1- Introduction

 Illustrée par un triptyque imaginaire[1]

.1- Beautés … et désordre de la nature !

La beauté d’un rouge gorge, nous amène à « reconnaître la nature comme un splendide livre dans lequel Dieu nous parle et nous révèle quelque chose de sa beauté et de sa bonté » (Laudato si § 12) ? Et pourtant, cette petite splendeur est mortelle et elle engendre la mort en tirant sur ce petit vers de terre, non moins admirable, qui se tortille, en souffrant, pour résister à l’issue qui l’attend.
Est-il imaginable que ce monde naturel dans lequel nous vivons ait été voulu par un Dieu de bonté ? Certes, on ne peut réfléchir à la réalité du monde créé en se laissant aller à une compassion pour le vers de terre qui pourrait n’être qu’un anthropomorphisme trompeur. Qu’en est-il ?

1.2- Une création corrompue par un désordre originel ?

Le Concile parle de "la figure de ce monde déformée par le péché" (GS 39-1).  On ne peut éviter de se poser la question : Dieu créateur a-t-il voulu, ou ne serait-ce qu’accepté, le mal qu’on croise dans ce monde naturel dans lequel nous vivons ? Le paradis que toute l’iconographie chrétienne représente de manière idyllique, n’évoque jamais des tsunamis  ni des bêtes en dévorant d’autres ! Force est donc d’imaginer que le paradis a été victime d’un désordre. Notre monde, tel qu’il a été créé « dans son premier état » (Catéchisme § 1047), n’est, nous enseigne l’Église, qu’un « univers visible », soumis à « la servitude de la corruption » (§ 1046). Ce « monde matériel » (§ 1046) est un « monde déformé par le péché » (§ 1048).
Comme le dit le théologien Adolphe Gesché, « le cosmos a sans doute des manques, nous ne le voyons que trop, mais il n’est pas le lieu d’un non-sens et d’un échec radical. Il conserve son fonds créé, sa résistance » (« Création et salut » p.19).

1.3- Une théorie de l’origine : faut-il chercher le paradis dans le monde naturel ? 

Cette affirmation de l'Église nous oblige donc à distinguer création divine et monde naturel dans lequel nous vivons. Les pères de l'Église parlait d’un monde préternaturel, (du latin praeter"au-delà de"), créé par Dieu, hors du temps et de l’espace. Il convient donc de chercher à discerner ce qui le distingue du monde naturel dans lequel nous a plongé le péché originel. Reste encore à définir ce que signifie ce mot « préternaturel ».
Dans une théologie du début des temps, la protologie, peut-on imaginer que la chute originelle soit en réalité l’introduction du temps et de l’espace dans un véritable Big-Bang ! Comment serait-on passé d’un monde intemporel à l’irréversibilité du temps ?
Mais comment se référer à une chronologie, avec un avant et un après la chute, dans un paradis où n’aurait existé ni temps ni espace ? C’est le genre d’approximation nécessaire pour approcher le mystère de la création. Le père de Lubac le disait: le travail du théologien consiste à "puiser à l'ensemble de la tradition pour renouveler la pensée chrétienne et tenter une nouvelle approche, une nouvelle approximation du mystère"[2].
Mgr Léonard, dans son livre « Les raisons de croire » explique que : « la création préternaturelle peut-être conçue comme un cosmos complet... La conséquence du péché d’Adam, c’est alors précisément que l’ensemble de l’univers préternaturel déchoit et devient, depuis le big-bang initial jusqu’à aujourd’hui, cet univers tel que nous le connaissons, livré à l’irréversibilité du temps et aux lois de vie et de mort de la nature abandonnée à ses propres ressources. ... Adam  se retrouve maintenant comme un pauvre « animal raisonnable » issu de l’évolution biologique et livré à une nature nourricière, certes, où demeure un reflet de l’harmonie paradisiaque, mais si souvent indifférente, voire même hostile à son plus beau fleuron ». 

1.4- Ne pas chercher Adam dans l’archéologie

Si, avant la chute, il existait une matérialité différente de la matière dans laquelle nous vivons,  que penser de l’idée d’un homme préternaturel que la tradition juive a décrit dans le personnage d’Adam ? Aurait-il eu une corporalité différente du corps que nous montre l’évolution qu’elle soit darwinienne ou autre ? Quelle est la signification donner à ce que l'Église appelle l’union sponsale des corps masculin et féminin d’Adam et Ève ? Comment Adam et Ève sont-ils devenus simplement les compléments l'un de l'autre, condamnés à enfanter « à partir d’eux-mêmes » [3] ?

1.5- Une théologie de l’origine qui renvoie celle de la fin des temps

Même saint Paul introduit la notion de temps en parlant de dessein formé avant le péché : « Il nous a fait connaître le mystère de sa volonté, ce dessein bienveillant qu’Il avait formé en lui par avance, pour le réaliser quand les temps seraient accomplis, ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ, les êtres célestes comme les terrestres » (Eph 1, 9-10). 

1.6- Les risques de confusion dans la pastorale écologique contemporaine

Ce questionnement n’est pas qu’un exercice sémantique. Une meilleure compréhension théologique de la création est fondamentale dans toute réflexion sur l’écologie.
Dès lors, il peut-être légitime de nous interroger : faut- il « garder la création »  ou « protéger la nature » ? Voilà des expressions qui sont sources de confusion si la nature n’est, en définitive, qu’un état dégradé de la création ? L’essentiel ne serait-il pas plutôt de se protéger du mal, du malin qui a précipité et précipite encore toute la création dans une nature corrompue ?
Certes, il ne s’agit pas de conclure que la nature, corrompue par le péché, ne serait plus digne d’admiration.
Comment, enfin, intégrer dans cette perspective, les concepts théologiques de « création continuée » et de « conservation » qu’ont développés saint Thomas d’Aquin et Francisco Suarez aux XIII° et XVI° siècles ?
C'est dans cet esprit que nous proposons, dans les lignes qui suivent, des citations d’auteurs et de théologiens qui s’efforcent d’entrevoir des réponses aux questions ci-dessus.
Ces réponses peuvent être critiquées mais faut-il refuser d'y réfléchir ? Pour se faire une idée nous nous appuierons sur saint Jean-Paul II, saint Augustin, et des penseurs et théologiens orthodoxes russes, de Nicolas Berdiaev et Vladimir Lossky à Olivier Clément[4], et aussi le Père Frédéric Masset, Pierre Milliez, Bernard Sesboué[5], le père Gaston Fessard, le Père Florent Urfels[6], etc... Ces penseurs et théologiens nous aident à imaginer une thèse "archi-historique"[7] de la création d’Adam.

1- Introduction. 
   1.1- Beautés … et désordre de la nature ! 
   1.2- Une création corrompue par un désordre originel ?
   1.3- Une théorie de l’origine : faut-il chercher le paradis dans le monde naturel ?
   1.4- Ne pas chercher Adam dans l’archéologie. 
   1.5- Une théologie de l’origine qui renvoie celle de la fin des temps
   1.6- Les risques de confusion dans la pastorale écologique contemporaine. 
2- Que qualifie le mot « préternaturel » ?
3- De la matérialité préternaturelle à la matière naturelle. 
   3.1- La création d’un cosmos complet 
   3.2- La soumission du cosmos à des lois naturelles 
   3.3- De l’intemporalité au temporel 
   3.4- De l’ordre préternaturel à l’espace naturel 
   3.5- Une rupture radicale entre monde préternaturel et monde naturel 
   3.6- La référence au péché originel dans Laudato si 
4- Entre la corporalité d’Adam et notre corps d’homme, un véritable Big-bang ! 
   4.1- La création de l’homme. 
   4.2-  L’union sponsale d’Adam et Ève avant la chute, génération de l’humanité ?
   4.3- L’essence du péché. 
   4.4- La sexualité après la chute. 
   4.5- De la chair au corps 
      i - La chair d’Adam et Ève: leur masculinité et féminité avant la chute. 
      ii- La corporalité de l’homme et de la femme après la chute. 
      iii- Quel sens donner à la glaise ?
   4.6- Une nouvelle corporalité qui atteint Jésus lui-même ! 
   4.7- Une nouvelle corporalité qui atteint également la vierge Marie, 
   4.8- La vierge Marie, icone de la vocation procréatrice humaine ?
   4.9- La vocation royale de l’homme ? L’homme soumis à l’évolution ! 
5- Adam avait-il une âme ?
   5.1- Définition philosophique de l’âme. 
   5.2- Les différentes qualités de l’âme. 
      i.   L’âme végétative. 
      ii.  L’âme instinctive, 
      iii. L’âme spirituelle, 
   5.3- L’âme préternaturelle d’Adam était-elle d’une essence spécifique ?
 
  5.4- Les conséquences de la désobéissance d’Adam sur son âme. 
6- Qu’est advenu le plan divin d’origine ?
   6.1- Une "création continuée" à travers incarnation du Fils et glorification de l’homme
   6.2- La dimension de la rupture originelle. 
   6.3- L’accompagnement divin : une « conservation » du monde naturel ?
   6.4- Une création ex-Nihilo ou continuée ?
   6.5- Qu’est-il advenu de la mission humaine de co-créateur?
7- L’approche « archi-historique » en discussion. 
   7.1- Le procès en concordisme.
   7.2- Le procès en gnosticisme. 
   7.3- Le procès en fidéisme. 
   7.4- Le procès de Dieu lui même. 
8- Conclusion. 
   8.1- Les risques pastoraux. 
   8.2- Les risques théologiques 

2- Que qualifie le mot « préternaturel » ?

La Congrégation pour la doctrine de la Foi dit qu’il faut beaucoup de modestie pour aborder ce type de question si on veut "ménager l’avenir des connaissances dans l’ordre de la foi"[8].  Il est, en effet, difficile de décrire l’état d’innocence perdu par Adam et Ève, sur lequel on trouve peu d’affirmations dans la Genèse (cf. Gn 1, 26-31 ; 2, 7-8.15-25).

C’est pourquoi la tradition chrétienne[9] ne caractérise cet état d’innocence qu’indirectement, remontant, à partir des conséquences du péché raconté en Gn 3, aux dons reçus par nos premiers parents pour les transmettre à leurs descendants. On affirme ainsi qu’ils avaient reçu les dons naturels correspondant à leur condition normale de créatures. Ils avaient encore reçu les dons surnaturels : la Grâce sanctifiante, un destin supérieur de divination, la vision de Dieu. En outre, la tradition chrétienne reconnaît l’existence, dans le paradis, des dons préternaturels c’est-à-dire des dons qui n’étaient pas requis par la nature mais qui lui convenaient, la perfectionnant dans la ligne naturelle et manifestant la grâce. Ces dons étaient [10]:

- l’immortalité- Le Catéchisme écrit que « l’homme ne devait pas mourir (cf. Gn 2, 17 ; 3, 19) » (CEC § 376). Il faut comprendre l’immortalité, comme le fait saint Augustin, non comme ne pas pouvoir mourir (non posse mori), mais comme pouvoir ne pas mourir (posse non mori). Il est légitime d’interpréter cela comme une situation dans laquelle le passage à un état définitif ne comporterait pas le dramatisme propre à la mort que l’homme ressent après le péché. La théologienne Ysabel de Andia exprime cette contradiction en disant que « ce n’est ni mortel qu’Adam a été créé, ni immortel, mais capable des deux » [11].

- l’impassibilité ou exemption de la douleur - La souffrance étant le signe et l’anticipation de la mort, l’immortalité impliquait, en une certaine façon, l’absence de douleur comme le confirme le Catéchisme : « l’homme ne devait ...pas souffrir (cf. Gn 3, 16) » (CEC § 376). Le terme d’impassibilité désigne également l’absence de passions de désirs ou d’appétits sensibles.

- l’intégrité ou la domination de la triple concupiscence citée dans la lettre de Saint-Jean « la convoitise de la chair, la convoitise des yeux, l’arrogance de la richesse » (§ 16,1). Dans cet état d’intégrité, l’homme dominait sans difficulté ses passions ...au sens où l’entend le catéchisme : « L’harmonie intérieure de la personne humaine, l’harmonie entre l’homme et la femme (cf. Gn 2, 25), enfin l’harmonie entre le premier couple et toute la création constituait l’état appelé "justice originelle" ... L’homme était intact et ordonné dans tout son être, parce que libre de la triple concupiscence qui le soumet aux plaisirs des sens, à la convoitise des biens terrestres et à l’affirmation de soi contre les impératifs de la raison » (CEC § 376-377).

- Le don de science, quatrième don traditionnellement ajouté, convenant à l’état dans lequel se trouvaient Adam et Ève, ... au sens du catéchisme qui parle d’un état d’« amitié avec son Créateur et d’une harmonie avec lui-même et avec la création autour de lui telles qu’elles ne seront dépassées que par la gloire de la nouvelle création dans le Christ... un état "de sainteté et de justice originelle" (Cc. Trente : DS 1511). Cette grâce de la sainteté originelle était une "participation à la vie divine" (LG 2). » (CEC § 374-375).

Saint-Augustin[12] explique que ces quatre dons préternaturels "ne changeaient pas essentiellement la nature de l’homme et n’empêchaient pas son corps d’être psychique, d’avoir besoin d’un antidote périodique contre la mort"[13].
L’utilisation du qualificatif «  préternaturel » pour qualifier les dons accordés par Dieu à Adam et Ève lors de leur création, peut être étendu pour qualifier toute la création ? On parlera alors de « monde préternaturel ».... au sens où l’entend le catéchisme en parlant de la création « dans son premier état » (§ 1047). Le catéchisme de l’Église fait de la corruption de cet état cosmique un article de foi : « la Révélation affirme la profonde communauté de destin du monde matériel et de l’homme : "Car la création en attente aspire à ...être elle aussi libérée de la servitude de la corruption" » (§ 1046).

Cette difficulté à décrire le cosmos et l’homme que nous qualifierons de préternaturels aux sens ci-dessus, s’amplifie aujourd’hui du fait de l’influence d’une vision en termes d’évolutionnisme de la totalité de l’être humain. D’un tel point de vue, la réalité évolue toujours de moins à plus, alors que la Révélation nous enseigne qu’il y a eu, au début de l’histoire, une chute d’un état supérieur à un état inférieur. Ceci n’exclut pas qu’il ait pu y avoir un processus d’ « hominisation », à distinguer de l’« humanisation », ni que le second ait précédé le premier.
Le père Florent Urfels pose comme une condition pour lever cette difficulté: "Il est parfaitement possible d'élaborer un "scénario de l'origine" compatible aussi bien avec le dogme tridentin qu'avec les résultats de la science moderne"[14].

Quel était donc l’état originel du Cosmos avant sa corruption ? La question est légitime.

3- De la matérialité préternaturelle à la matière naturelle

Si les lois naturelles du monde corrompu étaient différentes des lois voulues par le créateur, c’est donc qu’on peut imaginer une forme de matérialité du monde préternaturel ne correspondant pas à la matière telle que la science nous la fait découvrir.

 3.1- La création d’un cosmos complet

Notre réflexion commence par ces lignes de Mgr Léonard : « La coexistence éventuelle du monde préternaturel originel et du monde présent n’est pas de soi plus impensable que la coexistence effective du monde présent avec le monde nouveau de la résurrection... »[15], écrit Mgr Léonard. « On peut tout d’abord penser la création comme étant, à l’origine, préternaturelle, c’est à dire comme n’étant ni le monde présent assujetti à la vanité, ni les cieux nouveaux et la terre nouvelle de la résurrection, mais justement le monde paradisiaque de l’harmonie originelle. Cette création préternaturelle peut-être conçue comme un cosmos complet »[16],  ajoute Mgr Léonard.
On devine qu’il ne faut donc pas probablement pas rechercher le Paradis, le monde préternaturel, dans le monde naturel.
Comment décrire ce monde préternaturel, ce « palais » ? [17]  La Genèse est avare de détails. Il pourrait éventuellement faire appel aux visions de grands saints pour tenter d’approcher cette perfection mystérieuse du cosmos complet. Nous ne citons un passage de "De la création", extrait d’une des neuf romances écrites par saint Jean de la Croix[18] : « dans cette parole que je dis, il avait créé le monde, fait en grande sagesse un palais pour l’épouse ; lequel il divisait en deux appartements haut et bas, composait celui du bas de variétés infinies ; mais embellissait celui du haut d’admirables pierres précieuses, pour que l’épouse sache quel Époux elle possédait. Dans le haut, il plaçait la hiérarchie angélique ; mais dans le bas mettait la nature humaine ».

Quels seraient donc les liens entre monde préternaturel, si tant est qu’on puisse qualifier ainsi le monde créé « dans son premier état » (Catéchisme § 1047), et notre monde naturel?

3.2- La soumission du cosmos à des lois naturelles

Que serait-il donc advenu de ce monde préternaturel ?
Le théologien orthodoxe Constantin Andronikof (1916-1997) a pu dire, lors d'une conférence, que le "Big Bang" était le bruit qu'avait fait la chute de l'homme sur la terre.
Au-delà de la boutade, repartons à nouveau d’une réflexion de Mgr Léonard : « La conséquence du péché d’Adam, c’est alors précisément que l’ensemble de l’univers préternaturel déchoit et devient, depuis le big-bang initial jusqu’à aujourd’hui, cet univers tel que nous le connaissons, livré à l’irréversibilité du temps et aux lois de vie et de mort de la nature abandonnée à ses propres ressources »[19], écrit-il.
Karl Rahner parle du Big-bang comme d’une catastrophe cosmique qui serait un véritable « miracle punitif »[20].
Le Cosmos, depuis et à travers le Big-bang, aurait-il été livré à des lois naturelles qui ne seraient que la forme dégradée de lois préternaturelles ?
Comment concilier la science avec cette idée que le Big-bang puisse être une conséquence du péché ?  Si le péché a infecté la totalité du temps et de l’Espace, cela traverserait le Big-bang lui-même qui pourrait être inclus dans ces lois naturelles consécutives au péché d’origine. C'est ce qu'écrit Olivier Clément:

« la théorie de la relativité, la conception einsteinienne de l'espace-temps, permet de comprendre que la chute, peut-être incluse dans le Big-bang originel, soit en réalité permanente, comme est devenue permanente la résurrection. Le devenir cosmique se fait par l'apparition de "systèmes" de plus en plus complexes qui transforment en genèse "nég-entropique" l'universelle tendance au chaos, à la désintégration, à l'entropie: le théologien voit ici la sagesse de Dieu sauvegarder et faire évoluer positivement la création que la chute a comme retournée vers le néant. Ces "systèmes" sont de purs intelligibles et Lossky justement avait attiré l'attention sur la "théorie dynamique de la matière" que l'on trouve chez Grégoire de Nysse et Maxime le Confesseur et qui "permet de concevoir des degrés différents de matérialité"[21]. Quant à l'évolution, on pourrait dire qu'elle s'accomplit à l'intérieur de l'Homme, de sa chute, de sa recomposition, pour s'accomplir dans la résurrection du Christ qui permet l'ultime mutation de l'humain, l'apparition de "ressuscités"»[22].

Valdimir Lossky avait, de son côté, attiré l'attention sur la "théorie dynamique de la matière" que l'on trouve chez Grégoire de Nysse et Maxime le Confesseur et qui "permet de concevoir des degrés différents de matérialité"[23]. V. Lossky, dans cette vision, ne pense pas qu’à la matérialité faisant suite à la chute, mais également à ce qu’il en adviendra lors de la résurrection : "Ainsi, dans la condition mortelle, après le péché, la nature spirituelle de l'âme gardera un certain lien avec les éléments désunis du corps qu'elle saura retrouver après la résurrection pour qu'ils soient transformés en corps spirituel, qui est le vrai corps, différent de notre corporéité grossière, "vêtements de peau" que Dieu a fait pour Adam et Ève après le péché" (Théo. myst. p.99).
On retrouve là ce que dit Saint Paul « Ainsi en va-t-il de la résurrection des morts: on est semé dans la corruption, on ressuscite dans l'incorruptibilité; on est semé dans l'ignominie, on ressuscite dans la gloire; on est semé dans la faiblesse, on ressuscite dans la force; on est semé corps psychique, on ressuscite corps spirituel. S'il y a un corps psychique, il y a aussi un corps spirituel ». (1 Co.15, 42-44).

La condition présente du monde et de l'homme ne serait donc pas constitutive de la création, elle serait le résultat d'une chute. Les lois naturelles du monde corrompu ne seraient donc pas les lois naturelles du monde originel (lois préternaturelles pour éviter toute confusion). « Le cosmos lui-même, à la suite du péché d'Adam, « est assujetti à la vanité, livré au pouvoir du néant» — ce qui seul peut expliquer la présence massive du mal physique dans un monde créé pourtant par un Dieu bon »[24], rappelle Mgr Léonard.
Dès lors, la réalité du monde naturel se manifeste par la possibilité de l'expérience scientifique s'accomplissant dans le temps et dans l'espace. Cette réalité est distincte de l'aspect cosmogonique du monde qui ne s'appréhende que par l'esprit.
Il faut bien entendu inclure l’homme dans cet réalité cosmique. Crée à l'image de Dieu et à sa ressemblance l'homme récapitule en soi toute harmonie mystérieuse de l'univers. Le péché est un désordre qui, non seulement lèse celui qui le commet, mais atteint toute l'harmonie du plan divin de la Création.

Un éclairage reste nécessaire pour
- comprendre de quelles lois internes parle Laudato si : « l’être humain est appelé à respecter la création avec ses lois internes » (Ls § 69) ?
- approfondir les sens des mots « garder et cultiver » pour distinguer, d’une part l’ordre divin de « garder le jardin d'Éden et le cultiver » (Genèse 2-15), ordre antérieur au péché originel, et, d’autre part, la malédiction du sol, postérieure au péché, qui, dès lors, « produira épines et chardons » obligeant l’homme « à force de peines,  [à en tirer] subsistance tous les jours de la vie » (Genèse 3, 19).

3.3- De l’intemporalité au temporel

Le Paradis n’aurait donc été situé ni dans notre espace ni dans le temps de notre histoire. Le théologien Jésuite espagnol, Francisco Suarez  (1548-1617) dit qu’« au sujet du premier instant de la création,… il n’est pas nécessaire d’admettre un lieu déterminé »[25]. Le péché d'Adam, est un péché d'orgueil de l'homme qui veut devenir Dieu lui-même, un péché qui s'inscrivait « dans le contexte plus large du péché des anges, dans le cadre d'une révolte satanique et angélique[26]»[27], aurait été commis réellement, mais dans un monde qui ne coïnciderait pas avec le nôtre, un monde préternaturel réel mais métahistorique.
Comment pourrait-on expliquer cela alors que toute la Genèse nous décrit la création échelonnée en six jours ?
Le théologien Nicolas Berdiaev distingue, plus ou moins précisément, trois sortes de temps[28]. Tout d’abord le temps historique, qui est le temps de notre monde déchu. Puis le temps cosmique, qui est le temps du cosmos dans son entier. Et enfin le temps existentiel qui est le temps de l’acte créateur. Cependant, indépendamment de ces différences, ces trois types de temps[29] sont induits par une succession de changements qui affectent, d’une manière ou d’une autre, le déroulement de la vie du cosmos et donc du monde.
Le théologien Hans Urs von Balthasar ajoute que "puisque Paul voit dans ces esprits [anges déchus] les régents du cosmos et de ses éléments, la temporalité matérielle a pu, de tout temps, et dès avant la chute de l'homme au paradis, être troublée et dérangée par eux"[30]. Mgr Léonard évoque plutôt une quasi concomitance de la révolte des anges et d'Adam et Ève: « Maxime le Confesseur, [conçoit] que le premier péché a "coïncidé" de fait  -non de droit !- avec la création, c’est à dire que l’homme s’est "d’emblée" éloigné de Dieu et qu’ainsi, sans qu’il y ait lieu de traduire dans une distance temporelle ce qui fut un jour détournement spirituel "instantané", l’univers n’exista jamais, en fait, que dans sa condition déchue, "aussitôt" voulue par l’homme et par les anges rebelles »[31]

Pierre Milliez explique que, après la chute, « la volonté d’Adam et Ève d’être autonome de Dieu a entraîné la création de l’espace (et de la matière-énergie). Dieu a dû également créer le temps pour que nous ne soyons pas condamnés éternellement dans notre condition, et pour permettre le changement »[32].
Pour Nicolas Berdiaev, ce ne serait pas le temps qui permet à une succession de changements de se produire[33]. Ce seraient, au contraire, les changements qui se produisent au sein de la création qui induisent l’écoulement du temps. Néanmoins, si le changement était à la base de l’écoulement de ces trois formes de temps, il demeurerait que ces temps seraient fondamentalement différents en raison du type d’activité qui les génère.

3.4- De l’ordre préternaturel à l’espace naturel

Le premier péché n'aurait pas été commis par les premiers hominisés de l'évolution biologique, ces « brutes qui viennent à peine d'accéder à la conscience » [34] comme les appelle Mgr Léonard. Ces derniers se situeraient à l'intérieur d'un monde déjà déchu, tandis qu'Adam et Ève seraient à l'origine de cette déchéance. La paléontologie ne peut pas les atteindre, ni eux ni leur péché.

« La chute de l'homme, écrit Berdiaev, s'est produite hors de ce monde des phénomènes et hors de ce temps. Ce monde et ce temps sont au contraire produits de la déchéance[35]. La chute ne put s'accomplir dans le monde naturel parce que ce monde lui-même est le résultat de la chute. La chute est un événement du monde spirituel; en ce sens elle est antérieure au monde, eut lieu avant le temps et engendra notre temps[36] ».

Le Père Gaston Fessard professe également qu'Adam et le péché originel sont historiques, mais d'une historicité antérieure à notre histoire : le péché originel « a eu lieu à l'Avant sans avant. Plus exactement (il) constitue le point Alpha de la durée »[37].
Comme il ne faut pas chercher Adam du côté des néanderthaliens ou de Cro-Magnon, il ne faudrait pas chercher, non plus, le « paradis » dans les espaces éthiopiens[38].

3.5- Une rupture radicale entre monde préternaturel et monde naturel

Il serait vain d’imaginer que le monde préternaturel puisse encore exister[39], un peu comme coexistent le monde naturel et le monde surnaturel dans lequel Dieu vit depuis des éternités et auquel il a toujours voulu nous intégrer. Mais pour comprendre la gravité de la rupture, on peut se demander quelle pourrait être alors la nature du monde préternaturel[40]. Dans le monde naturel, il « demeure un reflet de l’harmonie paradisiaque, mais si souvent indifférente, voire même hostile à son plus beau fleuron : l’homme », explique Mgr Léonard[41].
On peut aussi s’appuyer sur Gen 3,23-24 : « Et Yahvé Dieu le renvoya du jardin d'Éden ... et il posta devant le jardin d'Éden les chérubins et la flamme du glaive fulgurant pour garder le chemin de l'arbre de vie ». Les chérubins ne gardent donc pas l’entrée d’un paradis définitivement perdu, mais désignent un nouveau chemin de vie, la Croix qui sera dressée au centre du monde naturel. C’est en chassant Adam du paradis que Dieu a sauvé Adam une première fois : en lui imposant l’éloignement de l’arbre de vie (Gn 3,24), il permet à Adam de ne pas être victime d’une forme d’addiction au fruit de l’arbre de vie, et en lui montrant un autre chemin de vie, une sorte de « plan B », Dieu a évité à Adam une mort éternelle, c'est-à-dire l’enfer.
En tout état de cause, s’il y a une continuité réelle entre le monde d'avant la chute et le monde d'après la chute, il y a entre ces deux états de la Création une discontinuité qualitative tout aussi réelle.
Le monde dans lequel nous vivons est à la fois merveilleux et cassé, merveilleux de par la création, cassé par suite du péché, et appelé à être restauré et transfiguré dans le Christ ressuscité, vainqueur du péché et de la mort.
Le théologien russe Nicolas Berdiaeff explique qu’il y a une destinée tragique qui résulte de cette discontinuité, celle « du heurt entre le fini et l'infini, le temporel et l'éternel »[42].
Et, si le monde fini et le monde éternel continuent de s'interpénétrer l'un l'autre, tout en demeurant fondamentalement différenciés, ce serait en raison d'un acte non-historique, la chute. Nicolas Berdiaev explique cet apparent paradoxe de la manière suivante : « La chute est un événement du monde spirituel; en ce sens elle est antérieure au monde (naturel, tel que nous pouvons le connaître par l’expérience), eut lieu avant le temps, et engendra notre temps »[43]

Sommes-nous face à des "passerelles" entre deux mondes distincts ? Ou alors le Paradis aurait-il été tout simplement créé sur terre?
- Pour Origène, père de l'Église (182-254), "le récit de Gn 2-3 ne peut pas correspondre à la description d'un événement terrestre puisque le péché d'Adam se déroule alors que la matière n'existe pas encore"[44]. Saint-Éphrem le Syrien (306-373) serait dans cette ligne d'un paradis "hors sol" "Même si, par les mots, l'Éden semble terrestre, il est en son essence pur et spirituel"[45]
- Hippolyte de Rome (170-235), au contraire, conclut que le Paradis "n'est pas au ciel mais dans la création. C'est un lieu de l'Orient et une région choisie"[46]
- C'est saint Augustin qui réconcilie les deux thèses: "Il y a, sur ce point, trois grandes opinions. La première est celle de ceux qui ne veulent voir dans le Paradis qu'une réalité corporelle; la seconde, celle de ceux qui n'y voient qu'une réalité spirituelle; la troisième, celle de ceux pour lesquels le paradis est, à la fois réalité corporelle et réalité spirituelle. J'avoue que cette troisième a ma faveur"[47]

3.6- La référence au péché originel dans Laudato si

Le Pape François parle peu de la nature du péché originel. Le mot "chute" n'est utilisé nulle part dans l'encyclique, le mot "péché originel" n'est évoqué que lorsqu'il est expliqué que:

"les récits de la création dans le livre de la Genèse contiennent, dans leur langage symbolique et narratif, de profonds enseignements sur l’existence humaine et sur sa réalité historique. Ces récits suggèrent que l’existence humaine repose sur trois relations fondamentales intimement liées : la relation avec Dieu, avec le prochain, et avec la terre. Selon la Bible, les trois relations vitales ont été rompues, non seulement à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur de nous. Cette rupture est le péché. L’harmonie entre le Créateur, l’humanité et l’ensemble de la création a été détruite par le fait d’avoir prétendu prendre la place de Dieu, en refusant de nous reconnaître comme des créatures limitées. Ce fait a dénaturé aussi la mission de « soumettre » la terre (cf. Gn 1, 28), de « la cultiver et la garder» (Gn 2, 15). Comme résultat, la relation, harmonieuse à l’origine entre l’être humain et la nature, est devenue conflictuelle (cf. Gn 3, 17-19). Pour cette raison, il est significatif que l’harmonie que vivait saint François d’Assise avec toutes les créatures ait été interprétée comme une guérison de cette rupture".(LS 66)

Rien, dans Laudato si, n'évoque la conséquence du péché originel sur la nature elle-même. Même si elle est d'une grande profondeur, la réflexion évoque seulement l'idée de la nature trinitaire de la création avant la chute originelle: « Saint Bonaventure en est arrivé à affirmer que, avant le péché, l’être humain pouvait découvrir comment chaque créature "atteste que Dieu est trine". Le reflet de la Trinité pouvait se reconnaître dans la nature "quand ce livre n’était pas obscur pour l’homme et que le regard de l’homme n’avait pas été troublé "» (LS 239).
Cette absence d'approfondissement de la nature du péché originel mériterait des éclairages dans la perspective de la tradition de l'Église. Laudato si, aux dires de nombreux commentateurs, n'est pas un document théologique, mais surtout pastoral. Malgré tout, n'y a-t-il pas dans ce texte un risque de confusion entre "création" et "monde naturel" qui a des conséquences sur lesquelles nous reviendrons.

4- Entre la corporalité d’Adam et notre corps d’homme, un véritable Big-bang !

Quel que soit le point de vue adopté, historique ou cosmique, le sens et la destination du monde ne peuvent être compris sans que soit posée, en même temps, la question de la corporalité d’Adam et Ève. Comme le pensait saint Augustin, leur « corporalité [était] différente de la nôtre »[48]. Que cela peut-il nous inspirer ?

4.1- La création de l’homme

Nous ne reviendrons pas ici sur l’exégèse bien connue de la Genèse au sujet de la création de l’homme. Il est toutefois tentant de s’interroger : quelle pouvait être la nature - et même, si on peut le dire la préternature- des corps d’Adam et Ève.
Auraient-ils pu avoir un corps glorieux empreint d’une lumière divine qui se serait dégagée d’eux[49] ? Certes, le premier homme et la première femme étaient un avec Dieu, partageant l’essence divine. Mais l’aspect glorieux[50] des corps est une qualité qui évoque le monde surnaturel plus que le monde préternaturel. La tradition veut en effet que le corps glorieux ait, en sus des dons préternaturels recouvrés, les qualités de subtilité (parfaite subordination du corps aux opérations de l'âme, sans soumission aux contraintes matérielles), l'agilité (tout changement de lieu sera quasi instantané) et la clarté (corps revêtu de splendeur lumineuse). 
Sans aller jusqu’à parler de « corps glorieux » d’Adam, on notera que la tradition orthodoxe parle volontiers de « corps mystique d’Adam ». Ainsi, Olivier Clément, dans un texte[51] intitulé « L’homme et le cosmos », écrit : « Le monde cesse d’être le "corps mystique" d’Adam pour s’effondrer dans la séparation et la mort où Dieu le stabilise, le sauvegarde, l’oriente vers l’incarnation du Christ, nouvel Adam ». Par corps mystique du Christ, on entend l'Église "et ses membres, chacun personnellement » (1 Cor. 12;27), ainsi que la définition qu'en donne saint Paul : "tous les membres du corps, si nombreux soient-ils, ne forment qu'un seul corps, ainsi en est-il du Christ". (1 Cor. 12;12-13). Olivier Clément extrapole-t-il à Adam l'idée que toute l'humanité, si nombreuse soit-elle, était "contenue" en Adam?  
Quoiqu’il en soit des hypothèses d’un corps d’Adam « glorieux » ou « mystique » ou autre, citons ce que le Père Florent Urfels retient de la pensée de saint Augustin : "Adam, avant le péché, jouit d'une corporalité différente de la nôtre, et, en tant que telle, prophétique de ce que le Christ réalisera pour notre salut"[52].
Les orthodoxes ne sont pas seuls à parler du corps glorieux d’Adam ; Jean Chrysostome parle d’une gloire qui est comme un vêtement. Adam et Eve, « s’ils possédaient un corps, n’en sentaient pas les limites […]. Comment eussent-ils connu leur nudité puisque la gloire céleste les parait comme d’un superbe vêtement ? [53]». Et Delphine Horviller[54] exhume une interprétation de la nudité d’Adam et Eve défendue par Philon d’Alexandrie : Dans l’état édénique, l’homme était dépourvu de peau, non séparé du monde, transparent à son prochain :
La chute correspondrait donc… à la fin d’un état lumineux et translucide auquel fait place une entrée dans le monde de l’obscurci. Nous passons du monde de la transparence au monde du recouvert […] L’homme sait qu’il est nu et que le regard de l’autre peut se poser sur lui. Ainsi naît le besoin de se couvrir. Quand on est transparent, nul besoin de se cacher. C’est lorsqu’on cesse de l’être qu’on se sent trop nu pour rester à découvert[55].
Si donc la corporalité d'Adam était différente de notre corps actuel, se pose une question subsidiaire : comment Adam et Ève pouvaient-ils suivre l'instruction divine reçue "Croissez et multipliez" ? 

4.2-  L’union sponsale d’Adam et Ève avant la chute, génération de l’humanité ?

Dans ses homélies sur la théologie du corps, Jean-Paul II explique que, avant la chute, l’expérience du corps avait un degré élevé de spiritualisation : « il semble suffisamment clair que "l’expérience du corps" que nous pouvons déduire du texte ancien, Gn 2, 23 et plus encore Gn 2, 25, indique un degré de « spiritualisation » de l’homme, différent de celui dont parle le même texte après le péché originel (Gn 3) et que nous connaissons par l’expérience de l’homme historique »[56].
L’idéologie sexuelle qui imprègne nos cultures contemporaines rend difficile l’introduction d’un « degré de spiritualisation » dans la vocation de nos premiers parents à se multiplier. Le mot clef pourrait être celui de l’« union sponsale » entre Adam et Ève. Encore faut-il comprendre ce concept.
Le catéchisme de l’Église catholique précise le sens de l’union sponsale : « Jésus, le Nouvel Adam, inaugure par sa conception virginale la nouvelle naissance des enfants d’adoption dans l’Esprit Saint par la foi. " Comment cela se fera-t-il ?" (Lc 1, 34 ; cf. Jn 3, 9). La participation à la vie divine ne vient pas " du sang, ni du vouloir de chair, ni du vouloir d’homme, mais de Dieu " (Jn 1, 13). L’accueil de cette vie est virginal car celle-ci est entièrement donnée par l’Esprit à l’homme. Le sens sponsal de la vocation humaine par rapport à Dieu (cf 2 Co 11,2) est accompli parfaitement dans la maternité virginale de Marie » (§ 505).
Il est bien mystérieux d’imaginer comment Adam et Ève se seraient « multipliés » comme ils en reçurent l’ordre, comment ils auraient « généré » l’humanité. Comment imaginer une capacité procréatrice d’Adam et Ève se réalisant dans cette extase de l’un pour l’autre et en communion avec le cœur de Dieu qui s’ouvre à la vie ? L’idée d’Olivier Clément qui parle de « corps mystique » serait-elle une piste de méditation ? Ce concept de « corps mystique » d’Adam , serait-il à comparer à notre appartenance, depuis Pâques, au corps mystique du Christ, nouvel Adam ?
Toutefois, de la même manière qu’il y aurait des « passerelles » entre le cosmos préternaturel et notre monde naturel, il reste, dans la sexualité naturelle de l’homme, des réalités qui rappellent celle de nos premiers parents. Toute la pédagogie de Jean-Paul II à travers sa théologie du corps consiste à aider l’homme historique à redécouvrir, autant que faire se peut, cette vocation sponsale de la sexualité.
Dans la communion des personnes, Adam et Ève sont à l’image de Dieu. « Leur unité dénote surtout l’identité de la nature humaine ; la dualité, par contre, manifeste ce qui, sur la base de cette identité, constitue homme et femme l’homme créé »[57], explique Jean-Paul II.
Il ajoute que « le corps humain, dans sa masculinité et dans sa féminité originelle... a un caractère sponsal "depuis l'origine"... le corps est l'expression de l'esprit et il est appelé, dans le mystère même de la création, à exister dans la communion des personnes "à l'image de Dieu" ».
Jean-Paul II ne renie pas l’attrait des corps préexistant à la chute : « le fond "naturel", somatique et sexuel, de cette attraction » fait partie de « cette ressemblance [qui] est certainement contenue dans l'œuvre de la création[58]...  Intérieurement libres de toute contrainte de leur propre corps et sexe, libres de la liberté du don, homme et femme ils pouvaient jouir de toute la vérité, de toute l'évidence humaine, ainsi que Dieu-Yahvé le leur avait révélé dans le mystère de la création »[59].

Peut-on conclure avec Mgr Léonard, que, dans l’hypothèse où Adam et Ève n’auraient point péché, l’humanité issue d’Adam et Ève serait advenue « selon un autre processus que la reproduction sexuelle conjurant la mort, processus, bien sûr, aussi peu imaginable que le monde de la résurrection où, comme dit Jésus, "on ne prend plus ni femme ni mari" (Lc 20, 35-36) » [60] ?

4.3- L’essence du péché

Retenons l'essence du péché telle que l'analyse le père Florent Urfels: "Le péché n'ajoute pas la matière à un homme qui en était dépourvu, mais il modifie la matérialité de l'homme et, pour tout dire, il l’amoindrit ... Désormais, nous ne connaissons plus Dieu par science infuse, mais par la foi douloureusement obscure, jusqu'à ce que la Résurrection nous communique une connaissance béatifiante de Dieu qui transitera aussi par notre corps"[61].
Cette modification de la matérialité a rendu l'homme mortel: avant le péché, Adam pouvait mourir et ne pas mourir. Le péché a fait disparaître ce choix qui aurait, au demeurant disparu: si Adam avait ratifié sans condition son élection par Dieu, il n'aurait  plus été dans la situation de pouvoir mourir alors qu'avec le péché, il a perdu la possibilité de ne pas mourir. On peut appliquer au monde matériel tout entier ce que saint Augustin disait à ce sujet du seul Adam.

4.4- La sexualité après la chute

Peut-on imaginer qu’avec le péché, la lumière qui fait la jonction de l’âme, de l’esprit et du don de Dieu dans le corps masculin et féminin se soit éteinte ? Cette lumière aurait-elle été si forte qu’on ne pouvait voir qu’à travers cette lumière ? Ne serait-il plus resté que la lumière du corps extérieur ? Ils auraient vu qu’ils étaient nus et ils en auraient eu honte, non pas parce que c’est honteux d’être masculin ou féminin du point de vue de la nudité, mais serait-ce parce qu’ils n’auraient plus vu leurs corps tel qu’ils étaient dans la lumière originelle : ils auraient perdu la connaissance originelle du corps ? [62].
Avec le péché, l’union est polluée par l’émergence de la concupiscence sexuelle (libido) qui fait que nous ne voyons plus les sources vivantes spirituelles du don de soi à travers les profondeurs intérieures de notre personne.
Jean-Paul II explique que avec le péché, «  l’homme perd la certitude originelle de l’image de Dieu exprimée par son corps,... il perd son droit de participation à la perception du monde dont il jouissait dans le Mystère de la Création.... [Il exprime sa] conscience d’être sans défense et [son] insécurité de sa structure somatique en présence des processus de la nature soumise à un inévitable déterminisme ! »[63]. C’est la nature même de la procréation qui est bouleversée par le péché originel[64].
L’idée que la vocation de la sexualité ait été profondément bouleversée ressort dans plusieurs textes puisque c’est seulement après la chute qu’Ève a enfanté son premier fils Caïn. Jean-Paul II explique que c’est même la réalité de ce péché qui donne à l’homme de découvrir la signification procréatrice du corps :

« Ainsi, la vie que l'homme a reçue dans le mystère de la création ne lui a pas été enlevée, mais ramenée entre les limites de la conception, de la naissance et de la mort, et, de plus, aggravée par les perspectives de l'état héréditaire de pécheur; en un certain sens, toutefois, elle lui est donnée à nouveau comme tâche dans le même cycle à répétition continue. La phrase: "Adam s'unit ("connut") à Ève, sa femme, qui conçut et engendra ..." est comme un sceau imprimé dans la révélation originaire du corps, "à l'origine" même de l'histoire de l'homme sur la terre. Cette histoire se forme toujours de nouveau dans sa dimension la plus fondamentale, quasi dès "l'origine", moyennant la "connaissance-génération" même dont parle le Livre de la Genèse...
... La conscience de la signification du corps et la conscience de sa signification génératrice viennent en contact, chez l'homme, avec la conscience de la mort dont il porte, pour ainsi dire, l'inévitable horizon en lui-même » [65].

Pour Grégoire de Nysse, selon l'interprétation du père Florent Urfels, "la nature humaine d'avant le péché n'est pas identique à celle d'après, notamment pour ce qui concerne la procréation. D'angélique à l'origine, le mode humain de procréation se fera finalement bestialement"[66].   
Qu’on ne se méprenne pas : aucun des auteurs cités ne dit que le péché originel n’aurait la sexualité comme lieu causal. En revanche, le péché a un effet qui se révèle, entre autres, dans la sexualité :

« Augustin est tellement convaincu de cette solidarité entre péché et conséquence du péché, qu’il appelle volontiers péché le désordre consécutif au péché. ...
Cette contradiction établit l’homme dans un esclavage à l’égard du créé et du fini. Dans sa quête indéfinie des choses, il cherche son bien dans ce qu’on appelle aujourd’hui le « mauvais infini ». Il s’aliène lui-même, vivant à la porte de lui-même, dans le désir illusoire d’une jouissance qui recule devant lui comme un mirage, puisqu’il ne peut jouir en définitive que de Dieu. Le désordre n’est pas dans les choses qui sont bonnes, mais dans l’attachement désordonné qui les divinise. ...Augustin donnera la place la plus importante à la concupiscence charnelle (libido), que l’on pourrait traduire par le « désordre du désir sexuel »[67]. Ses expériences ont certainement joué un rôle dans sa réflexion théologique. La sexualité est en effet pour lui un lieu où l’homme fait l’expérience d’une perte du contrôle de soi. Non seulement la pulsion sexuelle est habitée par un certain désordre, mais l’acte conjugal, même dans le mariage le plus saint, fait entrer une dynamique qui, à partir d’un certain moment, échappe à la liberté des époux. Ceux-ci sont alors conduits par l’instinct....
Sans doute pense-t-il que la sexualité était un bien avant la chute. Mais l’émergence de la concupiscence (libido) est le fait du péché qui instaure un dualisme dans l’homme et renverse la relation originelle entre l’esprit et le corps, telle qu’elle était vécue dans la grâce. La concupiscence est la perversion d’une sexualité originellement bonne. L’expérience montre que la libido laissée à elle-même conduit au péché ceux qui lui obéissent. Si donc la concupiscence se définit comme l’autonomie de la fonction sexuelle par rapport à l’esprit, et même comme une désobéissance de la chair à l’esprit[68], elle est un mal et une corruption »[69].

Le pape Jean-Paul II précisait :

«  En réalité, à travers la nudité se révèle l'homme privé de la participation au Don, l'homme dépouillé de cet Amour qui avait été la source du don originel, la source de la plénitude du bien destiné à la créature. Selon les formules de l'enseignement théologique de l'Église, cet homme fut privé des dons surnaturels et préternaturels qui, avant le péché, faisaient partie de "ce qu'il avait reçu": de plus, il fut endommagé dans tout ce qui appartient à sa nature même, à son humanité dans la plénitude originelle "de l'image de Dieu". La triple concupiscence correspond non pas à la plénitude de cette image, mais précisément aux dommages, aux déficiences, aux limites qui se révélèrent avec le péché. La concupiscence s'explique comme carence dont les racines s'enfoncent dans la profondeur originelle de l'esprit humain. »[70].

Ainsi, tant le cosmos que la sexualité humaine du monde naturel sont à la fois éloignés et en continuité avec le monde préternaturel. Lise Wajeman fait une lecture théologique comparable du péché originel « comme la fin du temps éternel, la naissance du corps sexué balançant entre jouissance et souffrance sexuelle, et le brouillage de la vérité et du mensonge »[71].
La gravité du péché originel qui introduit la concupiscence se traduit dans ce « désordre du désir sexuel » que le Pape Jean-Paul II qualifie d' "insatiabilité de l'union de l'union mutuelle entre l'homme et la femme"[72].
Jean-Paul II associe intimement trois concepts, ceux de la honte, de la triple concupiscence et de l'insatiabilité qui font immédiatement suite à la faute originelle.

  • En ce qui concerne les concepts de honte et de concupiscence: "la honte originelle du corps ... préannonce l'inquiétude de la conscience liée à la concupiscence" (Audience N°28 du 28 mai 1980)
  • En ce qui concerne les concepts de concupiscence et d'insatiabilité:
    • chez l'homme: Il "semble être celui qui éprouve de manière particulièrement intense la honte de son propre corps: "j'ai eu peur parce que je suis nu et je me suis caché" (Gen 3,10)... l'homme est celui pour qui la honte, unie à la concupiscence, deviendra propension à "dominer" la femme ("il dominera sur toi").
    • chez la femme: Jean-Paul II s'appuie sur le texte de Genèse 3,16, "ton élan te portera vers ton mari" pour expliquer que "l'expérience d'une telle domination se manifeste plus directement chez la femme comme désir insatiabled'une  union différente" (audience n°31 du 25 juin 1980). Jean-Paul II explique que l'expression de Gen 3,16 indique "que la femme ressentira comme un manque de pleine unité précisément dans le vaste contexte de l'union avec l'homme... Pour la première fois, l'homme est défini comme "mari". ..." (audience du 18 juin)

Dans son ouvrage D’Adam à Abraham, ou les errances de l’humain, André Wénin va même plus loin, en évoquant l’idée qu’« Ève remplace un homme qui la domine par un homme [Caïn] qu’elle possède … Ainsi, dans le cri d’Ève, se vérifie la première partie de la sentence d’Adonaï Élohim envers la femme « vers ton homme, ton avidité… » (Gen 3,16) l’homme s’avérant être en réalité le fils ».[73]

4.5- De la chair au corps

La rupture du péché originel est le fruit d’une logique considérable. Le père Florent Urfels en développe l’ampleur[74] : « En réclamant une forme d’autonomie pour choisir Dieu à partir de l’homme, Adam exige que le rapport de son corps à son âme soit modifié, et tout autant son rapport global à la matière. Il exige que soit posée une forme seulement objective de la matière, à laquelle son corps ne se réduira pas (sinon Adam tomberait en Enfer), mais à laquelle il participera. En termes henryens, Adam veut être à la fois chair et corps, et pas seulement chair[75] ».

i - La chair d’Adam et Ève: leur masculinité et féminité avant la chute.

Quelle était donc cette corporalité d’Adam et Ève dont ils auraient perdu la connaissance originelle après le péché ?
Le thème de la masculinité et de la féminité originelles est développé par de nombreux auteurs, catholiques comme le père André Louf, ancien Père abbé du Mont des Cats, ou orthodoxes comme Annick de Souzenelle. Le père Louf explique : 

« L’homme et la femme, selon la Bible sont créés à l’image de Dieu (Gn 1,27), dans leur spécificité même d’homme et de femme. L’homme est image de Dieu dans sa masculinité. Il représente l’amour de Dieu pour autant que celui-ci est force, vigueur et fidélité[76]… La femme aussi, dans sa féminité, est l’image de l’amour de Dieu. Mais elle représente plutôt sa bonté et sa tendresse[77]. Dieu est les deux en même temps… Il l’est en une seule nature, bonté et force s’identifiant en Lui d’une manière qui dépasse notre entendement »[78].

Le péché originel a en quelque sorte opposé ces deux dimensions avec une dualité des sexes qui a dédoublé cette dimension globale de l‘amour de Dieu.
Malgré le péché originel,

« Inconsciemment, [l’homme et la femme] portent dans leur cœur l’autre part de l’image de Dieu. Chaque homme en effet possède en lui un pôle féminin, et chaque femme un pôle masculin, comme la psychologie nous le rappelle. Ce pôle inconscient, l’homme le porte comme une ouverture et un désir, comme une possibilité de reconnaître l’autre sexe et d’être reconnu par lui de devenir ainsi conscient de sa propre image de Dieu » [79].

Annick de Souzenelle, théologienne orthodoxe dit la même chose :

« Lorsque l’Adam [l’être humain] est créé, il est différencié de son intériorité, que nous appelons aujourd’hui l’inconscient, et cet inconscient est appelé Ishah, en hébreu. Nous avons fait d’Ishah la femme biologique d’Adam, qui, lui, serait l’homme biologique. Dans ma lecture, il s’agit du « féminin intérieur » à tout être humain, qui n’a rien à voir avec la femme biologique. Il s’agit de l’être humain qui découvre l’autre côté [et non la côte] de lui-même, sa part inconsciente, qui est un potentiel infini d’énergies appelées « énergies animales ». Elles sont en chacun de nous. On en retrouve le symbole au Moyen-Âge, dans les représentations sculpturales : le lion de la vanité, de l’autoritarisme, la vipère de la médisance, toutes ces caractéristiques animales extrêmement intéressantes qui renvoient à des parties de nous, que nous avons à transformer. La Bible ne parle pas du tout des animaux extérieurs, biologiques, que nous avons à aimer, à protéger. Elle parle de cette richesse d’énergie fantastique à l’intérieur de l’Homme qui, lorsqu’elle n’est pas travaillée, est plus forte que lui, et lui fait faire toutes les bêtises possibles. Ce n’est alors plus lui qui décide, qui « gouverne » en lui-même.
Il est extrêmement important de bien comprendre que cet Adam que nous sommes a en lui un potentiel qui est appelé « féminin » — que l’on va retrouver dans le mythe de la boîte de Pandore chez les Grecs et dans d’autres cultures — et que ce potentiel est d’une très grande richesse à condition que nous le connaissions, que ce ne soit plus lui qui soit le maître, mais que chaque animal soit nommé et transformé »[80].

ii- La corporalité de l’homme et de la femme après la chute

Cette perte de connaissance de leur nature d’origine a des conséquences dans la manière dont l’homme et la femme vont être appelés à exercer leur sexualité.
Ils sont appelés à monter vers Dieu lui-même, moyennant cette « moitié » de l’image de Dieu dans l’autre. « À ce point, ajoute le Père Louf, intervient l’abstinence sexuelle. Abstinence provisoire chez l’adulte qui n’est pas encore marié ; continence périodique chez les époux ; continence définitive dans le célibat choisi… »[81]. Pourquoi cet appel à l’abstinence ? « Comment cela se fait-il ? », se demande le Père Louf.

« Quand quelqu’un renonce à satisfaire son besoin d’affection auprès de l’autre sexe, il doit trouver une autre voie pour s’équilibrer intérieurement et trouver la paix dans l’autre pôle sexué qu’il porte inconsciemment en lui. … Renoncer à exprimer cet autre pôle vers l’extérieur dans le mariage, si on le fait correctement, libère au plus intime de notre être la valeur spirituelle dont cet autre pôle est le signe et qui nous habite déjà inconsciemment. Nous pénétrons ici jusqu’au noyau le plus profond de notre être humain, là où notre psyché inconsciente possède encore une structure sexuée qui est à l’image de Dieu ; là aussi où Dieu est déjà présent avec son Esprit, dans sa dualité supra-sexuée, bien au-dessus de l’homme et de la femme, Lui qui est à la fois tendresse et force… Le sexe imprime sa marque sur la prière. Ceci ne doit pas nous étonner si nous admettons que la prière se trouve stimulée par la solitude sexuelle de l’homme comme de la femme » [82].

Le père Louf explique que « l’homme et la femme, à travers le célibat et la prière, retrouvent ainsi leur autre moitié en Dieu, cet autre panneau du diptyque, tendresse et force, qui constitue ici-bas une très pure image de Dieu… Dans le mariage, l’homme et la femme sont signes de Jésus l’un pour l’autre, et de la prière qui sommeille encore dans leur cœur. Aussi, pour eux, le chemin vers la prière passe normalement par leur partenaire » [83].

iii- Quel sens donner à la glaise ?

« Dieu modela l’homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l'homme devint un être vivant ». (Gn 2, 7). L’homme est donc fait de chair tirée de glaise et d’esprit.  En façonnant l’homme avec de la glaise, Dieu l’a ennobli de l’image de sa propre grandeur. Quoi de commun entre la glaise et l’esprit ? Le théologien Adalbert-Gautier HAMMAN donne sa réponse : « La ressemblance s’achève en aphtarsia, incorruptibilité où l’homme tout entier, glaise transformée par l’Esprit. Elle finit par réaliser ‘le parfait ouvrage de Dieu’, réalisation conjointe de l’artiste divin et de l’homme. (…) »[84].
Le moine orthodoxe Grégoire le Sinaïte[85] parle du  « pouvoir de l’Esprit, avec l’aide du Logos, qui fit de ta chair – ta glaise dans sa forme naturelle – une image flamboyante et resplendissante de la beauté divine »[86].
C’est dans cette glaise que « s’enracine la tendance vers l’infini, le désir de totalité qui trouve son accomplissement dans le rapport avec Dieu »[87]. Il faudrait prolonger cette méditation sur la glaise pour mieux comprendre Michel Henry quand il propose une notion de chair originelle non constituée mais donnée dans l’archi-révélation de la Vie. « Bien qu’elle soit traditionnellement comprise comme le siège du péché, la chair est aussi pour le christianisme le lieu du salut, qui consiste en la déification de l’homme, c’est-à-dire dans le fait de devenir Fils de Dieu, de revenir à la Vie éternelle »[88].
De la même manière que la chair vivante s’oppose radicalement au corps matériel et que c'est la chair qui nous permet de connaître le corps, la glaise préternaturelle s’opposerait à la matière inerte du monde naturel. La parole fondamentale du prologue de l’Évangile de Jean, qui dit que le Verbe s’est fait chair, affirme cette thèse invraisemblable d’un Dieu incarné dans une chair mortelle semblable à la nôtre, mais affirmant l’unité du Verbe et de la chair dans le Christ.

Le mot « Golem » est d’origine biblique et n’apparaît qu’une seule fois dans la bible, dans la bouche d’Adam : « Quand je n'étais qu'une masse informe (Golem), tes yeux me voyaient; Et sur ton livre étaient tous inscrits les jours qui m'étaient destinés, avant qu'aucun d'eux existât » (Ps 139, 16)[89]. Le mot Golem évoque une « substance embryonnaire et incomplète »[90]. Dans la tradition rabbinique de la kabbale, Golem est une créature de terre glaise, incapable de parole et dépourvue de libre-arbitre, fabriquée par un rabbin kabbaliste. Pour lui donner vie, le rabbin inscrivait sur le front du Golem le mot emet (אמת, « vérité » et un des noms de Dieu). Pour arrêter le Golem, il effaçait la première lettre pour donner met (מת, « mort »), faisant retourner l’homme à la poussière d’une terre faite d’une matérialité différente que la glaise. La mystique juive posait que les golems avaient été faits par ceux qui étaient proches de Dieu dans leur divinité. Pourquoi golem est-il une substance incomplète ? Car conçu comme l’imitation de l’homme, la seule capacité manquante du golem était celle de la parole. Cette parole manquante est réservée à ses créateurs. Les kabbalistes ont retenu cette recette de fabrication des golems : il fallait avoir de l’argile, maîtriser la prononciation du mot ineffable et effectuer une marche circulaire en récitant plus de 200 formes d’alphabet secret[91]. Se basant sur le même verset, le Talmud enseigne que Dieu, créant Adam, l’aurait d’abord fait golem, l’élevant du sol au firmament avant de lui insuffler son âme.

4.6- Une nouvelle corporalité qui atteint Jésus lui-même !

Le père André Louf, va jusqu’à expliquer que, « bien sûr, Jésus n’était pas pécheur lui-même,… parce qu’il était Dieu », mais, « inévitablement le corps humain qu’Il avait assumé était une chair de péché (Col 1,22 ; Rm 8,3) » [92] …  Comment expliquer cela ? Le Père Louf donne un exemple, celui de l’expérience de la prière par Jésus qui « n’a pas été aussi facile qu’il paraîtrait à première vue. Non seulement parce qu’il est difficile  de créer un langage approprié à cette réalité indicible » [93]. Mais parce que la difficulté était plus profonde : « La nature humaine dont [Il] fut revêtu [et qui] connaissait encore des traces du péché. La langue même que, jeune enfant, il apprit à balbutier, portait aussi la marque du péché »[94].  Ainsi, ajoute le Père Louf, « Dieu prend une forme humaine, dans un corps et dans une psychologie marquée par le péché. Jésus sombrera dans ce drame »[95].
Cette réflexion sur l’incarnation de Jésus se prolonge également sur la nature de sa masculinité. Le père Louf explique que « ce n’est pas fortuit ni arbitraire. Si Dieu se faisait homme, Il devait prendre le sexe masculin ». L’homme étant signe de l’amour de Dieu en tant que celui-ci, de toute sa force,  s’engage pour sauver.

« Arrivée à ce point, la valeur de signe de la virilité de Jésus s’arrête. Ou plutôt, elle a déjà atteint sa plénitude. Franchir un pas de plus et contracter mariage avec telle femme concrète ici-bas, n’aurait eu aucun sens pour Jésus. Dans le mystère de son être propre, l’homme-Dieu avait déjà reçu infiniment plus. Le mariage avec une femme ne pouvait plus rien Lui ajouter… Il était lui-même, dans sa double nature, Dieu et homme : Dans sa divinité, il est donc sans mesure ; dans son humanité, il est accueil et éminente réceptivité. Aussi, toute tension est-elle abolie dans sa sensibilité comme dans sa sexualité. Car son amour est déjà comblé et rassasié, plus profondément et plus largement qu’il n’aurait pu l’être dans un mariage. C’est de cette plénitude que son statut corporel d’homme célibataire est le signe » [96].

Que conclure ? « En Jésus, nous voyons donc comment l’abstinence sexuelle peut exprimer la réalité spirituelle la plus profonde d’une personne. Tout le potentiel sexué est ainsi situé sur un autre plan, où il trouve épanouissement et accomplissement, sans jamais cesser d’être masculin ou féminin. Un tel accomplissement de la sexualité humaine dépasse de loin l’épuisement passager de la tension érotique. Ceci ne peut étonner celui qui sait à quel point la sexualité, dans l’homme, est bien l’image de Dieu » [97].
Concernant la « passibilité » de Jésus, contrairement à l’impassibilité originelle d’Adam,  elle désigne bien sur non seulement des souffrances, des besoins, des passions et des désirs, comme la faim et la soif, des sentiments humains. Il n’y a qu’une seule différence entre l’homme-Dieu et tous les autres hommes : en raison de la parfaite constitution de sa nature humaine, ses sentiments ne pouvaient jamais prendre des élans ou des proportions qu’il n’aurait pas dominés par sa volonté. Ses passions étaient donc parfaitement soumises à sa raison, c’est pourquoi la théologie leur donne un nom particulier : des pro-passions.

4.7- Une nouvelle corporalité qui atteint également la vierge Marie,

La Vierge a possédé la même passibilité que son fils, tant du côté des besoins que des sentiments et des passions. Mais comme en son divin Fils, ses passions n’ont jamais pu entraver l’exercice de sa raison, ni l’entraîner de quelque manière que ce soit : elle les dominait parfaitement.
Il résulte de ce qui précède que la Très Sainte Vierge, comme son Fils, a pu souffrir, tant dans son corps que dans son âme.  Si Dieu l’a permis, c’est que c’était convenable pour l’accomplissement du plan de la Rédemption. Elle a pu ainsi imiter parfaitement son Fils et participer à la satisfaction qu’il a offerte à son Père. Elle aussi donné un exemple de vertu. D’où la dévotion à la compassion de la Mère de Dieu.

Mais il y a une différence fondamentale entre la Vierge, notre Mère, et nous-mêmes.
En effet, nous subissons ces souffrances pour deux raisons. D’abord, parce que tout être matériel peut se détériorer, et, pour les vivants, subir la maladie ou les blessures. En cela, aussi bien le Christ que sa Mère, pouvaient souffrir. Le seul être absolument indéfectible est Dieu.
Mais nous devons subir les croix de notre existence aussi à cause du péché qui a désordonné la nature et mérité un châtiment : c’est le mal de peine. Sans oublier que le péché nous a fait perdre les dons préternaturels. Ainsi, le désordre du péché et la permission du mal comme châtiment du péché sont à l’origine de nos souffrances ici-bas.
Mais comme il n’y a jamais eu de péché dans la Mère de Dieu, il n’y aucune raison pour qu’elle soit affligée de la souffrance en raison d’une faute, ne serait-ce que la faute originelle.
Autrement dit, les souffrances de Marie ne sont pas chez elle un châtiment. Elle les accepte librement en union avec son Fils, pour restaurer l’honneur de Dieu et accomplir le salut des âmes[98].

4.8- La vierge Marie, icone de la vocation procréatrice humaine ?

Le Pape Jean-Paul nous a indiqué dans son encyclique sur Saint Joseph, Redemptoris Custos, qu’entre Marie et Joseph, il y avait une «  proximité sponsale. La profondeur de cette intimité, l'intensité spirituelle de l'union et du contact entre personnes - de l'homme et de la femme proviennent en définitive de l'Esprit, qui vivifie (cf. Jn 6, 63). » (§ 17).
On voit donc le rôle capital que joue Joseph dans l’incarnation du Christ dans le sein de Marie. Cette thématique mériterait d’être encore longuement développée au regard de cet appel du catéchisme de l’Église catholique : «  les personnes mariées sont appelées à vivre la chasteté conjugale » (§ 2349).

4.9- La vocation royale de l’homme ? L’homme soumis à l’évolution !

Mgr Léonard évoque le bouleversement qui advient dans la vocation royale de l’homme sur l’univers : « L’univers physique montré à nos premiers parents demeura l’univers physique naturel qu’il était. Et, au lieu d’en être le roi, l’homme en devint le produit, issu de lui par l’évolution biologique et abandonné à son pouvoir écrasant et, en fin de compte, mortel.... L’évolution animale, n’est pas le lieu du premier péché, mais plutôt l’une de ses conséquences »[99].
Le père Gérard-Henri Baudry, Docteur en théologie et en philosophie,  dit que nous sommes donc ici devant la thèse d’un « Adam métahistorique »[100]. Jean-Paul II, parle de « préhistoire théologique »[101]. Le père Florent Urfels préfère la thèse de "Adam archi-historique" car Adam, dit-il, "n'est pas au-delà (méta) de l'histoire, mais à son principe (archê)"[102].
Si l’évolution est la conséquence du péché, comment intégrer théologie et biologie face aux théories de Darwin ? Jean-Paul II, à l'occasion d’un anniversaire de l'Académie pontificale des sciences, le 22 octobre 2016, expliquait que:

« L’élaboration d'une théorie comme celle de l'évolution, tout en obéissant à l'exigence d'homogénéité avec les données de l'observation, emprunte certaines notions à la philosophie de la nature.
Et, à vrai dire, plus que de la théorie de l'évolution, il convient de parler des théories de l'évolution. Cette pluralité tient, d'une part, à la diversité des explications qui ont été proposées du mécanisme de l'évolution et, d'autre part, aux diverses philosophies auxquelles on se réfère. Il existe ainsi des lectures matérialistes et réductionnistes et des lectures spiritualistes. Le jugement ici est de la compétence propre de la philosophie et, au-delà, de la théologie (§ 5)
... Avec l'homme, nous nous trouvons donc devant une différence d'ordre ontologique, devant un saut ontologique, pourrait-on dire. Mais poser une telle discontinuité ontologique, n'est-ce pas aller à l'encontre de cette continuité physique qui semble être comme le fil conducteur des recherches sur l'évolution, et ceci dès le plan de la physique et de la chimie? La considération de la méthode utilisée dans les divers ordres du savoir permet de mettre en accord deux points de vue qui sembleraient inconciliables. Les sciences de l'observation décrivent et mesurent avec toujours plus de précision les multiples manifestations de la vie et les inscrivent sur la ligne du temps. Le moment du passage au spirituel n'est pas objet d'une observation de ce type, qui peut néanmoins déceler, au niveau expérimental, une série de signes très précieux de la spécificité de l'être humain. Mais l'expérience du savoir métaphysique, de la conscience de soi et de sa réflexivité, celle de la conscience morale, celle de la liberté, ou encore l'expérience esthétique et religieuse, sont du ressort de l'analyse et de la réflexion philosophiques, alors que la théologie en dégage le sens ultime selon les desseins du Créateur (§ 6) »[103].

Olivier Clément écrivait en 1972 que:

« La pensée chrétienne devrait envisager le problème de l’évolution. Les découvertes de la géologie et de la paléontologie s’arrêtent nécessairement aux portes du Paradis, puisque celui-ci constituait une autre modalité de l’être. La science ne peut remonter en deçà de la chute puisqu’elle est incluse dans les conditions d’existences provoquées par celle-ci. Ce que la science appelle « évolution » représente spirituellement le processus d’objectivation, d’extériorisation de l’existence cosmique abandonnée par le premier Adam. Le monde cesse d’être le « corps mystique » d’Adam pour s’effondrer dans la séparation et la mort où Dieu le stabilise, le sauvegarde, l’oriente vers l’incarnation du Christ, nouvel Adam ... Avant la phase actuelle d’évolution (de l’esprit hors de la matière), se placerait une phase d’involution (de l’esprit dans la matière), phase évidemment in-expérimentale puisqu’elle se serait développée dans une autre dimension du Réel ».[104]

 C’est ce qui fait dire à Mgr Léonard que l’homme se retrouve comme un pauvre animal raisonnable : « Adam a voulu la fausse autonomie qui le libérerait de Dieu son créateur. Il obtient ce qu’il a voulu et expérimente combien cette fausse indépendance le condamne à un universel asservissement au point que, créé par Dieu comme esprit incarné dans le monde préternaturel, il se retrouve maintenant comme un pauvre « animal raisonnable » issu de l’évolution biologique » [105].
« Dieu abandonne la nature humaine à ses propres ressources naturelles..., la dépouillant ainsi des dons préternaturels » ajoute Mgr Léonard[106], même si le concept d’abandon par Dieu n’est pas forcément la plus appropriée pour qualifier cette condition biologiquement mortelle comme tout animal dans laquelle se retrouve l’homme.
Jean-Paul II admet parfaitement qu’il puisse y falloir introduire un regard théologique dans la théorie de l’évolution : « Bien que cela puisse rencontrer de la résistance de la part de la théorie évolutionniste (même parmi les théologiens), il serait cependant difficile de ne pas se rendre compte que le texte analysé de la Genèse, spécialement Genèse 2, 23-25, montre la dimension non seulement « originelle » mais aussi « exemplaire » de l’existence de l’être humain, en particulier de l’être humain « comme homme et femme »[107].
Comment comprendre un tel paradoxe concernant la théorie de l’évolution ? Comment ne pas éprouver une forme de résistance intellectuelle à l’idée qu’Adam, homme créé, ait pu préexister à l’apparition de l’homme tel que l’explique Darwin ? Il faut accepter, avec Jean-Luc Marion, que « rien ne suscite plus de résistance à la Révélation que son éventuelle authenticité… Résistance et Révélation vont de pair… La résistance indique subjectivement le degré d’invu et à la profondeur de l’ailleurs d’une révélation. … Identifiée comme son caractère intrinsèque, la résistance explique que toute Révélation puisse, et en un sens doive, susciter un conflit »[108]

5- Adam avait-il une âme ?

Pneuma (πνεῦμα) est un mot du grec ancien pour « souffle », et dans un contexte religieux, indique l’« âme » au sens du principe vital qui anime l’être vivant. La genèse ne laisse pas de doute : Adam a été insufflé d’une âme dès qu’il fut modelé : « Yahvé modela l’homme avec la glaise du sol et lui insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant » (Gn 2 :7).

Reste à réfléchir sur la qualité de l’âme « préternaturelle » d’Adam, celle des divers êtres vivants de la nature matérielle actuelle.

5.1- Définition philosophique de l’âme.

Chez Aristote, quatre causes président à toute réalité. La vie n’échappe pas à cette identification : elle a une cause matérielle (atomes de matière), une cause efficiente (les parents du vivant), une cause finale (pour le chrétien : chanter la gloire de Dieu), mais également une cause formelle qui fait que la réalité est réalité. La cause formelle de la vie, qui identifie que la vie est vie est philosophiquement appelée âme. Thomas d'Aquin et Avicenne ont repris cette idée Aristotélicienne pour définir l’âme. D’ailleurs, le concile de Vienne en 1312 dit que « L’unité de l’âme et du corps est si profonde que l’on doit considérer l’âme comme la "forme" du corps… »  (CEC § 365). Dieu est la seule réalité sans « cause » parce que non créé.
Selon cette définition philosophique, tous les êtres vivants sont « animés d’une âme » qu’ils soient végétaux, animaux ou humains. L’âme est donc l'aspect qui distingue les êtres vivants des objets inanimés. S’interroger sur le stade auquel l’être vivant reçoit une âme est un faux problème : il y a une identité profonde entre être vivant et âme, donc immédiateté. Reste donc à préciser les qualités de ces âmes.

5.2- Les différentes qualités de l’âme

« Les distinctions entre une âme végétative, une âme instinctive et une âme spirituelle peuvent être abordées du point de vue de l’immanence par rapport à l’extérieur. Dans ce contexte, on peut expliquer ces différences en termes de la relation d’une entité à son environnement :

                       i.          L’âme végétative

Elle est principalement immanente, car elle est principalement orientée vers les processus internes de croissance, de nutrition et de reproduction propres à la vie des plantes, sans une conscience ou une activité orientée vers le monde extérieur. Bergson souligne que l’enracinement de la plante à son sol et son insensibilité corrélative signifient qu’elle est captive d’elle-même, qu’elle se situe dans une pure immanence[109], sans référence à une cause ou à un principe extérieur. Dans la Genèse, contrairement aux animaux qui sont « animés » de vie (Gn 1 :30), les végétaux ne sont que « porteurs de semence » (Gn 1 :29)

                     ii.          L’âme instinctive,

Elle est associée aux animaux, est plus orientée vers l’extérieur que l’âme végétative. Elle inclut des facultés sensorielles et instinctives qui permettent à l’animal de réagir aux stimuli de son environnement, mais sans la rationalité propre à l’âme humaine. L’animal se rapporte à autre chose qu’à lui-même. Mais Bergson a bien souligné le caractère connaissant de l’instinct, c’est-à-dire que l’animal se meut toujours déjà dans une atmosphère conceptuelle[110], il le referme aussitôt dans un cercle pulsionnel. Bergson explique que l’existence animale se déploie perpétuellement transie de peur et d’inquiétude. Il est remarquable que la Genèse précise que les animaux sont « animés » de vie (Gn 1 :30).

                   iii.          L’âme spirituelle,

Elle est spécifique à l’humanité, est considérée comme la plus orientée vers l’extérieur, car elle inclut la rationalité, la pensée, la conscience morale, et la capacité de transcender les besoins purement biologiques pour s’engager dans la réflexion et la culture.  Ce qualificatif « spirituel » est repris par le catéchisme : « Souvent, le terme "âme" signifie le principe spirituel en l’homme » (CEC § 363).
Pour Bergson, avec « l’homme, la conscience brise la chaîne »[111] du végétal à l’humain en passant par l’animal, tel que le décrit Aristote. Il y a une « différence entre la conscience de l’animal, même le plus intelligent, et la conscience humaine »[112]. Bergson écrit que la conscience de l’être vivant se définit comme la « différence arithmétique entre l’activité virtuelle et l’activité réelle. Elle mesure l’écart entre la représentation et l’action… si l’instinct et l’intelligence enveloppent, l’un et l’autre, des connaissances, la connaissance est plutôt jouée et inconsciente dans le cas de l’instinct, plutôt pensée et consciente dans le cas de l’intelligence »[113].

L’âme humaine est spirituelle en un double sens :

  • Une âme spirituelle mais gardant des facultés instinctives, en partie prisonnière du corps, de la matière humaine avec ses désirs et passions, soumise à un mental mal maîtrisé depuis la chute originelle, et aux déterminismes intérieurs, aux influences extérieures. D’ailleurs, Pie XII expliquait que « l’esprit humain, pour acquérir de semblables vérités, souffre difficulté de la part des sens et de l’imagination, ainsi que des mauvais désirs nés du péché originel » (Pie XII, encycl. Humani Generis)
  • Une âme spirituelle attirée vers le monde de l’esprit, s’appuyant sur la raison, cherchant à se connaitre elle-même et s’ouvrant à une transcendance qui est cause extérieure de toute chose et de tout être. Ce principe supérieur est difficilement accessible : Notre conscience des choses est limitée, et nous empêche d’accéder à la connaissance intégrale des causes et de la réalité. Notre vision n’est jamais objective : elle est entourée de barrières.

Mais, « cette distinction n’introduit pas une dualité dans l’âme », même si, parfois, « il se trouve que l’âme soit distinguée de l’esprit » (CEC § 367)[114].
L’âme est bien ce qui nous fait vivre : « Le premier [Adam] a été créé par le dernier [Adam], de qui il a reçu l’âme qui le fait vivre » (Catéchisme de l’EC; § 359).
Il n’y a pas de dualisme entre corps et âme : « le genre humain, …dans l’unité de sa nature, [est] composé pareillement chez tous d’un corps matériel et d’une âme spirituelle » (CEC § 360). 

5.3- L’âme préternaturelle d’Adam était-elle d’une essence spécifique ?

La question est légitime dans la mesure où le catéchisme évoque bien l’idée d’un genre humain composé d’un « corps matériel et d’une âme spirituelle ». Que conclure concernant l’âme d’Adam, dans la mesure où la théorie métahistorique ne lui attribue pas un corps matériel, mais un corps glorieux (cf § 4.1 ci-dessus) ?
Constantin l’Africain parlait de la perfection de la chair d’Adam sans laquelle il n’aurait pu recevoir une âme aussi parfaite que la sienne ; or, l’âme étant reçue dans une chair selon une telle perfection, cette dernière devait être parfaitement équilibrée en Adam.
Saint Cyrille d'Alexandrie écrit très clairement que l'âme d'Adam était "libre de toute contrainte, qu'elle avait reçu du Créateur une vie libre, parce qu'elle avait été créée à l'image de Dieu »[115].
Les quatre qualités préternaturelles d’Adam, d’immortalité[116], d’impassibilité, d’intégrité et de don de science (cf § 2) seraient en quelque sorte, les fruits de la gloire de l’âme d’Adam telle qu’elle a été insufflée par Dieu au moment où il l’a modelé à partir de glaise. La communauté de Saint-Martin évoque cette idée : « L’immortalité d’Adam et d’Ève n’est pas due à une vertu insérée en eux : elle n’est pas causée de l’intérieur par les principes de la nature. Elle est un don surnaturel venant de Dieu et préservant le corps de la corruption tant que l’âme reste soumise à son Créateur[117] ».
Il y a une communication immanente entre le divin et l’humain, appelée par Saint Irénée Communion (Koinônia). Dès sa création, l’homme reçoit la participation de son être à l’Être. L’homme est image et similitude (homoiôsis) et non simple ressemblance[118]. Adam, au paradis terrestre, reçoit de Dieu la vocation d’harmoniser les contraires, la finalité de « l’absorption de la chair par l’esprit »[119] ou encore la spiritualisation de tout ce qui existe, transcendant sa nature distincte de Dieu. Adam reçoit, de Dieu, mission d’être cocréateur de lui-même.

5.4- Les conséquences de la désobéissance d’Adam sur son âme

Après sa désobéissance, l’homme reste doté d’une volonté libre et justifiée en Christ, mais il lui faut retrouver sa liberté en Dieu et quitter la divinisation du monde qu’il a opérée et qui a souillé et l’homme et le monde[120]. L’Homme quitte l’éternité et la vie spirituelle pour la vie des sens, « livré à la mort et privé des yeux de l’âme, dépouillé du vêtement de la gloire divine (…), il est chassé du paradis »[121]. La nature est blessée mais pas anéantie, car elle est bonne étant création de Dieu, mais elle reste vulnérable dans sa condition ici-bas.
Notre âme, depuis la chute, a perdu son unité originelle. Ce n’est pas pour rien que Saint-Paul prie pour que « notre être tout entier l’esprit, l’âme et le corps soit gardé sans reproche à l’Avènement du Seigneur » (1 Th 5, 23).

6- Qu’est advenu le plan divin d’origine ?

Rappelons un passage de "De la création", une des neuf romances écrites par saint Jean de la Croix[122]. Dans cet extrait, Dieu, préparant la création dit à son fils : « Je voudrais te donner, mon fils, une épouse qui t’aime et qui, grâce à toi, mérite de nous tenir compagnie et de manger le pain à une même table... »  Je t’en remercie beaucoup, Père, lui répondait le Fils ajoutant qu’« un temps viendrait où il les grandirait et qu’il relèverait cette bassesse [qui était] la leur, parce qu’il se ferait semblable à eux et qu’il s’en viendrait avec eux et habiterait avec eux ; et que Dieu serait homme et que l’homme serait dieu et qu’il parlerait avec eux, mangerait et boirait ». Ainsi donc, l’incarnation était prévue de tout temps, indépendamment de la chute, imprévisible pour Dieu.

6.1- Une "création continuée" à travers incarnation du Fils et glorification de l’homme

Dans la perspective de notre déification, l’incarnation (Noël) et la glorification du fils (Pâques), étaient prévues de tout temps. Mgr Léonard l’affirme bien : « Dans l’hypothèse où Adam et Ève n’auraient point péché, l’Incarnation se serait peut-être[123] produite dans le monde préternaturel, non pour sauver l’homme, demeuré intègre, mais pour l’accomplir en le faisant communier, par le Christ, à la vie divine elle-même. Et, dans le prolongement de cette Incarnation aboutissant à la gloire sans passer par la croix, c’eussent été d’emblée les cieux nouveaux et de la terre nouvelle grâce à l’accueil positif du Verbe incarné »[124] écrit Mgr Léonard. Seul le Vendredi saint et la croix sont donc des conséquences du péché. 

On peut imaginer le plan divin initial comme le passage direct de l’humanité d’un monde préternaturel vers le monde surnaturel dans lequel elle devait être déifiée. Mais il est aussi difficile d’imaginer le monde surnaturel que de décrire le monde préternaturel. 
Le destin de l’homme était non seulement d’être immortel, mais bel et bien, par grâce, d’être divinisé. C’est ce que Ysabel de Andia appelle le « principe de progrès » par lequel Dieu voulait, dès la création, une progression de l’homme « jusqu’à être proclamé Dieu, c’est-à-dire divinisé, et l’élévation d’Adam du paradis au ciel. Le paradis est un stade intermédiaire entre les deux[125] ». Ce progrès peut-il être assimilé au concept de « création continue » que beaucoup de philosophes et théologiens ont assimilé à celui de « conservation de la création » ?  En effet, ils ne prennent pas en compte cette rupture dans le plan divin consécutive au péché originel. Pourtant, chez Jeans Dun Scot (1308), « il y a encore plus de distinction entre création et conservation que chez Thomas »[126]. Descartes, au contraire, « en change le sens dans la mesure où pour lui, conservation signifie exactement création dans un sens temporel »[127].
L’approche archi historique d’Adam pourrait-elle conduire à réserver le concept de « création continuée » ou « continue », au plan divin originel, à ce progrès dont parle  Ysabel de Andia que constitue le passage progressif de l’humanité d’un monde préternaturel vers le royaume surnaturel.
Dès lors, à quoi peut correspondre le concept de « conservation de la création » ? Il nous semble qu’il faut au préalable comprendre l’ampleur du désastre de la chute originelle.

6.2- La dimension de la rupture originelle

Pourquoi faire une telle distinction entre création et monde naturel ? Le père Florent Urfels explique ce que cette distinction implique : « Ceci implique l’apparition d’un cosmos -d’une manière objective- dont l’homme ne sera qu’un élément parmi d’autres ».
Cela implique également, selon le Père Florent Urfels,

« une histoire naturelle de ce cosmos qui fournisse à Adam un nouveau scénario expliquant raisonnablement son apparition que comme une créature de Dieu. Ce scénario, c’est l’Évolution. Adam ‘se retrouve’ issu de l’Évolution, c'est-à-dire que son âme perd la maîtrise qu’elle exerçait sur son corps et qu’elle l’objective en un développement cosmique débutant par le Big-bang, la production des planètes, l’apparition de l’eau, de la vie, des animaux, des hominidés, et ultimement d’Adam lui-même. ‘Après la chute’, Adam est toujours présent au sein de la création, mais Adam est devenu un être historique, situé en un point du temps et précédé d’un passé, d’une histoire naturelle. Adam a eu ce qu’il désirait : désormais, il peut se penser comme ne venant pas de Dieu, mais comme produit par un déterminisme tout matériel. Adam dispose d’une option matérialiste à côté de l’option divine, dualité d’options qui lui permettra de choisir Dieu à partir de lui-même et non à partir de l’élection antécédente de Dieu ».

Le père Florent Urfels insinue la gravité de la situation en disant que, malgré tout, elle ne s’identifie pas à l’Enfer. Mais cette situation est « habitée par une logique d’autonomie qui est déjà une logique de péché. Elle implique un coût existentiel extraordinairement élevé, mais tout à fait cohérent avec ce qu’a voulu Adam. Adam ne pourra plus ne pas mourir, puisqu’il a voulu la mort comme preuve de son origine matérielle et donc de son refus possible de Dieu ».
Cette logique aurait-elle pu conduire à un retour au tohubohu d’origine ? Cette hypothèse aurait-elle été écartée par un nouveau « concours divin »[128] comme l’appelle Leibnitz, une forme de « conservation » divine du monde cosmique qu’Adam a provoqué ? Avec Pâques on parle d’une seconde création ! 

6.3- L’accompagnement divin : une « conservation » du monde naturel ?

Le concept de « conservation » de la création, c'est-à-dire que le monde naturel conséquent du péché originel dure dans le temps par le soutien de l’action divine sans laquelle il retournerait au néant, remonterait à l’antiquité de la théologie, et a été repris par la doctrine de saint Thomas d’Aquin. Dieu conserve et nourrit le monde malgré la corruption de celui-ci. Il soutient toute chose par son verbe (Col 1, 15-17, Ac 17, 28 et He 1, 3). « Mon père et moi sommes toujours à l’œuvre » (Jn 5, 17), y compris dans les choses que « l’action libre des créatures produira » (Vatican 1[129]).

Francisco Suarez voit trois niveaux de conservation :
- le premier niveau est la conservation négative et permissive… Dieu permet aux choses d’être. C’est une conservation par défaut qui implique la volonté de Dieu de ne pas détruire son ouvrage
- le deuxième niveau est celui de la conservation indirect qui écarte ce qui pourrait détruire la créature…
- le troisième niveau est celui de la conservation directe médiate : « Dieu conserve les causes secondes les unes par les autres en coopérant à leur action »[130]

Ces niveaux de « conservation » n’ont de sens que sur une création perturbée. Cela plaide donc pour éviter de parler de « conservation de la création », et d’associer plutôt ce concept à celui  de « conservation du monde naturel ». 

Reste à concevoir ce concept d’actes divins de conservation avec la vérité de la liberté. C’est la notion de liberté qui est en jeu. Bergson critiquait les philosophies dans lesquelles « la liberté [serait] un choix entre des possibles. Pour lui, la possibilité ne précède pas l’événement, elle est créée par lui ... C’est le réel qui se fait possible et non pas le possible qui devient réel » [131].
La possibilité d’une liberté demeure dans la mesure où Dieu conserve à Adam, malgré son péché, une capacité de vouloir et de se déterminer. Nicolas Malebranche explique que « Dieu concède à accomplir notre volonté…Par conséquent, vouloir faire quelque chose de mauvais est un acte impie. Ne vouloir faire que ce qui relève de la loi divine, voilà ce qui convient, car  vouloir le contraire serait  faire faire à Dieu à Dieu des choses qu’il n’a pas voulues » [132].
Mais, il ne s’agit pas, pour une créature, d’agir sur Dieu, mais de fournir à Dieu des raisons d’agir. Fabien Revol s’appuie sur Leibnitz et Sukjae Lee pour dire : « Dieu agit en conséquence des raisons qui lui sont fournies. Et il agit aussi en raison de la bonté comparative de l’état des créatures à l’instant t. L’évaluation de cette bonté lui fait choisir ce qu’il y a de mieux pour la créature » [133].
Ainsi, dans l’action nous adhérons à la puissance de Dieu. Comme l’écrit Pierre Teilhard de Chardin « je coïncide avec elle, j’en deviens non seulement l’instrument, mais le prolongement vivant et, comme il n’y a rien de plus intime dans un être que sa volonté, je me confonds, en quelque manière, par mon cœur, avec le cœur même de Dieu »[134].
Le principal concours divin pour conserver la création est, en quelque sorte, la seconde création, celle qui est constituée par l’incarnation de Dieu dans un corps souffrant. Sans péché, le Christ assume, malgré tout, l’intégralité des vulnérabilités humaines et surtout ses conséquences. Pour glorifier l’homme, Dieu lui-même fait homme ne peut plus, par une forme de « dormition », franchir le passage d’un corps préternaturel à un corps surnaturel, c'est-à-dire une chair transfigurée. Il devait souffrir, mourir et ressusciter.

6.4- Une création ex-Nihilo ou continuée ?

Imaginer une théorie voulant qu’un monde préternaturel ait précédé notre monde naturel, ou vouloir articuler un concept de création continuée au sein du traité de la création, c’est forcément confronter la pertinence de ce concept par rapport à celui de création ex nihilo.
L'idée de création ex nihilo est d'abord théologique. L'Ancien Testament ne connaît pas la notion de création à partir de rien. La Genèse explicite l’affirmation de la création du ciel et de la terre à partir d'un chaos primordial. La création est perçue comme une mise en ordre.
La doctrine de la création ex nihilo s'est développée dans le christianisme du IIe siècle, chez Théophile d'Antioche. L’expression signifie que toute réalité, et en particulier la matière, a son origine en Dieu. Dit autrement, le Créateur est préexistant à tout, y compris à la matière. Pour Théophile, la création ex nihilo est l'acte qui fait exister la matière informe.
La question théologique reste donc complexe. Au demeurant, la Commission théologique internationale, dans son document : « la personne humaine créée à l’image de Dieu » expliquait en 2004 que « Il est bien vrai que l’homme est créé à partir de rien (ex nihilo), mais on peut aussi dire qu’il est créé à partir de la plénitude (ex plenitudine) du Christ lui-même qui est tout à la fois le créateur, le médiateur et la fin de l’homme ».  (§ 53). D'ailleurs, le texte de la Genèse dit bien : "Dieu dit: Que la lumière soit". Lorsque Dieu a créé la lumière, il l'a créé par sa parole en employant le verbe être qui est son Nom et son essence. La première parole que Dieu prononce pour créer l'univers est composée du verbe qui exprime son Être et du mot lumière qui est un de ses attributs. On comprend mieux le discours peu connu de Jean-Paul II,  prononcé lors d’une audience générale le 29 janvier 1986 : « La création est l'appel du monde et de l'homme du néant à l'existence »[135]. Dans ce Texte, il est à la fois question de la création Ex Nihilo (§ 7-f)[136] et de création continue (§ 5-d). Les deux concepts ne sont donc pas incompatibles.
Parallèlement, la commission théologique internationale élargit le concept de « ex nihilo » à celui de « ex plenitudine », c'est-à-dire à partir de la plénitude :
«  C’est dans le Christ que se trouvent les origines de l’homme, car l’homme est créé « par lui et pour lui » (Col 1,16) ; « le Verbe [est] la vie […] et la lumière qui éclaire tout homme, venant dans le monde (Jn 1, 3-4.9) ». Il est bien vrai que l’homme est créé à partir de rien (ex nihilo), mais on peut aussi dire qu’il est créé à partir de la plénitude (ex plenitudine) du Christ lui-même qui est tout à la fois le créateur, le médiateur et la fin de l’homme »[137].
Ce texte rend également indissociable les concepts de creatio ex nihilo et de imago dei :
« La doctrine de la creatio ex nihilo affirme ainsi clairement le caractère véritablement personnel de la création et son rapport à une créature personnelle, façonnée comme imago Dei, qui n’est pas établie en relation à un vague principe, à une force ou à une énergie, mais à un Créateur personnel » [138].

6.5- Qu’est-il advenu de la mission humaine de co-créateur?

La bible fonde bien la théologie d’un homme co-créateur. Mais la question se pose : jusqu’où ?a) L’homme Co-créateur ?
La Genèse (2,15) dit que « « Le Seigneur prit l'homme qu'il avait formé, et il le plaça dans le paradis ». Or, dans la septante grecque, le mot « prit » est exprimé par élaben qui signifie (verbe Lambano) prendre dans ses mains, prendre avec soi, mais également, sens que l’on retrouve en particulier chez Sophocle  et Xenophon  « prendre comme assistant ».
Le mot « le Seigneur le plaça » est exprimé par étheto qui signifie (verbe títhēmi) poser, placer, instituer, mais également de consacrer. Ainsi, Dieu crée l’homme auquel il confère la royauté pour qu’il l’exerce sur toute la création et le consacre comme co-créateur pour l’amener vers son accomplissement.

b) Co-créateur jusqu’où ?
Mais vers quel accomplissement l’homme est-il appeler à participer ? Cela veut-il dire que la création n’est pas achevée ? La genèse dit que « Dieu bénit le 7ème jour et le consacra parce qu’en ces jours il s’était reposé de toutes ses œuvres, celles que Dieu avait entrepris de faire » (traduction mot à mot de « hō̃n ḗrxato ho theòs poiē̃sai » dans le texte grec). La création ne fait que commencer. Adam reçoit la mission de « travailler le paradis »[139] pour la mener vers son accomplissement. Vladimir Lovsky écrit que « le monde est fait parfait par Dieu, afin d’être parfait par l’homme ».
Rappelons le texte de la création « faisons l’homme à notre image comme à notre ressemblance ».  Quel accomplissement l’homme a-t-il donc mission de parfaire ? L’objectif de l’homme est d’accomplir cette ressemblance jusqu’à, librement, consentir à être divinisé.
Le destin de l’homme est non seulement d’être immortel, mais bel et bien d’être divinisé. 
Le nouveau testament confirme ce plan divin. Saint-Paul affirme au début de sa lettre aux Éphésiens : « C‘est ainsi que [Dieu] nous a choisis en [Jésus Christ], avant la fondation du monde, … prédestinés à être pour lui des fils adoptifs par Jésus-Christ » (Eph 1, 4-5). Il le rappelle également aux Romains : « Car ceux que d’avance Il a connus, il les a aussi prédestinés à être conformes à l’image de son Fils, pour qu’il soit un premier-né parmi de nombreux frères » (Rom 8, 29).
Ce rôle de co-créateur se termine-t-il avec la chute et l’exil du Paradis, ou se prolonge-t-il dans son nouveau statut de mortalité ? 
L’objectif est toujours le même : nous sommes appelés accomplir notre ressemblance avec Dieu, à être divinisés, au sens de St-Irénée : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu ». Notre mission de co-créateur consiste-t-elle depuis la chute à restaurer le paradis perdu ? Il faudrait beaucoup de prudence avant d'affirmer ce qui appartient au christ: récapituler toute la création lors de son retour.

c) …jusqu’à la solitude de Dieu
Mais l’homme « a la nuque raide » (Exode 32, 9)  et est sourd quand il s’agit d’entendre la mission de co-créateur que Dieu lui a confié. Dieu en est réduit à une forme mystérieuse de solitude. Non pas d’un enfermement sur soi, ni une solitude de l’aigreur ou de l’envie.
Dieu vit une solitude qui rend « triste à en mourir » : La co-création qu’il nous confie est une merveille qu’il veut nous faire partager. Dieu est seul face à notre surdité et au refus de l’homme. Dieu  n'a pas trouvé d'autre solution que de passer par cet enfer de la solitude que nous appelons la Passion. Mais la grandeur de Dieu, est telle qu'Il ne peut pas s'enfermer dans cette solitude, non seulement parce qu'il est Père, Fils et Esprit Saint, mais surtout, parce que Dieu, dans son cœur, dans son être même, ne peut pas accepter que le don qu'Il a fait, notre création à sa ressemblance, et le don qu'Il veut faire, le salut, ne soit pas vainqueur.  Ainsi, Dieu ne se retire pas seul dans l'infini des cieux, mais, grâce à sa solitude, il fera entrer les hommes qui l'entendent, en communion avec Lui jusqu’à notre divinisation.

7- L’approche « archi-historique » en discussion

Ces réflexions conduisent à imaginer la réalité de trois mondes distincts qu’indirectement le catéchisme de l’Église Catholique distingue bien[140] :
- la création « dans son premier état » (§ 1047), monde préternaturel évoqué dans ces pages, 
- le monde naturel, « univers visible », soumis à « la servitude de la corruption » (§1046). Ce « monde matériel » (§ 1046) est un « monde déformé par le péché » (§ 1048),
- et le monde surnaturel, correspondant à un « achèvement de la terre et de l’humanité » et une « transformation du cosmos » (§ 1048). Ce sera une « nouvelle terre où régnera la justice ».

Les reproches qui peuvent être faits à une telle protologie sont:

7.1- Le procès en concordisme. 

Ce reproche s'adresse généralement à des théories fondamentalistes prétendant dévoiler dans les textes sacrés des connaissances scientifiques modernes que les hommes de l'époque de sa rédaction n'auraient pu avoir. Les formes de créationnisme, de fixisme qui interprètent de façon littérale les textes sacrés. L'une de ses formes consiste, par exemple, à assimiler les jours bibliques aux grandes périodes géologiques (abbé A. Arduin).
À y regarder de près, les tenants du dessein intelligent qui affirment que le Big bang a été causé par Dieu relèvent eux aussi du concordisme. Il s'agit d'un excès de foi en l’existence d’un dessein intelligent de Dieu sur le monde. Dieu pourrait pourtant cacher son dessein derrière une apparence de hasard et d’imprévisibilité apparents mis en lumière par Darwin ou par le Big-bang. Certes, Dieu est la première cause de la création, mais le dessein intelligent de Dieu ne peut pas se limiter à un simple enchaînement de causes secondaires car sa grâce et sa liberté habitent ce processus. Le Dessein intelligent consiste à "reconnaître, dans la nature, des complexités irréductibles qui ont demandé l’intervention d’une cause extérieure dans le cours de l’évolution"[141].
Dans la théorie d'un Big bang préternaturel, il ne s'agit pas d'imaginer un enchaînement de causes physiques, mais de réfléchir à une explication ontologique du mal.
En 1943 l'encyclique Divino afflante Spiritu, du pape Pie XII louait les découvertes récentes de la Commission biblique pontificale et de l'École biblique et archéologique française de Jérusalem et considérait que la méthode historico-critique peut être acceptable lorsqu'elle est nourrie par une grande foi en l'Esprit Saint.

Nous retenons la réflexion du père Florent Urfels: 

« S'il fallait refuser l'hypothèse de l'Adam archi-historique au motif que les sciences physique et biologique n'en décèlent pas la trace, il faudrait aussi refuser la Création eschatologique, la parousie, le jugement dernier et la Résurrection générale... 
L'hypothèse de l'Adam archi-historique prend à rebours nos représentations spontanées... Il s'agit d'une opinion théologique et non d'un dogme de l'Église catholique. Cependant elle semble apte à concilier l'intégralité du dogme du péché originel avec ce que la science nous apprend de l'origine du monde. Mieux encore, elle donne ses lettres de créances en utilisant à son profit la théorie de l'Évolution -et plus largement la science en tant que telle. Poser le discours scientifique comme préalable du péché originel ruine la crédibilité de ce dernier, en revanche poser le péché originel comme préalable du discours scientifique dévoile la signification spirituelle de celui-ci »[142]..

7.2- Le procès en gnosticisme

Ce système de pensée consiste à donner à Lucifer les attributs de créateur de l'univers considéré comme l'incarnation du mal.
C'est pourquoi l'adhésion à une telle protologie ne doit pas conduire à se focaliser sur les désordres de ce monde matériel dans lequel nous vivons. Nous pouvons, au contraire, rendre gloire au Dieu créateur tout puissant qui n'a pas abandonné l'homme et a maintenu de multiples merveilles de beauté et d'harmonies dans notre monde. 
On pourrait parler de gnosticisme si cette théorie relevait d'une simple mentalité culturelle étrangère au christianisme. Dans le cas présent, il s'agit d'une interprétation de la Révélation selon la règle ecclésiale de la foi chrétienne elle-même et de son catéchisme. Ainsi, demeure un attachement au magistère authentique de l'Église comme critère de la vérité chrétienne et de recherche de l'interprétation de celle-ci. 

7.3- Le procès en fidéisme

Le fidéisme consiste à concevoir la foi en Dieu comme une pure affaire d’expérience ou de sentiment, une question de conviction personnelle. Voir dans le péché originel la cause de la corruption du monde naturel ne relève pas de conceptions personnelles de Mgr Léonard, d'Olivier Clément, de Nicolas Berdiaev, ni du Père Florent Urfels, dans la mesure où saint Paul et le catéchisme y font clairement référence.

7.4- Le procès de Dieu lui même

a) Dieu serait-il un Dieu vengeur?
Dieu ne peut pas avoir imaginé la faute originelle : Il descend sur terre, vient vérifier l’inimaginable : Il « parcourait le jardin vers le soir... », « Où es-tu ? » et Il s’étrangle : « Qui t’a appris que tu étais nu ?... Pourquoi as-tu fait cela ? » (Gn 3,7-12). Pour bien comprendre qu’il ne cherche pas à se venger, il faut méditer comment il s’implique dans la situation : « Je mettrai.... » (Gn 3,15). « Dans la série des malédictions, le Seigneur s’exprime à deux reprises en « je », se faisant comme le « sujet de la malédiction »...  Comment comprendre ce « je » de Dieu ?... C’est parce qu’Il se fait sujet de la malédiction qu’il s’avère possible de la porter » [143]. Comme un chef d’équipe s’associe à l’erreur d’un collaborateur, Dieu ouvre les yeux d’Adam  sur la conséquence de son acte : « En désobéissant, les yeux s’ouvrent sur l’extérieur, cet extérieur qui était intégré à partir de l’intériorité... Il y a une dissociation entre l’âme et le corps, entre l’intériorité et l’extériorité... Cette dissociation le conduit à connaître la nudité extérieurement »[144]. Dieu, en devenant le second Adam,  se fera  « malédiction pour nous » (Galates 3,13).

b) Dieu serait-il devenu impuissant au point d’abandonner sa création ?
Non, le catéchisme est très explicite sur ce point : même depuis le péché, Dieu « n’abandonne pas sa créature à elle-même. Il ne lui donne pas seulement d’être et d’exister, Il la maintient à chaque instant dans l’être, lui donne d’agir et la porte à son terme » (Catéchisme, 301). En réalité, Dieu se contente de prendre acte de la logique du péché : Mgr Léonard explique longuement ce point :

« Il accorde à l’homme originel la fausse autonomie, l’indépendance mortelle qu’il réclame. Il ne lui retire pas sa vocation surnaturelle à la vision béatifique, il ne le prive pas de la grâce de son amour, mais,  respectueux de la volonté perverse de l’homme, il abandonne la nature humaine à ses propres ressources naturelles et la dépossède ainsi à contrecœur des dons préternaturels qui l’ornaient. Désormais, la grâce de Dieu ne pourra plus se contenter de porter à son achèvement surnaturel une nature humaine intègre et harmonieuse, elle devra descendre au fond de l’abîme pour y rechercher une nature humaine dépouillée de ses dons préternaturels, privée de son harmonie originelle, abandonnée -non quant à sa vocation ultime, mais quant à sa condition d’existence- à ses ressources naturelles au sein d’un univers laissé, lui aussi, à ses propres lois »[145].

Dieu continuera à intervenir dans le monde naturel,
- par les miracles du vivant du Christ, puis par les apôtres et les saints. 
- par son incarnation dans le sein d’une vierge. S’il est une intervention spirituelle agissant sur la matière, c’est bien celle-là
- par son retour aux derniers temps dont il aura seul l’initiative. 

c) Dieu serait-il vulnérable au point de déléguer à l’homme l’initiative de l’Apocalypse ?
Si « Adam est tombé, et en se brisant, pour ainsi dire, il a rempli de ses débris tout l’univers », disait Saint-Augustin, il montrait que Dieu n’abandonne pas sa création : « La miséricorde divine a rassemblé de partout les fragments, les a fondus au feu de sa charité, a reconstitué leur unité brisée ; œuvre immense, il est vrai, mais songez quel est l’ouvrier ! Il refait ce qu’il avait fait, il réforme ce qu’il avait formé »[146].
Que répondre à certains qui pensent que, s’il a été à l’origine d’un premier Big-bang, l'homme pourrait en initier un second prenant la forme d'une destruction apocalyptique finale par suite de son "péché écologique" ? Si le Christ, disent-ils, a su endosser toute les vulnérabilités humaines, le Père pourrait être à ce point vulnérable que la puissance de l’homme pourrait, non plus simplement -si on peut considérer cela comme simplement mineur- corrompre la création, mais, cette fois-ci anéantir totalement le cosmos ?
Nous ne pouvons suivre la remarque d’un jésuite faite lors d’un colloque à Paray-le-Monial sur la vulnérabilité : il allait jusqu’à dire que Dieu amour ne pouvait condamner à l’enfer aucune de ses créatures, et qu’il pourrait être le seul à se morfondre en enfer, victime de sa vulnérabilité. Il y a dans cette analyse un déni de notre Credo -« Je crois en Dieu, le Père, tout puissant »-, déni de cette toute puissance qui lui permettra de récapituler toute la création comme il l’a promis.
Même à imaginer que l’homme ait la capacité de détruire la planète ou qu’un docteur Folamour en ait la puissance, ce dont nous doutons, il faudrait relire deux textes :
- celui d’Isaïe expliquant au roi Cyrus qu’il n’a été qu’un instrument de Dieu : « Ainsi parle Yahvé à son oint, à Cyrus dont j'ai saisi la main droite, pour faire plier devant lui les nations et désarmer les rois, pour ouvrir devant lui les vantaux, pour que les portes ne soient plus fermées » (Isaïe 45, 1)
- celui de Jérémie rappelant à Israël qu’il n’a été qu’un instrument de sa toute puissance : « Tu fus un marteau à mon usage, une arme de guerre. Avec toi j'ai martelé des nations, avec toi j'ai détruit des royaumes » (Jérémie 51, 20).

Seul Dieu aura l’initiative de l’Apocalypse, même si l’orgueil de l’homme lui faisait croire qu’il pourrait tenir ce pouvoir en ses mains.

8- Conclusion

Comme le père Florent Urfels l’explique, l’hypothèse de l’Adam "archi-historique" est remarquablement cohérente avec l'Eschatologie et la récapitulation de tout le Cosmos dans le deuxième Adam, ainsi que nous le fait contempler l'Épitre aux Colossiens: "Dieu s'est plu à faire habiter en lui toute la plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de la croix"[147].
L’intérêt de cette théorie de l’origine montre la gravité de la corruption de la création par le péché.
Dans le cadre d’une réflexion sur l’écologie, cette réflexion met en évidence une confusion dans le langage courant entre la « création » et la « nature » dans laquelle nous vivons. Cette confusion fait courir au chrétien sensible à l’écologie toute une série de risques :

.8.1- Les risques pastoraux

- Risque de déifier la nature.
Le seul fait de parler de "notre mère la terre" fait penser à la déesse Gaïa.
- Risque de rêver d’un passé idyllique
Une éducation écologique ne doit pas être fondée sur le « désir vague d’un retour au "paradis perdu[148]. Le père  Adrien Candiard le dit à sa manière : « Il est tentant de se dire qu’il suffit de revenir en arrière, de rembobiner le film, pour résoudre tous les problèmes. Penser qu’on peut retrouver le passé, un passé idéalisé au passage, est évidemment une illusion mortifère » (Veilleur où en est la nuit ?, p. 52)
- Risque de s’identifier inconsciemment au créateur
A la fois en pensant que l’homme pourrait avoir la capacité de provoquer l’apocalypse, et que c’est l’homme qui, dès lors, permettrait à la planète d’être sauvée d’une apocalypse. Seul Dieu aura l’initiative de la seule véritable Apocalypse qui sera le signe de sa manifestation. Il faut comprendre les cataclysmes évoqués dans saint Jean non comme des catastrophes naturelles, mais des signes qui accompagnent les sons de trompette, comme pour nous réveiller et nous dire que "Dieu arrive" ! 
- Risque d’imaginer que le monde dans lequel nous vivons, et l’homme, son fleuron, s’identifient au monde créé, alors que Jean-Paul II parle d’une "barrière insurmontable [qui] nous sépare de ce que l’être humain a été alors comme homme et femme"[149]. Cette identification de l’homme au reste du monde créé se trouve dans l’idéologie antispéciste. Marie Laeticia Calmeyn pointe ce danger : "Éloignés de Dieu à cause du péché, l’homme et la femme ne perçoivent plus le sens de l’altérité qui marque leur relation, et ce qui les distingue des autres créatures. Ils veulent se confondre parmi les autres créatures, parmi les arbres" [150]. Elle ajoute à juste titre que "ce texte est d’une grande actualité".

Mgr Léonard exprime à ce sujet "sa réserve vis à vis de Laudato si". Pourquoi?

"Ce qui m'étonne, c'est que, dans ce texte, il n'y ait pratiquement pas de références au fait que ce monde que nous cherchons à préserver n'est pas à identifier purement et simplement avec la création… Je trouve cela ambigu et dangereux. Cela me parait peu respectueux des gens qui souffrent. Tout le monde ne bénit pas chaque matin le soleil. Les gens qui sont déshydratés par le soleil, qui vivent dans des régions où le soleil est torride, ne bénissent pas le soleil tous les jours. Ceux qui sont infondés une fois par an ne bénissent pas notre "sœur l'eau". Et ceux qui sont soumis à des cyclones dévastateurs ne chantent pas les bienfaits de notre "frère le vent". On fait comme si on était encore dans le paradis terrestre ou déjà dans le paradis céleste. Je pense que François d'Assise a écrit ses poèmes en ne pensant pas seulement à l'état présent du monde, lui qui ne pouvait plus supporter un rayon de soleil à cause de sa cécité. Il chante la beauté actuelle de la création dans certains de ses aspects, il ne dit rien de la cruauté de la vie animale. Il ne peut pas dire: béni sois-tu pour notre frère le crocodile, qui broie si bien ses victimes. Mais il chante sa beauté finale. Je trouve, dans Laudato si, qu'il n'y a pas un regard suffisamment large sur la création. Ceci dit, sans appeler la Terre notre mère Gaïa, parce qu'il y a des ambigüités là-dedans, il est clair que nous devons essayer de transmettre aux générations qui suivent une planète vivable, tout en étant prudents quant à la manière dont nous ratifions les thèses scientifiques qui sont à l'origine de certaines prophéties sur l'avenir de la planète. Il y a en effet actuellement un consensus de beaucoup de scientifiques, mais il y a d'authentiques scientifiques qui sont récalcitrants: ils trouvent qu'il y a d'autres explications possibles à ce que nous appelons le changement climatique. L’Église doit être prudente, elle doit s'engager, mais avec prudence, pour ne pas recommencer une affaire Galilée où on dira: vous avez eu tort de ratifier telle ou telle thèse scientifique… L'encyclique est relativement prudente, elle aurait pu l'être plus"[151].

- Risque de remplacer Dieu tout puissant, par un homme tout puissant.
L’homme aurait la capacité de réparer la planète. Certes, si Dieu cherche à réformer ce monde, a fortiori l’homme doit-il s’attacher à la même tâche. Mais, ne donnons pas trop d’importance à nos programmes écologiques comme s’ils pouvaient restaurer le monde dans son premier état même. Ne ménageons pas nos efforts pour "contribuer  à une meilleure organisation de la société humaine" (catéchisme § 1048), mais nos efforts seront vains sans le Christ : les fruits de nos efforts ont en effet besoin d’« être purifiés de toute souillure, illuminés, transfigurés, lorsque le Christ remettra à son Père le royaume éternel et universel » (catéchisme § 1050).
-  Risque de tomber dans un dessein intelligent mal compris
Le Big bang pourrait être non pas tant une "preuve" de l’existence de Dieu que celle du péché originel.
- Risque de confusion en parlant de "sauvegarder la création", plutôt que de "respecter la nature", au sens étymologique du terme, c'est à dire de donner le poids (res-pect) que mérite chacun de ses éléments. Au demeurant, la Genèse ne parle pas de "sauvegarder la création", mais de "garder la création", comme si elle était en perdition. Il est des sémantiques qui sont porteuses de sens.
- Risque théologique, en faisant de l’Évolution un acquit des sciences de la nature préalable à une dynamique de pensée dont la finalité est la formulation « d’un concept de ‘création continuée’ en dialogue avec les sciences de la nature dans une époque marquée par la crise écologique …»[152], d’un concept qui fasse « prendre son sens à la diversité des formes de la création »[153], et d’images « qui permettront de susciter chez les chrétiens des attitudes de sauvegarde de la création » [154]. Est-il fondé de faire d’un objectif moral un préalable à une réflexion théologique ? Est-ce le même biais qui fait dire à John H. Brooke que « le gaspillage de vivants et la violence présents dans la nature sont dont des maux nécessaires pour que le projet créateur se réalise »[155] ?

Florent Urfels a raison de rappeler qu’il ne faut « pas poser en préalable à la réflexion théologique ce que la science elle-même nous dit de l'origine de l'humanité. Car tout le problème découle en réalité de ce préalable jamais aperçu et donc jamais critiqué: le scénario scientifique, étant plus objectif  que le scénario théologique, devrait dicter à ce dernier les conditions a priori de son intelligibilité. Mais un tel préalable est-il nécessaire logiquement? Est-il neutre théologiquement ?»[156].

8.2- Les risques théologiques

- Risque eschatologique: en focalisant la réflexion écologique sur le début des temps, non seulement il y a un risque de confusion entre création et monde naturel, mais on fait passer au second plan la vocation eschatologique de l’homme, celle de notre déification au sens où l’entend saint Irénée. Vouloir une écologie de la nature sans respecter la nature de l’homme est une illusion. Mais la vraie nature de l’homme est une nature appelée à être divinisée. Parler d’écologie humaine, sans parler d’écologie divine est donc une lacune.

- Le risque méthodologique
La question centrale est de savoir si, avant la chute, l’homme pouvait ne pas mourir. Si la réponse est oui, toute la réflexion théologique relative à la création en découle. En effet, la création est un sacrement, c'est-à-dire une réalité distincte de Dieu, mais dont Dieu n’est pas distinct et qui rend renvoie à Dieu sur le mode réel et symbolique. Toute démarche qui voudrait réconcilier les sciences de la nature et la théologie est vouée à l’échec si elle veut partir de la science pour interpréter les réalités divines. En effet, la science est elle-même corrompue par le péché et que le péché a rendu la création illisible parce que l’homme l’a voulu ainsi. 

L'approche scientifique conduit à un a priori théologique: Une approche à partir de la physique quantique pourrait conduire à une conclusion opposée en acceptant une certaine "immutabilité des formes"[157].
Imaginons, en effet, qu'un théologien se laisse aller à imaginer que le "paradis" ait été créé par Dieu sous une forme parfaitement "quantique". Dieu et/ou Adam, connaissant l' "état initial" paradisiaque et Dieu le trouvant bon, avaient-ils connaissance de l' "état final" qui pourrait être consécutif à la faute originelle ?

 

Connaissance de...

 

...l'état initial

(paradis terrestre)...

...l'état final

(monde naturel après le péché originel)...

...par Dieu

OUI par essence

NON, car cela impliquerait qu'il imaginait le péché et ses conséquences

 

...par Adam

OUI, par le don préternaturel de science

NON, car s'il avait su qu'il perdrait ses dons préternaturels, il n'eut peut-être point péché

"En mécanique quantique, il y a un indéterminisme qu'on ne peut pas éliminer.... on connait l'état initial aussi précisément qu'il est possible de le connaître, puisqu'il n'y a rien d'autre,
mais malgré cela, on ne peut pas prédire l'état final
"

(Hervé Zwirn, "Le monde quantique" p. 253)

Notre théologien pourrait conclure de ce tableau une forme d'indéterminisme, cher aux physiciens quantiques, qui expliquerait que, pour Dieu, il n’était pas inéluctable que l’homme ait pu pécher. Cette analogie aurait le mérite de ne pas rendre Dieu complice du mal, ni de penser qu''il ait même pu seulement imaginer le mal.
Notre théologien, s'appuyant sur la physique quantique, pourrait retrouver une forme de "délocalisation" dans le paradis "préternaturel". Il pourrait imaginer un monde créé dans une situation de "superposition d’états" et voir dans la tentation du serpent une sorte d’ "expérience de mesure" ; une forme de "décohérence" se serait produite et il aurait résulté de cette expérience peccamineuse un "état final" de "non-paradis", ce à quoi Dieu aurait répliqué en faisant surabonder sa grâce, organisant pour Ève une session de rattrapage dont cette fois le résultat aurait été le "fiat". D'ailleurs, Hervé Zwirn, un des auteurs du livre "Le monde quantique" cité dans le tableau ci-dessus, montre les différences entre la théorie de Bohm  et la mécanique quantique traditionnelle. L'auteur s'amuse à dire qu'avec la théorie de Bohm, Dieu ne joue aux dés "qu'une fois, alors qu'en mécanique quantique, il y joue tout le temps" (p. 251).
Une telle approche plaiderait pour une théologie de la "conservation de la création" proche de celle du jésuite Francisco Suarez! Si le péché a rendu la création illisible, n'est-ce pas l’homme qui l’a voulu  ainsi? Les lois de la nature ont-elles été voulues par Dieu ou bien les lois naturelles ne sont-elles que l'effet de la surabondance de grâce dont il a décidé d'inonder le monde après le péché ? D'ailleurs, l' "état final" naturel ne serait qu'un a priori qui oubli qu'il n'est qu'un état transitoire: l'eschatologie nous ouvre vers un monde surnaturel qui, lui, sera véritablement "final". En tout état de cause, l'homme aurait tort de chercher  à construire une théologie à partir de sciences elles-mêmes corrompues par la chute originelle.
Nous avons tendance à ne nous laisser aller à aucune de ces théologies au motif qu'elles seraient fondées sur le darwinisme ou sur la physique quantique. Elles sont certes poétiques pour un scientifique.
Florent Urfels a raison de rappeler qu’il ne faut « pas poser en préalable à la réflexion théologique ce que la science elle-même nous dit de l'origine de l'humanité. Car tout le problème découle en réalité de ce préalable jamais aperçu et donc jamais critiqué: le scénario scientifique, étant plus objectif que le scénario théologique, devrait dicter à ce dernier les conditions a priori de son intelligibilité. Mais un tel préalable est-il nécessaire logiquement? Est-il neutre théologiquement ? »[158].
La question centrale est de savoir si, avant la chute, l’homme pouvait ne pas mourir.
Si la réponse est plutôt non au motif qu’Adam et Ève, hommes préternaturels dans un monde préternaturel, le paradis, ne sont que des symboles, alors il faut se poser une autre question: Satan, leur "contemporain", ne serait-il qu'un symbole du mal? Les orthodoxes parle du symbole comme "l'expression d'une réalité indicible", mais d’une réalité tout de même.
Si la réponse est oui, toute la réflexion théologique relative à la création en découle. En effet, la création est un sacrement, c'est-à-dire une réalité distincte de Dieu, mais dont Dieu n’est pas distinct et qui nous  renvoie à Dieu sur le mode réel et pas seulement sur un mode symbolique.
Toute démarche qui voudrait réconcilier les sciences de la nature et la théologie n'est-elle pas vouée à l’échec si elle veut partir de la science pour interpréter les réalités divines? Que penser de St-Pie X qui parlait du "bien mince bagage" des théologiens modernistes qui se bornent à vouloir que "la foi doit en passer par tous les caprices de la science" (Pascendi dominici gregis § 23) ?


[1] Illustration: triptyque inspiré de:
- la Création, de Giovanni di Paolo di Grazzia ou Giovanni dal Poggio, (1445), conservé au Metropolitan Museum of Art à  New York
- Adam et Ève chassés d'Eden, de Maître Bertram von Binden, triptyque (v. 1380), Musée de la Kunsthalle à Hambourg
- Représentation conceptuelle du Big Bang par Mark-A. Garlick, de la Galerie d'art astronomique Space-art.co (UK) 

[2] Penseurs et apôtres du XX° siècle" de Jean Genest, p. 437

[3] Anne-Catherine Emmerick « Le péché originel »

[4] Olivier Clément dans « Questions sur l’homme » Paris Stock- 1972, p. 155 

[5] Bernard Sesboué « L’homme et son salut dans l’histoire des dogmes », pp. 174-176

[6] Né en 1973, prêtre du diocèse de Paris, Docteur en Théologie et en Mathématiques, enseignant à la faculté N.D. aux Bernardins, aumônier de Normale Sup. et de l'école des Chartes, vicaire à la paroisse Saint-Louis-en-l’ Île, auteur d'un article que nous citerons à de nombreuses reprises "Un scénario de l'Origine" (Revue Théologique des Bernardins- n°20 mai-août 2017)

[7] L'expression est du Père Florent Urfels  qui préfère l'expression "archi-historique" à celle "métahistorique" choisie par Pierre Masset dans "réflexion philosophique sur le péché originel" et par Gérard-Henry Baudry dans "le Péché dit originel". Il justifie ainsi son choix "Adam n'est pas au-delà (méta) de l'histoire, mais à son principe" (Père Florent Urfels "Un scenario de l'Origine", Revue Théologique des Bernardins- n°20 mai-août 2017, note n° 9, p. 88)

 

 

 

 

 

[8] « Le savoir et la puissance technique peuvent aussi griser. L’homme est fier aujourd’hui de ses découvertes. ... L’analyse herméneutique et l’étude des Pères auraient-elles aplani les embûches de tous les textes ? Rien n’est moins sûr. ... Mais n’y aurait-il pas  en les profondeurs de la conscience où interfèrent autant aujourd’hui à postuler que nos méthodes diront bientôt le dernier mot sur les rapports mystérieux de l’âme et du corps, du surnaturel, du préternaturel et de l’humain, de la raison et de la révélation ? Car ces questions ont toujours passé pour être vastes et complexes. Quant à nos méthodes présentes elles ont, au même titre que celles d’autrefois, leurs limites d’exercice qu’elles ne peuvent franchir. La modestie, qui est aussi une qualité de l’intelligence, doit garder ici ses droits et nous maintenir dans la vérité. Car cette vertu – tout en ménageant l’avenir – permet dès aujourd’hui au chrétien de faire droit à l’apport de la révélation, bref à la foi » (Étude de la S. Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur « foi chrétienne et démonologie » - 26 juin 1975) .

[9] La tradition remonte à de nombreux pères de l’Église :

- Saint Augustin, dans sa lutte contre le pélagisme, hérésie condamnée par le concile de Carthage en 418 (source : F. J. Thonnard « la notion de nature chez Saint Augustin » (p.  245)

- Saint Jean Damascene, (Cf. art Saint Jean Damascene dans le Dict.de théol. cath.tt. VIÏI A, col. 724, .a. 9; De duabus voluntatibus,'P. ά, t; XCV, col. 168 B; De fide orth., 1. II, c. xii, -P. G., t. XCIV, col. 981 A). « Adam était à l'image de Dieu non seulement comme en tenant son être raisonnable et immortel, mais encore parce qu'il jouissait de te το εύ είναι qui désigne souvent, chez les Byzantins, nos dons préternaturels »(source : « la spiritualité de St-Maxime le Confesseur » de M. Th. Disdier, Échos d'Orient  Année 1930  Volume 29  Numéro 159, , p. 301)

- Saint-Ambroise (Amb. lib.,' P. G., t.-XCI, col. r32O A-B.) (source : theologica)

- Saint-Thomas d’Aquin ( Sum. theol. I, 97, 2) : « Adam, lui, n'a pas le surnaturel proprement dit, et cependant il est immortel, ce qui n'est pas conforme à la nature humaine. Alors ça oblige Thomas d'Aquin à créer un autre concept qui est le concept de préternaturel (praeter veut dire outre ou au-delà) : c'est donné en plus, mais ce n'est pas le surnaturel proprement dit, le surnaturel proprement dit étant ce qui est semence de vie éternelle ». (source)

[10] Voici ce qu’enseigne le catéchisme de l’Église catholique sur l’état de la création d’Adam et Ève (CEC § 374-379):

   374- Le premier homme n’a pas seulement été créé bon, mais il a été constitué dans une amitié avec son Créateur et une harmonie avec lui-même et avec la création autour de lui telles qu’elles ne seront dépassées que par la gloire de la nouvelle création dans le Christ.

   375- L’Église, en interprétant de manière authentique le symbolisme du langage biblique à la lumière du Nouveau Testament et de la Tradition, enseigne que nos premiers parents Adam et Ève ont été constitué dans un état "de sainteté et de justice originelle" (Cc. Trente : DS 1511). Cette grâce de la sainteté originelle était une "participation à la vie divine" (LG 2).

   376- Par le rayonnement de cette grâce toutes les dimensions de la vie de l’homme étaient confortées. Tant qu’il demeurait dans l’intimité divine, l’homme ne devait ni mourir (cf. Gn 2, 17 ; 3, 19), ni souffrir (cf. Gn 3, 16). L’harmonie intérieure de la personne humaine, l’harmonie entre l’homme et la femme (cf. Gn 2, 25), enfin l’harmonie entre le premier couple et toute la création constituait l’état appelé "justice originelle".

   377- La "maîtrise" du monde que Dieu avait accordée à l’homme dès le début, se réalisait avant tout chez l’homme lui-même comme maîtrise de soi. L’homme était intact et ordonné dans tout son être, parce que libre de la triple concupiscence (cf. 1 Jn 2, 16) qui le soumet aux plaisirs des sens, à la convoitise des biens terrestres et à l’affirmation de soi contre les impératifs de la raison.

   378- Le signe de la familiarité avec Dieu, c’est que Dieu le place dans le jardin (cf. Gn 2, 8). Il y vit "pour cultiver le sol et le garder" (Gn 2, 15) : le travail n’est pas une peine (cf. Gn 3, 17-19), mais la collaboration de l’homme et de la femme avec Dieu dans le perfectionnement de la création visible.

   379- C’est toute cette harmonie de la justice originelle, prévue pour l’homme par le dessein de Dieu, qui sera perdu par le péché de nos premiers parents.

      EN BREF

   380 " Dieu, Tu as fait l’homme à ton image et tu lui as confié l’univers, afin qu’en Te servant, toi, son Créateur, il règne sur la création " (Missel Romain : prière eucharistique IV, 118).

   381 L’homme est prédestiné à reproduire l’image du Fils de Dieu fait homme –"image du Dieu invisible " (Col 1,15) – afin que le Christ soit le premier né d’une multitude de frères et de sœurs (cf. Ep 1, 3-6 ; Rm 8, 29).

   382 L’homme est " un de corps et d’âme " (GS 14, § 1). La doctrine de la foi affirme que l’âme  spirituelle et immortelle est créée immédiatement par Dieu.

   383 " Dieu n’a pas créé l’homme solitaire : dès l’origine, ‘il les créa homme et femme’ (Gn 1, 27) ; leur société réalise la première forme de communion entre personnes " (GS 12, § 4).

   384 La révélation nous fait connaître l’état de sainteté et de justice originelle de l’homme et de la femme avant le péché : de leur amitié avec Dieu découlait la félicité de leur existence au paradis.

[11] Par nature l’homme n’était pas plus mortel qu’immortel. S’il avait été créé dès le principe immortel, il eut été créé Dieu. […] S’il avait été créé mortel, il eût semblé que Dieu fût la cause de sa mort. Ce n’est donc ni mortel qu’il a été créé, ni immortel, mais capable des deux.

Ainsi penchait-il vers la voie de l’immortalité en suivant le commandement de Dieu ? Il en devait recevoir l’immortalité pour récompense et devenir Dieu. Se tournait-il vers les œuvres de mort en désobéissant à Dieu ? Lui-même devenait cause de sa propre mort. En effet, Dieu avait créé l’homme libre et maître de lui (Ysabel de Andia, Homo Vivens. Incorruptibilité et divinisation de l’homme selon Irénée de Lyon, Éditions Études Augustiniennes, 1986, p. 100)

[12] St-Augustin : De civit. Dei, XIII, 23-24)

[13] Source : Ferdinand Prat « La théologie de Saint-Paul », vol. 1, Beauchesne et fils, 1961, p. 205

[14] Père Florent Urfels "Un scenario de l'Origine", Revue Théologique des Bernardins- n°20 mai-août 2017, p. 87

[15] Mgr Léonard « Les raisons de croire » (p. 255)

[16] Mgr Léonard « Les raisons de croire » (p. 252)

[17] On peut rebondir sur la manière dont  Anne-Catherine Emmerick  décrit tous ces « arbres et les plantes devenus plus grands et croissant toujours plus. L'eau était plus limpide et plus sainte, toutes les couleurs étaient plus pures et plus vives, tout était indiciblement agréable il n'y avait pas non plus trace de ce que les créatures sont maintenant. Toutes les plantes, toutes les fleurs, tous les arbres avaient d'autres formes maintenant tout parait aride et rabougri en comparaison, maintenant tout est comme dégénéré » (source : « les mystères de l’Ancienne Alliance »)

Le texte intégral a été recueilli par Clémens Brentano, traduit et présenté par Jean-Joachim Bouflet, Ce document contient deux chapitres : 1- La création et 2- Le péché et ses conséquences La création ». Anne-Catherine Emmerick (1774-1824), stigmatisée, a été béatifiée en 2004. Elle va même plus loin en disant que l’homme récapitule en lui toutes choses, des astres jusqu'aux plus petits animaux : « J'ai vu l'intérieur de l'homme, tous ses organes, comme l'image de toutes les créatures et de leurs relations entre elles, il récapitule en lui toutes choses, des astres jusqu'aux plus petits animaux, comme si ceux-ci étaient par la chute de l'homme tombés eux-mêmes dans le corporel et le périssable. Tout ceci s’harmonisait en l'homme, mais il brisa cette harmonie et dut désormais travailler, lutter et souffrir à cause de sa faute. Je ne peux exprimer cela plus clairement, car Je suis moi-même un membre de l'humanité déchue ».

Il faut bien sûr être prudent sur ces formes de romances et ou de révélations privées : la position de l'Église catholique rappelle qu’elles ne sont pas une alternative à l’Évangile et que leur rôle n’est pas "d’améliorer" ou de "compléter" la Révélation définitive. Le catéchisme reconnait toutefois que de telles visions peuvent « aider à en vivre plus pleinement à une certaine époque de l’histoire » (CEC § 67).

[18] quand il avait à 35 ans, dans le cachot de Tolède où il fut enfermé, à Noël 1577, par ses frères carmes de la règle des mitigés pour avoir suivi Thérèse d’Avilla dans le but d’inaugurer une fondation des réformés

[19] Mgr Léonard « Les raisons de croire » (p. 252)

[20] Karl Rahner « Petit dictionnaire de théologie » Paris 1970- p. 350

[21] Vladimir Lossky (1903-1958) "Essai sur la théologie mystique de l'Église d'Orient" (page 98)

[22] Olivier Clément "Orient-Occident: deux passeurs, Vladimir Lossky et Paul Evdokimov" (p. 53-54)

[23] Vladimir Lossky (1903-1958) "Essai sur la théologie mystique de l'Église d'Orient" (page 98)

[24] Mgr Léonard « Les raisons de croire » (p. 218)

[25] Francisco Suarez, « Pro manuscrito », traduction de Sébastien Garde, (Louis Vivès Bibliopole éditeur, Paris,1856, p.14)

[26] Mgr Léonard « Les raisons de croire » (p. 216)

[27] A propos d'Adam, le Père FESSARD dit que son statut ontologique «le place à la limite de la nature humaine au contact immédiat de l'ange»: La Dialectique des Exercices spirituels de St Ignace, Paris, Aubier, 1966, t. II, p. 94.

[28] Le sens de l'histoire. Essai de justification de la destinée humaine, p. 213s; Essai de métaphysique eschatologique. Acte créateur et objectivation, p. 232ss.

[29] Nous nous inspirons ici d’un master de Patrick Baud devant l’Université de Genève intitulée « Nicolas Berdiaev, Prolegomenes à tout acte créateur humano-divin » (Cité dans Patrick Baud « Nicolas Berdiaev - Prolegomenes à tout acte créateur humano-divin »  (p. 22/109)  (archive ouverte UNIGE))

a) Le temps historique

Il est le temps de la division entre ce qui a été, ce qui sera et ce qui est. Division maléfique de surcroît, quand elle voit les instants qui constituent le temps présent être anéantis par ceux qui les suivent. Il est le temps de l’objectivation qui précipite ce qui est désormais le passé dans le « Non-être », ce qui n’a plus d’existence dans l’instant présent. En d’autres termes, le temps historique est le temps voulu par l’homme qui vit sous le règne de la nécessité de l’instant présent. Mais il n’est pas le temps de l’homme créateur libre.

b) Le temps cosmique

En revanche, et même s’il a un même fondement, c’est-à-dire le changement, le temps cosmique « est calculé mathématiquement sur le mouvement de rotation (de la terre) autour du soleil; sur lui sont tablés calendriers et horloges, il est symbolisé par un tourbillon » (Essai de métaphysique eschatologique. Acte créateur et objectivation, p. 233.). Le temps cosmique est le temps calculé, c’est-à-dire appréhendé par une mesure mathématiquement définie. C’est pourquoi, le temps cosmique est le fruit, à la fois d’un constat, la rotation de la terre autour du soleil par exemple, et le fruit d’une recherche mathématique qui permet de prévoir la manière dont se reproduiront un événement cosmique, une éclipse, par exemple. C’est pourquoi, l’homme ne maîtrise pas l’écoulement de ce temps cosmique. Il en est le spectateur. Il n’est, par conséquent, de temps historique que là où se manifeste une succession ininterrompue de changements déterminés par une cause indépendante du devenir naturel de la création. Et il n’est de temps cosmique que là où se poursuit le tourbillon inhérent à la vie de la création cosmique. Mais dans les deux cas, le changement signifie que le temps historique et le temps cosmique, réalités phénoménales, furent générés à un niveau cosmologique par les conséquences de la « Chute », premier changement, dans la structure du cosmos, déterminé par l’homme. A partir de ce changement, il s’est produit une transformation essentielle du cosmos. Le cosmos, qui ne connaissait que le temps cosmique, a été introduit partiellement dans le temps historique généré par la « Chute ». Le cosmos, qui comprend le monde, est depuis dans un temps déchiré. Il est à la fois dans le temps historique et dans le temps cosmique. Le cosmos est dans le temps historique en raison de la répétitivité des mouvements qui le constituent. Le monde tourne régulièrement autour du soleil. Mais le cosmos est aussi dans le temps cosmique, en tant qu’il demeure, toujours et encore, le symbole du bien ordonné et du beau non soumis au règne de la nécessité, au règne de l’objectivation. En effet, si la « Chute » a eu des conséquences d’ordre cosmologiques, il se trouve que les changements qui se produisent depuis au sein du cosmos continuent d’échapper à la volonté de l’homme. Ce dernier ne peut déterminer que le cours du temps historique, parce que son existence se déroule exclusivement dans le monde. Les changements qui se produisent dans le cosmos ne sont, à l’image de ceux qui se produisent dans la nature, que le produit de la transformation des éléments qui le constituent. C’est pourquoi le cosmos est encore, malgré la « Chute » le symbole du beau et du bon voulu par Dieu.

c) Le temps existentiel

Mais, pour Nicolas Berdiaev, il convient de distinguer une troisième conception du temps, c’est-à-dire une autre métaphysique de l’histoire. Entre le commencement de l’acte créateur divin et la « Chute » s’est écoulé un temps non divisé en moments. Ce temps, non divisé en instants, voyait se fondre en une unité indissoluble passé, présent et futur. Ce temps permettait que se rejoignent ce qui a existé, ce qui existait au moment présent et ce qui existera. Et cette interpénétration du passé, du présent et du futur, en un seul temps non divisé, est en fait l’unique réalité temporelle vraie, pour notre auteur. C’est le temps qui « ne se calcule pas mathématiquement (... et qui peut être) symbolisé par un point, lequel exprime un mouvement en profondeur » (Essai de métaphysique eschatologique. Acte créateur et objectivation, p. 232). Car il n’est ni la source du mal ni ne permet à ce dernier de manifester sa négation de l’être. Et cette réalité temporelle, Nicolas Berdiaev l’appelle le temps existentiel. Il est le temps de ce qui existe réellement parce qu’il n’implique ni la nécessité ni le devenir naturel. Il est partiellement pour l’homme, comme il l'est totalement pour Dieu, le temps de l’acte créateur. Mais il ne correspond pas à l'éternité, quand bien même « chacun de ses moments (...) est un “atome d'éternité“ » (Le sens de l'histoire. Essai de justification de la destinée humaine, p. 214). Contrairement aux apparences, la formule n'est pas contradictoire. Elle signifie que "le temps, loin de s'opposer à l'éternité, est le réceptacle choisi par Dieu (...) pour communiquer la véritable éternité (...). L'éternité véritable n'est pas la négation de la temporalité puisqu'elle choisit justement de s'y révéler." (R. Clavet, L'équilibre du divin et de l'humain, p. 234, note 10; l'auteur cite O. Clément, Notes sur le temps [1ère partie] in : «Messager de l'Exarchat du Patriarche russe en Europe occidentale», p. 90-92).

Relevons aussi que ce temps existentiel n’a pas été aboli avec la « Chute ». Le temps existentiel continue de se manifester dans le temps phénoménal, c’est- à-dire les temps cosmique et historique. Dans ces derniers, il n'y a ni début ni fin, mais uniquement une succession d'événements. « Le commencement et la fin se trouvent dans le temps existentiel » (Essai de métaphysique eschatologique. Acte créateur et objectivation, p. 234).

C’est pourquoi, à l'image de l'homme, le monde cosmique, qui contient notre monde, garde en son essence une empreinte divine en tant qu'il est aussi le monde des noumènes, de la liberté, de l'esprit et de la création. En ce sens, le monde cosmique est le symbole d'une seule et unique réalité ontologique, mais divisée à partir de la « Chute ». Le monde cosmique n'est donc pas exclusivement un espace extraterrestre soumis à une temporalité historique et cosmique. Il est aussi l'ordre de la beauté, le symbole de l'harmonie primordiale en raison de son ordonnance. Il est, en ce sens, aussi soumis à la temporalité existentielle.

d) Un temps eschatologique ?

De la même manière que le monde préternaturel et hors du temps et de l’espace, Nicolas Berdiaev voit dans la récapitulation finale de la parousie « la fin de la dictature du temps... rendue possible à partir de la liberté apportée par l’Homme-Dieu, Jésus Christ » (Cité dans Patrick Baud « Nicolas Berdiaev - Prolegomenes à tout acte créateur humano-divin »  (p. 15/109)  (archive ouverte UNIGE)). Pourrait-on donc parler d’un temps eschatologique ?

[30] Hans Urs von Balthasar "de l'Intégration" DDB, 1970, p. 46

[31] Mgr Léonard "les raisons de croire" (p. 252-254)

[32] Source :Pierre Milliez « La somme existentielle III/III La divinisation de l’homme : un mystère d’amour » (BoD - 2015)

[33] Nicolas Berdiaeff : « Cinq méditations sur l'existence. Solitude, société et communauté »,  p. 134.

[34] Mgr Léonard « Les raisons de croire » (p. 210)

[35] Nicolas Berdiaev, Essai de métaphysique eschatologique, Paris, Aubier, 1946, p. 270.

[36] Esprit et liberté, p. 45. À propos de la «Chute», il convient de relever qu’à la p. 90 du même ouvrage, N. Berdiaev écrit que la «Chute» nous parle d’un fait accompli dans notre temps. N. Berdiaev résout cette apparente contradiction en précisant que la «Chute» est un événement qui a eu lieu au-delà des limites qui séparent notre temps de l’éternité, c’est-à-dire en un espace qui n’est déterminé ni par le passé, présent, futur, ni par l’éternité (Le sens de l'histoire. Essai d'une philosophie de la destinée humaine, p. 64).

[37] Source : P. Masset : « Réflexion philosophique sur le péché originel » pp 888-891

[38] La mystique autrichienne Maria Simma (5 février 1915 - 16 mars 2004), parle de ses relations avec les âmes du Purgatoire. Ses révélations sont intéressantes, mais restent à lire avec prudence. Elle relate ceci : « Quelqu’un avait demandé où Eve avait vécu et il y a combien d’années. Certains scientifiques … croient, sur la base d’études terriblement sophistiquées, qu’elle a vécu il y a environ 250.000 ans en Afrique du Nord ou en Asie mineure et j’ai demandé aux âmes si c’était approximativement vrai. Elles m’ont répondu que ce n’était pas la vérité ; ces braves scientifiques ont donc encore bien du pain sur la planche ! » (« Derniers témoignages de Maria Simma - Ultimes révélations recueillies par Nicky Eltz », Editions  ‘Rassemblement à Son Image’ -14 rue des Ecoliers – 22200 PLOUISY – janvier 2013- p. 94)

[39] « Le Paradis existe toujours, mais il est absolument impossible aux hommes d'y accéder », disait Anne-Catherine Emmerick « La création »... Même si une telle affirmation ne relève que d’une vision particulière qui n’est pas un article de foi.

[40] D’autres auteurs s’inspirent de la physique quantique pour évoquer la théorie de la décohérence  qui s'attaque au problème de la disparition des états quantiques superposés au niveau macroscopique. Son objectif est de démontrer que le postulat de réduction du paquet d'onde est une conséquence de l'équation de Schrödinger, et n'est pas en contradiction avec celle-ci. L'idée de base de la décohérence est qu'un système quantique ne doit pas être considéré comme isolé, mais en interaction avec un environnement possédant un grand nombre de degrés de liberté. Ce sont ces interactions qui provoquent la disparition rapide des états superposés. En effet, selon cette théorie, chaque éventualité d'un état superposé interagit avec son environnement ; mais la complexité des interactions est telle que les différentes possibilités deviennent rapidement incohérentes (d'où le nom de la théorie).

[41] Mgr Léonard « Les raisons de croire », p. 252

[42] Nicolas Berdiaeff, « Royaume de l'esprit et royaume de césar », p. 165.

[43] Esprit et liberté, p. 45. A propos de la «Chute», il convient de relever qu’à la p. 90 du même ouvrage, N. Berdiaev écrit que la «Chute» nous parle d’un fait accompli dans notre temps. N. Berdiaev résout cette apparente contradiction en précisant que la «Chute» est un événement qui a eu lieu au-delà des limites qui séparent notre temps de l’éternité, c’est-à-dire en un espace qui n’est déterminé ni par le passé, présent, futur, ni par l’éternité (Le sens de l'histoire. Essai d'une philosophie de la destinée humaine, p. 64).

[44] C'est l'interprétation que fait le Père Florent Urfels ("Un scenario de l'Origine", Revue Théologique des Bernardins- n°20 mai-août 2017, p. 90) d'une phrase d'Origène: "Qui sera assez sot pour penser que, comme un homme qui est agriculteur, Dieu a planté un jardin en Éden du côté de l'Orient et a fait de ce jardin un arbre de vie visible et sensible..." (Origène- "Traité des principes" IV, 3,1 - in sources chrétiennes n° 268, Paris Cerf, 1980, p.343).

[45] Ephrem, "Hymnes sur le Paradis" XI, 4 - in sources chrétiennes n° 268, Paris Cerf, 1980, p.146)

[46] Hippolyte de Rome, "Fragmenta in Hexameron" OG X, c 583 & 586,  in "Terre et paradis chez les Pères de l'Église" (Eranos Jahrbuch, 1953, XXII, p. 443)

[47] Augustin "la Genèse au sens littéral", VIII,1 (in "Œuvre de St-Augustin, BA 49, Desclée de Brouwer, 1972, p.9)

[48] Père Florent Urfels "Un scenario de l'Origine", Revue Théologique des Bernardins- n°20 mai-août 2017, p. 93

[49] C’est ce qu’évoque le texte de la vision d’Anne-Catherine Emmerick. Il faut, encore une fois, prendre une telle vison avec la plus extrême prudence : la béatification de Anne-Catherine Emmerick ne donne pas à ses visions un caractère dogmatique. Le préfet de la Congrégation pour les Causes des Saints, lors de la béatification, a rappelé que la bienheureuse avait dicté certains textes à  l’écrivain allemand Clemens Brentano qui avait pu ne pas reprendre « des transcriptions fidèles de ses déclarations et de ses récits ».

(Source : ‘‘L’Osservatore Romano'' du 7 octobre 2004)

Le texte de la vision est le suivant «  J’ai vu qu’Adam fut créé non pas au Paradis, mais à l’emplacement où devait par la suite s’élever Jérusalem [le centre].... Il était né d’une terre vierge... Et je vis une forme dans son côté droit, et je compris que c’était Ève qui fut tirée de lui par Dieu, ... Je vis Dieu faire tomber le sommeil sur lui et Adam fut emporté en extase. Tandis qu’il était en extase, Dieu tira Ève du côté droit d’Adam. Il fit cela à l’endroit même où Jésus fut plus tard percé par la lance. Je vis Ève.... Alors Dieu tira Ève du côté droit d’Adam à l’endroit où Jésus fut plus tard transpercé par la lance.... Sans le péché originel, tous les hommes seraient ainsi nés au cours d’un doux sommeil de torpeur... Ève se tenait radieuse devant Adam, et Adam lui tendit la main. Ils étaient comme deux enfants, indiciblement beaux et nobles. Ils étaient tout brillants, revêtus de rayons comme d’une gaze... De leurs mains et de leurs pieds je voyais aussi jaillir des rayons lumineux. ... des rayons enveloppaient leurs poitrines, et au milieu du cœur de chacun je voyais une auréole brillante, dans laquelle se tenait une petite figure qui semblait serrer quelque chose dans la main je pense que cela représentait la troisième Personne de la Divinité. De leurs mains et de leurs pieds aussi je vis jaillir des rayons lumineux. Leurs cheveux retombaient de la tête en cinq mèches lumineuses, deux à partir des tempes, deux derrière les oreilles et une de l'arrière de la tête. .. J'ai vu les mèches lumineuses, rayons sur la tête d'Adam, comme sa plénitude, son auréole, l'achèvement des autres rayonnements et cette auréole retrouve sa place sur les âmes et les corps glorieux. J’ai vu ensuite Adam emporté loin de là, dans un jardin situé très haut sur la terre, dans le Paradis.... 

Le premier homme était une image de Dieu, il était comme le ciel. Tout était un avec lui et en lui : sa forme était une expression de la forme divine. Il devait recevoir et posséder la terre et les créatures, mais en les tenant de Dieu et en l'adorant ».

[50] Certains donnent 6 qualités au corps glorieux :

Les corps glorieux, à l’imitation de celui de Jésus-Christ ressuscité, jouiront de cinq qualités inamissibles, fruits de la gloire de l’âme et de l’union parfaite du corps à cette âme : 

– l’immortalité : il n’y aura plus séparation de l’âme et du corps ; 

– l’impassibilité : pleine exemption de tout ce qui peut le corrompre ou l’affliger ; 

– la subtilité : par sa parfaite subordination aux opérations de l’âme, le corps ne sera plus soumis aux contraintes matérielles ; 

– l’agilité : le changement de lieu sera quasi instantané ; 

– la clarté : le corps sera revêtu de splendeur lumineuse. 

[51] « L’homme et le cosmos », par Olivier Clément (Extrait de : Questions sur l’homme, Stock, 1972 ; Anne Sigier, Sillery, QC, 1986).

L’homme prêtre et roi de l’univers.

Si l’univers " se tient devant " l’homme comme une première révélation, c’est à l’homme qu’il appartient de déchiffrer d’une manière créatrice celle-ci, en rendant consciente la louange ontologique des choses. Dans le rapport secrètement nuptial qui l’unit à l’homme, le monde, comme une impersonnelle féminité, à la fois " se tient devant " lui et forme avec lui une seule chair. L’univers sensible tout entier prolonge notre corps. Ou plutôt, comme nous l’avons dit, qu’est-ce que notre corps sinon la structure qu’imprime notre personne, notre " âme vivante ", à la " poussière " universelle, pour employer deux expressions bibliques ? Il n’y a pas de discontinuité entre la chair du monde et celle de l’homme, le monde est le corps de l’humanité. ...

L’homme toutefois, nous le savons, est beaucoup plus qu’un microcosme : il est une personne à l’image de Dieu. Dans sa liberté personnelle, il transcende l’univers, non pour l’abandonner mais pour le contenir, dire son sens, lui communiquer la grâce. L’univers, par l’homme, est appelé à devenir l’" image de l’image " (saint Grégoire de Nysse). Les Pères ont interprété dans ce sens le second récit de la création (Gn 2, 4-25), qui situe l’homme au principe du monde créé. Seul l’homme est animé par le souffle même de Dieu et, sans lui, les " plantes " ne pourraient croître, comme si c’était en lui qu’elles s’enracinaient. Et c’est lui qui " nomme " les animaux, déchiffrant leurs essences spirituelles. Seul l’homme – non seulement roi mais prêtre – peut permettre à l’univers de correspondre à sa secrète sacramentalité. Adam fut placé dans le monde pour le " cultiver ", pour parfaire sa beauté. Vladimir Soloviev disait profondément que l’humanité doit devenir un Messie cosmique collectif appelé à " soumettre la terre ", c’est-à-dire à la transfigurer.

... Détourné de Dieu, l’homme ne verra des choses que l’apparence et leur imposera un faux " nom ". ...

Ainsi tout ce qui se passe en l’homme a une signification universelle et s’imprime sur l’univers. Le destin de l’homme détermine le destin cosmique. La révélation biblique, prise dans sa portée symbolique, nous place devant un anthropocentrisme résolu, non pas physique mais spirituel. L’homme, parce qu’il est à la fois " microcosme et microthéos ", résumé de l’univers et image de Dieu, et parce qu’enfin Dieu, pour s’unir au cosmos, s’est fait homme, l’homme est l’axe spirituel de tout l’être créé, de tous ses plans, de tous ses mondes. Les saints voient l’univers en Dieu, pénétré de ses énergies, ne formant qu’un tout – mais un tout minuscule – dans sa main. Le passage, dans la science moderne, du géocentrisme à l’héliocentrisme, puis à l’absence de tout centre dans l’indéfinité physique, ne met pas en cause ce caractère axial de l’homme en Dieu, mais lui donne un sens renouvelé. ...

La chute comme catastrophe cosmique.

...C’est dans ces perspectives, me semble-t-il, que la pensée chrétienne devrait envisager le problème de l’évolution. Les découvertes de la géologie et de la paléontologie s’arrêtent nécessairement aux portes du Paradis, puisque celui-ci constituait une autre modalité de l’être. La science ne peut remonter en deçà de la chute puisqu’elle est incluse dans les conditions d’existence provoquées par celle-ci. Ce que la science appelle " évolution " représente spirituellement le processus d’objectivation, d’extériorisation de l’existence cosmique abandonnée par le premier Adam. Le monde cesse d’être le " corps mystique " d’Adam pour s’effondrer dans la séparation et la mort où Dieu le stabilise, le sauvegarde, l’oriente vers l’incarnation du Christ, nouvel Adam. Il est remarquable que Teilhard de Chardin, qui devait, par la suite, ignorer systématiquement l’état originel de la création, ait tenté, dans un bref écrit de 1924, Mon univers, de rendre compte plus fidèlement des données de la Tradition :

D’où vient à l’univers sa tache originelle? Ne serait-ce pas... comme paraît l’indiquer formellement la Bible, que le multiple originel est né de la dissociation d’un être déjà unifié (premier Adam) si bien que, dans sa période actuelle, le Monde ne monterait pas, mais remonterait vers le Christ (deuxième Adam) ? Dans ce cas, avant la phase actuelle d’évolution (de l’esprit hors de la matière), se placerait une phase d’involution (de l’esprit dans la matière), phase évidemment in-expérimentale puisqu’elle se serait développée dans une autre dimension du Réel....

[52] Père Florent Urfels "Un scenario de l'Origine", Revue Théologique des Bernardins- n°20 mai-août 2017, p. 93

[53] Jean Chrysostome, Commentaire sur la Genèse, 16, Perpignan, Ed. Artège, 2013, p.78

[54] Citée par Anne Lécu, « Tu as couvert ma honte » (Ed du Cerf, 2016, pp 29-30)

[55] Delphine Horviller, En tenue d’Eve, Paris, Grasset, 2013, p. 71

[56] Jean-Paul II, « Théologie du Corps » 13 février 1980 :

« Tous deux étaient nus, l’homme et la femme mais ils n’en éprouvaient pas de honte. » (Gn 2,25). Ces paroles se réfèrent au don de l’innocence originelle et elles en révèlent le caractère de manière synthétique pour ainsi dire. Sur cette base, la théologie a construit l’image globale de l’innocence et de la justice originelles de l’homme, avant le péché originel, en appliquant la méthode de l’objectivation qui est caractéristique de la métaphysique et de l’anthropologie métaphysique.... Indépendamment d’une certaine diversité d’interprétation, il semble suffisamment clair que « l’expérience du corps » que nous pouvons déduire du texte ancien, Gn 2, 23 et plus encore Gn 2, 25, indique un degré de « spiritualisation » de l’homme, différent de celui dont parle le même texte après le péché originel (Gn 3) et que nous connaissons par l’expérience de l’homme « historique ». C’est une autre mesure de « spiritualisation » qui comporte une autre composition des forces intérieures dans l’homme lui-même, presque un autre rapport corps-âme, d’autres proportions internes entre la sensibilité, la spiritualité et l’affectivité, c’est-à-dire un autre degré de sensibilité intérieure à l’égard des dons de l’Esprit-Saint. Tout cela conditionne l’état d’innocence originelle de l’homme et, en même temps, le détermine, en nous permettant aussi de comprendre le récit de la Genèse. La théologie comme le magistère de l’Église ont donné à ces vérités fondamentales une forme propre »

[57] Jean-Paul II, audience du 14 novembre  1979

[58] Jean-Paul II, audience du 23 juillet 1980 (TDC032)

[59] Jean-Paul II, audience du 16 janvier 1980 (TDC015)

[60] Mgr Léonard « Les raisons de croire » (p. 255)

Toujours avec la prudence requise pour une vision personnelle, citons aussi Anne-Catherine Emmerick qui voyait, de son côté, que: « Adam et Ève avaient déjà  reçu de Dieu l'ordre de se multiplier. Mais j'appris qu'ils ne connaissaient pas les desseins de Dieu à ce sujet... Après la création d'Ève, Dieu avait accordé à Adam une bénédiction porteuse d'une faculté permettant à l'homme de se reproduire dans la sainteté et la pureté cette bénédiction fut retirée à Adam à cause de l'usage qu'il fit du fruit défendu, car je vis le Seigneur passer derrière Adam lorsque celui-ci quitta sa colline pour rejoindre Ève et lui retirer quelque chose : et il me sembla que le Salut du monde devait sortir de ce que Dieu avait repris à Adam... Je vis également la seconde Personne de la Divinité descendre vers Adam et lui retirer la bénédiction divine, avec une lame recourbée, avant qu'il consentit au péché. Au même moment, je vis la Vierge Marie sortir du côté d’Adam, comme une petite nuée lumineuse qui s'éleva vers Dieu ».

Quelle serait donc cette « chose » que Dieu aurait retiré à Adam ? S’agirait-il de sa capacité à se reproduire dans la sainteté ? Ce que Dieu aurait retranché d'Adam serait devenu le "dépôt sacré" dont Anne-Catherine Emmerick parle ensuite : « Je vis le roc de pierres précieuses d'Adam apparaître devant Dieu, tout resplendissant, comme s'il avait été apporté par des anges. Ce roc ... devint un trône... une tour... Je vis l'image de la Vierge. C'était Marie, non dans le temps, mais dans l'éternité, en Dieu. Elle était quelque chose qui sortait de Dieu. La Vierge pénétra dans la Tour, qui s'ouvrait devant elle, et ce fut comme si elle s'identifiait au monument. Quelque chose apparut. qui sortait de la très Sainte Trinité et se dirigea vers la Tour pour entrer en elle ».

Qu’est-ce que cette tour ? Une allusion au titre de "Tour de David " qui aurait été donné à Marie dans les litanies ?

« Je vis également une sorte d'ostensoir au milieu des anges... Deux personnages se tenaient devant, de chaque côté, se tendant la main. Je vis quelque chose, issu de Dieu qui... pénétra dans l'ostensoir : c'était un don sacré', étincelant, qui se précisait au fur et à mesure qu'il se rapprochait. Il m'apparut comme le germe de la bénédiction divine, destiné à une croissance très pure donné par Dieu à Adam. Il lui fut retiré au moment où l'homme allait écouter Ève et acquiescer à son désir de cueillir le fruit défendu. C'est la bénédiction qu'Abraham reçut de nouveau, qui fut reprise à Jacob et de nouveau confiée à Moise dans l'Arche d'Alliance, d'où Joachim, le père de Marie, la reçut finalement, si bien que Marie fut conçue aussi pure et immaculée qu'Ève. Lorsque celle-ci fut tirée du côté d'Adam endormi. .... J'ai vu Moïse, comment il reçut le mystère du dépôt sacré au cours de la nuit précédant l'Exode, ce que seul Aaron savait. J'ai vu ce dépôt mystérieux dans l'Arche d'Alliance : seuls les grands-prêtres et quelques saints eurent. par révélation divine, connaissance de ce secret. C'est ainsi que j'ai contemplé la transmission de ce mystère dans toute la lignée de Jésus-Christ, jusqu'à Joachim et Anne, le couple le plus pur et le plus saint de tous les temps, qui donna naissance à Marie la Vierge Immaculée. Et c'est Marie finalement qui fut elle-même l'Arche d’Alliance, le Tabernacle du mystère ».

Il faut être prudent pour se demander si le mystérieux "dépôt sacré" dont il est ici question, serait cette capacité à multiplier l’humanité, depuis Adam, Abraham, Moïse jusqu’à la vierge Marie. Puisque Marie n’a pas engendré selon les lois naturelles, est-ce à dire qu’Adam n’était pas, lui-non plus, destiné à procréer selon les dites lois ? D’autant que, selon cette vision, c’est Adam, et non Ève qui reçoit de Dieu une « faculté permettant à l'homme de se reproduire » ! Faut-il faire là un rapprochement entre le sommeil d’Adam pendant lequel Dieu donne naissance à Ève, mère de l’humanité et celui de Joseph, pendant lequel Dieu annonce l’avènement d’une nouvelle Ève qui donnera naissance au nouvel Adam et d’une nouvelle humanité ?

[61] Père Florent Urfels "Un scenario de l'Origine", Revue Théologique des Bernardins- n°20 mai-août 2017, p. 98 à 102

[62] Ces questions nous sont inspirées par le Père Patrick de Vergeron dans ses homélies à ND  de Domanova  sur le thème de la sponsalité.

[63] Jean-Paul II  - Audience du 14.5.1980, TDC027

[64] « Si quelqu’un ne confesse pas que le premier Adam, lorsqu’il eut transgressé l’ordre de Dieu au paradis. a perdu aussitôt la sainteté et la justice dans lesquelles il y a été placé…, qu’il soit anathème. » (Conc. Trident., sess. V, can. 1 2 ; D.B. 788. 789.)

« Les premiers parents ont été placés dans l’état de sainteté et de justice… L’état de justice originelle conféré aux premiers parents qui ont été placés dans l’état de nature sans tâche, c’est-à-dire exempt de concupiscence, d’ignorance, de souffrance et de mort… Ils jouissaient d’un bonheur remarquable… Les dons d’intégrité conférés aux premiers parents étaient gratuits et préternaturels. » (A. Tanquerey, Synopsis Theologiae Dogmaticae, Paris, 1913, p. 534-549.)

[65] Source : Jean-Paul II  - Audience du  26 mars 1980, TDC023

Avec encore prudence, ajoutons le texte de la vision de la bienheureuse Anne-Catherine Emmerick qui dit un peu la même chose que le Pape : elle voit l’ampleur du désastre intérieur d’Adam et Ève à la suite de leur geste : « Avant le péché originel, Adam et Ève étaient fort différents de ce que nous, misérables humains, sommes à présents mais à cause de l'usage qu'ils firent du fruit défendu. ils reçurent un devenir formel et temporel, et tout ce qui en eux était spirituel se mua en chair, matière, instrumentalité et réceptivité. Auparavant, ils étaient un en Dieu, et leur volonté ne faisait qu'une avec celle de Dieu désormais, ils sont divisés en leur volonté propre, qui est égoïsme, concupiscence, impureté. En cueillant le fruit défendu, l'homme se détourna de Dieu, son Créateur, et ce fut comme s'il usurpait le pouvoir de créer. Dans l'être humain, toutes les forces, les actions et les qualités, et leurs relations entre elles et avec la nature entière, sombrèrent au niveau de la matière, dans l'ordre corporel, et empruntèrent toutes sortes de formes et d'expressions...

... Adam et Ève ne restèrent plus tournés vers Dieu seul, mais se fixèrent en eux-mêmes c’est alors qu'ils ne furent plus un, mais deux » Le péché est rupture de l'unité qui a sa source en Dieu' il est division : Adam et Ève se détournant de Dieu, sont divisés et s'affrontent désormais  (source : Anne-Catherine Emmerick: « Le mystère de l’ancienne alliance » -: Le péché et ses conséquences, chapitre 1 -Édition Téqui)

[66] Père Florent Urfels "Un scénario de l'Origine", Revue Théologique des Bernardins- n°20 mai-août 2017, p. 90

[67] Ce sens de libido se trouve déjà chez Cicéron

[98] « Mariage et Concupiscence, I, 6,7 ; BA 23 , p.69

[69] Bernard Sesboué « L’homme et son salut dans l’histoire des dogmes », pp. 174-176

[70] Jean-Paul II,  audience du 14 mai 1980 TD027 § 2

[71] Source : Lise Wajeman  « La Parole d'Adam, Le Corps d'Ève : Le Péché Originel Au XVIe Siècle »

[72] Source: Audiences des 4, 18 et 25 juin 1980

D'une manière générale, JP II ajoute " L'esprit humain est insatiable de l'union mutuelle entre l'homme et la femme. Cette conscience transfère pour ainsi dire la faute sur le corps qu'elle prive de la simplicité et de la pureté de la signification liée à l’innocence originaire de l'être humain..." (Audience du 25 juin)

Quand Jean-Paul II fait référence à Gen 3,16 et qu’il explique que, "l'expérience d'une telle domination se manifeste plus directement chez la femme », il ne fait pas référence à un parallèle souvent fait avec Gen 4,7. Le mot désir (Teshuwqah) n’est utilisé que trois fois dans la bible. En Gen 4,7,  Dieu dit à Caïn « le péché est tapi à ta porte: son désir se porte vers toi, mais toi, maîtrise-le ! ». Ce passage signifie que le désir de péché veut maitriser Caïn. Il veut le vaincre, le dominer et le faire l’esclave du péché. Le même sens du désir chez la femme signifie que quand le péché a le dessus en la femme, elle désirera maitriser ou dominer ou exploiter l'homme. Et quand le péché a le dessus en l'homme, il répondra dans la même manière et avec sa force la dominera, ou la maîtrisera. Ce mot désir dans ce contexte signifie « désir pressant de contrôler ». Satan attendait le moment opportun pour pouvoir contrôler le cœur de Caïn…, comme Ève aura le désir pressant de contrôler son mari, mais il dominera sur elle.


Cette distinction entre la nature d'Adam et d'Eve n'est pas sans rappeler un passage du poème d’Alfred de Vigny la Colère de Samson: "La Femme aura Gomorrhe et l'Homme aura Sodome, … Les deux sexes mourront chacun de son côté ».  Pourquoi La femme aurai-t-elle Gomorrhe et l’Homme Sodome ?  Est-ce le fruit du hasard de l'inspiration poétique? Ou bien les péchés de Sodome et de Gomorhre sont-ils différents ? Le philosophe Jacques Laffite suggère une différence entre les deux dans son livre Le péché de Gomorrhe (Jacques Laffitte, Le péché de Gomorrhe, ou la tentation intégriste,  et Revue Études, Nov 96 p 507-515 et Éditions L’arbre aux signes, 2012): 

  • A Sodome: Genèse 19, 1-7 "Quand les deux Anges arrivèrent à Sodome …Lot les vit,…Il les pressa tant qu'ils allèrent chez lui …Ils n'étaient pas encore couchés que la maison fut cernée parles hommes de la ville, les gens de Sodome, depuis les jeunes jusqu'aux vieux, tout le peuple sans exception. Ils appelèrent Lot et lui dirent: Où sont les hommes qui sont venus chez toi cette nuit? Amène-les nous pour que nous en abusions.... Il dit: Je vous en supplie, mes frères, ne commettez pas le mal! Ecoutez: j'ai deux filles qui sont encore vierges, je vais vous les amener: faites-leur ce qui vous semble bon, mais, pour ces hommes, ne leur faites rien, puisqu'ils sont entrés sous l'ombre de mon toit.
    Le texte Biblique n’évoque pas tant un péché de type sexuel, mais dans l’obligation qui est faite de se plier à la règle. Non seulement l’arrivant y est contraint, mais l’habitant de Sodome également, des enfants qui ne sont pas encore capables de commettre l’acte jusqu’aux vieillards qui ne le sont plus. La loi s’impose au groupe puisque même la proposition de jeunes et de vierges ne sont pas retenues.
  • A Gomorrhe, On a peu de détails dans la Bible. On trouve des éléments dans le Talmud de Babylone (Agaadoth du Talmud de Babylone (Ed. Verdier, 1982), p. 1163-1165). On y trouve de petites fables qui rapportent la tradition selon laquelle le voyageur qui s’égarait à Gomorrhe  était hébergé dans un logement réservé à cet usage. Mais, si les jambes du voyageur dépassaient du lit, on les lui raccourcissait et si elles dépassaient, on les étirait. Il n’y avait pas de sadisme là-dedans, mais au contraire un aspect froid qui recherchait la perfection dans l’acte de l’hébergement. Il s’agissait de rendre totale, jusqu’à la perfection, l’adéquation voyageur-hébergement.
    Quelles sont les caractéristiques de ce syndrome de Gomorrhe ? Il y a dans le péché de Gomorrhe, un processus d’essence totalitaire à trois plans différents :
    - La magie sémantique : L’individu devient le jouet de mots dont il n’a plus la maîtrise.
    - Le principe de totalité : le mot se substitue à la chose. La volonté se substitue à la réalité qui doit s’y plier.
    - L’adhésion obligatoire. Aucune dérogation n’est soufferte.
  • Les particularités entre Sodome et Gomorrhe
    La particularité du cas de Sodome est que la loi s’applique au domaine du désir qui est l’expression même de la liberté des personnes. Cette incertitude consécutive aux désirs de chacun est insupportable aux habitants de Sodome qui veulent l’assujettir à une procédure obligatoire.
    Du côté de Gomorrhe, il s’agit d’un formalisme appliqué plutôt à l’éthique, celle de l’accueil dans le cas illustré par le talmud.
  • La Femme aura Gomorrhe et l'Homme aura Sodome ? A Gomorrhe, on est dans la tentation intégriste, dans le désir d’un tout englobant et fusionnel, rappelant l’avertissement de Yhavé après le péché d’Ève : Ta convoitise te poussera vers ton mari (Gen 3,16), signe d'un manque de pleine unité dit Jean-Paull II. A Sodome, on est dans le viol rituel, réduisant autrui à un objet, rappelant l’avertissement de Yhavé après le péché d’Adam : Adam dominera sur Ève (Gen 3,16), signe de sa concupiscence dit Jean-Paul II

[73] Source : D’Adam à Abraham ou les errances de l’humain, André Wénin, professeur d’Ancien Testament à la Faculté de théologie de Louvain-la-Neuve (2007, ed. Le Cerf- « Lire la Bible », p.140)

Pour comprendre ce passage, l’auteur explique : « Il faut faire un petit détour par le verbe utilisé, le fameux « Connaître au sens biblique » (yada). Relativement au nombre élevé de ses emplois, ce verbe hébreu est peu utilisé pour évoquer la relation sexuelle (moins de 15 fois sur plus d’un millier d’usages). Il n’a, du reste, rien d’idyllique. Qu’on pense aux habitants de Sodome qui demandent à Lot de leur livrer ses hôtes pour pouvoir les « connaître » dans un viol collectif homosexuel (Gen 19,5). Et ce n’est pas le seul cas en ce sens (Jg 19,22-25 ; Ez 19,7). En hébreu, le verbe yd, « connaître » peut prendre le sens de soumettre ou même humilier, sens attesté pour la racine correspondante en arabe. D’ailleurs, là où ce verbe décrit un rapport sexuel avec l’homme pour sujet, la situation induit souvent un pouvoir exercé par lui sur la partenaire » (ibid. p. 137)

Plus loin André Wénin précise : « Une fois l’enfant né, sa mère le nomme Caïn,… Le verbe qu’elle utilise fait jeu de mots avec le nom de Qayin : « Quanîtî, j’ai acquis un homme avec Adonaï ». L’exclamation est un cri d’émerveillement, d’allégresse : un fils aîné, un premier né, n’est-il pas un demi-dieu aux yeux de sa mère ? .. Si on les regarde de près, les mots d’Ève ont quelque chose d’étrange : un fils est-il une acquisition de sa mère ? Pourquoi le désigner d’un nom, « homme », normalement réservé à un adulte ? Et où est passé celui qui a connu sa femme ? Jusqu’ici, en effet, l’homme (‘îsh), c’était son mari (3, 6.16). Or, ici, c’est le fils qui est désigné comme « homme ». Ainsi, Ève évince son partenaire, tandis qu’elle l’expulse aussi de sa place de géniteur pour le remplacer par Adonaï, avec qui elle dit avoir eu ce fils. Ève ne serait-elle pas en train d’attirer cet enfant dans une relation exclusive de type incestueux, où le fils possédé occupe en réalité la place du mari possédant ?... Tout se passe comme si une chose entraînait l’autre. Pour combler son manque, l’humain a imposé à sa femme une relation unilatérale. À présent, c’est elle qui évince celui qui n’a pas su lui faire place, et, possédée par son homme, elle prend à son tour possession de l’ « homme » qui comblera chez elle la frustration laissée par la relation insatisfaisante avec son mari, l’humain » (ibid. p. 139-140)

André Wenin continue : « À en juger par le récit de sa conception et de sa naissance, Caïn est mal posé dans l’existence. Il est, d’emblée, inscrit dans un contexte qu’imprègnent l’esprit de convoitise, et donc de désir de dominer ou de posséder, ainsi que la rivalité et la tromperie –semences du serpent. Ainsi, sans le dire clairement, le narrateur suggère d’emblée que la violence précède Caïn » (ibid. p. 140)

« Caïn ne tarde pas à avoir un frère. Le narrateur se contente d’un bref « et elle continua à enfanter son frère Abel » (Gen 4,2). Le nouveau venu est introduit… comme un ajout, « le frère de l’autre ». Quant à son nom, il enregistre et souligne l’inconsistance d’Abel… : en hébreu, hévèl signifie en effet « fumée, buée, vanité ». En négligeant Abel dès sa naissance, elle ne permet pas qu’un tiers vienne s’interposer dans la relation qu’elle a instaurée avec l’aîné, relation qu’on qualifierait aujourd’hui d’incestueuse. Caïn reste dès lors captif de ce lien » (ibid p. 141).

[74] Père Florent Urfels "Un scenario de l'Origine", Revue Théologique des Bernardins- n°20 mai-août 2017, p. 99

[75] Allusion au contenu du livre du philosophe Michel Henry (1922-2002), Incarnation, une philosophie de la chair, (Éditions du Seuil, 2000). Dans cet ouvrage, Michel Henry oppose :

- la chair vivante et sensible, telle que nous l’éprouvons en permanence de l’intérieur,

- et le corps matériel et inerte, tel que nous pouvons le voir de l’extérieur, semblable aux autres objets que l’on trouve dans le monde.

[76] Le père Louf précise : «  La Bible exprime cet aspect de l’Amour de Dieu par le mot emeth, veritas, vérité et fidélité. L’homme est l’image de cette veritas du Créateur ».

[77] Le père Louf précise : «  Elle est l’image de la sollicitude amoureuse de Dieu : hesed, misericordia ».

[78] Source : André Louf : Seigneur, apprend-nous à prier », 1972 ; réédité chez Arpège Poche, Collection les Classiques de la spiritualité, déc. 2018, page 141.

[79] André Louf, ibid, p. 142

[80] Annick de Souzenelle : « L’écologie extérieure est inséparable de l’écologie intérieure », Interview in Reporterre, 26 juillet 2019,

[81]  André Louf, ibid, p.148-49

[82]  André Louf, ibid, p.143

[83]  André Louf, ibid, p.151

[84] Adalbert-Gautier HAMMAN, L’homme image de Dieu (1987), p. 74-75. Cité par Philippe Cocinaux dans « La théodicée de John Hick. Présentation et réflexions critiques » (http://hdl.handle.net/2078.1/5398  Chapitre 1, Page 165)

[85] Grégoire le Sinaïte, 1255-1346, initiateur du mouvement de l'hésychasme

[86] Grégoire le Sinaïte, La Philocalie IV, “On Commandments and Doctrines”, 221.  [Cité par Jean Breck « De la Beauté divine » : Extrait de « Lumière du Thabor » (n° 41, déc. 2011, p. 11)]

[87] Voir Edward Schillebeeckx, « L’histoire des hommes, récit de Dieu » (coll Gogitatio fidei, 166, Paris, Ed du Cerf, 1992, pp 367-368), cité par Ramon Martinez de Pison « Création et Liberté, Essai d’Anthropologie chrétienne » (Brèches théologiques, Médiaspaul, p. 44)

[88] Michel Henry (1922-2002), Incarnation, une philosophie de la chair, (Éditions du Seuil, 2000).

[89] Traduction de em-Bible. La Bible de Jérusalem écrit : « Mon embryon, tes yeux le voyaient; sur ton livre, ils sont tous inscrits les jours qui ont été fixés, et chacun d'eux y figure »

[90] Le mot Golem serait à rapprocher de Galam signifiant envelopper, plier, rouler : « Alors Elie prit son manteau, le roula (Galam), et en frappa les eaux [du Jourdain], qui se partagèrent çà et là, et ils passèrent tous deux à sec » (2 rois ; 2, 8), … juste avant qu’Elie monte au ciel, enlevé par un char de feu

[91]  Tetyana Ogarkova, « Une autre avant-garde : la métaphysique, le retour à la tradition et la recherche religieuse dans l’œuvre de René Daumal et Daniil Harms » (Thèse de doctorat,  Université Paris-12, 28.9.2007,  P. 252)

[92] André Louf, ibid, p. 58

[93] André Louf, ibid, p. 57

[94] André Louf, ibid, p. 57

[95] André Louf, ibid, p. 66

[96] André Louf, ibid, p. 144-45

[97] André Louf, ibid, p. 146

[98] Sources : https://fsspx.news/fr/news-events/news/les-souffrances-endurees-par-marie-navaient-pas-valeur-de-chatiment-69783

[99] Mgr Léonard « Les raisons de croire » (p. 256)

La bienheureuse Anne-Catherine Emmerick dit un peu la même chose : « A l'origine, l'homme avait été établi par Dieu maître de toute la création [et], désormais, tout se trouvait en lui rabaissé au niveau de la nature ». Elle n’avait pas idée des théories de l’évolution.

[100] Gérard-Henri Baudry : « l’hypothèse de l’Adam métahistorique, réflexions sur la théorie de Léonard » (in Mélanges de science religieuse, 48, 1991, 4 pp. 215-230)

[101] Jean-Paul II, Audience du 23 avril 1980 et audience du  16 janvier 1980

[102] (Revue Théologique des Bernardins- n°20 mai-août 2017, note n° 9)

[103] Jean-Paul II,  Message à l’Assemblée plénière de l’Académie Pontificale des Sciences, 22 octobre 1996

[104] C’est Mgr Léonard qui cite cette belle page d’Olivier Clément extraite de « Questions sur l’homme » Paris Stock- 1972, p. 155. La citation inclue une phrase de Teilhard de Chardin qui ignorer systématiquement l’état originel de la création, ait tenté, dans un bref écrit de 1924, Mon univers, de rendre compte plus fidèlement des données de la Tradition : « D’où vient à l’univers sa tache originelle ? Ne serait-ce pas... comme paraît l’indiquer formellement la Bible, que le multiple originel est né de la dissociation d’un être déjà unifié (premier Adam) si bien que, dans sa période actuelle, le Monde ne monterait pas, mais remonterait vers le Christ (deuxième Adam) ? Dans ce cas, avant la phase actuelle d’évolution (de l’esprit hors de la matière), se placerait une phase d’involution (de l’esprit dans la matière), phase évidemment in-expérimentale puisqu’elle se serait développée dans une autre dimension du réel »

[105] Mgr Léonard « Les raisons de croire » (p. 253)

[106] Mgr Léonard « Les raisons de croire » (p. 216)

[107] Jean-Paul II, audience du 16 janvier 1980

[108] Jean-Luc Marion : D’ailleurs la Révélation, (Essai Grasset, nov. 2020,  p. 46)

[109] Jean-François Perrier : « La réplique de la vie – réflexions sur les animaux et la place de  l’humain dans l’Évolution créatrice »  https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/19612/perrier-19612.pdf (page 19/23)

[110] Bergson, H. (1963), L’évolution créatrice, p. 654 [188]

[111] Bergson, H. (1963), L’évolution créatrice, p. 719 [264]

[112] Bergson, H. (1963), L’évolution créatrice, p. 718 [264].

[113] Bergson, H. (1963), L’évolution créatrice, p. 614 [141].

[114] Cette distinction entre âme spirituelle et esprit est ténue. D’ailleurs, St-augustin dit : " Ce que notre esprit, je veux dire notre âme, est à nos membres, l’Esprit Saint l’est aux membres du Christ, au Corps du Christ, je veux dire l’Église " (S. Augustin, serm. 267, 4) 

[115] 8 Glaphyra in Gen. 1, PG 69, 24C.

[116] Saint-Augustin explique : « …l'homme avant le péché était mortel et immortel : mortel, parce qu'il pouvait mourir ; immortel, parce qu'il pouvait ne pas mourir. Autre chose est ne pouvoir mourir (prérogative des natures que Dieu a faites immortelles); autre chose est pouvoir ne pas mourir. C'est de cette dernière façon que le premier homme a été créé immortel : l'immortalité ne lui venant pas de la constitution de sa nature mais bien de l'arbre de vie. Après son péché, il fut éloigné de cet arbre, afin qu'il pût mourir, lui qui, s'il n'avait pas péché, aurait pu ne pas mourir. Il était donc mortel, eu égard à sa condition de corps animal, mais immortel par un bienfait de son Créateur. » (SAINT AUGUSTIN, De Genesi ad litteram, VI, 36, PL 34, 354).

[117] https://www.communautesaintmartin.org/wp-content/uploads/2021/12/CEC-374-379.pdf

[118] M. LOT-BORODINE, La déification de l’homme selon la doctrine des Pères grecs, Paris, Cerf, 1970, p. 188.

[119] SAINT IRENEE, cité par M. LOT-BORODINE, op.cit., p. 41.

[120] Spinoza, Éthique I, 125-16-35, p.195, SC 122.

[121] Éthique XIII, 40-44, p. 403, SC 129.

[122] quand il avait à 35 ans, dans le cachot de Tolède où il fut enfermé, à Noël 1577, par ses frères carmes de la règle des mitigés pour avoir suivi Thérèse d’Avilla dans le but d’inaugurer une fondation des réformés

[123] Mgr Léonard écrit « peut-être », car le rôle premier de la théologie est de penser l’histoire réelle du salut et non de spéculer sur des futuribles, en l’occurrence sur ce qui se serait passé si l’homme n’avait pas péché, alors qu’il a en fait péché. Mgr Léonard  ne veut pas trancher  non plus ici la querelle entre thomistes et scotistes sur la question de savoir si le motif de l’Incarnation est la rédemption de l’homme ou sa divinisation et donc sur la question de savoir si l’Incarnation aurait eu lieu même sans le péché d’Adam. Avec Duns Scot ((vers 1266 à Duns - 1308 à Cologne), surnommé le « Docteur subtil », est un théologien et philosophe écossais, fondateur de l’école scolastique dite scotiste), mais sans négliger la vérité de la thèse thomiste concernant l’ordre réel des faits, Mgr Léonard incline plutôt à penser que l’Incarnation aurait eu lieu même si l’homme n’avait pas péché.

[124] Mgr Léonard « Les raisons de croire » (p. 255)

[125] Ysabel de Andia, Homo Vivens. Incorruptibilité et divinisation de l’homme selon Irénée de Lyon, op. cit., p. 94.

[126] Paul Clavier, Ex Nihilo, vol 1 : « l’Introduction en philosophie du concept de création » (Coll. Philosophie, Paris Herman, 2011, p . 291)

[127] Fabien Revol, « le concept de création continuée dans l’histoire de la pensée occidentale » (Institut Interdisciplinaire d’études Épistémologiques, 2017, p.63)

[128] Gottfried Leibnitz, Essais de théodicée, (Notes 377 de J. Brunswick, Flammarion, 2008,  p. 567)

[129] Concile Vatican 1, Constitution dogmatique Dei filius, DS 3003

[130] Fabien Revol, « le concept de création continuée dans l’histoire de la pensée occidentale » (Institut Interdisciplinaire d’études Épistémologiques, 2017, p.51)

[131] Fabien Revol, « le concept de création continuée dans l’histoire de la pensée occidentale » (Institut Interdisciplinaire d’études Épistémologiques, 2017, p. 171)

[132] Fabien Revol, « le concept de création continuée dans l’histoire de la pensée occidentale » (Institut Interdisciplinaire d’études Épistémologiques, 2017, p. 103-104)

[133] Fabien Revol, « le concept de création continuée dans l’histoire de la pensée occidentale » (Institut Interdisciplinaire d’études Épistémologiques, 2017, p. 111)

[134] Pierre Teilhard de Chardin : « Le milieu divin » (Seuil, 1957, p. 51)

[135] Discours en espagnol du mercredi 29.1.1986 (Audience générale) « La création est l'appel du monde et de l'homme du néant à l'existence », dont nous donnons la traduction intégrale :  

  1. La vérité que Dieu a créée, c'est-à-dire qu'Il a pris du néant tout ce qui existe en dehors de Lui, tant le monde que l'homme, trouve son expression dès la première page de la Sainte Écriture, même si sa pleine explicitation ne peut être trouvée que dans le développement ultérieur de la Révélation.
    Au début du Livre de la Genèse, il y a deux "histoires" de la création. De l'avis des spécialistes de la Bible,
    - le second récit est plus ancien, a un caractère plus figuratif et concret, s'adresse à Dieu en l'appelant "Yahvé", et pour cette raison est indiqué comme "source yahvéiste".
    - La première histoire, qui est plus tardive, apparaît plus systématique et plus théologique; pour désigner Dieu, elle utilise le terme "Elohim". Le travail de création y est réparti sur une série de six jours. Puisque le septième jour est présenté comme le jour où Dieu se repose, les chercheurs ont conclu que ce texte trouve son origine dans un environnement sacerdotal et cultuel. En proposant à l'ouvrier l'exemple de Dieu le Créateur, l'auteur de Gen 1 a voulu réaffirmer l'enseignement contenu dans le Décalogue, en instillant l'obligation de sanctifier le septième jour.
  2. Le récit de l'œuvre de la création mérite d'être lu et médité fréquemment dans la liturgie et en dehors de celle-ci. En ce qui concerne chaque jour, il y a une continuité étroite et une analogie claire entre eux. L'histoire commence avec les mots : "Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre", c'est-à-dire tout le monde visible, mais ensuite, dans la description de chacun des jours, l'expression revient toujours : "Dieu dit : Qu’il y ait..."(Gn 1,10), ou une expression analogue. Par la force de cette parole du Créateur : "fiat", "qu'ils soient"(Gn 1,15), le monde visible émerge progressivement : la terre est d'abord "confuse et vide" (chaos) ; puis, sous l'action de la parole créatrice de Dieu, elle devient propre à la vie et se remplit d'êtres vivants, de plantes, d'animaux, au milieu desquels, à la fin, Dieu crée l'homme "à son image" (Gn 1, 27).
  3. Ce texte a une portée essentiellement religieuse et théologique. On ne peut pas y chercher des éléments qui sont significatifs du point de vue des sciences naturelles. La recherche sur l'origine et le développement de chacune des espèces "dans la nature" ne trouve dans cette description aucune norme "contraignante" ni aucune contribution positive d'un intérêt substantiel. En outre, elle ne contraste pas avec la vérité sur la création du monde visible - telle qu'elle est présentée dans le livre de la Genèse -, conformément à la théorie de l'évolution naturelle, à condition qu'elle soit comprise d'une manière qui n'exclut pas la causalité divine.
  4. Dans l'ensemble, l'image du monde se dessine sous la plume de l'auteur inspiré avec les caractéristiques des cosmogonies du temps, dans lesquelles il insère avec une originalité absolue la vérité sur la création de toute chose par l'œuvre du Dieu unique: c'est la vérité révélée. Mais le texte biblique, s'il affirme d'une part la dépendance totale du monde visible à l'égard de Dieu, qui, en tant que Créateur, a le plein pouvoir sur toute créature (le soi-disant dominium altum), souligne d'autre part la valeur de toutes les créatures aux yeux de Dieu. En effet, à la fin de chaque jour, la phrase est répétée : "Dieu vit que cela était bon", et le sixième jour, après la création de l'homme, centre du cosmos, on lit : "Dieu vit que ce qu'il avait fait était très bon" (Gn 1, 31).
    La description biblique de la création a un caractère ontologique, c'est-à-dire qu'elle parle de l'entité, et en même temps, elle est axiologique, c'est-à-dire qu'elle témoigne de la valeur. En créant le monde comme une manifestation de son infinie bonté, Dieu l'a créé bon. C'est l'enseignement essentiel que nous tirons de la cosmologie biblique, et en particulier de la description introductive dans le livre de la Genèse.
  5. Cette description, ainsi que tout ce que l'Écriture Sainte dit en divers endroits sur l'œuvre de la création et du Dieu Créateur, nous permet de mettre en évidence certains éléments :
  6. Dieu a créé le monde par lui-même. Le pouvoir créatif n'est pas transmissible : "incommunicabilis".
  7. Dieu a créé le monde par sa propre volonté, sans aucune contrainte extérieure ni obligation intérieure. Il pouvait créer et ne pas créer ; il pouvait créer ce monde ou un autre.
  8. Le monde a été créé par Dieu dans le temps, il n'est donc pas éternel : il a un commencement dans le temps.
  9. Le monde, créé par Dieu, est constamment maintenu par le Créateur dans l'existence. Ce "maintien" est, en un sens, une création continue (Conservatio est continua creatio).
  10. Depuis près de deux mille ans, l'Église a invariablement professé et proclamé la vérité selon laquelle la création du monde visible et invisible est l'œuvre de Dieu, en continuité avec la foi professée et proclamée par Israël, le peuple de Dieu de l'ancienne alliance. L'Église explique et approfondit cette vérité, en utilisant la philosophie de l'être et la défend contre les déformations qui surviennent de temps en temps dans l'histoire de la pensée humaine.
    Le Magistère de l'Église a confirmé avec une solennité et une vigueur particulières la vérité selon laquelle la création du monde est l'œuvre de Dieu, dans le Concile Vatican I, en réponse aux tendances de la pensée panthéiste et matérialiste de l'époque. Ces mêmes orientations sont également présentes dans notre siècle dans certains développements des sciences exactes et dans les idéologies athées.
    Dans la Constitution "Dei Filius" de fide catholica du premier Concile du Vatican, on peut lire : « Ce seul vrai Dieu, dans sa bonté et sa "vertu toute-puissante", non pas pour accroître sa gloire, ni pour l'acquérir, mais pour manifester sa perfection par les biens qu'il distribue aux créatures, avec une totale liberté de décision, "simultanément depuis le commencement des temps, il a tiré du néant une créature et une autre, le spirituel et le corporel, c'est-à-dire l'angélique et le matériel, et ensuite la créature humaine, en tant que participante aux deux, étant constituée d'esprit et de corps » (Conc. Lateran. IV)" (DS 3002).
  11. Selon les "canons" joints à ce texte doctrinal, le Concile Vatican I affirme les vérités suivantes
  12. Le seul vrai Dieu est le Créateur et Seigneur "des choses visibles et invisibles" (DS 3021)
  13. Il est contraire à la foi d'affirmer que seule la matière (le matérialisme) existe (DS 3022).
  14. Il est contraire à la foi d'affirmer que Dieu s'identifie essentiellement au monde (panthéisme) (DS 3023).
  15. Il est contraire à la foi de soutenir que les créatures, même spirituelles, sont une émanation de la substance divine, ou d'affirmer que l'Être divin avec sa manifestation ou son évolution devient toute chose (DS 3024).
  16. Il va à l'encontre de la foi de concevoir Dieu comme l'être universel, c'est-à-dire comme celui qui est indéfini et qui, une fois déterminé, constitue l'univers comme distinct en termes de genres, d'espèces et d'individus (ib).
  17. Il est également contraire à la foi de nier que le monde et toutes les choses qu'il contient, tant spirituelles que matérielles, ont été créés par Dieu à partir de rien (DS 3025).
  18. La question de la finalité, à laquelle l'œuvre de création est destinée, doit être traitée séparément. En effet, c'est un aspect qui occupe beaucoup de place dans la Révélation, dans le Magistère de l'Église et dans la théologie.
    Pour l'instant, il suffit de conclure notre réflexion en nous référant à un très beau texte du Livre de la Sagesse dans lequel Dieu est loué pour avoir créé l'univers par amour et l'avoir préservé dans son être : "Tu aimes tout ce qui existe / et tu ne hais rien de ce que tu as fait ; / car si tu avais haï quelque chose, tu ne l'aurais pas formé ; / et comment quelque chose pourrait-il subsister si tu ne le voulais pas, / ou comment pourrait-il être conservé sans toi ? / Mais tu pardonnes à tous, / car ils sont à toi, Seigneur, ami de la vie" (Sg 11, 24-26).

[136] Il semblerait que le concept de création ex-nihilo apparaisse dans la littérature chrétienne du IIème siècle de notre ère, lorsque Justin de Naplouse (100-165) met en évidence les difficultés qu’il y a à concilier le récit de la « production du monde » de la Génèse avec l’omnipotence de Dieu. Une génération plus tard, des penseurs gnostiques tels que Basilide, Marcion, et Valentin, avancent l’idée qu’un Dieu transcendant ne peut avoir créé à partir d'un matériau pré-existant9. Le débat fut finalement clos par la théologie chrétienne anti-gnostique de la seconde moitié du IIème siècle, et du début du IIIème siècle, pour qui la création ex nihilo constitue une doctrine fondamentale de la théologie chrétienne.

[137]  Document intitulé  « Communion et service : la personne humaine créée à l’image de Dieu (2004) » (§ 53)

[138]  Ib  « Communion et service : … » (§ 66)

[139]  Gen 2, 15 : « Le Seigneur prit l'homme qu'il avait formé, et il le plaça dans le paradis de délices, pour y travailler et le garder » (traduction Theotex de la Septante).

[140] Catéchisme de l’Église Catholique :

   1046 Quant au cosmos, la Révélation affirme la profonde communauté de destin du monde matériel et de l’homme :

Car la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu (...) avec l’espérance d’être elle aussi libérée de la servitude de la corruption. (...) Nous le savons en effet, toute la création jusqu’à ce jour gémit en travail d’enfantement. Et non pas elle seule ; nous-mêmes qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons nous aussi intérieurement dans l’attente de la rédemption de notre corps (Rm 8, 19-23).

   1047 L’univers visible est donc destiné, lui aussi, à être transformé, "afin que le monde lui-même, restauré dans son premier état, soit, sans plus aucun obstacle, au service des justes", participant à leur glorification en Jésus-Christ ressuscité (S. Irénée, hær. 5, 32, 1).

   1048 Nous ignorons le temps de l’achèvement de la terre et de l’humanité, nous ne connaissons pas le mode de transformation du cosmos. Elle passe, certes, la figure de ce monde déformée par le péché ; mais nous l’avons appris, Dieu nous prépare une nouvelle demeure et une nouvelle terre où régnera la justice et dont la béatitude comblera et dépassera tous  les désirs de paix qui montent au cœur de l’homme " (GS 39, § 1).

   1049 "Mais l’attente de la terre nouvelle, loin d’affaiblir en nous le souci de cultiver cette terre, doit plutôt le réveiller : le corps de la nouvelle famille humaine y grandit, qui offre déjà quelque ébauche du siècle à venir. C’est pourquoi, s’il faut soigneusement distinguer le progrès  terrestre de la croissance du règne du Christ, ce progrès a cependant beaucoup d’importance pour le royaume de Dieu, dans la mesure où il peut contribuer à une meilleure organisation de la société humaine" (GS 39, § 2).

   1050 " Car tous les fruits excellents de notre nature et de notre industrie, que nous aurons propagés sur terre selon le commandement du Seigneur et dans son Esprit, nous les retrouverons plus tard, mais purifiés de toute souillure, illuminés, transfigurés, lorsque le Christ remettra à son Père le royaume éternel et universel " (GS 39, § 3 ; cf. LG 2). Dieu sera alors " tout en tous " (1 Co 15, 28), dans la vie éternelle :

La vie subsistante et vraie, c’est le Père qui, par le Fils et en l’Esprit Saint, déverse sur tous sans exception les dons célestes. Grâce à sa miséricorde, nous aussi, hommes, nous avons reçu la promesse indéfectible de la vie éternelle (S. Cyrille de Jérusalem, catech. ill. 18, 29 : PG 33, 1049).

[141] Fiorenzo Facchini, Les défis de l’évolution, Communio, août 2009, p.146.

[142] Père Florent Urfels "Un scenario de l'Origine", Revue Théologique des Bernardins- n°20 mai-août 2017, p. 102-103 Gen 2, 15 : « Le Seigneur prit l'homme qu'il avait formé, et il le plaça dans le paradis de délices, pour y travailler et le garder » (traduction Theotex de la Septante).

[143] Marie-Lateitia Calmeyn « La vocation de l’homme à la lumière des récits de la création » Revue théologique des Bernardins- n° 20 - mai août 2017, ( p. 128)

[144] Marie-Lateitia Calmeyn « La vocation de l’homme …» Revue théologique des Bernardins- n° 20 - mai août 2017, ( p. 125)

[145] Mgr Léonard « les raisons de croire » (p. 245)

[146] Cité dans  Pierre Milliez, « La somme existentielle I/III - Le mystère de Dieu : une histoire d’amour » (p. 330)

[147] Père Florent Urfels "Un scenario de l'Origine", Revue Théologique des Bernardins- n°20 mai-août 2017, p. 102 à 103

[148]  Jean-Paul II, Message du 1er janvier 1990, § 13.

[149] Jean-Paul II, audience du 13 février 1980

[150] Marie-Lateitia Calmeyn « La vocation de l’homme à la lumière des récits de la création » Revue théologique des Bernardins- n° 20 - mai août 2017, ( p. 126)

[151] Mgr Léonard (interrogé par Drieu Godefridi) "Un évêque dans le siècle" (Éditions du CEP, sept 2016, p. 189-191).
Entre deux questions posées à Mgr Léonard, Drieu Godefridi ajoute: "Celui qui a écrit la préface de l'édition belge de Laudato si, est Jean-Pascal van Ypersele, qui est certes un catholique, m'a-t-on dit, fervent, mais qui a été vice-président du Giec pendant des années. Il est extrêmement militant et dans un registre qui me semble plus politique que scientifique. ... Je me demande d'ailleurs dans quelle mesure, via ses accointances familiales, il n'a pas été en partie à l'origine, peut-être pas de Laudato si en tant que tel, mais bien d'une partie de sa rédaction. je ne serais pas étonné de l'apprendre" (p. 192)

[152] Fabien Revol, « le concept de création continuée dans l’histoire de la pensée occidentale » (Institut Interdisciplinaire d’études Épistémologiques, 2017, p. 10)

[153] Fabien Revol, « le concept de création continuée dans l’histoire de la pensée occidentale » (Institut Interdisciplinaire d’études Épistémologiques, 2017, p.267)

[154] Fabien Revol, « le concept de création continuée dans l’histoire de la pensée occidentale » (Institut Interdisciplinaire d’études Épistémologiques, 2017, p. 9)

[155] John Brooke,  Science and Religion, (Cambridge university Press, 2016,  p.317)

[156] Père Florent Urfels "Un scenario de l'Origine", Revue Théologique des Bernardins- n°20 mai-août 2017, p. 87

[157]  Ibid, Fabien Revol, "le concept de création continuée ... " p. 319

[158] Père Florent Urfels "Un scenario de l'Origine", Revue Théologique des Bernardins- n°20 mai-août 2017, p. 87