Un colloque  intitulé "Affronter le transhumanisme" était organisé le 17 janvier 2018 à l’Assemblée Nationale.  Stanislas de Larminat y a abordé un thème rarement traité, celui des liens entre transhumanisme et écologisme. Tout est lié : il y a un lien entre vouloir être le mécanicien du climat, le mécanicien des océans, le mécanicien de l’homme, mais aussi le mécanicien de toute la société à travers la démographie.
Cette logique incite les philosophes personnalistes à recommander de savoir  "assumer nos limites" ?  Ce devoir deviendrait le nec plus ultra de l’équilibre pour l’honnête homme de notre temps. Et pourtant, c’est le genre de locution fourre tout qui ne veut strictement rien dire puisqu’elle appelle à tout et à son contraire : on pourrait en effet citer des tas d’exemples de limites que nous sommes appelés à dépasser. Quand un mot ne veut rien dire,  c’est qu’il faut changer de langage  et le thème de la fragilité semble une bonne porte d’entrée pour cela.  Stanislas de Larminat appelle à un changement de langage : "Assumer sa vulnérabilité" pour mieux "dépasser nos limites intérieures".
Nous reprenons ici l’intégralité de l'intervention.

Transcription: les2ailes.com 

Texte de l'intervention de Stanislas de Larminat:

Passé le moment de surprise d’une demande qui m’était faite d’intervenir à ce colloque sur le transhumanisme, j’ai vite compris que, dans ce domaine également, "tout est lié". Le transhumanisme se veut, je cite une définition :  « une approche interdisciplinaire qui nous amène à comprendre et à évaluer les voies permettant de surmonter nos limites biologiques par les progrès technologiques ». 
« Interdisciplinaire » ! Oui : et c’est pourquoi l’écologie fait partie de l’approche transhumaniste. Mais cette définition parle également de surmonter, pour ne pas dire transgresser les limites.
Les « limites biologiques » ? Elles concernent bien entendu le corps humain, mais également la planète, avec ce que les écologistes appellent les « limites planétaires ». Faut-il encore bien définir ce que sont les limites planétaires.
Je vais donc consacrer 5 minutes de mon propos à définir et faire la critique de ce que les écologistes appellent les « limites planétaires ». Je vous prie d’y prêter attention, même si cela vous parait hors sujet,  mais c’est indispensable si on veut comprendre le lien entre écologie et transhumanisme.
Cette expression de « limites planétaires » est séduisante mais elle est infantilisante et a pour objectif de manipuler les esprits. Ban ki Moon l’a utilisée devant l’AG de l’ONU, le 16 Mars 2012. Ce concept  a ensuite été développé  dans une étude pseudo-scientifique, publiée le 15 janvier 2015 dans la revue Sciences Express, et leurs  auteurs l’ont présentée à Davos.

1- Pourquoi qualifier ces études de « pseudo scientifiques » ?

Le lieu n’est pas ici d’entrer dans les détails, mais de donner quatre clefs de compréhension pour que vous compreniez les enjeux du transhumanisme sur l’environnement.
- 1ère clef, en matière de biodiversité, les auteurs de l’étude  de Science Direct confirme ne savoir « ni les niveaux, ni les types de perte de biodiversité, » faute d’indicateurs, disent-ils. Voilà la 1ère Surprise : il n’y a pas d’indicateur scientifique de biodiversité
- Passons à la 2nde clef: Les auteurs  reconnaissent qu’en matière d’acidité des océans, "l'hétérogénéité géographique est importante pour suivre la nature des limites pour les océans du monde" . Pas d’indicateur d’acidité non plus, donc !
- 3ème clef :  en matière de particules fines, les auteurs reconnaissent que « la connaissance des sources ou de leurs spécificités qui seraient en corrélation à long terme avec la mortalité fait défaut » ! Pas de preuve de la menace mortelle des particules fines ! Décidément, ces auteurs affirment, mais reconnaissent avoir bien du mal à démontrer leurs pronostics apocalyptiques.
- Alors, il faut arriver à la 4ème surprise qui ébranle le consensus habituel, celui du réchauffement climatique. En effet, le Giec  reconnait la même difficulté pour chiffrer la probabilité de l’impact humain puisque, dit il, « les probabilités "Objectives" et "Subjectives" ne sont pas toujours explicitement distinguées». Ce n’est pas étonnant, puisque le même Giec reconnait  que détecter un effet, la température, et l’affecter à une cause humaine, « n’exige ni n’implique que la réponse au facteur causal en question soit correctement simulé ».
Comment le Giec pourrait-il simuler correctement des réalités qu’il n’observe que sur 150 ans, occultant ainsi les causes des variations sur 1000 ans, depuis la période chaude médiévale jusqu’au petit âge glaciaire prenant fin à la Bérézina.
Comment le Giec pourrait-il faire des simulations correctes puisqu’il reconnait  que  ses modèles sont élaborés dans "des conditions de ciel clair …; l'introduction de nuages compliquerait grandement les objectifs de la recherche", dit le Giec.
Décidément, tout cela est surprenant ! 

J’arrête ici ce qui n’est qu’un  survol  des éléments  à prendre en compte sur cette question des limites planétaires.
Qu’est ce que cela implique en matière de transhumanisme ? Eh bien le lien est simple :

2- Non seulement les transhumanistes veulent changer l’homme, mais ils veulent changer l’environnement.

Je pense à cet exemple . Un forum s’est réuni en Mars 2017 rassemblant:
- Un programme de recherche de Harvard sur la géo-ingénierie solaire 
- Le centre Emmett, de l’Université de Californie à Los-Angeles, sur le changement climatique et l’Environnement .
Ce forum a été financé par une généreuse donation d’une Fondation créée par Alfred P. Sloan, ancien président de General Motors. L’idée a été proposée de procéder, à partir d’avions militaires à haute altitude, à des tirs d’aérosols dans la stratosphère pour blanchir  les nuages afin de refléter la lumière du soleil dans l’espace.  Les nuages pourraient être plus réfléchissants s’ils étaient pulvérisés avec une brume saline fine. Il y a de quoi frémir !
Pourtant, on ne peut pas à la fois prétendre qu’il serait utile de « blanchir » les nuages par des aérosols qui réfléchiraient les rayons du soleil vers le cosmos pour freiner le réchauffement climatique, et, en même temps, avoir dit qu’il est inutile de modéliser les nuages dans les simulations scientifiques !
Les transhumanistes appellent cela la géo-ingénierie, comme il y a la bio- ingénierie. Ils se veulent des mécaniciens du climat : Mais, ils se veulent aussi être les mécaniciens des océans pour lutter contre une prétendue acidité des océans, en ensemençant les océans avec de la limaille de fer. Mais, il y a pire !

3- En matière d’écologie, les transhumanistes sont très ennuyés par l’objection voulant que la longévité augmenterait la population.

Or la population, à leurs yeux est néfaste pour l’environnement.
Ils s’acharnent donc à démontrer qu’allonger la durée de vie pourrait même contribuer à stabiliser voire réduire la population. Alexandre Maurer, porte parole de l’association française transhumaniste (AFT-Technoprog), explique que le responsable de la surpopulation est la fécondité et non la longévité.
Alexandre Maurer regrette que de nombreuses femmes subissent : « la dictature de l' horloge biologique : il faut se hâter de faire des enfants, car si l’on attend trop, il sera trop tard. Dans le doute, mieux vaut donc en faire pour ne pas regretter ensuite ! »
Au nom de l’écologie, ils proposent donc de développer des utérus artificiels afin de supprimer la pression de l’horloge biologique sur les femmes.
Le transhumanisme porte dans ses soubassements une volonté́ politique de réduire la croissance démographique pour préserver la qualité́ de vie de quelques-uns, autrement dit, un petit nombre au lieu d’un grand nombre, la qualité́ au lieu de la quantité́. 
Et allons de pire en pire 

4- L’homme augmenté … ou l’homme diminué ?

Après avoir créé un concept absurde d’empreinte écologique,  ce concept qui voudrait qu’on ait besoin de deux planètes pour vivre ! Face à ce concept, des auteurs transhumanistes d’Oxford ont récemment proposé un nouveau registre de solutions: le human engineering, transformer l’espèce humaine en elle-même afin que celle-ci puisse devenir moins nocive à l’environnement. Dans l’article Human Engineering and Climate Change, Vincent Menuz et Johann Roduit suggèrent : « d’utiliser différentes technologies, notamment le génie génétique, afin de rendre les êtres humains respectueux de l’environnement»
Quelles idées envisagent-ils ?
- rendre les êtres humains intolérants à la viande.
- rendre les être humains plus petits, de façon à diminuer leur empreinte écologique.
Pour cela, choisir les embryons dont les gènes prédisent une petite taille, modifier les taux d’hormone de croissance chez les enfants, ou encore de réduire le poids des nouveau-nés grâce à des drogues ».
D’autres auteurs comme Manfred Clynes et Nathan Kline réfléchissent à la manière de libérer l’homme du souci de ses fonctions vitales (respirer, se nourrir, etc.). Ce sont des recherches  qui étaient menées dans le cadre de la vie dans les navettes spatiales, mais elles sont maintenant reprises dans une perspective écologique.
On en arrive à une situation paradoxale : Au lieu d’augmenter l’être humain, d’étendre ses capacités, il s’agit de le diminuer. On assiste ici à une sorte de renversement de l’horizon transhumaniste. Les technologies sont pourtant traditionnellement conçues comme ouvrant à plus de puissance, de capacités et d’expérimentation, afin de surpasser à la fois les limites humaines et les limites planétaires.
Les technologies envisagées ici seraient utilisées pour un nouveau régime de contrainte se substituant à la libre volonté humaine. 

5- Mise en garde

Pour terminer, je voudrais vous mettre en garde. Les fondements scientifiques et philosophiques du transhumanisme buteront très probablement sur des échecs.  Les fondements de leur programme sont, en effet, trop erronés et contradictoires pour se réaliser.
Mais il y a des échecs politiques ou techniques qui cachent des succès culturels.
J’en cite deux : 

5.1- La « technique rendrait  l’homme mauvais » .

A force de transgression morale dans l’utilisation de la technique, le transhumanisme nous inciterait à le croire. La question a été évoquée dans Laudato si: "la science et la technologie ne sont pas neutres" (§ 114). Or quelques lignes auparavant, le texte disait que ce sont les : " que les objets produits par la technique [qui] ne sont pas neutres, parce qu’ils créent un cadre qui finit par conditionner les styles de vie, et orientent les possibilités sociales". Ce sont  donc bien les objets élaborés grâce à la technique (objets connectés ou transhumanistes par exemple) qui ne sont pas neutres, et non la technique elle-même. C'est donc bien l'homme qui "produit ces objets" qui est en cause et non la technique.
Le propos mériterait d'être développé dans la mesure où il n'est pas rare d'entendre aujourd'hui des affirmations du genre: "la science rend l'homme mauvais"!
Il ne faut pas que les menaces transhumanistes nous fasse tomber dans le piège anti-technique. Il y aura peut-être des nanoparticules qui ne poseront pas plus d’objections éthiques que les prothèses ou les jambes de bois n’en posent.
J’en appelle donc à la jeune génération qui, souvent, a perdu toute culture scientifique.
Ne vous laissez pas influencer en écologie par des thèses séduisantes qui n’ont que le consensus comme élément de preuve.
Ne vous laissez pas influencer en philosophie en considérant que la technique rendrait l’homme mauvais 

5.2- Le double fantasme du « paradis terrestre » et du « paradis céleste »

C’est le 2nd succès culturel propre à l’écologie transhumaniste
C’est celui d’une fausse écologie qui nous ferait croire qu’il y a des limites planétaires. Certes il y a des milliers et des milliers de pollutions locales contre lesquels il faut se battre. Mais leur addition ne fait pas une pollution globale. Pourquoi ? Parce que  la planète est plus résiliente qu’on ne le croit, c'est-à-dire capable de résister et de surmonter des perturbations importantes.
Alors le succès culturel des fausses limites planétaires fait le lit de deux dérives:
- celle d’abord d’un rêve de retour au paradis terrestre, comme si le programme écologiste, celui de ne pas dépasser ni les « limites planétaires » ni les « limites démographiques »  allait nous permettre d’y retourner
- la dérive, ensuite, de nous faire croire que le programme transhumaniste nous donnerait accès au paradis céleste à la condition de transgresser les « limites biologiques ».  

J’en appelle donc à la jeune génération qui a été matraquée, depuis les classes primaires, par les programmes scolaires malthusiens dans les cours d’écologie et de sciences de la nature: Je vous appelle à un vrai changement de vocabulaire : arrêtons de mettre à toutes les sauces cette expression « il faut assumer nos limites ». C’est une locution fourre-tout. Il y a des limites que je dois assumer, d’autres que je dois dépasser, dans un cadre moral. Cette expression ne veut donc rien dire.
Mais par quoi la remplacer ? 

5.3- « Assumer ses limites » ou « assumer sa vulnérabilité » ?

Je préférerais qu’on dise que l’homme doit « assumer sa vulnérabilité ».
Et cela va être ma conclusion :
Le transhumanisme se trompe en croyant qu’on devient plus homme quand on a plus de capacités, plus d’avoir. Or la dignité de l’homme, c’est celui d’être un homme.  Les transhumanistes utilisent le verbe avoir, alors que la dignité relève du verbe être. Celui qui a peu de capacité (verbe avoir) n’est pas (verbe être) moins digne que celui qui en a plus.
C’est toute la différence entre transhumanisme et personnalisme. Le fort et le faible affrontent les limites extérieures de manière différentes, alors qu’on sait par expérience que ces différences s’effacent face à la vulnérabilité : nul n’est fort au point de n’avoir  aucune vulnérabilité intérieure.
Le transhumanisme baigne dans l’éthique de l’utilité, alors que le personnalisme sait que l’inutile enrichit l’existence. Le transhumanisme se fait l’apôtre d’une philosophie du Care qui prétend protéger le faible, mais est prêt à le sacrifier quand il n’est plus utile. C’est une culture du déchet, c’est là sa limite, alors que le personnalisme s’appuie sur la vertu de solidarité au sein d’un peuple de vulnérables, et c’est cela sa force.
Le transhumanisme, comme l’écologisme,  sont des  philosophies du repli vis-à-vis de l’extérieur pour se protéger du risque, alors que le personnalisme répond à un appel intérieur à la conversion pour transcender sa vulnérabilité.
Dans nos combats militants contre le transhumanisme, on est tenté de dire qu’il faut « assumer ses limites ». Pourquoi ne changerions-nous pas de vocabulaire en appelant à « assumer nos vulnérabilités ». Je ne verrais que des bénéfices à ce renouveau de sémantique.

Merci de votre attention