Le premier ministre s’est rendu sur place, à Trèbes où la France déplore 13 morts. Il a eu raison d’exprimer la compassion de la France. Mais, il a ajouté que cet épisode météorologique était "par lui-même imprévisible". Est-ce si sûr ? Le danger immédiat ne l’était pas, mais le risque à moyen terme l’était parfaitement. Qui le reconnaîtra ?
Le journal « LaCroix » du 15 octobre 2018 a, bien sûr, trouvé le coupable : « une fois de plus, le sud de la France a été frappé par un épisode dit « méditerranéen », dont la violence pourrait être renforcée par le réchauffement climatique » ! Pourtant, le très officiel document qui donne les détails du classement en Natura2000 de la basse vallée de l’Aude évoque « l'augmentation des phénomènes de crues du prorogation du delta du XVIIIe siècle, durant le petit âge glaciaire (1755, 1856, 1858, 1872, 1875, 1880, 1907). » (Natura 2000). L’homme est ainsi fait : c’est toujours les variations climatiques qui causent des inondations, qu’on soit en période de refroidissement ou de réchauffement !
En réalité, tous les ans, le problème est le même que ce soit dans les basses-Alpes, en Bretagne ou dans les Pyrénées atlantiques. Le problème se déplace, mais avec les mêmes causes.  Nous proposons ici une courte leçon de géographie sur la nature des « basses plaines de l’Aude », sur la priorité qui est donnée à l’écologie, au tourisme et à l’immobilier. Quelles sont les conséquences du classement de cette vallée en catégorie « Natura 2000 » ? Pourquoi continue-t-on à construire dans les zones inondables, au lieu d’organiser des zones de déversement en cas de crue ? Est-on certain que l’aménagement de l’embouchure de l’Aude répond aux enjeux ?
Il y avait déjà eu 35 morts, sur l’Aude, à Lézignan-Corbières les 12 et 13 novembre 1999. Qu’a-t-on fait ?
Oui, Éric Menassi, le maire de Trèbes, a raison de trouver indécent le débat autour du déclenchement de l'alerte météo. "Je trouve indécente la polémique qui est en train de naître autour de Météo France, des services de l'Etat et des collectivités territoriales".

Commentaire "les2ailes.com"

Un peu de géographie

(Source : carte)Conques sur Orbiel est situé sur les rives de l’Orbiel, petite rivière qui prend sa source depuis les contreforts de la Montagne noire. L’Orbiel[1] se jette dans l’Aude à Trèbes, à 4 km en aval de Carcassonne, dans une région où l’Aude coule dans une plaine alluviale. La pente de ce fleuve y est très faible, et ce profil provoque des dépôts de limons. Le fleuve divague avec de ombreux  méandres, en particulier à St-Couat d’Aude, au milieu de bras morts et d'étangs.
L’Aude débouche dans la méditerranée au Grau de Vendres, 65 km plus loin, à la limite des départements de l’Aude et de l’Hérault. (Source : carte)

Priorité au tourisme ?

On peut s’interroger quand on voit les attendus de l’adjudication de travaux lancée, en 2013, par le Conseil général de l’Aude. L’objectif est la « réhabilitation de la plage de Fleury par désensablement de l'embouchure de l'Aude : dragage, rechargement de plage et façonnage du cordon dunaire et aménagement du cordon dunaire ». Autrement dit, on désensable l’embouchure, non pour faciliter l’écoulement de l’eau en amont, mais pour prendre soin de la plage voisine ! On pourrait imaginer les deux objectifs sont compatibles. En réalité, un rapport officiel explique que  « le risque d’inondation est renforcé par la présence d’un cordon sableux qui surplombe d’environ deux mètres la plaine de l’Aude de la mer et barre l’évacuation des eaux »[2] .
On comprend que le maire de Fleury plaide pour sa commune, mais il tenait des propos indécents lors de la crue de 2011. Les crues avaient charrié, sur la plage de Fleury, des amas d’arbres, branchages et autres végétaux. Le maire s’était ému : « Ce phénomène est lié en grande partie à l'incurvation du débouché du fleuve Aude en mer, qui oriente les rejets vers la droite au lieu de les amener en face de l'embouchure. Ce débouché en mer a été élargi en 1987-88, dans le cadre du projet Nysa, projet stoppé net par la Loi littoral. Avec cette digue incurvée, aucun bois ne nous échappe ! », constate amèrement  le maire de Fleury-d'Aude. Après quoi, ajoute-t-il, "nous nettoyons les plages sur nos deniers » ! Pas un mot sur les dégâts humains autrement plus graves en amont !

Priorité à l’écologie ?

Les crues se succèdent, mais quelles sont les préoccupations essentielles ?
Le département de l’Aude a signé « trois conventions d’application pour les années 2011 et 2012 [qui] portaient sur la restauration de la continuité écologique des cours d’eau, la restauration des cours d’eau et la gestion quantitative de la ressource en eau ». Le jargon « gestion quantitative  de la ressource en eau » cache, non pas une gestion pour éviter les excédents, mais pour conserver un minimum pour la faune aquatique. Pourquoi pas ?
D’ailleurs, le département de l’Aude a été concerné par le Plan national de gestion anguille qui met en place des Zones d’Action Prioritaires sur lesquelles la continuité écologique doit être restaurée au plus vite pour l’anguille et qui  identifie des ouvrages prioritaires qui doivent être aménagés d’ici 2015. 

Le site a été classé Natura 2000 « Cours inférieur de l’Aude » par décision de la Commission européenne parue au Journal Officiel de l'Union européenne (JOUE) le 16 novembre 2012. D’après le Formulaire Standard de Données, « le site présente un intérêt biologique tout particulier au regard de l'existence d'espèces aquatiques remarquables et singulières : des poissons (Alose feinte, Toxostome, Lamproie fluviatile et Lamproie marine) et invertébrés (Cordulie à corps fin et  Cordulie splendide).
Le site comprend les derniers 31 km des 220 km de son parcours. Il englobe ainsi le lit mineur ainsi que la végétation rivulaire. On comprend que les écologistes soient sensibles à cet situation.
La question est de savoir si c’est compatible avec les préoccupations des riverains à 60 km en amont ?
Le dossier apporte la réponse : « Le périmètre Natura 2000 n’exclut pas la mise en œuvre de projets d’aménagements ou la réalisation d’activités humaines dans les sites Natura 2000 ». Est-on rassuré ? Non, car le document dit bien « sous réserve qu’elles soient compatibles avec les objectifs de conservation des habitats et des espèces qui ont justifié la désignation des sites…. L’évaluation des incidences a pour but de vérifier la compatibilité d’une activité avec les objectifs de conservation des sites Natura 2000. Plus précisément, il convient de déterminer si le projet peut avoir un effet significatif sur les habitats et les espèces végétales et animales ayant justifié la désignation du site Natura 2000. Si tel est le cas, l’autorité décisionnaire s'oppose au projet ». La priorité est donc très claire.  Certes, le dossier ajoute que ce véto à des projets ne peut s’opposer à un  « projet d’intérêt public majeur ». Mais, après un tel discours, on peut s’interroger : qu’est ce qu’un intérêt majeur ?  35 morts en 1999 et maintenant 13 morts seront-ils considérés comme un « intérêt majeur » supérieur à celui de la faune ?

Quand il s’agit de curer le lit du fleuve, pour faciliter son écoulement, la réglementation en vigueur est celle du « code minier » qui prévoit que l’ « extraction de matériaux » est limitée ou interdite lorsqu'elle « risque de compromettre, directement ou indirectement, l'intégrité des plages, dunes littorales, falaises, marais, vasières, zones d'herbiers, frayères, gisements naturels de coquillages vivants et exploitations de cultures marines.  Loi sur l'eau : les ouvrages doivent, sauf exception respecter un débit réservé de 10 % du débit moyen ; interdiction de la destruction des frayères ; réglementation du curage.. ». On voit, une fois de plus quelles sont les priorités !

Priorité à l’immobilier ?

Les documents fournis par la DDE montrent que depuis l'année 1999-2000:

  • à Cuxac d'Aude, 67 permis de construire ont été accordés en zone inondable dont la moitié environ sont des travaux de mise en défends.
  • à Coursan d'Aude, 87 permis de construire ont été délivrés en zone inondable dont deux bâtiments commerciaux - un supermarché de plus de 1100 m2 - et trois lotissements de 87, 69 et 48 habitations.

Ces chiffres peuvent paraître peu importants. En réalité, ils signifient qu’on renonce à augmenter les zones inondables. Il est paradoxale de vouloir augmenter les zones inondables, mais c’est le prix à payer pour éviter les crues en amont. L’efficacité serait supérieure à celle consistant à endiguer le fleuve toujours de plus en plus haut, parfois à plus de 4 mètres de son lit.


[1] L’Orbiel prend sa source dans le domaine du Bois de Gramentes, en milieu montagnard. Tout comme ses affluents, il se présente sous la forme d’un torrent durant toute sa traversée de la Montagne Noire. Au sortir de son secteur engorgé sa plaine s’ouvre subitement, en amont de Conques-sur-Orbiel, et prend de l’ampleur jusqu’à la confluence avec l’Aude.

[2] (source : « Atlas des zones inondables sur le bassin versant de l’Aude » § 6.9.5)