Titre : «Le fanatisme de l’Apocalypse», Sauver la Terre, punir l’Homme
Année de parution : juillet 2010
Auteur : Pascal Bruckner
Editions : Grasset
Préface :
 
CV de l’auteur : Né en 1948 à Paris, collaborateur au Nouvel Observateur
Derniers ouvrages :
- Misère de la prospérité (2002)
- La tyrannie de la pénitence (2006)
- Le Paradoxe amoureux (2009)

Résumé

En apparence, il n'y aurait rien a dire contre tous les discours qui prétendent sauver la Terre, en réduisant nos dépenses d'énergie, en consommant moins, en gaspillant moins, mais si l'on creuse sous la façade de la décroissance souriante, que trouve-t-on ? Rien d'autre que la haine de l'homme ! Ici, ce sont des vers qu'on a élevés en cave, là c'est le retour de l'homme sauvage, laissant la plus petite empreinte écologique sur la planète qui souffre.
Le meilleur moyen de ne pas polluer ne serait-il pas plutôt de cesser d'exister ? Et si l'écologie visait à notre disparition plutôt qu'à notre bien-être ? Et si la souillure c'était l'homme, moderne consommateur comme le citoyen des pays émergents, qu'il faudrait éradiquer de la surface d'une Terre prise comme sujet de droit ? Sommes-nous gouvernés par nos peurs ?
L'Ecologie est devenue une idéologie globale, avec ses prêtres, ses temples et son vocabulaire digne d'un nouveau catéchisme catastrophiste.
« L'homme est le cancer de la Terre » dit l'un de ces pieux servants de la décroissance. Au moment où la science, du Mediator au nucléaire, du catastrophisme ambiant aux éoliennes soupçonnées de rendre migraineux, du soja tueur au réchauffement climatique, est entrée définitivement dans l'ère du soupçon, l'essai de Pascal Bruckner tombe à point.
S'émanciper du progrès, se laisser griser par les spécialistes du vague, croire se soustraire au risque, ce sont les tentations d'une écologie régressive, totalitaire, devenue aujourd'hui majoritaire.

Plan général

Introduction : le retour du péché originel
Première partie : La séduction du désastre
Chapitre 1: Rendez moi mon ennemi
Chapitre 2: Ayez le courage d’avoir peur
Chapitre 3: Le chantage aux générations futures
Deuxième partie : les progressistes anti-progrès
Chapitre 4: Le dernier avatar de Prométhée ?
Chapitre 5: La nature : Marâtre ou victime ?
Chapitre 6: La science dans l’ère du soupçon
Troisième partie : La grande régression ascétique
Chapitre 7: L’humanité au régime sec
Chapitre 8: Misère de la macération
Chapitre 9:Le bon sauvage dans la luzerne
Epilogue : le remède dans le mal

Citations

Epilogue : L’auteur oppose deux écologies : « l’une de raison, l’autre de divagation ». Il décrit le catastrophisme comme un « remords anticipé de l’avenir ».

Première partie : La séduction du désastre
« Rendez-moi mon ennemi ».
L’auteur interroge : « Qui prétendra comme le communisme substituer un autre système à nos valeurs ». Il élimine l’islam intégriste : « il est  dirigé d’abord contre les musulmans eux-mêmes, coupables de tiédeur et de compromis avec le monde moderne ». Le terrorisme ?, non : l’écologisme !
L’auteur donne dans les schémas simpliste en laissant croire que la gauche a le monopole de souligner « le réchauffement climatique » (p 45). Hélas la droite n’a rien à lui envier !
Mais l’auteur a raison de montrer comment « la peur a cette vertu de mobiliser les hommes. », et comment « la peur a toujours constitué l’instrument favori des dictatures ». (p47)
Il reproche à l’écologisme d’avoir « l’habileté en la matière d’inverser la charge de la preuve. Au lieu d’exiger des climatologues qu’ils nous démontrent la réalité du réchauffement, on exige des climato-sceptiques qu’ils nous prouvent que le cataclysme ne se produira pas ». (p. 50)
Une idée intéressante de l’auteur consiste à démonter le sérieux de ce catastrophisme : « nous proposer ensuite des ‘recommandations’, c’est contredire la gravité du message…. » . Il faudrait changer nos ampoules, vérifier nos pneus, planter un arbre, … « Tout ça pour ça ! Enormité du diagnostic, dérision des remèdes » (p 55)
Dans un chapitre sur le chantage aux générations futures, l’auteur fait référence au philosophe Hans Jonas qui a inventé « le concept de repentir prévisionnel ». Pascal Bruckner s’appuie sur cela pour dire que « jusque-là, le remords ne s’adressait qu’à des fautes déjà perpétuées ; avec Jonas, il touche les péchés à commettre demain. Nous devons donc nous entraver pour inhiber notre cruauté éventuelle. Le futur, érigé en tribunal, nous adjure de ne plus détruire les conditions de vie sur cette terre ». (p.89)
Dans une langue cinglante, il ajoute un peu plus loin : « Que brésiliens, indiens, chinois se résignent à croupir dans leur fange, il y va du salut du globe. Tant pis pour ces salauds d’affamés qui souhaitent améliorer tant soit peu leur sort ! Remettre la terre sur ses rails vaut bien le sacrifice de plusieurs milliards d’asiatiques et de sud-américains » (p. 93)
Parlant des « enragés du malheur », l’auteur dit que « l’Ecologie radicale ne tombe pas dans le piège du marxisme : promettre le paradis sur terre. Elle se contente de dénoncer l’enfer de nos sociétés » (p. 101)

Deuxième partie : Les progressistes anti-progrès
« Le dernier avatar de Prométhée ? ».
L’auteur prétend qu’Al Gore aurait dit que  « Global  warning is global cooling » (le réchauffement global est un refroidissement global ». Il ne donne pas sa source mais qualifie le propos d’une « merveilleuse acrobatie logique inventée par Al Gore : la hausse des températures nous refroidit car la fonte des glaces de la banquise va provoquer l’arrêt du Gulf Stream qui maintient un climat tempéré sur les côtes européennes. Dans dix ans, dans vingt ans, nous aurons trouvé une autre explication pour calmer notre angoisse. Mais cette clef-là, pour l’instant, ouvre toutes les portes ; c’est un passe partout magique » (pp. 120-121)
Pascal Bruckner évoque avec humour la question du vivant, sujet de droit : « Enfin, dit-il, si la planète devient un sujet de droit, il faudra l’assigner en justice chaque fois qu’une avalanche, un glissement de terrain, un typhon, détruisent non seulement des communautés humaines, mais des espaces naturels protégés. » (p. 131)
« La nature, marâtre ou victime ? »
L’auteur dénonce le bucolique comme voie de reconstruction : « les aborigènes d’Australie, rappelle-t-il, comme les indiens d’Amérique du Nord, souvent présentés comme les archétypes d’une attitude « écologique » pratiquaient la chasse par le feu, détruisaient sans scrupules d’immenses territoires, anéantissaient les races animales incapables de résister. Sur  ce plan, et contrairement à notre vision attendrie, il n’y a aucune sagesse des peuples premiers ». (p. 141)
L’auteur cite le philosophe Lovelock, père de l’écologie en rappelant que ce qu’il l’effraie, « ce n’est pas le risque du pire, c’est la « menace du meilleur » selon la belle formule d’Etienne Barillier[1]. On touche là au vrai projet d’une écologie radicale : condamner l’homme de s’être révolté contre son sort pour embellir sa condition. » (p. 155)
A propos de la fin du monde, Pascal Bruckner cite le paléontologue  Daniel Raup: « Même si nous faisions sauter tout l’arsenal nucléaire, provoquant l’interruption de la photosynthèse et l’élimination du genre humain, la biosphère ne disparaitrait pas et la vie bactérienne continuerait, à peine affectée, comme elle s’est poursuivie après la chute de météorites géantes sur le globe. Nous n’avons virtuellement aucun pouvoir sur notre planète à l’échelle des temps géologiques… Ce n’est jamais la fin du monde, c’est toujours la fin d’un monde » (pp. 157-158).
A propos du principe de précaution, l’auteur souligne qu’il s’est transformé de « principe de suspicion », puis en « principe de conjuration » (p. 171). Il cite François Ewald qui va jusqu’à dire que ce principe « ne fonctionne pas comme une complication de la décision scientifique, mais plutôt comme une disqualification progressive de la science dans la décision »[2].
Pascal Bruckner a raison de dénoncer le machiavélisme des grandes industries qui se moquent des risques d’accident. « Dans une logique strictement économique, chaque accident coûte cher, en termes d’image et de finance et peut être fatal à un grand groupe (voyez Union Carbide disparue après Bophal et British Petroleum durement affectée par la marée noire du Mexique en 2009) » (p. 176)

Troisième partie : La grande régression ascétique
« L’humanité au régime sec ».
L’auteur est une fois encore cinglant quand il écrit : « Nos chevaliers de la décroissance vont déployer le talent oratoire des grands patrons du XIX° siècle expliquant à leurs ouvriers qu’un salaire trop élevé et des congés trop fréquents favorisent l’immoralité et l’ivrognerie et qu’ils devront se contenter de leurs galetas puants, de leurs paies de misère, de leurs horaires affolants » (p. 215)
Il ajoute que « nos Robespierre de la bougie… aux fins de nous défaire de nos mauvaises habitudes nous propose un « mouvement de transition, des sas de décontamination analogues aux cures de sevrage des alcooliques ou des héroïnomanes : on y apprend à se désaccoutumer de la dépendance au pétrole… » (p. 218)

Commentaires

On sent la dimension chrétienne qui manque à l’analyse de l’auteur. Il tombe dans des clichés assez classiques sur l’Eglise.
-    Ainsi, l’auteur évoque au détour d’une page l’affaire Galilée dont Michel Serres prétend qu’il a été obligé « d’abjurer sa théorie de l’héliocentrisme ». Cette référence a tord. Galilée n’a jamais abjuré le fait que la terre tournait autour du soleil. Comme les prix Nobel d’aujourd’hui, incontesté quand ils parlent de science, ils sont souvent condamnables pour des prétentions philosophiques absurdes. Galilée avait, lui aussi « dérapé », en concluant que puisque la terre, et donc l’homme, n’était plus au centre de l’univers, c’est que le Créateur n’attachait pas plus d’importance à l’homme qu’à une autre créature ! Grave erreur théologique qui lui valut sa condamnation.
-    Il reproche aux catholiques de faire peur à leur manière en dénonçant « l’absence de Dieu dans le monde contemporain.. »
-    Il tourne en ridicule les conservateurs en matière de mœurs (p. 113)

Comme on le sent à la lecture des citations ici reprises, l’auteur a du talent pour montrer le ridicule d’un certain écologisme. Ce qui manque c’est de sortir un peu de l’humour, pour expliquer le pourquoi de cette idéologie. Sans tomber dans l’écueil du complot, il serai en effet intéressant de savoir comment l’auteur expliquerait les intérêts et les fondements philosophiques de ces systèmes de pensée.
On aime toutefois sa conclusion : « L’écologie du désastre est d’abord un désastre pour l’écologie : elle use d’une rhétorique si outrancière qu’elle décourage les meilleures volontés » (p .273)


[1] « Contre le nouvel obscurantisme » (Edition Zoé, l’Hebdo, Genève 1995, pp. 71-72)

[2] François Ewald dans « Au risque d’innover » (Autrement, 2009)