"La tolérance atteindra un tel niveau que les personnes intelligentes seront interdites de toute réflexion, afin de ne pas offenser les imbéciles" 
(attribué à Tiodor Dostoïevski - 1864)

Vatican news a publié un commentaire d'une "Note sur la moralité de l'utilisation de certains vaccins anti-Covid-19" publiée le 21 décembre 2020 par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Cette note n'était pas, à la date du 22 décembre, traduite en français. Nous en proposons ci-dessous une traduction provisoire. 
Cette agence de presse met en exergue des citations plutôt que d'autres qui peuvent nuire à un discernement filial. Nous proposons une lecture compatible avec le principe d'herméneutique de la continuité, cher à Benoit XVI. Disons que la note parle bien d'une "collaboration avec le mal". Il pose un certain nombre de préalables qui permettent de se placer dans une continuité du droit moral en matière de "moindre mal". Faut-il encore vérifier que l'exercice de ce type de discernement en respecte bien toutes les étapes? 
Attention aux gros titres rapides diffusés par les medias: 
-  "Le Vatican approuve les vaccins contre le Covid, même dérivés de fœtus avortés"(LaCroix)
- "Vaccin anti-Covid : le Vatican ne met pas son veto" (LaVie)
- "Le Vatican juge les vaccins anti-Covid «moralement acceptables»" (LeFigaro)
En réalité, le Vatican se contente de donner les clés du discernement. Lesquelles?

Analyse "les2ailes.com"

1°) Un discernement à exercer par rapport au "moindre mal"

a) La question des alternatives possibles

Dans l'approche morale, le document pose un premier préalable: il faut "juger de la sécurité et de l'efficacité de ces vaccins, bien que cela soit éthiquement pertinent et nécessaire" (introduction)"
"…en cas de danger grave, comme la propagation autrement incontrôlable d'un agent pathologique grave…" (§ 3).
C'est un point fondamental, car dans le discernement moral en matière de moindre mal, il faut vérifier qu'il n'y a pas d'alternative. Or, en la matière, une alternative existe-t-elle: ne pas se faire vacciner? En particulier si la sécurité et l'efficacité n'est pas avérée.
Il faut également vérifier la gravité du danger! N'y a-t-il pas d'autres moyens de contrôler l'épidémie ? Quid de l'immunisation naturelle?

b) Le moindre mal ne pèse pas un bien par rapport à un mal, mais la proportionnalité entre deux maux. 

Le document parle bien de "coopération dans le mal". (§ 1)
Mais la vaccination serait-elle un bien? Peut-être! Mais que penser d'une stratégie qui n'a pas recherché à rendre disponible des vaccins éthiques? Face à ce mal intrinsèque, se faire vacciner serait-il un moindre mal? 
D'ailleurs, la note de la Congrégation pour la DF pose bien le contexte: "lorsque des vaccins Covid-19 éthiquement irréprochables ne sont pas disponibles…" (§ 2).
Or, à la date du 21 décembre, il n'existait pas en Europe d'autres vaccins disponibles, mais d'autres ne sont-ils pas en train d'être préparés?

On est donc en droit de s'interroger pourquoi, dès l'origine, nos dirigeants n'ont pas soutenu d'autres projets pour qu'ils arrivent plus rapidement? La note ne fait aucun reproche à nos dirigeants mais  évoque cette question: "Les sociétés pharmaceutiques et les agences gouvernementales de santé sont donc toutes deux encouragées à produire, approuver, distribuer et offrir des vaccins éthiquement acceptables qui ne créent pas de problèmes de conscience ni pour les prestataires de soins de santé ni pour les personnes à vacciner" (§ 4)
Interrogeons-nous: ne sommes-nous pas parfois complice d'élites enchantées de s'amuser avec de nouvelles technologies… qui leur permettront entre autres de dire combien la recherche embryonnaire est salutaire.

c) L'exercice de la conscience individuelle

La lecture de cette note n'est pas forcément identique selon la position du lecteur, gouvernant, chercheur ou patient. 
Pour le patient, le document ajoute: "il est moralement acceptable de recevoir des vaccins Covid-19 qui ont utilisé des lignées cellulaires…" (§ 2)
Il n'est pas dit qu'il est licite de les produire, ni d'en autoriser l'usage, ce qui devrait passer par les préalables indiqués en a).
Par ailleurs, reste pour les patients, une alternative: "la vaccination n'est pas, en règle générale, une obligation morale et que, par conséquent, elle doit être volontaire" (§ 5). Est-ce vraiment ce que prépare le gouvernement avec son projet de loi ?

d) Une lecture dans une herméneutique de la continuité

En tout état de cause, la conclusion de la note est claire: si l'utilisation est licite (en l'absence de solution alternative, ce qui est contestable), cela "n'implique pas et ne devrait pas impliquer de quelque manière que ce soit une approbation morale de l'utilisation de lignées cellulaires provenant de fœtus avortés" (§ 4)
La lecture intégrale du document doit être faite dans le cadre d'une herméneutique de la continuité, chère à Benoit XVI. Dans ce cadre, il ne faut pas conclure, comme les medias le disent, que ces vaccins sont un bien. Au lieux, il ne s'agirait que d'un moindre mal, à condition que soit précisée les termes d'une vérification scientifique, de la gravité du contexte et des alternatives.

2°) Traduction intégrale de la note de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi

Note sur la moralité de l'utilisation de certains vaccins anti-Covid-19

La question de l'utilisation des vaccins, en général, est souvent au centre des polémiques dans le forum de l'opinion publique. Ces derniers mois, cette Congrégation a reçu plusieurs demandes de conseils concernant l'utilisation de vaccins contre le virus SRAS-CoV-2 responsable du Covid-19, qui, au cours de la recherche et de la production, a utilisé des lignées cellulaires tirées de tissus obtenus à partir de deux avortements survenus au siècle dernier. Dans le même temps, des déclarations diverses et parfois contradictoires dans les médias de masse par des évêques, des associations catholiques et des experts ont soulevé des questions sur la moralité de l'utilisation de ces vaccins.

Il y a déjà une déclaration importante de l'Académie pontificale pour la vie sur cette question, intitulée «Réflexions morales sur les vaccins préparés à partir de cellules dérivées de fœtus humains avortés» (5 juin 2005). De plus, cette Congrégation s'est exprimée à ce sujet avec l'Instruction Dignitas Personae (8 septembre 2008, cf. nn. 34 et 35). En 2017, l'Académie pontificale pour la vie est revenue sur le sujet avec une note. Ces documents offrent déjà quelques critères généraux de directive.

Comme les premiers vaccins contre Covid-19 sont déjà disponibles pour la distribution et l'administration dans divers pays, cette Congrégation souhaite donner quelques indications pour clarifier cette question. Nous n'avons pas l'intention de juger de la sécurité et de l'efficacité de ces vaccins, bien que cela soit éthiquement pertinent et nécessaire, car cette évaluation est la responsabilité des chercheurs biomédicaux et des agences du médicament. Ici, notre objectif est seulement de considérer les aspects moraux de l'utilisation des vaccins contre Covid-19 qui ont été développés à partir de lignées cellulaires provenant de tissus obtenus à partir de deux fœtus qui n'ont pas été spontanément avortés.

  1. Comme l'indique l'instruction Dignitas Personae, dans les cas où des cellules provenant de fœtus avortés sont utilisées pour créer des lignées cellulaires destinées à la recherche scientifique, "il existe différents degrés de responsabilité"[1] de coopération dans le mal. Par exemple, "dans les organisations où des lignées cellulaires d'origine illicite sont utilisées, la responsabilité de ceux qui prennent la décision de les utiliser n'est pas la même que celle de ceux qui n'ont pas leur mot à dire dans une telle décision"[2].
  1. En ce sens, lorsque des vaccins Covid-19 éthiquement irréprochables ne sont pas disponibles (par exemple dans les pays où des vaccins sans problèmes éthiques ne sont pas mis à la disposition des médecins et des patients, ou lorsque leur distribution est plus difficile en raison de conditions de stockage et de transport particulières, ou lorsque différents types de vaccins sont distribués dans un même pays mais que les autorités sanitaires ne permettent pas aux citoyens de choisir le vaccin avec lequel ils seront inoculés), il est moralement acceptable de recevoir des vaccins Covid-19 qui ont utilisé des lignées cellulaires provenant de fœtus avortés dans leur processus de recherche et de production.
  1. La raison fondamentale pour laquelle l'utilisation de ces vaccins est considérée comme moralement licite est que le type de coopération du mal (coopération matérielle passive) dans l'avortement provoqué dont ces lignées cellulaires sont issues est, de la part de ceux qui utilisent les vaccins résultants, éloigné. L'obligation morale d'éviter une telle coopération matérielle passive n'est pas obligatoire en cas de danger grave, comme la propagation autrement incontrôlable d'un agent pathologique grave[3] - dans ce cas, la propagation pandémique du virus SRAS-CoV-2 qui provoque le Covid-19. Il faut donc considérer que, dans un tel cas, tous les vaccins reconnus comme cliniquement sûrs et efficaces peuvent être utilisés en toute bonne conscience, sachant que l'utilisation de ces vaccins ne constitue pas une coopération formelle avec l'avortement dont dérivent les cellules utilisées pour la production des vaccins. Il convient toutefois de souligner que l'utilisation moralement licite de ces types de vaccins, dans les conditions particulières qui la rendent possible, ne constitue pas en soi une légitimation, même indirecte, de la pratique de l'avortement, et suppose nécessairement l'opposition à cette pratique de la part de ceux qui utilisent ces vaccins.
  1. En fait, l'utilisation licite de ces vaccins n'implique pas et ne devrait pas impliquer de quelque manière que ce soit une approbation morale de l'utilisation de lignées cellulaires provenant de foetus avortés[4]. Les sociétés pharmaceutiques et les agences gouvernementales de santé sont donc toutes deux encouragées à produire, approuver, distribuer et offrir des vaccins éthiquement acceptables qui ne créent pas de problèmes de conscience ni pour les prestataires de soins de santé ni pour les personnes à vacciner.
  1. En même temps, la raison pratique montre clairement que la vaccination n'est pas, en règle générale, une obligation morale et que, par conséquent, elle doit être volontaire. En tout état de cause, du point de vue éthique, la moralité de la vaccination dépend non seulement du devoir de protéger sa propre santé, mais aussi du devoir de poursuivre le bien commun. En l'absence d'autres moyens pour arrêter ou même prévenir l'épidémie, le bien commun peut recommander la vaccination, en particulier pour protéger les plus faibles et les plus exposés. Ceux qui, toutefois, pour des raisons de conscience, refusent les vaccins produits avec des lignées cellulaires provenant de fœtus avortés, doivent faire tout leur possible pour éviter, par d'autres moyens prophylactiques et un comportement approprié, de devenir des vecteurs de transmission de l'agent infectieux. En particulier, ils doivent éviter tout risque pour la santé de ceux qui ne peuvent être vaccinés pour des raisons médicales ou autres et qui sont les plus vulnérables.
  1. Enfin, il existe également un impératif moral pour l'industrie pharmaceutique, les gouvernements et les organisations internationales de veiller à ce que les vaccins, qui sont efficaces et sûrs d'un point de vue médical, ainsi qu'éthiquement acceptables, soient également accessibles aux pays les plus pauvres d'une manière qui ne leur coûte rien. Sinon, le manque d'accès aux vaccins deviendrait un autre signe de discrimination et d'injustice qui condamne les pays pauvres à continuer de vivre dans la pauvreté sanitaire, économique et sociale[5].

Le Souverain Pontife François, lors de l'audience accordée au Préfet soussigné de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le 17 décembre 2020, a examiné la présente Note et a ordonné sa publication.

Rome, auprès des Bureaux de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le 21 décembre 2020, Mémorial liturgique de Saint Pierre Canisius.

Luis F. Card. Ladaria, S.I. , Préfet archevêque titulaire de Cerveteri                  
S.E. Mons. Giacomo Morandi, Secrétaire


[1] Congregation for the Doctrine of the Faith, Instruction Dignitas Personae (8th December 2008), n.35; AAS (100), 884.

[2] Ibid, 885.

[3] Cfr. Académie pontificale pour la vie, "Réflexions morales sur les vaccins préparés à partir de cellules provenant de fœtus humains avortés", 5 juin 2005.

[4] Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruire. Dignitas Personae, n. 35 : "Lorsque l'action illicite est avalisée par les lois qui réglementent les soins de santé et la recherche scientifique, il est nécessaire de prendre ses distances par rapport aux aspects maléfiques de ce système afin de ne pas donner l'impression d'une certaine tolérance ou d'une acceptation tacite d'actions gravement injustes. Toute apparence d'acceptation contribuerait en effet à l'indifférence croissante, voire à l'approbation de telles actions dans certains milieux médicaux et politiques".

[5] Cfr. François, Discours aux membres de la fondation "Banco Farmaceutico", 19 septembre 2020.