Le Frère Adrien Candiard a écrit en 2017, un ouvrage intitulé « Veilleur, où en est la nuit ? » en référence au texte d’Isaïe (Is 21,11). L’ouvrage commence par une description de Jérusalem assiégée, en 487 av. JC et de la réaction des assiégés voulant partir se battre contre Babylone. Dieu veillera à leur victoire, pensaient-ils.
La lecture de ce « Petit traité de l’espérance à l’usage des contemporains » conduit à nous poser une question : le Frère Adrien Candiard renverrait-il dos à dos les climato-crédules croyant à une forme de géocentrisme climatique, c'est à dire à une cause humaine du réchauffement, et les hélio-centristes résolument convaincus que c’est vers le soleil qu’il faut se tourner pour trouver l’explication des variations climatiques.
Pour les géo-centristes chrétiens leur Jérusalem écologique est assiégée : L’homme serait, selon eux, incapable de prendre les décisions nécessaires pour sauver la planète et les climato-sceptiques chrétiens seraient dangereux car ils « font du mal à la cause ».
Pour les hélio-centristes chrétiens, leur Église est assiégée : L’Académie Pontificale des Sciences a été incapable d’organiser un débat contradictoire sur le climat et les principaux intervenants qui y sont invités sont des néo-malthusiens proches de l’ONU et du Club de Rome.
Chaque camp veut partir en guerre contre la Babylone adverse qui l’assiège. Le Frère Adrien Candiard appelle Jérémie en exemple d’une situation comparable en son temps : Jérémie va prêcher, à ceux qui se sentent assiégés, une soumission pure et simple au roi de Babylone, païen, impie, oppresseur.... Il avertit qu’ils se bercent d’illusions et se préparent des lendemains difficiles.

Quels sont ces lendemains difficiles que chaque camp prépare ? En quoi pourrait consister une véritable espérance ?

Commentaire « les2ailes.com »

1- Face au désespoir...

1.1- Qu’explique le Frère Candiard ?

« On n’a jamais tant parlé de désespoir... La France est ...un pays obsédé par son désespoir » (p. 9)... « On est saturé de discours sur le désespoir. On ne parle plus que de cela... du malaise français, la dépression collective, la morosité ambiante, l’implacable spirale négative dans laquelle nous sommes aspirés sans parvenir à réagir... Dans son rapport de 2011, le médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye diagnostiquait un burn-out de notre société » (p. 10). 

1.2- Quel est le désespoir des géo-centristes chrétiens.

Il n’est qu’à lire le document du Conseil Famille et Société de la conférence des évêques de France intitulé « Un kairos climatique » et publié en janvier 2015 : « En décembre 2015, Paris accueille la 21ème conférence internationale sur le climat, appelée COP21.... L’enjeu est d’envergure car les risques mis en évidence par le dernier rapport du GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) sont d’une extrême gravité. L’émission de gaz à effet de serre, conséquence directe de l’utilisation d’énergies fossiles et notamment du pétrole, a atteint un tel niveau que des catastrophes majeures sont à prévoir : des événements météorologiques extrêmes (comme la vague de chaleur de 2003, les sécheresses, les inondations, les cyclones et les typhons comme aux Philippines), l’élévation du niveau de la mer et son acidification, des changements thermiques et pluviométriques, ayant comme conséquence une perte de biodiversité et le bouleversement complet de nos écosystèmes. Ces changements risquent d’entraîner la destruction irréversible des moyens d’existence (habitats, troupeaux, champs), la baisse des rendements agricoles, des famines, des manques d’eau, l’extension de maladies parasitaires. Crise économique, migrations massives et conflits internationaux sont ainsi attendus. Le changement climatique est peut-être la plus grave menace qui pèse sur les sociétés humaines à moyen et à long terme ».

Le ton est délibérément catastrophique. Les chrétiens écologistes voient dans le capitalisme et le profit immédiat, la cause première des dégradations environnementales.

1.3- Quel est le désespoir des hélio-centristes chrétiens 

Ils ont le sentiment que le catastrophisme n’est pas scientifiquement fondé. Certes, il existe des pollutions locales innombrables, mais en biologie, les pollutions ne s’additionnent pas pour construire des pollutions globales. L’absence de fondement épidémiologique manque pour fonder toutes les pseudos « allégations-santé » qui entretiennent la peur. Au plan global, aucune étude systémique officielle n’a chiffré ni identifié les réelles relations de causes à effet qui interagissent dans les systèmes complexes planétaires.
Ils ne voient dans les pseudo-consensus omniprésents dans les media, que des arguments d’autorité qui n’ont pas leur place en science. Le concile qui voulait que les laïcs « ne pensent pas que leurs pasteurs ... puissent leur fournir une solution concrète et immédiate à tout problème, même grave » (Gaudium et spes 43.2) leur semble bafoué par les prises de positions de l’Église pour l’agriculture biologique dans le pain et le vin, pour le « jeune climatique » afin que la COP21 soit un succès, pour les « labels paroisses vertes », pour que les institutions religieuses adoptent « l’Opération Noé » consistant à « désinvestir » dans les sociétés productrices d’énergies d’origine fossile et à préférer des actions Google, IBM ou Rolls-Royce actifs dans le trans-humanisme ou le commerce d’armes. L’appel à des « théologiens de l’urgence climatique » leur paraît affligeant et le concept de « frugalité heureuse », une forme d’ascèse par précaution qui sauverait la planète, alors qu’il s’agit d’une vertu, signe d’un combat intérieur entre « avoir plus » et « être plus » !
Ils regrettent l’impossibilité d’organiser des débats contradictoire dans l’Église, que ce soit à la base, dans les paroisses, ou au sommet à l’Académie Pontificale des Sciences qui se contente d’inviter des « experts » prêchant parallèlement la décroissance démographique.
Ils condamnent le « catastrophisme éclairé » ambiant qui voudrait que, pour une bonne cause, on mente un peu et fasse peur beaucoup, alors que, si le monde doit être changé, ce n’est que la « vérité qui rendra libre » et sera capable de mobiliser les énergies. 

2- Que répond Jérémie, face à Jérusalem assiégé ?

Le frère Adrien Candiard  expliquerait peut-être aux deux camps se faisant face que « les guerres de position sont toujours épuisantes, mais quand chaque position défendue avec acharnement est de plus en plus systématiquement perdue, le moral des combattants ne peut rester très bon » (p. 38). 

2.1- La leçon d’histoire : Jérusalem face à Babylone

L’auteur de « Veilleur, où en est la nuit ? » remonte à 537 avant JC [1].
« Cette année-là, écrit-il, Jérusalem... est la capitale d’un petit royaume de Juda,... un confetti contenant tout de même le Temple où réside la présence de Dieu... » (p 13). « Il avait traversé les siècles, au prix d’une soumission aux empires du temps : l’Égypte, l’Assyrie et, à ce moment-là, Babylone. ... Le petit royaume devait payer des sommes exorbitantes pour éviter la destruction pure et simple. A Jérusalem, beaucoup trouvaient cette situation insupportable. ... Il faut, se disent-ils, avoir foi en Dieu. Si nous prenons les armes, si nous luttons pour retrouver notre indépendance, alors Dieu viendra à notre aide. Nous gagnerons la guerre contre l’immense empire de Babylone, parce que Dieu n’abandonnera pas son peuple ! Dieu est avec nous, tout ira bien » (p. 14).
« C’est donc plein d’espoir en Dieu que le petit royaume de Juda lance sa rébellion contre l’empire... Si Babylone l’emporte... il n’y aura plus de temple, la présence de Dieu sur terre... Dieu est donc obligé d’intervenir. Il n’y aura plus de Terre promise.... Dieu est donc obligé d’intervenir... Les chefs de la révolte comptent sur Lui... » (p.15)
« Ce n’est pas ce que pense le prophète Jérémie... Il prêche la soumission pure et simple au roi de Babylone, païen, impie, oppresseur.... Il avertit qu’on se berce d’illusions et on se prépare des lendemains difficiles... Avoir la foi, dit Jérémie, ce n’est pas vivre dans un monde enchanté... La foi de Jérémie ne pousse pas à l’optimisme, mais au réalisme le plus froid... » (p. 16)
« Le pessimisme de Jérémie n’a qu’une excuse, c’est qu’il a raison : ce qu’il annonce, c’est ce qu’il va vraiment arriver... La révolte contre Babylone va l’amener en pleine catastrophe. Après un siècle long et atroce, où les gens meurent de faim au point que, dit-on, les femmes dévorent leurs propres enfants, le roi de Babylone va prendre la ville, déporter tous ses habitants rescapés et détruire le Temple de Salomon... » (p.17)
« Emprisonné par une noblesse qui le juge dangereux, ... Jérémie  annonce que Dieu va tout recréer, à partir de rien...  Dieu n’a pas oublié ni renié ses promesses... Et sur ce point encore, Jérémie aura raison. Mais, précisément, pour les accomplir, il n’a pas besoin de ce qui semblait, à vue humaine, nécessaire : un roi, une terre, un temple... » (p. 18)
« Car ce n’est pas tout d’espérer : il faut encore espérer en Dieu, et n’espérer qu’en lui. Ceux qui comptaient sur des réalités autres que Dieu -les alliances étrangères, la politique, la résistance armée-, même au nom de Dieu, même fondées sur Dieu, pensaient-ils, s’y sont cassé les dents ». (p. 19)
« Cette histoire bien lointaine, on la relit tous les jours en ouvrant le journal. C’est pour cela que Jérémie peut être pour nous un véritable maître d’espérance. .. Son nom est attaché à la plainte geignarde des « jérémiades », car on en connait surtout les malheurs. Mais c’est un maître qui nous enseigne que l’espérance n’est pas ce que l’on croit souvent, une espèce d’optimisme béat qui refuse de voir les difficultés... Il est le maître d’espérance dont notre temps a besoin » (p. 19). 

2.2- Faire confiance à Dieu ou  à un mortel

« Pour pouvoir espérer, il faut accepter de renoncer à l’illusion, aux faux espoirs, et ce renoncement est particulièrement douloureux. Le livre de Jérémie a un refrain : « Maudit soit celui qui met sa confiance dans un mortel, qui s’appuie sur un être de chair ». On peut mal comprendre ces formules... La seule question qu’elle pose est : où plaçons nous notre espérance ?...  Pour espérer en Dieu, il faut accepter d’abord de quitter toutes les autres espérances, tous les espoirs alternatifs, tous les filets de sécurité qui nous évitent d’avoir à faire le grand saut de la confiance en Dieu... Ce que Jérémie a compris, c’est que ses adversaires, qui annoncent des triomphes contre Babylone, n’ont en fait que des espoirs humains. ils parlent royaume, armée, diplomatie ; ils espèrent la domination, la gloire, le triomphe. Voilà ce qu’il appelle « mettre sa foi dans un mortel »... Les compatriotes de Jérémie l’attendent de Dieu et se pensent donc tout à fait pieux. Mais ce rêve d’empire sur le monde n’est pas ce que Dieu veut leur donner... » (p. 49 à 52).

La leçon vaut-elle pour les géo-centristes qui veulent étendre leur empire de normes, de traités internationaux, d’accords contraignants et de sanctions, ... ? A force de promouvoir une « croissance verte » sur des bases scientifiques non fondées, ils pourraient générer une « green crise », comparable à la «  subprime crise ». A force de vouloir développer, dans les pays du Sud, des énergies vertes non rentables, ils pourraient entretenir les pays les plus pauvres dans une situation économique insurmontable.

La leçon vaut-elle pour les hélio-centristes qui ont du mal à renoncer au rêve de convaincre, au rêve d’une paix des braves qui sortirait d’un débat contradictoire « honnête et transparent » (Laudato si § 183) ? La tentation est confortable pour eux de se poser en victimes et d’oublier que Jésus avait annoncé à ses disciples d’incessantes persécutions. Ils se sentent victimes  d’une « Église appelée à aller vers les périphéries ».  mais qui oublie une périphérie dont on parle peu, celle des parias que seraient les climato-sceptiques.  

Dans les deux camps, et comme toujours, la lutte contre le mal est plus enthousiasmante, et donc mobilisatrice, que la recherche du bien. Les pulsions agressives sont si puissantes en nous qu’il est bien difficile de nous passer de ce stimulant. 

3- Il est temps de parler un peu d’espérance...

3.1- Et si notre Jérusalem militante était déjà détruite ?

Le frère Adrien Candiard explique que « la destruction de Jérusalem va permettre ... une radicale purification de leur espérance. Peut-être notre situation a-t-elle, dans ces difficultés, une vertu identique. La seule promesse que Dieu fait à Jérémie, ce n’est pas la réussite ou le triomphe. C’est la promesse de sa présence.  Pour accueillir cette promesse, il faut renoncer... laisser les morts enterrer leurs morts... Jérusalem est tombée, et ses murailles ne seront pas reconstruites.... » (p.49 à 52)
« ... Dieu nous invite, en ces temps, à une option autrement plus radicale. Nous avons à renoncer à voir se réaliser, même partiellement, le triomphe de l’Église, pour accepter le paradoxal triomphe de la croix. Jérusalem est tombée, et nous ne la rebâtirons plus. Jérusalem est tombée, et nous n’avons pas à mener une résistance acharnée sur les derniers murs branlants qui restent debout. Il faut accepter, comme Jérémie, notre situation... » (p. 55) 

3.2- Quelle espérance ?

« L’espérance est une vertu chrétienne dont on ne sait généralement pas quoi faire... Cela sent trop la méthode Coué qui permettrait de se rassurer à bon compte » (p. 11). « Il serait plus rationnel d’être pessimiste. Au moins, avec le pessimisme, on n’est jamais déçu. on ne peut avoir que de bonnes surprises ». (p. 12)
« L’espérance nous est une vertu plus nécessaire que jamais, plus urgente, plus vitale. Mais cela suppose de comprendre. Et de comprendre qu’il ne s’agit pas du tout de l’optimisme qui nous rend si méfiants » (p. 13)
« Alors que Jérusalem est attaquée, alors que Jérémie lui-même est en butte à toutes sortes de persécutions de la part de ceux que sa parole dérange, Dieu ne lui promet pas de le tirer d’affaire, pas plus qu’il ne lui promet que les soucis du pays vont s’arranger. Il lui fait une promesse, toujours la même... « je serai avec toi » » (p. 61)
« Cette promesse a un coût exorbitant : elle oblige à renoncer à toutes les consolations imaginaires dont nos vies sont remplies... On imagine des vengeances sophistiquées qu’on ne réalisera jamais... Ces compensations imaginaires ont un défaut : elles ne sont pas vraies » (p. 62)
« Refuser ces faux espoirs, c’est déjà un acte d’espérance » (p. 64)
« Nous avons l’occasion de nous intéresser à Dieu lui-même, au salut qu’il nous offre, sans être aveuglés par tout le fatras de triomphes mondains... Dieu est le seul objet de notre espérance... » (p.65)
« L’espérance chrétienne n’est pas une attente... Il ne s’agit pas d’attente mais de don, d’un don que nous devons simplement recevoir.... Espérer, c’est déjà posséder » (p. 67) « Cette possession n’est pas un projet, mais déjà une réalité » (p. 68) « L’Église s’est trop intéressée à la vie après la mort, et pas assez à ce monde-là... » (p. 71) « Si la vie est éternelle, précisément elle ne se déroule pas dans le déroulement du temps : elle est hors du temps, elle est tout le temps... La vie éternelle commence maintenant » (p.72)
« Espérer, dans la pratique, c’est vivre en ... faisant passer l’éternel d’abord, avant l’urgent... accepter le point de vue de l’éternité, le point de vue de l’amour... » (p. 74)
«  L’espérance chrétienne ne nous dit pas de rester là à pleurnicher parce que tout va mal, .. ; ni à attendre que Dieu détruise ce monde-là pour en construire un autre ; elle nous pose une question très simple : comment faire de tout cela une occasion d’aimer davantage ? » (p. 78)
« Transformer les événements en occasion d’aimer, c’est reproduire au quotidien le miracle de Cana, changer l’eau de la vie ordinaire en vin de vie éternelle » (p. 79)
« Ce n’est pas la croix qui sauve qui que ce soit, mais la manière dont Jésus a vécu le supplice de la croix. La croix ne sauve personne, mais parce que, sans ressasser son statut de victime ni nier le mal qu’on lui faisait, il a choisi le pardon universel... » (p.81)
« Il faut revenir à la définition de saint Augustin, pour qui est « sacrifice » toute action que nous accomplissons pour nous unir à Dieu. Or, s’unir à Dieu, c’est faire comme lui : se donner ». (p. 82)

Conclusion 

Le frère Adrien Candiard explique qu'il faut "très concrètement prendre notre monde au sérieux, en le regardant pour ce qu'il est, en donnant à chacun de ses éléments sa juste place son juste poids. Cela dégonflera certainement bien des baudruches d'ambition, de rêves de célébrité, de fantasme de domination, ... qui nous font courir" (p.75). Mais le reste se passe de conclusions pratiques. L’espérance est un appel pour tout chrétien, même si "espérer, ce n'est pas se mentir ou se voiler la face, mais croire que l'amour est plus solide que le reste" (p. 79)


[1] La soumission au roi de Babylone conseillée par Jérémie (Jérémie 27)
27.1   Au commencement du règne de Jojakim, fils de Josias, roi de Juda, cette parole fut adressée à Jérémie de la part de l'Éternel, en ces mots:
27.5   ... je donne la terre à qui cela me plaît.
27.6   Maintenant je livre tous ces pays entre les mains de Nebucadnetsar, roi de Babylone, mon serviteur; ...
27.7   Toutes les nations lui seront soumises,... jusqu'à ce que le temps de son pays arrive, et que des nations puissantes et de grands rois l'asservissent.
27.8   Si une nation, si un royaume ne se soumet pas à lui, à Nebucadnetsar, roi de Babylone, ... je châtierai cette nation par l'épée, par la famine et par la peste, dit l'Éternel, ....
27.9   Et vous, n'écoutez pas ..., vos astrologues, vos magiciens, qui vous disent: Vous ne serez point asservis au roi de Babylone!
27.11 Mais la nation qui pliera son cou sous le joug du roi de Babylone, et qui lui sera soumise, je la laisserai dans son pays, dit l'Éternel, pour qu'elle le cultive et qu'elle y demeure.
27.12 J'ai dit entièrement les mêmes choses à Sédécias, roi de Juda: Pliez votre cou sous le joug du roi de Babylone, soumettez-vous à lui et à son peuple, et vous vivrez.