Après le remarquable petit ouvrage de Mgr Rey « Peut-on être catho et écolo », voilà une seconde prise de position épiscopale bienvenue.
Mgr Batut propose, dans l’édition de septembre de la revue diocésaine « Église à Lyon », une réflexion sur « Les ambiguïtés et vérité de l’écologie : les conditions d’un regard chrétien ». Ces quelques pages nous paraissent essentielles. C’est pourquoi nous les reproduisons intégralement. Comment se fait-il que, dès sa sortie, ce texte ait été contesté? Le débat de l’anthropocentrisme est en jeu, en posant cette question : Dieu a-t-il voulu ou non que l’homme soit au centre de la création ?

Commentaire "les2ailes.com"

1- Le texte intégral de Mgr Jean-Pierre Batut

En 2011, les évêques de France ont consacré une bonne partie de leur assemblée de Lourdes à une réflexion sur l’écologie. Cette réflexion qui se poursuit depuis n’est pas sortie du néant : depuis toujours, la foi chrétienne nous interpelle à propos de la responsabilité de l’homme sur la nature, à cause de la place singulière que l’humanité y occupe.

a) Deux visions de l’écologie
Faisons un peu d’histoire récente. Nous avons vu se succéder deux phases bien distinctes dans l’appel à « de nouveaux modes de vie » qui s’est fait entendre dans la culture des pays développés (« occidentale » pour faire bref) ces quarante dernières années.
La première phase peut être mise sous un patronage : celui d’Ivan Illich (1926-2002), dont l’écologie politique était une critique de la société industrielle reposant sur l’idée que nous vivons mal et que nous devrions vivre mieux. La seconde phase, qui commence au tournant des années 80 et atteint son plein développement après la chute du communisme et face à la société consumériste triomphante, est une critique reposant sur l’idée que nous nous acheminons vers une catastrophe écologique.
Alors que le premier appel reposait sur des raisons essentiellement morales, le discours du second n’est pas d’abord moral, mais pragmatique, voire utilitaire. L’appel à la solidarité entre les peuples, en particulier entre peuples nantis et peuples démunis, se retrouve relégué au second plan par rapport à la dénonciation des périls qui menacent « la planète ».
Dans un premier temps, il s’agissait de montrer à l’œuvre, dans la société productiviste et consumériste, tout ce qui déshumanise l’homme ; dans un second temps, l’accusation se déplace contre l’homme lui-même, dénoncé par certains comme le plus redoutable prédateur de toutes les espèces vivantes constituant l’écosystème, et par voie de conséquence comme le principal danger qui le menace.

b) Le danger de l’anti-anthropocentrisme
« Croyants et incroyants sont généralement d’accord sur ce point : tout sur terre doit être ordonné à l’homme comme à son centre et à son sommet ». Cette conviction, énoncée dans la Constitution Gaudium et Spes (12) du Concile Vatican II, est maintenant bien loin de faire l’objet d’un « accord général ». Ce qu’on a appelé la deep ecology n’est que l’expression caricaturale d’une lame de fond beaucoup plus ample selon laquelle défendre la nature revient toujours à la protéger de l’homme, et non à la préserver pour protéger l’homme de sa propre destruction.
Cet anti-anthropocentrisme qui a marqué la « deuxième vague » écologiste n’est qu’un avatar du phénomène de haine de soi qui se traduit souvent dans notre culture occidentale par un rapport pathogène à notre propre passé : si l’humanité est responsable du fait que la Terre est en danger de devenir invivable, et si l’Occident s’est longtemps attribué le rang et le rôle de représentant de l’humanité la plus achevée, c’est logiquement l’ensemble de ce qui, au long des siècles, a constitué la pensée occidentale qui est responsable de « la catastrophe ». Au premier rang des accusés se trouvera l’anthropocentrisme philosophique et biblique, fédéré dans le dessein pervers d’« emplir et soumettre » la terre (Genèse 1, 28).
L’écologie est donc sous le signe de l’ambiguïté, oscillant entre la tentation d’un panthéisme naturalisme et celle d’une vision nihiliste de l’homme. Mais cette ambiguïté ne rend que plus urgente une parole chrétienne. D’où les propositions qui suivent.

c) Quelques propositions
1. Dans la multitude des prises de parole sur l’écologie, il nous faut commencer par nous demander où est le lieu propre de notre prise de parole : il convient, ici comme ailleurs, de se garder de reprendre les thématiques de l’écologie sans opérer d’abord un discernement chrétien.
Il y a une vérité dans l’affirmation de Drewermann « la nature n’est pas qu’un simple environnement humain » : l’erreur serait d’en déduire que l’homme n’est « qu’une partie de la nature » une simple « poussière d’étoiles » (H. Reeves), alors que dans le Christ il est assimilé au Fils « héritier de toutes choses » (He 1, 2). Entre l’attitude prométhéenne consistant à nous faire « comme maîtres et possesseurs de la nature » (Descartes) et le nihilisme qui voit dans l’homme un prédateur à éliminer d’urgence, la vraie posture chrétienne est celle de l’espérance en Celui qui nous a voulus « un peu moindre qu’un dieu, [nous] couronnant de gloire et d’honneur » (psaume 8).
2. Il nous faut aussi développer une théologie et une catéchèse de la création – car l’univers, regardé dans la foi, n’est pas « nature », mais créature. Une telle catéchèse se doit d’expliciter l’anthropocentrisme biblique qui, loin d’être un chèque en blanc donné à l’humanité pour qu’elle exploite jusqu’à l’épuisement les ressources de son univers, reste une gérance dont nous devrons tous rendre compte au dernier jour – le nôtre propre, et celui où Dieu suscitera « un ciel nouveau et une terre nouvelle » (Ap 21, 1).
3. Il nous faut enfin, comme nous y invitait Benoît XVI, développer une réflexion sur la notion d’écologie humaine, alliée à celle de développement intégral : « Si le droit à la vie et à la mort naturelle n’est pas respecté, si la conception, la gestation et la naissance de l’homme sont rendues artificielles, si des embryons humains sont sacrifiés pour la recherche, la conscience commune finit par perdre le concept d’écologie humaine et, avec lui, celui d’écologie environnementale. Exiger des nouvelles générations le respect du milieu naturel devient une contradiction, quand l’éducation et les lois ne les aident pas à se respecter elles-mêmes. Le livre de la nature est unique et indivisible, qu’il s’agisse de l’environnement comme de la vie, de la sexualité, du mariage, de la famille, des relations sociales, en un mot du développement humain intégral.(Caritas in Veritate, 51)
Pour le dire autrement : notre tâche est certes de prendre la parole sur l’écologie, mais en la mettant toujours en rapport avec l’écologie humaine, sachant que lorsque « l’écologie humaine est respectée dans la société, l’écologie proprement dite en tire aussi avantage » et que lorsqu’on perd « le concept d’écologie humaine, [on perd aussi] avec lui celui d’écologie environnementale » (Caritas in Veritate). En d’autres termes, manifester à temps et à contretemps la responsabilité qui est la nôtre et la portée morale des renoncements auxquels nous sommes invités : non seulement Dieu a créé l’univers que nous habitons, mais il a voulu pour lui une fragilité constitutive, de telle sorte qu’il ne soit pas compatible avec n’importe quel mode de vie et que dans sa structure même il nous donne à déchiffrer une loi. De même en effet que je ne peux faire de mon corps ce que je veux et que je dois accepter d’être homme ou femme, jeune ou vieux, manuel ou intellectuel etc., de même je ne peux user du monde où je vis au rebours de ce qu’il est. La lutte avec la nature n’est jamais une lutte contre nature : comme l’écrivait Albert Jacquard [1], « ce n’est pas "la planète" qu’il faut sauver, mais l’humanité » – ce qui fait que l’homme mérite de porter ce nom.

2- Pourquoi tant de réticences à l’endroit de Mgr Batut ?

A peine sorti, ce texte a fait l’objet de contestations [1bis]:

On reproche à Mgr Batut de faire « un raccourci » et des « caricatures » quand Mgr Batut dit que « l’anti-anthropocentrisme qui a marqué la « deuxième vague » écologiste n’est qu’un avatar du phénomène de haine de soi qui se traduit souvent dans notre culture occidentale par un rapport pathogène à notre propre passé ». Et pourtant !

On reproche à Mgr Batut de poser des préalables en "supériorité éthique"  qui ne donnent plus envie d’écouter le discours écologiste chrétien. Ce sont pourtant les mêmes qui, sur Radio-Notre Dame » perdaient les pédales en traitant les climato-sceptique d’illusionnistes, de négationnistes, de mystificateurs, les accusant de bidonnage, de vociférations,… On se demande de quel côté se trouve le complexe de "supériorité". Il y a dans la conviction « réchauffiste » de beaucoup de chrétiens se disant sensibles à l’écologie, une crédulité quasi religieuse qui surfe sur le scientifiquement correct. Or on a vu dans la question des cellules souches embryonnaires un bel exemple de mystification mise en place par la communauté scientifique mondiale à la mystification et sa capacité à tromper. Que resterait-il d’une pastorale de l’écologie le jour où il serait démontré que le changement climatique n’a pas de cause humaine ?

On reproche à Mgr Batut de ne pas s’émerveiller d’un « texte étonnant » appelant à se rallier au slogan « OGM, PMA, même combat ». Or on sait que cette confusion de genre cache un argument dialectique qui relève d’une « ficelle » un peu grosse !

On reproche à Mgr Batut un « anthropocentrisme étroit et exclusif » et d’oublier le texte de saint-Paul aux Romains "toute la Création qui gémit en douleurs d’enfantements" (Rom 8). Encore faudrait-il interpréter correctement ce texte difficile théologiquement parlant:

3- "Toute la Création gémit en travail d’enfantement": une citation anthropocentriste ?

Que veut dire saint Paul dans Rm 8,22 : "toute la création gémit en travail d’enfantemen" ?
Ce texte a fait l’objet de nombreux débats depuis l’Antiquité. Aujourd’hui, l’opinion est quasi unanime à dire que saint Paul parle bien de la création dans son ensemble, c’est-à-dire tant le monde matériel que le monde humain.
Mais saint Paul, au verset précédent, définit bien ce qu’est cette attente : il s’agit d’en finir avec un temps assujetti à la « vanité », à la « servitude de la corruption ».

C’est ce qui a fait dire au P. Cantalamessa, dans une prédication devant Benoit XVI[1ter], que « la création, sans faute de sa part, a été entraînée par l'homme » dans un état de mensonge signifiant une perte de sens.  « En tant que telle, [cette création] n’est pas en mesure d’espérer subjectivement, mais Dieu a en tête un rachat pour elle ». Le P. Cantalamessa distingue donc l’« homme », qui a fauté, du reste de « la création » qui, sans faute de sa part, n’a pas la capacité subjective d’espérer. C’est pourquoi, ajoute-t-il, la responsabilité des chrétiens vis à vis du monde est de « manifester, dès maintenant, les signes de la liberté et de la gloire auquel tout l'univers est appelé, en souffrant avec espérance ».
La souffrance de la création n’est donc pas tant celle du monde matériel qui n’a pas de subjectivité, mais bien de celle de l’homme, bien que nous sachions que « les souffrances du moment présent ne sont pas comparables à la gloire future qui devra être révélée en nous » (cf. Rm 8, 18).

Alors quel rachat Dieu a-t-il en tête pour la création ? Le P. Cantalamessa indique que le cosmos sera entraîné « dans un état de liberté et de gloire ». Saint Paul en parle : «  le Seigneur lui-même reviendra pour remettre le cosmos au Père (1 Co 15, 28) ».

Quelle forme prendra cette gloire du cosmos ? Jean-Paul II répond : « De cette marche, l’homme ne peut avoir qu’une intuition obscure »[2].  Saint-Paul nous dit, en tout état de cause, que « elle passe, la figure de ce monde » (1Co 7,31), et l’Apocalypse le dit aussi: « Le ciel et la terre s’enfuirent de devant Sa face sans laisser de trace ». Saint-Pierre également dans sa deuxième lettre (2Pierre 3,8-14) : "Les cieux disparaîtront avec fracas, les éléments en feu seront détruits, la terre, avec tout ce qu'on y a fait, sera brûlée... Tout cela est en voie de destruction... Vous qui attendez avec tant d'impatience la venue du jour de Dieu (ce jour où les cieux embrasés seront détruits, où les éléments en feu se désagrégeront). Car ce que nous attendons, selon la promesse du Seigneur, c'est un ciel nouveau et une terre nouvelle où résidera la justice".

Jean-Paul II l’a résumé lui-même[3] en commentant la lettre aux Romains : « Paul de Tarse dessine une image cosmique de la rédemption, il met l’homme au centre, exactement comme au commencement celui-ci avait été mis au centre de l’image de la création. C’est justement cet homme, ce sont les hommes, qui possèdent les prémices de l’Esprit, qui gémissent intérieurement et qui attendent la rédemption de leur corps ».

C’est donc bien l’homme qui est au centre de la première création comme de la seconde. Le texte de saint-Paul nous parait fondateur de cet anthropocentrisme dont parle Mgr Batut. Par ailleurs ce texte de saint Paul sur l’enfantement du monde montre l’illusion à croire que c’est à l’homme de « garder la terre » (Genèse) pour que le Christ la remette en l’état à son Père.
Pâques nous oblige à nous tourner vers une autre terre, la Jérusalem céleste. Dans le Christ, une nouvelle création a déjà été inaugurée. Comme le dit le théologien Maurice Zundel : « La création est en avant de nous... C'est, dans le Christ, le nouvel Adam qui va introduire dans le monde le sens même du geste créateur en le réalisant en plénitude »[4].


[1] Peut-être Albert Jacquard n'est-il pas le mieux placé pour dire cette vérité: « ce n’est pas "la planète" qu’il faut sauver, mais l’humanité ». En effet, on sait qu’il a des positions étonnantes sur la recherche embryonnaire : « Je n’ai pas d’objections philosophiques ou religieuses contre la création d’embryons, si la recherche en a absolument besoin pour développer des thérapies salvatrices ». Source (Albert Jacquard, Axel Kahn, L’avenir n’est pas écrit, Bayard, 2001, p.193)

[1bis] Dominique Lang - Article du 12 septembre 2014 sur Eglises et Ecologie: "Et si on sortait des sentiers… battus"

[1ter] Première prédication de Carême (Traduit de l'italien par Zenit) Vendredi 13 mars 2009, en présence du pape et de membres de la curie romaine, dans la chapelle « Redemptoris Mater », au Vatican

 

[2] Lettre apostolique « Dies Domini »  sur la sanctification du dimanche - 31 mai 1998- § 75

 

[3] Jean-Paul II, Audience générale, Mercredi 21 juillet 1982, Cycle Théologie du corps.

 

[4] Homélie donnée par M. Zundel au mont des Cats pour la fête de l'Immaculée Conception le 8 décembre 1971