"Nous sommes des descendants de peureux"
(Gérald Bronner)

Lorsque l’écologie affirme les limites de la planète, cette limite est bien avérée, selon la masse des atomes de la planète. Cependant, si l’on parle des limites des ressources naturelles, ces limites sont relatives à certaines méthodes d’exploitation des ressources, méthodes qui peuvent évoluer dans le temps.
Ainsi Marian Tupy et Gale Pooley, co-auteurs d’un indice d’abondance, le Simon Project, soulignent que le monde est un système fermé, mais qu’il contient une puissance d’usage presque infinie. Ils le comparent à un piano : « L’instrument n’a que quatre-vingt-huit notes, mais ces notes peuvent être jouées de manière presque infinie. Il en va de même pour notre planète. Ce qui importe, alors, ce ne sont pas les limites physiques de notre planète, mais la liberté humaine d’expérimenter et de réinventer l’utilisation des ressources dont nous disposons[1]. »
Un musicien dans un orchestre, s’il respecte les limites assignées à sa fonction musicale, participe à l’harmonie de l’ensemble. Des harmonies infinies sont révélées par le jeu fini et organisé des notes de chaque instrument. C’est du jeu de la limite que naît, dans l’orchestre, la beauté, et, dans le cosmos, la vie – manifestations de l’illimité. Philolaos, maître du pythagorisme, fonde sa doctrine du nombre sur une pensée de la limite. L’Un, principe de tout nombre dans la mesure où n’importe quel nombre est la répétition de l’unité, se comprend comme l’Achevé par excellence. Dans cette perspective mathématique, le monde illimité et l’agencement de « limitants » constituent ensemble, pour Philolaos, l’harmonie : « La nature dans l’univers fut mise en harmonie aussi bien par des illimités que par des limitants – à la fois l’univers en son entier et chaque chose en son sein. »
Alors, les ressources naturelles sont-elles limitées? Une analyse basée sur les indicateurs d’abondance et un regard philosophique permettent de ne pas être sensible aux discours malthusiens en la matière et de réfuter ce qu'affirmait Koffi Annan en 1999: « Le développement durable est en grande partie subordonné à la stabilisation rapide de la population mondiale »[1bis].

Analyse: "Les2ailes.com"

Une analyse basée sur les indicateurs d’abondance

1- La principale ressource naturelle pour l’humanité, c’est l’homme.

Telle était la conclusion de Julian Simon après son pari avec le malthusien Paul R. Ehrlich sur l’évolution des prix de cinq métaux, choisis par Ehrlich. Simon avait parié –et gagné- une baisse de prix sur 5 ans pour contredire la thèse conventionnelle sur la rareté des ressources. Ainsi est né l'indice Simon Abundance[2] qui compare, sur 30 ans, l’évolution du prix des produits de base et celle de la population mondiale pour estimer l'abondance mondiale de 50 ressources. En 2019, l'indice montre que, en moyenne, les quantités de ressources disponibles ont été multipliées par 3.87 ! Des produits comme le café, le porc, l’aluminium, ou l’étain ont vu leur disponibilité multipliée par 5 ou 7. D’autres, comme le gaz naturel liquide, les fertilisants, la laine, le maïs,…  par seulement 2 à 4 fois. On comprend que ces différences résultent à la fois des évolutions de technicité et de besoins. Les auteurs de cet indice montrent que la Terre dans son ensemble était donc  570,9% plus abondante en 2019 qu'en 1980.  Cette abondance a un impact sur les prix qui ont chuté sur la période de 74.2% !

Cette évolution n’a pas été remise en cause par l’évolution démographique : entre 1980 et 2019, la population mondiale est passée de 4,458 milliards à 7,677 milliards, soit 73,2%. 

2- Une disponibilité au prix de l’ « empreinte écologique » ?

Toute la question est de savoir quel indicateur écologique retenir.

  • L’OCDE[3] reconnaît se fonder sur des critères dont la « sélection s'est fondée sur leur pertinence politique en regard des grands défis à relever ». Les indicateurs d’émission de CO2 en constituent le « corps central », alors qu’on sait que des milliers d’auteurs ont publié, dans des revues scientifiques à comité de lecture, une centaine d’article par an attribuant la période chaude contemporaine à aux cycles d’activité solaire. En matière de déchets, l’OCDE mesure la « production de déchets municipaux ». Comment comparer l’impact environnemental des déchets dans des pays pauvres qui n’ont pas de système de collecte organisé ? Les déchets sont rejetés dans les fleuves et alimentent le fameux « continent de plastique ». Tous ces indicateurs sont souvent élaborés avec des arrière-pensées subjectives ou fondés sur des données scientifiques contestées.
  • Un autre indicateur développé par Mathis Wackernagel prétend que l’humanité aurait besoin de 2 planètes[4], mais cet indicateur ajoute à des besoins très théoriques parce qu’additionnant des surfaces de continent et des surfaces d’océans, des surfaces « virtuelles » nécessaires au recyclage des déchets : le seul déchet retenu est l’émission de CO2 provenant de la consommation d’énergie fossile, ce qui est très partial.
  • Indice de performance environnementale EPI
    Mais, dira-t-on, vouloir continuer à exploiter les ressources naturelles, en se fondant sur la capacité technique croissante de l'homme, se fera au détriment de l'environnement. Sans tomber dans le technicisme, notons que les universités de Yale et de Columbia publient régulièrement un indice de performance environnementale (EPI)[5]. Il montre l’existence d’une corrélation positive entre le PIB par habitant et la qualité de l’environnement.
  • Il existe également une courbe dite de Kuznets. Il en ressort qu’après une phase où la de la hausse de la pollution va de pair avec l'industrialisation pour pourvoir aux besoins primaires, la tendance s'inverse car la société a alors les moyens de réduire le niveau de pollution.
    Indice de Kunzets

    Le militant écologiste américain Michaël Schellenberger qualifie de « découplage », ce pic par lequel la société passe d’une dépendance à la nature pour sa subsistance à l’utilisation de la technologie pour réduire l’impact humain sur l’environnement. Cette courbe est critiquée par ceux qui, par idéologie, s’acharnent à voir dans le CO2 le principal polluant.

Malgré l’imperfection de ces indicateurs, ils sont cohérents avec l’intuition que les pays n’ayant les moyens ni d’organiser une collecte de déchets, ni d’investir dans des installations industrielles « propres », ni de disposer de « tout-à-l’égouts » ont inévitablement des résultats environnementaux moins performants.

3- Une disponibilité qui fait fi du cri des pauvres ?

La rareté des ressources naturelles est donc un faux problème au regard de la démographie. La croissance économique n’est pas, non plus et au contraire, un obstacle à la prise en compte des contraintes écologiques. En revanche, l’accès des pays pauvres aux ressources est impacté par des conditions du commerce international, qui se résument à mettre en concurrence les économies riches avec les pays pauvres, par exemples :

  • Le dogme du « Zéro douane » rend non compétitives les productions agricoles du Sud face aux exportations du Nord ;
  • Les pays possédant des ressources minérales sont mis en concurrence par les grands utilisateurs de ressources. Ce mécanisme contribue à la baisse de rémunérations des exportateurs ;
  • Les taux de change des monnaies sont sous l’hégémonie des pays riches. Par exemple, la force du Franc CFA limite la capacité de l’Afrique à exporter face aux produits asiatiques qui envahissent l’Afrique.

Le regard philosophique 

1- Pour Aristote, rien n’est limité [6bis]

Philolaos décrit la réalité de l’infini. Mais Aristote en réfute l’existence en acte. Il reconnaît que la limite est inhérente à l’être, mais indique comment elle se trouve dépassée.
Les philosophes grecs parlaient de la limite comme la négation de l’être. Cette approche est utilisée dans une forme d’écologie qui considère que les ressources de la terre qui n’existent pas à ce jour tracent une limite insurmontable pour l’être humain. Aristote fait la démonstration que la nature de l’être est plus subtile : l’être est à la fois acte et puissance. En faisant passer le marbre à la forme d’une statue, l’homme est l’artisan d’un changement de mode d’être du marbre, qui de l’être en puissance devient un être en acte.
Aristote appelle changement, ou mouvement, le passage de la puissance à l’acte. Il identifiait quatre causes[6] rendant compte du passage de la puissance à l’acte. Cette réflexion sur le changement sortait du cadre binaire opposant l’idée et la matière, auxquelles les différentes écoles philosophiques attribuaient contradictoirement l’être et le non-être.

2- Une limite oui, mais « selon quoi »

En effet, la statue n’a pas la puissance de devenir vivante. Il y a donc un non-être inclus dans son être : que cet être soit puissance ou acte, il reste limité. Le passage de la puissance à l’acte n’est pas un passage de l’être au non-être ou l’inverse. Il ne fait que confirmer le caractère limité de l’être.
Inversement, la limite, en tant que non-être, n’est pas séparable de l’être : une limite n’a de sens que « selon quoi », selon l’être dont elle constitue la limite.
La limite, si elle est un non-être, n’est donc pas une imperfection. Elle est une impossibilité au regard d’une connaissance donnée. Le génie inventif de l’homme est limité, puisque l’homme n’est pas démiurge et ne peut pas inventer une technique ou une science qui ne se fonderait pas sur les lois de la nature. Mais le champ des possibles du savoir humain est vaste au sein de ces limites. Il s’accroît toujours avec le développement des connaissances, qui, lui, n’est pas limité. Activité de l’âme, la connaissance est selon Aristote de l’ordre de la perfection.
Une forme de paralysie se dégage d’une immanence  excessive, qui considère les limites de l’homme comme intangibles. Le philosophe Louis Boisse relève les dangers de cette posture : « [L’immanence] aboutit à la divinisation du fait. Par elle on se courbe devant lui, on s’incline devant ses leçons ; elle est une philosophie de l’acceptation universelle ; on accepte le monde avec tous ses chevauchements sans ordre, ses contradictions, ses négations, ses reniements. Elle ne débouche pas sur une vision verticale[7]. »

3- Subir ou connaître les limites humaines ?

Dans un précédent numéro de la lettre écologique de l’Institut éthique et politique Montalembert[8], nous avons mis en regard la notion de limite et celle de vulnérabilité. En assumant sa vulnérabilité, l’homme s’ouvre à la transcendance. Il prend conscience d’une vérité et d’un amour qui le dépassent. Il se libère de l’immobilité que pourrait engendrer le constat des limites. Rester bloqué sur le « non-être » pourrait conduire au repli sur soi, comme avec le principe de précaution. Au contraire, la vertu de prudence nous invite à reconnaître et à dépasser notre vulnérabilité.
Avec la Physique d’Aristote, nous pouvons commencer à comprendre que, par le mouvement de la connaissance, l’homme dévoile des puissances de la nature, bien réelles. Par son action, technique, politique, artistique, orientée par la connaissance, il peut amener ces puissances à l’état d’actes. Sans changer la nature, la connaissance, qui est selon Aristote l’accomplissement de la nature humaine, étend le champ de l’être et en quelque sorte repousse les limites du non-être, qui ne correspondent jamais qu’à un état temporaire de la connaissance.

Conclusion

Le thème écologique des ressources naturelles limitées est porteur d’émotion et de réflexes malthusiens. Au lieu de rendre les ressources plus rares, la croissance démographique est allée de pair avec une plus grande abondance des ressources. Le vrai problème est celui des conditions commerciales qui rendent les pays pauvres de plus en plus pauvres.


[1] Gale L. Pooley, Marian L. Tupy, « The Simon Abundance Index: A New Way to Measure Availability of Resources », 2018

[1bis] (Séance plénière ONU 2.7.1999- Annexe « principales mesures pour la poursuite de l’application du programme d’action de la conférence Internationale sur la population et le développement » - Préambule § 7)

[2] Source : Cato Institute : 22.4.2020

[3] Source : OCDE – Indicateurs clés de l’environnement (2008, PDF n° 40601692)

[4] Cf.  lettre écologique de l’IEPM n° 1, mai 2017.

[5] Source : https://epi.envirocenter.yale.edu/2018/report/category/hlt

[6] Aristote distingue quatre causes qui per mettent de définir une réalité :

  • La cause matérielle est la matière qui constitue une réalité.
  • La cause formelle est l’essence de cette réalité, ce qui fait que cette réalité est cette réalité et non une autre.
  • La cause efficiente est le principe de changement qui fait que cette réalité est.
  • La cause finale est « ce en vue de quoi » la chose est faite.

Ce cadre philosophique peut être une voie pour définir Dieu : un être qui n’a ni cause matérielle, ni cause efficiente (puisqu’il n’a pas été créé), ni aucune finalité autre que lui-même.
Le chrétien ajoutera que la volonté de Dieu est soumise à la loi de l’amour, et que son œuvre de salut dans le monde est rendue possible par le don libre de son Fils.

[6bis] Extrait d'un article de Tristan Diefenbacher paru dans la lettre écologique  14 de l'IEPM de Août 2020

[7] Louis Boisse, La guerre et la mystique de l'immanence, 1918.

[8] Lettre écologique de l’IEPM no 3, novembre 2017.