"Le petit nombre de ceux qui sont doués de sens critique, sont forcés de se taire; et ceux qui ont droit à la parole sont ceux qui sont incapables de se forger des opinions propres"
(Arthur Schopenhaueur: L’art d’avoir toujours raison, 1830)

A trop confondre la « clameur de la terre » avec le « cri des ONG », on risque de ne plus entendre le vrai cri des pauvres. Les pauvres sont probablement victimes du comportement des pays développés, mais pas toujours au sens où on l’imagine. En Afrique, par exemple, la consommation est de 700 kg d’équivalent pétrole d’énergie/personne/an contre 3.300 Kg en Europe. Ce sont 900 millions d’africains qui cuisinent en brûlant des bouses animales séchées ou du bois vert, ou, s’ils sont riches, du charbon de bois. C’est un désastre écologique : 70 % des forêts africaines ont été abattues. En Afrique, une superficie de la taille de la Suisse est déforestée chaque année. Net Zero Watch, estime que 90 % de la responsabilité revient à l’utilisation du bois pour la cuisine ou le chauffage, et non aux multinationales qui exportent du bois vers le Nord ! Et maintenant, les COP, curieusement soutenues par le Vatican, en voulant imposer une décarbonation aux économies du Sud, rendront les pauvres encore plus pauvres, en les privant de l’énergie abondante et bon marché dont ces pays ont besoin pour se développe.Au Brésil, la forêt a également été victime d’une autre forme de pauvreté : historiquement, le pâturage et l’adoption de l’élevage ont toujours été une stratégie d’accumulation.

Dans les deux continents, il sera illusoire et inefficace de vouloir protéger la nature contre l’Homme.

Analyse : les2ailes.com 

 Le poids de l’histoire amazonienne

L’agriculture traditionnelle sur brûlis est une forme de défrichement de la forêt pratiquée depuis plusieurs milliers d’années par les Amérindiens qui sont autochtones de l’Amazonie. Ce système agricole précolombien a été repris durant, et après, l’époque coloniale portugaise par les populations rurales de métis descendants d’européens blancs et d’amérindiens appelés les Caboclos et ne disposant pas de grands moyens financiers. Les parcelles ainsi défrichées et mises en culture devenaient des clairières au sein de la forêt. Le défrichement n’était pas systématiquement intégral, puisque quelques arbres et des souches étaient épargnés au moment de la coupe et du brûlis. La production portait surtout sur des cultures vivrières : manioc, banane, igname, piment, courges, etc. Elle était destinée à la satisfaction des besoins alimentaires familiaux et éventuellement à la vente d’une partie de la production. Après deux à trois ans d’exploitation, les parcelles, envahies par les mauvaises herbes, étaient abandonnées d’autant plus que la productivité baisse, les sols n’étant pas très fertiles. L’abandon des parcelles, c'est-à-dire la jachère, pouvait durer plusieurs décennies en fonction de la pression démographique et foncière. Durant cette jachère, la forêt reconquérait les parcelles, ce qui relativise en quelque sorte l’ampleur de la déforestation engendrée par l’agriculture traditionnelle, même si cette agriculture était itinérante (de nouvelles parcelles de forêt sont défrichées ailleurs et mises en culture pendant la phase de jachère des parcelles arrivées en fin d’exploitation). Les parcelles laissées en jachère étaient à nouveau défrichées et mises en culture quelques décennies plus tard, lorsque la fertilité du sol s’était reconstituée. Tant que les densités démographiques restaient faibles (3 à 4 habitants au km²), ce système agricole traditionnel paraissait durable car il n’accaparait pas d’énormes surfaces et il permettait le retour de la forêt durant les phases de jachère, lorsque celle-ci était respectée.

Après la colonisation amérindienne

Coloniser de nouveaux espaces en y installant des troupeaux bovins est une stratégie pluriséculaire d’expansion du territoire brésilien, depuis l’arrivée des Portugais, face aux occupants indigènes[1]. L’actuelle dynamique amazonienne n’est, de ce point de vue, que la continuité locale d’un processus national que les sertanejos -de l’arrière-pays- ont initiée dès le xvie siècle dans le Nordeste pour subvenir aux besoins des plantations littorales. 
Le développement du pays provoqua ainsi l’occupation de nouveaux espaces pastoraux, dans un mouvement permanent d’avancée de la fronteira, autour de populations spécifiques d’éleveurs pionniers[2].
Cette « fronteira », territoire marginal et mouvant de colonisation par l’élevage, a été la composante essentielle d’un pays en permanente construction. … Poussée par les troupeaux, la fronteira était historiquement guidée par l’accès aux ressources fourragères et les pistes de bétail.

A partir des années 1950-1970

L’ouverture des routes principales (les transamazoniennes) a été suivie d’incitations à la colonisation pionnière de la forêt. Des parcelles de forêt à défricher ont été distribuées en lots de 100 ha par famille dans un périmètre de 100 km le long des routes. Par la suite, les axes routiers secondaires ont été ouverts et les défrichements ont essaimé aux alentours, en même temps que se sont développées des agglomérations rurales appelées agrovilles ou ruropolis pour des agglomérations de taille plus importante.
D’après Léna (2005), 380 000 petites propriétés foncières actuellement en Amazonie brésilienne sont issues de la colonisation agricole et des réformes agraires engagées par le Brésil depuis les années 1970. Les migrants ainsi installés ont développé une agriculture extensive, procédant à des défrichements définitifs voués à la production vivrière (manioc et riz), non seulement pour la consommation familiale, mais aussi pour la commercialisation. Les pâturages pour l’élevage bovin ont essaimé dans ce contexte d’agriculture de plus en plus marchande.

La conversion agricole de la forêt amazonienne à partir de 1974.

À partir de 1974, l’accès à la grande propriété foncière s’est développé davantage grâce aux facilités bancaires et fiscales proposées par l’État brésilien pour pérenniser et accroître la conversion agricole de la forêt amazonienne. Les grands propriétaires (fazendeiros), venant essentiellement du Sud du Brésil, ont acquis des domaines parfois précédemment occupés de manière précaire par les petits propriétaires et les ethnies autochtones[3].

L’histoire sociale de l’Amazonie

Héritières des différentes phases historiques d’occupation de la région, ces populations sont largement hétérogènes. Sont réunis dans cette catégorie des indiens ayant abandonné leur mode de vie traditionnel, des descendants plus ou moins métissés des indiens regroupés par les militaires et les missionnaires aux XVII° et XVIII° siècles, des immigrants d’origine nordestine venus lors du « boom » du caoutchouc.[4]

  • Les Caboclos, métis entre européens blancs et d'amérindiens forment la population la plus importante du bassin amazonien.
  • Les seringueiros, collecteurs de caoutchouc et les castanheiro, collecteurs de noix du Brésil. Ils étaient employés par des familles de latifundiaires employant jusqu’à 250 collecteurs.
  • Les posseiros. Après une longue période de bas prix, la plupart des seringueiros sont devenus cultivateurs. C’étaient en général de petits paysans sans terre qui occupaient spontanément des terres publiques (ou autres) sans titre de propriété. L’agriculture ne tardera pas à devenir dominante, suivie de peu par l’élevage, car ils adoptaient l’élevage comme stratégie d’accumulation …. Les posseiros étaient « mus par une logique non capitaliste, non marchande, communautaire et égalitaire, opposée, par essence, à celle du système économique et social dominant. . . »[5].
    La reconnaissance du droit d’usage de la terre fut suivie de la mise en place des formes d’exploitation les plus répandues en Amazonie à base de petit élevage bovin extensif, laitier ou naisseur, voire, même, élevage pour la viande à petite échelle.
    Ils ont été les principaux responsables [de la déforestation] après avoir investi dans l’élevage (principalement ceux qui ont récemment racheté la terre aux anciens maîtres de plantation de caoutchouc).
  • Les latifundiaires... comme partout ailleurs en Amazonie, la préférence des latifundiaires est aujourd’hui en faveur de l’élevage. Le latifundium resté traditionnel affiche le taux de déboisement le plus faible (3,15 %). En revanche, la zone occupée par les petits paysans un taux moyen de 27,3 % [6].

Conclusion

Au Brésil, les dynamiques agraires sont très complexes et ne se résument pas aux discours anticapitalistes ou altermondialistes. Elles y ont surtout été endogènes, « basées sur un élevage familial et une lente déforestation le long des pistes vicinales en « arêtes de poisson » de part et d’autre de la Transamazonienne »[7].

La difficulté de faire cohabiter élevage et forêt n’est pas nouvelle.
A Fontainebleau, la forêt était parcourue par de nombreux animaux domestiques. Son apparence était souvent très claire, même si le pâturage était en régression au début du XIXe siècle. D’après Paul Domet[8], ancien inspecteur forestier à Fontainebleau, il y avait en forêt de Fontainebleau 2.328 bovins en 1810, 1.420 en 1819, 1.100 en 1850 et 297 en 1870.
Les peintres ont été les derniers témoins de ce droit d’usage qui avait atteint en 1664 le chiffre faramineux de 12.117 vaches et 6.367 porcs. L’arrivée des peintres de Barbizon marque le début d’une vraie contestation[9]. Nous avons facilement une vision erronée de la forêt que nous avons tendance à imaginer vieille, sombre et imposante, au vu des toiles qu’ils nous ont laissées. « Parmi les griefs innombrables adressés par les artistes à l'Administration forestière, le principal, celui qui résume tous les autres, consiste à dire que la forêt de Fontainebleau est exploitée d'une façon "industrielle", sans aucun souci d'en conserver le caractère esthétique. Produire beaucoup de stères et beaucoup de planches pour réaliser beaucoup d'argent, traiter en un mot la forêt comme une "usine à bois", tel serait l'objectif du service forestier. Partant de ce postulat, on se plaint que les coupes "sombres" qu'on pratique ou qu'on médite de pratiquer dans les massifs doivent les "mutiler odieusement" et "porter un coup terrible à leur magnifique beauté »[10]

Dans les pays les plus pauvres, la contrainte et les interdictions ne sont pas suffisantes. Il faut d’abord favoriser le développement économique plutôt que de l’entraver par une économie décarbonée qui rend les pauvres encore plus pauvres. Dans ce contexte, privilégier l’environnemental au social devient absurde : Entre 1960 et 1970, 580 familles Batwa (3 000 à 6 000 personnes) ont été chassées de la forêt de Kahuzi-Biega en République Démocratique du Congo afin de créer une réserve à gorilles de 6 000 Km² (CAMV, 2009) !

Parallèlement à une stratégie de développement, Sylvie Brunel a bien démontré, par « l’expérience des réserves intégralement protégées, qu’il est illusoire de vouloir protéger la nature contre l’Homme, non seulement pour des raisons morales, mais aussi par pur pragmatisme : exclus, les pauvres braconnent et détruisent les forêts qui leur sont interdites. Ils deviennent en revanche les meilleurs agents de leur cadre de vie lorsqu’ils sont associés aux bénéfices à tirer de la gestion équilibrée des ressources naturelles »[11].

Le journaliste zimbabwéen Geoff Hill, s’est exprimé à la chambre des Lords : « Avec Internet, les gens ont partout les mêmes attentes. L'électricité, l'eau du robinet et le style de vie que l'on voit à la télévision. Il n'y a pas de place pour une mentalité « nous et eux » parmi les pays donateurs. Les attentes sont largement égales, quel que soit l'endroit où vous vivez ».

Pour lui, le problème brûlant de l'Afrique : le charbon de bois et la perte des forêts.


[1] Deffontaines, 1957

[2] Théry & Mello, 2004

[3] Source : Quand le développement prime sur l'environnement : la déforestation en Amazonie brésilienne, Moïse Tsayem Demaze (Dans Mondes en développement 2008/3 (n° 143), pages 97 à 116)

[4] Source : « … L ’espace rural en Amazonie brésilienne » de  Philippe LÉNA » (Cal~. .Cci. Hum. 28 (4) 1992 : 579-601)

[5] Source : MARTIN~, 1981 : 16, cité par MUSUMECI, 1988 : 47

[6] Source BENTES

[7][7][7] https://collaboratif.cirad.fr/alfresco/s/d/workspace/SpacesStore/ae1ede69-24c0-4aa5-8d05-4d9483da1004/11.Brasil%20Novo.%2068%2C7Mo-1.pdf

[8] “L’histoire de la forêt de Fontainebleau”. Paul Domet, 1873, p.200, 207

[9] SOURCE : Pierre-Pascal Perraud, ONF chef technicien forestier, chargé d’information

[10] (M. Geneau, 13 mai 1914)

[11] file:///C:/Users/Stanislas/Downloads/Th%C3%A8se%20de%20Kiansi%20Yantibossi.pdf