométhéen, un matérialisme conscient de la part de mystère et d’enveloppement qui réside dans l’idée même de la matière.


[1] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 16)
[2] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 36)
[3] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 37)
[4] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 39)
[5] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 42)
[6] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 43)
[7] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 45)
[8] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 45)
[9] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 48)
[10] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 49)
[11] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 53)
[12] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 54)
[13] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 51)
[14] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 54)
[15] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 55)
[16] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 57)
[17] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 59)
[18] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 61)
[19] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 63)
[20] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 63)
[21] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 65)
[22] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 70)
[23] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 69)
[24] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 71)
[25] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 71)
[26] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 72)
[27] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 73)
[28] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 60)
[29] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 74)
[30] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 77)
[31] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 84-85)
[32] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 86)
[33] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 94-95)
[34] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 96)
[35] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 97)
[36] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 98)
[37] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 99)
[38] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 233)
[39] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 100)
[40] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 106)
[41] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 108)
[42] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 109)
[43] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 110)
[44] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 111)
[45] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 112)
[46] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 117)
[47] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 117)
[48] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 118)
[49] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 119)
[50] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 120)
[51] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 121)
[52] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (note 37 bas de page 121)
[53] S. ORTOLI et J.P. PHARABOD, en 1984
[54] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 122)
[55] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 123)
[56] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 124)
[57] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 126)
[58] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 127)
[59] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 129)
[60] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 130)
[61] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 131)
[62] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 132)
[63] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (note n° 46 bas de page 130)
[64] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 138)
[65] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 139)
[66] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 145)
[67] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 158)
[68] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 158)
[69] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 160)
[70] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 161)
[71] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 162)
[72] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 164)
[73] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 166)
[74] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 166)
[75] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 167)
[76] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 168)
[77] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 169)
[78] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 169)
[79] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 172)
[80] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 173)
[81] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 174)
[82] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (note n° 32 bas de page 174)
[83] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 178)
[84] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 180)
[85] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 181)
[86] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 182)
[87] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 183)
[88] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 187)
[89] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 190)
[90] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 192)
[91] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 193)
[92] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 194)
[93] A ne pas confondre avec la méthode systémique.
[94] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 195)
[95] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 196)
[96] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 197)
[97] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 198)
[98] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 200)
[99] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 202)
[100] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 203)
[101] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 204)
[102] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 205)
[103] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 205)
[104] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 206)
[105] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 207)
[106] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 207)
[107] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 209)
[108] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 207)
[109] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 209)
[110] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 210)
[111] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 211)
[112] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 212)
[113] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 213)
[114] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 214)
[115] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 215)
[116] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 218)
[117] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 219)
[118] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 220)
[119] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 221)
[120] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 222)
[121] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 225)
[122] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 226)
[123] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 227)
[124] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 228)
[125] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 229)
[126] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 229)
[127] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 231)
[128] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 232)
[129] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 233)
[130] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 233)
[131] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 234)
[132] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 235)
[133] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 236)
[134] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 237)
[135] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 238)
[136] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 239)
[137] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 208)
[138] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 241)
[139] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 242)
[140] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 243)
[141] Hawing S., 1989, « Une brève histoire du temps, du big-bang aux trous noirs ». Ce livre est l’archétype des confusions…
[142] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 244)
[143] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 245)
[144] Pour un exemple de dialogue avec la théologie, voir T. Magnin, 1998, « entre science et religion, quête de sens dans le monde présent » (Ed. du Rocher)
[145] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 246)
[146] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 249)
[147] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 250)
[148] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 251)
[149] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 252)
[150] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 253)
[151] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 257)
[152] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 258)
[153] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 262)
[154] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 263)
[155] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 263)
[156] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 264)
[157] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 269)
[158] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 267)
[159] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 273)
[160] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 274)
[161] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 275)
[162] Rien à voir avec le 2nd principe de la thermodynamique…
[163] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 278)
[164] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 279)
[165] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 280)
[166] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 281)
[167] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 284)
[168] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 285)
[169] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 286)
[170] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 287)
[171] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 288)
[172] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 288-289)
[173] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 289)
[174] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 292)
[175] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 293)
[176] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 293)
[177] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 294)
[178] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 294)
[179] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 295)
[180] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 296)
[181] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 296)
[182] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 297)
[183] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 299)
[184] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 300)
[185] « PHILOSOPHIE des SCIENCES de la MATIERE » de Ludovic Bot (page 303)