Titre : « L'aide fatale »
Année de parution : juillet 2010
Auteur : Dambisa Moy
Editions : JC Lattès
Préface : Niall Ferguson, historien britannique
 
CV de l’auteur : :Née en 1969 à Lusaka en Zambie - Diplômée en économie d'Oxford et de Harvard- Carrière à la Banque Mondiale puis chez Goldman Sachs
Autres ouvrages :

Résumé

Moyo n’est pas la première à critiquer les programmes occidentaux d’aide aux pays africains, mais jamais le procès n’a été fait avec autant de rigueur et de conviction.Pourquoi, demande Moyo, la majorité des pays subsahariens se débattent-ils dans un cycle sans fin de corruption, de maladies, de pauvreté et de dépendance en dépit du fait que ces pays ont reçu plus de 300 milliards de dollars depuis 1970 ? Sa réponse est que les Africains sont pauvres précisément à cause de cette assistance.
Entre 1970 et 1998, quand le flux d’aide était à son maximum, le taux de pauvreté s’est accru de façon stupéfiante: il est passé de 11 % à 66 %.Pour Moyo, les prêts à des conditions très favorables et les subventions (pour les secours d’urgence) ont des effets comparables à la possession de ressources naturelles précieuses, c’est une sorte de malédiction, car ils encouragent la corruption et sont source de conflits tout en décourageant la libre entreprise. Moyo propose quatre sources de financement exempts des effets nuisibles. Utiliser des marchés internationaux d’obligations en tirant parti des rendements décroissants. Encourager la politique chinoise d’investissement dans les infrastructures. Se battre contre l’Europe et les Etats-Unis pour développer les exportations des produits alimentaires et les matières premières. Encourager les intermédiaires financiers, la micro-finance. Un livre qui suscite un débat très vif et très utile.

Plan général

Chapitre 1: Le Monde de l'Aide
- La mythe de l'aide
- Brêve histoire de l'aide
- L'aide ne marche pas
- L'Assassin silencieux de la Croissance

Chapitre 2: Un monde sans aide
- La république de Dongo
- Repenser radicalement le modèle de l'aide
- La solution: le capital
- Les chinois sont nos amis
- Place au commerce
- Une banque pour les exclus de la banque
- Faire advenir le développement

Commentaires

Les2ailes.com ont noté les idées intéressantes suivantes:

Chapitre 1: Le Monde de l'Aide
- La mythe de l'aide
Il existe trois types d'aide:
* l'aide alimentaire pour répondre à des catastrophes et des calamités
* l'aide charitable fournie par des organisations de bienfaisance sur le terrain
* l'aide systématique sous forme de transfert de gouvernement à gouvernement
C'est cette troisième catégorie qui est dénoncée par l'auteur

- Brêve histoire de l'aide
L'auteur rappelle que tout a commencé avec le plan Marshall qui, pensait-on, devrait avoir le même succès dans les pays du Sud qu'en Europe.
* La décennie 1960 a été celle des transferts (950 millions de $), sur des projets industriels de grande ampleur. Le bilan en matière d'infrastructures a été bien faible
* L'objectif de la lutte contre la pauvreté dans les années 1970 en finançant des projets ruraux (agricoles, sociaux, ...). A la fin des années 1970, l'aide s'élevait à 36 milliards de $. Malgré tout, le niveau de pauvreté a atteint des sommets.
* La décennie 1980: une période perdue pour le développement! La 2nde crise pétrolière, en pleine guerre Iran-Irak, exerça une pression financière insurmontable. On passa de l'aide aux prêts. La dette des pays du Sud explosa. On proposa des "restructurations de la dette" (réincarnation du modèle classique de l'aide), conditionnées par des réformes néo-libérales.  Le cycle infernal reprenait.
* Les années 1990: la question de la gouvernance! Il s'est agit de débarasser les économies de la corruption. Une autre obsession consista à établir la démocratie dans les PVD (pays en voie de développement). Malgré cela, tout le monde continua à prêter.
* Les années 2000: l'aide de prestige! Une armée de militants moralistes, d'acteurs de cinéma, ... et même Jean-Paul II, réclamèrent d'annuler la dette. Mais la dette fut remplacée par une gerbe de contributions d'assistance avec la perspective de dettes nouvelles.
Au total, 2.000 milliards ont été transférés en 50 ans des pays riches aux pays pauvres (dont 300 milliards $ déversés sur l'Afrique depuis 1970) ! "L'aide a été volée ou est restée improductive" (p. 64)

- L'aide ne marche pas
* On dit que cela résulte d'un déterminisme géographique (climat, sols,..)! Pourtant les ressources naturelles sont abondantes, et le climat en Arabie Saoudite n'a pas été insurmontable.
* On avance les facteurs historique, culturels ou mentaux. On accuse le colonialisme (frontières artificielles,...). Certes les frontières ont été arbitraires, mais le vrai problème culturel, c'est que "le modèle de dépendance de l'aide maintient le continent africain dans une perpétuelle enfance" (p. 70)
* On parle du tissu ethno-linguistique et des multiples tribus (1.000 tribus en zone sub-saharienne). Certes, la rivalité ethnique  engendre des guerres civiles de grande ampleur. Même en temps de paix, les méfiances paralysent les consensus politiques. Mais il ya eu des exemples de cohabitation aux Botswana, Ghana et Zambie!
* On parle d'absence d'institutions fortes (fonction publique, justice, police,..) qui sont seules garantes des investissements étrangers. Il en existe, mais face à la domination sans partage de la corruption, elles perdent toute leur efficacité.
Il y a dans ces raisons, certaines remarques recevables, mais la vraie raison c'est la dépendance vis à vis de l'aide internationale.  Il y a une véritable dépendance car l'aide a été conditionnelle (liée à des fournitures, à des emplois de personnels expatriés, à des projets sélectionnés, à des modèles économiques ou politiques.)
La démocratie a été le modèle imposé, mais il est faux de penser que seul un environnement démocratique serait en mesure de faire démarrer la croissance économique (p. 82).  Certes, elle protège le droit de propriété et le respect des contrats et bannit la corruption. Mais, "la vérité est que, loin d'être une condition préalable de la croissance économique, la démocratie peut être un obstacle au développement, à cause de la rivalité des partis et des divergences d'intérêts... Dans un monde idéal, ce dont ont besoin les pays pauvres, c'est d'un 'dictateur bienveillant' [Note de les2ailes.com: il s'agit d'un concept proposé par Hans Jonas] décidé à imposer les réformes nécessaires... ". L'histoire abonde d'exemples (Indonésie, Malaisie, Singapour, Taiwan, Thaïlande, Pérou et même Chili. "Je ne veux pas dire qu'il était plaisant de vivre dans le Chili de Pinochet, mais nous avons ici la démonstration que la voie démocratique n'est pas la seule qui conduise au succès économique" (p. 85). La démocratie "n'est pas le préalable de la croissance économique. Au contraire, c'est le développement économique qui est le préalable de la démocratie" (p. 86).
Pour qu'une aide soit efficace, il faudrait qu'elle soit orientée vers le bénéfice des intéressés. Pourquoi ne pas retenir, a minima, la formule recommandée par la Food Aid Conférence de 2005 à Kansas City d'orienter l'aide alimentaire vers les fermiers africains en autorisant (NDLR ou imposant?) que "un quart du budget de l'Unuted States Food for Peace soit utilisée pour l'achat de nourriture dans les pays pauvres plutôt que d'acheter seulement des produits alimentaires aux fermiers américains"? (p. 88)
L'auteur conclut ce point: "si l'aide était seulement inoffensive, ce livre n'aurait pas été écrit. Le problème est que l'aide est malfaisante... L'aide est le problème" (p.92)

- L'Assassin silencieux de la Croissance
L'assassin, c'est l'aide, véritable cercle vicieux:
* Elle a favorisé une corruption effrennée et ahurissante des hommes d'états africains.
Assistée par l'aide, la corruption nourrit la corruption.
* L'aide a tari les investissements nécessaires et perpétué le sous-développement.
* La corruption et la croissance? La perspective de gains malhonnêtes a un effet corrosif sur les consciences et pervertit le talent. 
* Alors, pourquoi les gouvernements occidentaux insistent-ils pour distribuer de l'aide? "Il existe une vraie contrainte de prêter.. La banque mondiale emploie 10.000 personnes, le FMI plus de 2.500, il faut en ajouter 5.000 autres pour les autres agences de l'ONU et ajouter les employés d'au moins 25.000 ONG enregistrées et l'armée des personnels des agences gouvernementales d'aide. AU total, 1/2 million de personnes soit la population du Swaziland!.. Tous sont impliqués dans les opérations de l'aide.... L'aide est leur gagne pain.... Les donateurs sont tétannisés  par la ... non utilisation de fonds dans l'année fiscale où leur dépense a été programmée. Toute somme non distribuée accroît la probabilité que les programmes d'aide seront amputés" (pp. 101-102). Par ailleurs, les donateurs sont incapables de se mettre d'accord sur les noms des pays qui sont ou ne sont pas corrompus.
* Il y a une "corruption positive" (argent réinvesti sur place) et "corruption négative" (argent placé à l'étranger). 
* L'aide et la société civile: L'Afrique a besoin d'une classe moyenne, intéressée à l'essor économique. Le rôle d'une société civile vigoureuse est de veiller à ce que le gouvernement soit tenu de rendre compte de ses actions. Mais l'aide étrangère affaiblit la société civile. 
* L'aide internationale ne renforce pas le capital social en encourageant la recherche de la rente
* L'aide internationale accroît la probabilité des guerres civiles. La perspective, en prenant le pouvoir, d'avoir accès aux richesses illimitées de l'aide est irrésistible. L'aide développe une culture militaire: tout président en exercice, dans son désir de s'accrocher au pouvoir, oriente vers l'armée une part des ressources avec l'espoir de s'assurer sa docilité.
* L'aide réduit l'épargne domestique et décourage les investissements privés
* L'aide est inflationniste. Et, ironie de la chose, on injecte des aides supplémentaires pour sauver la situation, et le cycle recommence. Les décideurs relèvent alors les taux d'intérêts ce qui réduit les investissements et les emplois.
* L'aide étouffe les exportations. En effet, les afflux de $ ce qui élève la valeur des monnaies locales qui sont limitées dans leurs émissions. Cela étrangle le secteur des exportations (p. 114). L'aide à un effet négatif sur la compétitivité.
* L'aide cause des goulots d'étranglements. Les économies n'ont pas la capacité d'absorber l'aide étrangère.
* L'aide amène les gouvernements des pays pauvres à perdre de vue le besoin de s'assurer des ressources fiscales stables. Moins d'impôts peu paraître positif, mais où seront les mécanismes fiscaux si l'aide venait à disparaître?


Chapitre 2: Un monde sans aide
- La république de Dongo
L'auteur développe son projet sur un pays imaginaire, une "république du Dongo" 

- Repenser radicalement le modèle de l'aide
* Certes les gouvernements ont besoin d'argent
* Certes, l'aide est une drogue et le sevrage ne sera pas aisé
Il faudra une réduction graduelle comme cela a été fait au Botswana.

- La solution: le capital
* L'auteur propose que les états émettent des obligations. Les obligations émises sur le marché sont fondamentalement différentes des prêts de l'aide. Certes, le taux est supérieur à celui des aides, l''échéance est plus courte (inférieure à 30 ans) que celle des aides (50 ans) et les sanctions en cas de défaut sont moins clémentes.
Mais l'accès aux marchés des obligations ne présente pas de difficultés particulières. Il faut obtenir une évaluation des agences. Il faut convaincre les investisseurs et montrer que le pays saura piloter  des investissements. Il y a une offre pour de véritables pays émergents. Les investisseurs sont à l'affut de bonnes occasions, de rendements élevés,  et d'opportunités de diversification de leurs actifs.
Certes également, il y a des risques de défaut. Mais d'une part, faire défaut se paie. Le pays peut ne plus figurer dans le classement des pays solvables. "Mais ce n'est pas la fin du monde. Les marchés de la dette sont indulgents et la mémoire des investisseurs est courte .. Aussi longtemps que l'emprunteur s'efforce de résoudre ses problèmes, ... son retour sur la marché est possible... Les marchés récompensent les réformateurs." (p. 144)... A condition de tourner le dos à l'aide!
* Mais les pays africains devront parallèlement développer leurs marchés domestiques d'obligations. C'est le préalable pour l'existence d'un marché boursier local. Cela peut aussi mettre le pays à l'abri des fluctuations monétaires nuisibles lors du remboursement des obligations internationales. La Banque Mondiale a lancé en 2007 un programme "GEMLOC" pour encourager ces opérations.
* Dire que l'Afrique ne peut pas utiliser ces marchés est faux. Les pays qui n'ont pas émis d'obligations ne l'ont pas fait parce qu'ils ne le veulent pas! Même la Turquie, classée BB comme le Gabon ou le Brésil, classé BBB comme la Namibie ont su collecter plus d'un milliard  $ en une seule émission!
Pour des pays plus petits, les pays africains pourraient mettre en commun leurs risques et former des coalitions à cette fin.

- Les chinois sont nos amis
* Les chinois entrent massivement en Afrique. Ils le font par le canal des 'investissement direct à l'étranger', c'est à dire "un investissement visant à acquérir un intérêt durable dans une entreprise opérant à l'extérieur de l'économie de l'investisseur" (définition de la conférence des Nations unies sur le commerce et le développement). Entre 2000 et 2005, les flux de l'IDE chinois ont totalisé 30 milliards. L'Inde, la Russie, le Japon, la Turquie et le Moyen Orient ne sont pas loin derrière.
* On critique la Chine pour ses arrières pensées de créer un tremplin pour la conquête du monde. Ce n'est pas déraisonnable de le penser. On l'accuse en matière de droits de l'homme et de ne pas prendre en compte les questions sociales ou écologiques. "Personne ne nie que la Chine ne soit présente en Afrique pour le pétrole, l'or, le cuivre... Mais affirmer que l'africain moyen ne tire aucun bénéfice de cette présence est un mensonge, et les critiques le savent" (p. 175).
* Une seule réserve: Les pays d'Afrique ne sont pas tous égaux en ressources naturelles et les montants de l'IDE varieront d'une frontière à l'autre. Pour ceux qui sont moins favorisés par la nature, il est une autre voie pour financer le développement.

- Place au commerce
Le commerce pourrait contribuer au développement, mais, le plus surprenant est que "les pays africains imposent un tarif moyen de 34 % sur les produits agricoles des autres nations africaines. Résultat, le commerce entre pays africains ne représente que 10% de leurs exportations toatales " (p. 187)
Malgré l'OMC, la part de l'Afrique dans le commerce mondial reste autour de 1%. Même l'Europe avec son accord "EBA " (Tout Sauf les Armes) n'a permis l'accès au marché de l'UE que de 0.02 % de son activité d'importation! La chine  offre une détaxation de 400 produits à l'importation et établit une véritable zone de coopération commerciale et économique avec l'Afrique.

- Une banque pour les exclus de la banque
Le modèle vient de Yunus, prix nobel, et de sa Grameen Bank! Il s'appuie sur la caution des communautés d'interdépendance et de confiance.
En 1995, Grameen est allé plus loin avec sa politique du "pas d'argent de donateurs, pas de prêt".
Le succès est tel que,en 2004, les banques traditionnelles avaient suivi en investissant 23 milliards £ dans agences spécialisées dans le micro-prêt.
Grameen estime à 300 milliards $ le marché potentiel dont seulement 10% est satisfait.

- Faire advenir le développement
Que se passerait-il si l'aide s'arêtait? Très probablement rien. L'Africain a touché le fond. Au contraire, il est probable que la vie économique s'améliorerait, la corruption chuterait, les entrepreneurs seraient plus nombreux, la croissance redémarerait.
Les gouvernements doivent établir des budgets et des plans de financement. Il faudrait réduire l'aide en 5 ans. Il faut aller chercher ses besoins en capitaux à l'étranger (commerce, IDE, obligations internationales, versements de l'étranger, micro-finance) et jouer à fond la carte de l'épargne locale. Il faut également renforcer les institutions avec l'obligation de rendre des comptes.
"Bien entendu, rien ne peut empêcher un mauvais gouvernement de faire un mauvais usage de l'argent... mais ils ne s'en tireront qu'une fois" (p 226).
Quant aux donateurs occidentaux, il faut qu'ils renoncent à entretenir une véritable industrie de l'aide et doivent calmer les esprits de leurs fermiers qui sont certes vulnérables quand les barrières commerciales sont supprimées. Pourquoi les opinions occidentales acceptent-elles qu'on jette leur argent par les fenêtres?
Pourquoi, dans une période de transition, ne pas mettre en place des "transferts d'argent conditionnels" en contournant les gouvernements avec des paiements faits pour motiver les pauvres à accomplir des tâches comme la fréquentation scolaire,  le travail de plusieurs heures, la visite au docteur,...) [NDLR, malheureusement, on imposerait des critères de santé reproductive et des programmes éducatifs plus ou moins mortifères]

Une thérapie de choc qui peut paraître draconienne!