La  Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements a publié le 15 juin 2017 une « lettre circulaire aux Évêques sur le pain et le vin pour l’Eucharistie ». Il y est spécifié que « la matière eucharistique préparée avec des organismes génétiquement modifiés peut être considérée une matière valide ».
Autrement dit, les OGM ne sont pas considérés comme une « corruption » des espèces eucharistiques au sens du droit canon.
Voilà donc contredit l’Appel aux évêques pour l'écologie, publié le 2 novembre 2011 dans La Vie.fr.  On y lisait que « des hosties et du vin de messe issus de l’agriculture biologique est un premier pas essentiel ». Ce texte était issu de la rencontre de chrétiens réunis lors de la Fête de la Nature le 21 mai 2011 et signé par de nombreuses personnalités dont François Euvé s.j.
D’autres chrétiens sensibles à l’écologie avaient déjà rappelé que « le vin ne doit pas être corrompu » et ajouté qu’ « il faudra sans doute un jour s’interroger sur la notion de “substances étrangères” concernant le vin naturel ».  De là à conclure qu’il faudrait offrir du pain et du vin en « label bio », il n’y a qu’un pas que des chrétiens militants à sensibilité écologiste sont près à franchir. Pourquoi ne pas aller jusqu’à recommander l’usage d’eau distillée pour éviter l’usage d’eaux polluées dans un sacrement? La problématique peut paraître relever de bons sentiments, mais que dit précisément le droit canon ?
Il nous parait bon de rappeler le sens du mot « corruption » dans le droit canonique.

Source : Prot. N. 320/17

Commentaire : "les2ailes.com"

Un autre document du Vatican, « Redemptionis Sacramentum », faisait en 2004 explicitement référence (sa note 127) au code de droit canonique. Il y est, effectivement indiqué que  « le vin ne doit pas être corrompu ». Une analyse rapide de l’histoire du code de droit canonique  devrait couper court à ceux qui comprennent mal le vocabulaire utilisé par l’Église au point de proposer d’offrir « du pain et du vin label bio » dans l’eucharistie. C’est l’usage de phytosanitaires que certains voudraient condamner puisqu’il serait impossible d’en offrir les fruits lors de l’eucharistie !

On risquerait fort de mettre nos pauvres idéologies au cœur de l’eucharistie.
Pourquoi ?

D’abord parce que le code de droit canonique retenu (article 924) est celui de 1983[1] et que sa rédaction est pratiquement la même que celle du code de 1917 : « Le vin doit provenir naturellement de la vigne et ne pas être corrompu » (art 815)[2]. Or les phytosanitaires n’existaient pas à cette époque. Et en 1917, le pain offert devait être fait avec des blés,  autrement plus qu’aujourd’hui, pollués de mycotoxines mortelles!

Alors de quelle « corruption » s’agit-il ?

On peut remonter sans difficulté au « décret de Gratien » rédigé entre 1140 et 1150 et au code « corpus juris canonici » de 1582, suivant de peu le concile de Trente qui ont fait autorité jusqu’au code de 1917. On voit alors que cette évocation d’ajout de “substances étrangères” dans le pain et le vin n’a rien à voir avec les phytosanitaires mais concerne « l’espèce » offerte. Ce qui était en cause remonte à des « corruptions » autrement plus graves dont parle Saint-Augustin :

  • celles des artotyrites en Galatie qui  offraient  du pain et du fromage, sous prétexte que les oblations célébrées par les premiers hommes le furent avec des produits de la terre et des brebis.
  • ou celles des cataphrygiens et des pépuziens, en Phrygie, qui célébraient leur eucharistie en faisant du pain avec du sang de petits enfants, qu'ils tiraient de tout leur corps par de petites piqûres, et qu'ils mêlaient à la farine".
  • ou celles des aquariens qui, sous prétexte de sobriété, n'offraient dans ce sacrement que de l'eau.

Plus tard, Saint-Thomas d’Aquin (Somme théologique- III-a, question 74)[3] évoquera également d’autres types de « corruptions » résultant de la complète « décomposition » du pain et du vin, par exemple en vinaigre. Saint-Thomas utilise également le mot de « corruption » en évoquant en particulier la question du pain avec ou sans levain : « le levain symbolise la charité à cause de certains de ses effets, parce qu'il donne au pain plus de goût et plus de volume. Mais il symbolise la ‘’corruption’’ à cause de sa nature même ». En écrivant cela, St-Thomas ne conclut pas. Mais c’est bien de cette question de corruption qu’il s’agit. Il rappelle d’ailleurs que l’Église a longuement débattu de cette question :

  • Pour les uns, le Christ « a institué ce sacrement avec du pain fermenté car, comme on le voit au livre de l'Exode (12, 15), les Juifs, conformément à la loi, ne commençaient à user de pain azyme que le jour de la Pâque… Or le Christ a institué ce sacrement à la Cène qu'il célébra " avant le jour de la fête pascale" (St-Thomas- art 4)»
  • Pour d’autres «  l'eucharistie est le sacrement de la charité, comme le baptême est le sacrement de la foi. Mais la ferveur de la charité est symbolisée par le levain, comme le montre bien la Glose sur le texte de S. Matthieu (13, 33) : "Le royaume des cieux est semblable à du levain..." Ce sacrement doit donc être fait avec du pain levé».

Saint Thomas conclut : « Être azyme ou fermenté, pour du pain, ce sont des accidents qui ne changent pas l'espèce. …dans ce sacrement on ne doit pas tenir compte de ce que le pain est ou azyme ou fermenté ».

Distinguer ce qui est « nécessaire » et ce qui est « convenable »

A propos de la question du pain avec ou sans levain, Saint-Thomas fait une distinction entre « deux points de vue : celui de la nécessité, et celui de la convenance » :

  • ’Ce qui est nécessaire, …c'est que le pain soit fait avec du froment, sans quoi le sacrement n'est pas accompli. Or il n'est pas nécessaire au sacrement que ce pain soit azyme ou fermenté : l'un ou l'autre permet une consécration valide’’.
  • ‘’Mais ce qui est convenable, c'est que chacun observe le rite de son Église dans la célébration du sacrement. Or, sur ce point, les Églises ont des coutumes divergente".

Cette distinction est très éclairante pour les questions que nous nous posons aujourd’hui : serait-il « convenable » ou « nécessaire » d’introduire, dans nos pays riches, une nouvelle coutume, celle du « pain et du vin bio » ?

Conclusion

En reconnaissant le pain préparé avec du blé OGM, l’Église refuse de se prêter à des polémiques idéologiques. En définitive, elle reconnait que des agriculteurs, qui essaient de nourrir la planète avec une agriculture raisonnée et raisonnable, peuvent, en quelque sorte,  se présenter à l’eucharistie avec le « fruit de la vigne et [de leur] travail » ? Car c’est bien notre travail et son fruit que nous devons offrir à Dieu.

Sinon, faudrait-il un jour également baptiser avec de l’eau distillée, au motif que nos eaux sont polluées par des résidus de contraceptifs. ? Tout cela paraitrait un peu ridicule.  D’ailleurs, Saint-Thomas disait : « Dans le baptême on ne tient aucun compte des accidents divers qui affectent l'eau »… Et on sait que nos eaux sont « affectées » de bien des manières !

S’engager dans cette voie nous éloignerait de ce que nous enseigne le catéchisme (n° 1351): « Dès le début, les chrétiens apportent, avec le pain et le vin pour l’Eucharistie, leurs dons pour le partage avec ceux qui sont dans le besoin ». Le vrai débat est celui du partage de nos offrandes, celui de l’offrande de notre vie.

Ces querelles idéologiques autour de la qualité « bio » de nos offrandes nous ferait penser à ce que dit Dieu dans la bouche du prophète Isaïe : « Cessez de m'apporter de vaines offrandes :…j'en ai horreur. … je ne supporte plus ces fêtes sacrilèges. …Quand vous étendez les mains, je me voile les yeux. Lavez-vous, purifiez-vous, … cessez de faire le mal ».

 

[1] Source : droit canon de 1983 - § 127

[2] Source : droit canon de 1917- titre 3 – L’eucharistie 801à 869

[3] Source : site « docteur angélique »