Pour empêcher la transmission de certaines maladies rares, l’Angleterre a autorisé le 3 février 2015 une technique qui permet la conception d’un bébé à partir de trois parents différents. Cette technique franchit-elle une nouvelle limite ? Revient-elle à une forme d'expérimentation en direct sur l’homme si les chercheurs n'ont pas vraiment la certitude des conséquences biologiques et psychologiques de leurs manipulations sur l’enfant qui pourrait en résulter. De quoi s'agit-il ?

Analyse publiée dans « Actuailes n°31 »

De quoi s'agit-il ?

Quel est le contexte qui a conduit à la décision anglaise ?

Beaucoup de maladies connues autrefois étaient transmises par des microbes qu’on est parvenu à combattre avec les médicaments. Avec les progrès de la science, on a découvert que d’autres maladies s’expliquaient par des caractéristiques transmises dès la naissance. Ces caractéristiques, inscrites dans ce qu’on appelle les gènes se transmettent de parents à enfants. On les appelle des caractères héréditaires. Les gènes sont localisés dans un petit noyau, au milieu des cellules reproductives du père, appelées spermatozoïdes, ou de la mère, appelées ovocytes. Le progrès de cette science, qu’on appelle la génétique, conduit certains médecins à utiliser tous les moyens pour éviter la maladie en « jonglant » avec les gènes, au lieu de guérir la maladie.
Le plus souvent, les maladies génétiques, comme la trisomie, sont des accidents des gènes qui sont dans le noyau des cellules reproductives. Mais il y a aussi des maladies qui viennent de caractéristiques localisées dans la cellule, en dehors du noyau, dans ce qu’on appelle les mitochondries. Ce sont des sortes d’usines qui fabriquent des éléments chimiques indispensables à la vie. Il peut arriver que cette transmission mitochondriale présente un désordre qui va causer une maladie mitochondriale chez l’enfant. On peut expliquer ainsi certaines maladies musculaires qu’on appelle des myopathies mitochondriales.
Certains chercheurs ont donc imaginé que des enfants pourraient avoir trois parents en utilisant l’hérédité de trois parents :
- le spermatozoïde du père
- le noyau de la mère qu’on a retiré de son ovocyte
- l’ovocyte d’une seconde femme après en avoir retiré le noyau.
Le noyau et l’ovocyte sont reconstitués pour faire un nouvel ovocyte qui a deux mères comme origine. Celui-ci est ensuite fusionné avec le spermatozoïde du père. C’est ce qu’on appelle une Fécondation in Vitro (FIV)

Quelles sont les questions qu’il faut se poser ?

Pour aller plus loin que la technique, il faut se poser quelques questions:
- Des risques techniques existent-ils?
Certains experts parlent de risque de malformations de l’enfant à cause des techniques utilisées par la FIV. Mais, même si les risques étaient nuls cela n’empêcherait pas de devoir se poser d’autres questions.
- L’utilité est-elle un objectif absolu ?
Ce n’est pas parce qu’une action est utile qu’elle est bonne. Il existe un proverbe : «Tout but ne justifie pas les moyens pour l’atteindre ».
- L’acharnement procréatif est-il une technique proportionnée ?
Le désir d’avoir un enfant est naturel chez les parents. Mais la transmission de la vie est inscrite dans la nature et ses lois demeurent comme une norme non écrite à laquelle tous doivent se référer.
- Le sens du don de la vie est-il présent avec la technique ?
Une technique n’est ni bonne ni mauvaise. Elle n’est que ce que l’homme en fait. Dans le don de la vie, les parents unissent leur corps par un amour fécond qui donne la vie. Que devient le sens de la vie si elle est soumise à la puissance de la technique ? Certains parents regrettent que toutes ces étapes techniques finissent par leur faire plus penser au médecin qui les conduit qu’à leur amour mutuel qui les unis. Le médecin est au service des gens et de la procréation humaine: il n’a pas le droit de disposer d’elles ni de décider à leur sujet.
- La sélection des vies en fonction de la qualité de leurs gènes est-elle légitime ?
Vouloir sélectionner des enfants en fonction de leurs gênes revient à une pratique qu’on appelle l’eugénisme. Pourquoi ne pas sélectionner en fonction des gènes qui sont à l’origine de la race ? Entre eugénisme et racisme, il y a une frontière très légère.
- La psychologie des enfants sera-t-elle influencée par le fait d'avoir trois parents?
Pour des parents, le désir légitime d’avoir des enfants en bonne santé est légitime. Mais le risque existe que l’enfant, en grandissant, découvre qu’il y a un écart entre ce qu’il est et ce dont les parents rêvaient. 

Conclusion

Cette technique risque de faire qu'un enfant ne sera plus le fruit d'un amour d'un père et d'une mère, mais un "bébé-produit", qui a été mis au point dans un laboratoire comme un autre produit est testé en laboratoire pour ses qualités..

Pour aller plus loin...

a) Les risques techniques d'une FIV à trois parents sont-ils nuls ?

Il existe également une hérédité mitochondriale dans le spermatozoïde du père. Elle est localisée dans la « queue » du spermatozoïde qu’on appelle le flagelle. Or dans la fécondation naturelle dans le corps de la maman, le flagelle tombe au moment de la fécondation. Naturellement, l’hérédité mitochondriale vient donc toujours de la mère. Dans le cas d’une FIV, tout le spermatozoïde est injecté dans l’ovocyte avec une hérédité mitochondriale du père.
Un grand spécialiste, Axel Kahn, a expliqué que les enfants nés par ce procédé « semblaient rencontrer davantage de problèmes de santé que les autres »[1]. La technique de FIV n’est donc pas sans risque. 

[1] Axel Kahn, généticien, lors de son audition devant le Sénat le 25 juin 2008.

b) La psychologie des enfants nés de trois parents sera-t-elle indemne ?

Pour des parents, il y a toujours un désir légitime d’avoir des enfants en bonne santé. Mais le risque existe que, si des parents rêvent d’un enfant sans maladie physiques, ils pourraient rêver d’un enfant sans défauts psychologiques, qui ne soit ni colérique, ni menteur, ni égoïste. L’enfant risque de se dire un jour: mes parents ne m’aiment pas tel que je suis mais tel qu'ils auraient aimé que je sois.
On comprend qu’il doit exister une forme d'égalité qui doit être commune aux parents et aux enfants. Or dans ces techniques, il peut y avoir un déséquilibre entre l’embryon qui ne mériterait pas un plein respect dans la mesure où il entre en concurrence avec un désir d’enfant sain qu’il faudrait satisfaire. 

c) L’utilité est-elle un principe d'action ?

Ce n’est pas parce qu’une action est utile qu’elle est bonne. L’objectif d’avoir un enfant sans une maladie mitochondriale justifie-t-il qu’un enfant ait trois parents ? Serait-il raisonnable de vouloir avoir une enfant sans maladie ?
Certes nos actions doivent être efficaces. C’est une question de pratique. Mais il y a une différence entre une pratique et un principe. Une pratique n’est bonne que si elle ne contredit pas un principe fondamental comme, par exemple, la dignité d’un autre être humain.
Concrètement, peut-on dire qu’il y a des maladies qui portent, plus que d’autres, atteinte à la dignité d’une personne ? On a déjà vu comment définir la dignité d’une personne. (Relire ce lien) Si on place l’utilité comme un principe, on finirait par chois un embryon comme on choisirait un outil, en fonction de son utilité.

d) Conclusion 
La technique des bébés à trois parents entraînera une modification génétique qui se transmettra de génération en génération lorsque le bébé grandira et aura lui-même des enfants. Cela nécessite d'être très prudent.

Pour approfondir...

Quels sont les principales étapes techniques d’une FIV à trois parents ?

Étape 1- Le prélèvement d’ovocyte

Les ovocytes sont prélevés dans les ovaires de la future mère et de la seconde femme. Ces prélèvements sont douloureux. C’est pourquoi, étant donné le risque d’échec dans les étapes suivantes, on prélève plusieurs ovocytes chez chacune des femmes

Étape 2- L’énucléation

On extrait les noyaux de tous les ovocytes.
- Les noyaux de la seconde femme sont détruits, et ceux de la future mère sont conservés.
- Les cellules énuclées de la mère sont également détruits, seules étant conservées celles de la seconde femme

Étape 3- Les transferts de noyaux

Les noyaux de la mère sont transférés dans les cellules énuclées de la seconde femme. On dispose alors de nouveaux ovocytes ayant deux mères biologiques


Étape 4- Le recueil de sperme

Le sperme du futur père est recueilli.

Étape 5 - La fécondation in vitro (FIV)

La fusion d’un spermatozoïde avec un ovocyte, qu’on appelle la fécondation, est faite en laboratoire.
On féconde en général plusieurs ovocytes en cas de besoins ultérieurs. En effet, les ovocytes non fécondés sont souvent plus difficiles à conserver au froid. En effet, le froid fait geler l’eau contenue dans les ovocytes, et les cristaux de glace peuvent provoquer des dégâts sur l’ovocyte.

Étapes 6 et 7 - Diagnostic et sélection

Après la fécondation, les ovules fécondés grandissent vite pour devenir des embryons. On effectue, alors un diagnostic pour choisir les embryons en fonction d’autres critères, par exemple qu’ils ne sont pas porteurs d’autres maladies comme la trisomie.
En fonction du diagnostic, on décide de détruire ceux qui sont rejetés, ou d’en congeler d’autres pour faire l’objet de recherches médicales. Ces embryons deviennent des sortes de matériels de laboratoire.

Étape 8 - L’implantation dans l’utérus de la mère

On implante ensuite les embryons sélectionnés dans l’utérus de la future mère. Généralement on en implante plusieurs car cette implantation ne réussit pas toujours. Si les deux ou trois embryons implantés se développent, on pourra assister à la naissance de jumeaux ou de triplés. Mais il arrive que les parents demandent à ce que soit pratiquée une réduction du nombre d’embryon. Ce sont alors les techniques habituelles de l’avortement qui sont utilisées...


Gène

Le mot vient du grec genos qui signifie naissance. C'est une unité de base d’information biologique qui se transmet de génération en génération.

Héréditaire

Mot venant du latin hereditarius qui qualifie ce qui passe d'une génération à l'autre

Cellule

Vient du mot latin Du latin cellula (« cellule de moine »). Ce mot désigne donc une unité de vie très petite. Un moine vit dans une chambre toute petite. En biologie, on utilise se mot pour désigner une unité vivante très petite. Notre corps est constitué de qui vive, meurt et se reproduisent. Elles sont tellement petites qu'un corps humain compte un milliard de milliards de cellules. Les cellules peuvent avoir plusieurs missions. Certaines qu'on appelle reproductive, ont pour mission de se fusionner l'une à l'autre pour donner naissance à un nouvel individu.

Spermatozoïde

Mot composé des mots grecs sperma et zoïde, littéralement « graine animée ». C'est le nom donné aux cellules reproductrices mâles qui pourra féconder une cellule reproductrice femelle.

Ovocyte

Vient du latin ovum (« œuf ») et du grec kutos (« cellule »). C'est la cellule reproductrice femelle qui pourra être fécondée par une cellule mâle pour devenir un "ovule" qui se développera pour devenir embryon. 

Génétique:

C'est la science des gènes (voir ce mot).

Trisomie

Mot venant des mots grec treîs, « trois », et sôma, « corps ». C'est une maladie génétique résultant du fait que les cellules du malade ont un gène (n°21) en trois exemplaires au lieu de deux habituellement.

Mitochondrie:

Vient des mots grecs  mitos (« fil ») et chondros (« grain »). Ce sont de petits organes intérieurs à la cellule qui ont la forme de petits fils ou de petits grains. Ils récupèrent l'énergie contenue dans les aliments qui nourrissent les cellules vivantes. On les compare quelquefois à de petites usines à l'intérieur ds cellules.

Myopathie:

Mot formé des éléments muos ("muscle") et pathos ("souffrance"). C'est une maladie qui atteint les nerfs des muscles et provoque leur dégénérescence. La maladie apparaît chez les enfants dès l'âge de 5 ans.

In Vitro:

Du latin in vitro ("dans le verre"). Se dit d'une opération qu'on effectue dans le "verre" d'éprouvettes en laboratoire, c'est à dire en dehors du corps vivant.

Procréatif:

Vient du latin procreare "produire". S'utilise en général pour l'action d'un vivant qui veut se reproduire, par exemple en ayant des descendants. 

Eugénisme:

Le mot vient du grec genos qui signifie naissance. C'est un système de pensée qui consiste à tuer des êtres humains en fonction de leurs caractéristiques génétiques, la race, ou une autre caractéristique génétique.

Racisme :

Le racisme est une conviction qu’on peut classer les êtres humains en fonction de leurs races en se basant sur des critères physiques. Cette doctrine peut s'accompagner de sentiments de haine ou de mépris pouvant aller jusqu'à des violences sur les personnes.

Fécondation

Vient du mot fecundus "fécond". C'est l'union de deux cellules reproductives mâle et femelle pour donner un oeuf appelé à se développer.

énucléation

Opération consistant à enlever le noyau de quelque chose, par exemple d'un fruit, ou d'une cellule vivante.

Flagelle:

Du latin flagellum "fouet". En biologie, certaines cellules, comme les spermatozoïde, sont munis d'un filament qui, en s'agitant, permet leur déplacement, un peu comme des palmes qui fouettent l'eau pour faire avancer un nageur. 

Embryon

Vient du mot grec bruo "grandir". On qualifie d'embryon quelque chose qui est à l'état naissant. En biologie, après la fécondation d'un ovule, le petit être vivant devient un embryon, jusqu'à ce qu'il devienne, un peu plus tard, un fœtus.