De nouvelles inondations ont causé des morts dramatiques le 30 novembre 2014. L'actualité est passée à d'autres sujets, mais il faut prendre du recul et maintenant, analyser les événements à tête reposée.

S’agissant des conséquences, il est clair que les constructions qui se sont développées de manière anarchique dans les zones à risques, ont aggravé le risque de drames humains et alourdi le montant financier des dégâts. Mais il faut aussi remonter aux causes. La cause est-elle seulement météorologiques?

Dans l’analyse des catastrophes, on réalise toujours qu’il y a un enchaînement de causes. Quelles sont-elles? 

Analyse publiée dans « Actuailes n° 28 »

De quoi s'agit-il ?

Quelles sont les causes de ces inondations? On a beaucoup parlé des conditions météorologiques. Le réchauffement climatique a été invoqué. Mais la pluie n’est pas la cause première de telles calamités naturelles. Elle n’est que le facteur déclenchant de causes bien connues et qui ont été complètement négligées au fil du temps.

Il y a un enchaînement de causes.
- En amont, les retenues d’eau destinées à réguler les cours d’eau sont insuffisantes.
- Plus en aval, de graves défauts d’entretien des berges et du profil des rivières freinent l’écoulement. Plus les rives sont rectilignes et lisses, plus l'eau coulera facilement. Quand des arbres poussent en désordre sur les berges, ils risquent d'être arrachés pendant les crues, d'être entraînés par le courant, de se bloquer sous un pont, et de provoquer des phénomènes de mini-barrages ralentissant encore plus l'écoulement de l'eau. Les agriculteurs jouent un rôle très important dans l'entretien d'une rivière.
- À l’embouchure, l’accumulation des alluvions sans travaux de dragage empêche les eaux de s’évacuer vers les océans. En effet, l’écoulement des eaux n’est pas seulement freiné par le défaut d’entretien des berges et par l’absence de retenues d’eau en amont. Quand l'eau arrive à l'embouchure, près de la mer, elle ralentit pour deux raisons: la pente est moins grande, parce que les embouchures sont dans des zones de plaine. Mais également parce que c'est à l'embouchure que s'accumulent les alluvions. L'eau se heurte à ces petites buttes de terres invisibles sous l'eau, freinant l'eau qui arrive. Il faudrait donc nettoyer les embouchures, mais ces opérations sont coûteuses et sont de moins en moins pratiquées.Tout ceci montre que les inondations s'expliquent par une accumulation de causes. Une seule cause n'explique pas tout.

Au delà de ces causes, il faut comprendre que les conséquences sont d'autant plus graves que de plus en plus de personnes ont construit leur maison en bordure des rivières, dans des zones dangereuses notamment. Ces constructions s'accompagnent de mises en place de trottoirs partout, de bétonnage des rives, etc. L'eau ne peut plus s'infiltrer dans les sols et les égouts pluviaux viennent augmenter le volume d'eau à évacuer par les rivières. Le coupable est donc double : les défauts d'entretien des rivières et une forme d'attraction des habitants pour la vie près de la nature… avec les avantages de la ville.

Pour aller plus loin...

Quand il y a un enchaînement de causes, il est toujours difficile de savoir laquelle est la plus importante pour expliquer un phénomène. Essayons, malgré tout, d'approfondir les causes.

a) Le changement climatique est-il la cause des inondations?

Certes les pluies importantes de fin novembre dans le sud de la France ont été un facteur qui a déclenché les inondations. Reste à savoir si ces pluies ont eu un caractère exceptionnel? Pour le savoir, il faut étudier les statistiques sur de très longues périodes.
un météorologue, Hervé Douville, chercheur à Météo-France, a bien souligné que, concernant les précipitations, il y a « très peu d'éléments sur l'impact du changement climatique sur la durée des événements ».

b) La nécessité d'entretenir les berges d'une rivière

Moins on entretient les berges*, plus le profil des rivières va freiner l’écoulement.
La question se pose alors: pourquoi ne le fait-on pas?
Il y a plusieurs raisons. Le coût économique est important, mais ce n'est pas la seule raison.
Depuis une dizaine d'années, des lois ont été mises en place pour protéger la faune et la flore dans et au bord des rivières. Il est souvent interdit d'intervenir avec des machines pour entretenir les berges. Par ailleurs, il y a de moins en moins d'agriculteurs qui, il y a 50 ans, assurait régulièrement ce travail. Voyons cela en détail.

- Les lois écologiques protègent-elles les poissons plus que les hommes?.
C'est le "code de l'environnement", et en particulier son article L. 215-15, qui rend difficile les travaux d'entretien: ils ne sont autorisés que sous réserve d'être conformes à des modalités très précises. Il faut établir un plan, le soumettre à une autorisation de travaux. Les machines doivent intervenir en restant sur la berge sans descendre dans le lit de la rivière. Et quand il faut se résoudre au curage d’une rivière, l’opérateur doit faire la preuve que les dépôts ou d’épandage des boues de curage ne vont pas polluer les sols où elles seront déposées. Trop de contrôles exaspèrent les riverains et les communes concernées.
A Fréjus, des élus municipaux se sont plaint auprès des sénateurs qu’ « un des points les plus problématiques réside dans la "police de l'eau". Certains exploitants ont même été verbalisés pour avoir entretenu des berges, par exemple en taillant des arbres plongeants ».
On peut se réjouir que les lois protègent les poissons d'une rivière et les grenouilles le long des berges. Mais on peut se poser des questions: les conséquences sur l'homme ne sont-elles pas pires que sur les poissons?

- L'exode rural
Vers 1960 les vallées étaient cultivées jusque dans les moindres détails. L'âge aidant, les agriculteurs exerçant dans ces années-là ont progressivement cessé leurs activités et ont pratiquement disparu. [...] Jusqu'à la moitié des années 1970, le lit des rivières étaient totalement vierge de toute végétation. De part et d'autre de ce lit, la végétation était souvent coupée et les berges nettoyées puisqu'elles étaient cultivées. Avec la disparition des agriculteurs, les berges se sont progressivement “végétalisées”, et les arbustes sont apparus dans le lit de la rivière.
Or l'exode rural — causé dans toutes les régions méridionales de la France par la mondialisation — est un phénomène bien connu.
Les agriculteurs sont quelquefois critiqués, parce qu'ils seraient responsables de pollutions, d'utilisation de grandes quantités d'eau, etc. Mais ce sont pourtant les agriculteurs qui ont façonné les paysages que nous aimons admirer. Ce sont eux qui les entretiennent. C'est un métier difficile et fatiguant. Il faut les encourager plutôt que de leur faire des reproches. Ils essaient de survivre dans des conditions économiques difficiles.
L'entretien des paysages a une valeur économique, mais les agriculteurs ne sont pas rémunérés pour ce service qu'ils rendent à toute la société. Il faut veiller à ce que la concurrence mondiale entre tous les systèmes agricoles ne fassent pas disparaître les agriculteurs et les paysages en même temps! 

c) La nécessité de construire des retenues d'eau

On a beaucoup critiqué la construction d'une retenue d'eau à Sivens. Dans un article de Actuailes n°25, on expliquait que ce type de barrages avait pourtant une utilité pour assurer, pendant l'été, un niveau minimum des rivières qui sont souvent presque asséchées.
Mais personne n'a parlé de l'avantage qu'il y aurait à stocker l'eau pendant l'automne et l'hiver. Or les lacs de retenues sont vides à la fin de l'été et toute l'eau qui s'y accumule, aux premières pluies, est de l'eau en moins qui n'iront pas déborder dans les vallées.
Les parisiens connaissent bien cet avantage. En amont de la Seine, de grandes étendues d'eau sont stockées évitant des crues. En 1910, une crue dramatique avait inondé Paris, faisant des dégâts estimés à 400 millions de francs-or, soit l'équivalent de plus d'1,6 milliards d'euros.
Sans ces retenues en amont, de nouvelles crues seraient encore survenues.
Il faut donc encourager ces travaux également dans les rivières du sud de la France.

d) La nécessité de draguer aux embouchures dans la mer

Aux embouchures, l'eau est ralentie par les alluvions. On a vu ce phénomène lors des inondations de 2013 en Bretagne. Or, il n'y a pas si longtemps, existaient de nombreux ports blottis au fond des estuaires qui se sont progressivement établis à l'embouchure des rivières. La navigation de toute une flotte d’embarcations de commerce a disparu. Ces activités justifiaient des travaux de dragage.
Comment faire pour financer ces travaux maintenant que l'activité économique a disparu?
Malheureusement, lorsque la décision est prise, on voit souvent encore les associations de défense de l'environnement s'y opposer. On l'a vu à l'embouchure de la rivière de Crac’h, dans le Morbihan. En dix-sept ans, le niveau de la vase a ainsi atteint une hauteur de 2 m en certains endroits et il ne restait que 80 cm de tirant d'eau. Il a été décidé, en 2008, de mener une opération de nettoyage portant sur 65 000 m3 de vase. Les boues devaient être déposées dans une zone marine où le chalutage était interdit. Malgré tout, les ONG locales se sont opposées au dépôt des vases au large. Une fois encore, il faut veiller à ne pas défendre les écrevisses plus que les hommes. 

e) La multiplication des constructions dans les zones inondables

De nombreux retraités viennent construire leur maisons à la campagne pour ne pas avoir les inconvénients de la ville.
Pour ne pas se heurter à ce désir des populations, les élus acceptent souvent des autorisations de construire là où les générations précédentes ne es auraient jamais acceptées. On en arrive à l'absurdité d'un état qui accepte des plans d'urbanisation et, après des catastrophes, impose la destruction des maisons.

Conclusion

Il faudra un jour arriver à harmoniser écologie et économie et accepter de se tourner vers le futur, alors que, souvent, l'écologie voudrait mettre l’environnement comme sous une cloche sans toucher à la nature. Il ne faut pas faire de la nature un musée au mépris de l’homme.

Pour approfondir...

Est-on sûr de la cause humaine Les aléas climatiques peuvent-ils provoquer un aggravation des intempéries ?

Au moment des inondations dans le sud de la France, les médias ont répété que l’année 2014 avait battu un record de chaleur. Il était tentant de penser que cela pouvait expliquer des tempêtes et des pluies importantes.
En fait, il est assez simple de regarder la courbe des températures depuis 15 ans. Ces chiffres sont tous issus de centres de recherches reconnus par le Groupe international des experts du climat (Giec). Ils confirment qu’un maximum n’est pas, en soi, la confirmation d’une tendance. Depuis 2000, elles plafonnent nettement.
On retrouve ici les arguments développés dans l’article paru dans « actuailes n° 26 » sur le "sommet de Lima". On peut y ajouter que même le « résumé pour les décideurs » publié par le Giec écrit que « il n’est pas possible à ce jour de dire quelle est la meilleure estimation de la sensibilité climatique, du fait des discordances entre les valeurs résultant des diverses études et propositions de démonstration[1]. ». L’aveu vient donc du GIEC lui-même : il n’y a pas de consensus. Il y a des discordances entre les experts !
Dès lors, il serait bien délicat de dire que les intempéries augmentent avec le réchauffement climatique.

[1] "No best estimate for equilibrium climate sensitivity can now be given because of a lack of agreement on values across assessed lines of evidence and studies" (Source IPCC - Climate Change 2013 - The Physical Science basis- Résumé pour les décideurs - Working Group I - Contribution to the 5th assessment report of IPCC - § Quantification of Climate System Responses: Page 14, section D2, deuxième puce)

Pourquoi y a-t-il de moins en moins d'agriculteurs ?

Le nombre d’agriculteurs est passé de 6,2 millions de personnes en 1955 , à seulement 1,3 million de personnes en 2000.
La raison est essentiellement économique, c’est à dire causée par des déséquilibres entre le prix de vente des produits agricoles et leurs coûts de production. On peut en distinguer trois déséquilibres :

a) Déséquilibre entre le coût de production des agriculteurs entre eux.
La performance n’est pas forcément d’un agriculteur à l’autre. La concurrence conduit alors, le plus performant à vendre moins cher que son voisin. Le prix baisse, mais le moins performant voit alors ses bénéfices se réduire. Beaucoup d’agriculteurs, dans les années 1970 ont été obligés de trouver un autre travail en ville en complément de leur activité agricole. Arrivés à la retraite, leurs enfants sont restés en ville préférant une activité moins pénible. 

b) Déséquilibre entre le coût de la terre et les autres coûts.
Dans le coût de production, on distingue les coûts proportionnels et les coûts fixes. Les coûts proportionnels sont par exemple les semences, l’engrais, les produits de soins aux plantes (qu’on appelle phytosanitaires). Plus un agriculteur a une surface importante, plus il doit dépenser des coûts proportionnels. Au contraire, les coûts fixes sont indépendants de la surface cultivée par l’agriculteur : S’il achète la ferme de son voisin, il n’est pas obligé d’embaucher plus d’ouvriers agricoles, ni d’acheter un tracteur supplémentaire, ni un bâtiment supplémentaire. C’est pour cette raison qu’un agriculteur a toujours intérêt à augmenter sa surface, surtout quand il s’agit de la ferme de son voisin moins performant. On voit ainsi le nombre de fermes diminuer, et le nombre d’agriculteur également.

c) Déséquilibre entre le prix de vente et le coût de production.
Depuis 1968, l’Union européenne avait mis en place une « politique agricole commune » (aussi appelé le marché commun agricole ». Pour éviter que des concurrents étrangers, américains par exemple, ne viennent faire baisser les prix, l’Europe avait obligé les importateurs à payer une taxe, appelée droit de douane. Cette taxe permettait aux agriculteurs européens de vendre à un prix plus élevé aux consommateurs et, ainsi, de ne pas perdre d’argent entre le prix de vente et leurs coûts de production. Ces frais de douane étaient, en quelque sorte, une subvention payée par les consommateurs.
Avec la mondialisation, ce type de subvention a été progressivement interdite pour obliger les agriculteurs à baisser leurs coûts. Les agriculteurs les moins performants, en particulier dans les zones de montagne ou les plus pauvres n’ont, à nouveau, pas pu résister à la concurrence du lait de Nouvelle Zélande, du mouton argentin, ou du sucre brésilien. On assiste donc à une nouvelle étape dans l’exode rural. 

d) Conclusion.
Ces phénomènes sont bien sûr graves pour les agriculteurs européens. Mais la situation est encore pire pour les agriculteurs des pays pauvres d’Afrique par exemple ! Il faudrait au moins autoriser les taxes douanières dans les pays les plus pauvres, pour les protéger contre les plus riches (USA, Europe ou Brésil).


Anarchique:

Se dit d'une situation désordonnée.

Berges / Rives:

Bord d'un cours d'eau ou d'un lac. La berge est souvent en pente, souvent escarpée, formée naturellement ou construite par l'homme. On parle aussi de "rives"

Crue:

La crue est une augmentation du débit et donc de la hauteur d'eau en écoulement d'un cours d'eau. Elle provoque un débordement de son lit et une inondation de zones plus ou moins éloignées des rives, dans une zone inondable.

Alluvions:

Les alluvions sont des dépôts plus ou moins gros, tels du sable, de la vase, de l'argile, des galets, du limon ou des graviers, transportés par de l'eau courante. Les alluvions peuvent se déposer dans le lit du cours d'eau ou s'accumuler à l'endroit où la vitesse d'écoulement ralentit.

Dragage/Curage:

Opération consistant à traîner un engin (une (drague") servant à racler le fond (de la mer, d'un lac, ou d'un fleuve, etc.) pour recueillir ou ramasser quelque chose (par exemple du poisson) ou pour nettoyer (la vase d'une embouchure ou d'un étang).

Urbanisation:

Action d'urbaniser, de donner les caractères de la ville.

Faune / Flore:

Dans un espace géographique, on parle de faune pour désigner l'ensemble des espèces animales présentes et de flore pour désigner les espèces végétales.

Exode rural:

L'exode rural désigne le déplacement progressif de populations quittant les zones agricoles pour aller s'implanter dans des zones proches des villes, souvent pour des raisons économiques.

Code de l'environnement:

Un code est un ensemble de textes juridiques. Il en existe un qui précise les règles de protection de l'environnement.

Verbaliser:

Énoncer des raisons ou des faits pour les faire mettre dans un procès-verbal. Les faits décrits, s'ils sont en infraction avec les codes ou lois, peuvent donner suite à un procès ou une amende.

Chalutage:

Un chalutier est un bateau de pêche qui doit son nom au filet , un "chalut", qu'il traine, en général en profondeur.