S'il est quelque chose qui ressort de la "Formation des Responsables" dispensée aux "Bernardins", c'est bien cette phrase du concile: "la vérité ne s'impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l'esprit avec autant de douceur que de puissance" [1]. Encore faudrait-il, comme le dit aussi le concile, que les prêtres, et pourquoi pas les laïcs qui les entourent, aient le souci de "rapprocher les mentalités différentes, de telle manière que personne ne se sente étranger dans la communauté des chrétiens" [2].
Ces recommandations conciliaires ont-elles inspiré le « Groupe de travail écologie et environnement » qui a publié en avril 2012, à la demande de la Conférence des évêques de France, un ouvrage intitulé « Enjeux et défis écologiques pour l’avenir » avec un avant propos de son président Mgr Marc Stenger? Le ton péremptoire de certaines affirmations, soi-disant élaborées par des "experts", participe-t-il de la "douceur de la vérité"? Pour que la "vérité s'impose", faut-il encore que les informations retenues soient d'origines « plurielles » (p. 41)! Or Il ne suffit pas de le dire pour qu’elles le soient. Nous produisons ci-dessous quelques remarques qui ne se veulent pas une critique à l’endroit des divers membres du groupe de travail, en particulier des laïcs et diacres qui l’ont accompagné. Pourtant, la cohérence de ces remarques montre que la composition du groupe de travail ne répond pas à une pluralité saine des expertises.
Faute de cette ouverture, le mouvement écologisme chrétien risque d’être victime de toutes sortes de syncrétismes et de faire que nombre de chrétiens "se sentiront étrangers dans la communauté des chrétiens".
Nous avons beaucoup d’attachement à l’Eglise, et de fidélité à nos pasteurs, mais cela n’interdit pas forcément un devoir de « questionnements filiaux et fraternels ». C'est dans l'esprit de Saint-Paul que nous le faisons: " interviens à temps et à contretemps, ...fais des reproches, encourage, mais avec une grande patience et avec le souci d'instruire... Un temps viendra où ..., au gré de leur caprice, les gens ... refuseront d'entendre la vérité pour se tourner vers des récits mythologiques. Mais toi, en toute chose garde ton bon sens, supporte la souffrance, travaille à l'annonce de l'Évangile[3]
Source : « Enjeux et défis écologiques pour l’avenir »
Commentaires "les2ailes.com"
Les commentaires et regrets ci-dessous ne doivent pas cacher les beaux appels lancés par les auteurs de cet ouvrage. Nous n’avons pas manqué de les souligner dans le résumé de l’ouvrage publié par ailleurs.
L’ouvrage « Enjeux et défis écologiques pour l’avenir » du groupe de travail « écologie et environnement » de la Conférence des Evêques de France, n’est pas le premier à exprimer la préoccupation de pasteurs épiscopaux en matière d’écologie. Nous citerons, à titre d’exemple, les ouvrages ou déclarations suivantes:
- En France, Mgr Rey : « Peut-on être catho et écolo ?» (2012)
En France, également, Mgr d'Ornellas: « Une écologie digne de l’homme »
- En Italie, Mgr Crepaldi : « Ecologia ambientale ed ecologia umana » (2007)
- En Australie, Mgr George Pell : « Global warning and pagan emptiness » (Catholic World Report - 24.3.2011)
Tous,sur ces sujets, ont le souci d’une parole forte, spécifiquement chrétienne, éclairée par la théologie de la création, et insistant sur les concepts de « développement intégral », d’ « écologie de l’homme » et d’ « écologie sociale ».
Malgré tout, si nous citons les ouvrages précédents, c’est parce qu’ils sont, à l’évidence, plus indépendants de l’ « écologiquement correct » ambiant que celui que nous analysons ici.
C’est pourquoi, nous voudrions faire un certain nombre de remarques.
PRECAUTION PREALABLE
Les commentaires que nous nous permettons de faire dans cette page nous obligent à redire, en préalable, notre profonde communion à nos évêques, surtout dans des circonstances où ils prennent la parole sur des sujets d'autant plus difficiles qu'ils sont très sensibles dans l’opinion publique.
Si nous ne partageons pas l’ensemble de leur prise de position, cela génère chez nous une véritable douleur, et cette douleur est à la hauteur de notre communion avec eux, car cela affecte leur mission et surtout celle des laïcs qui les entourent. Mais, il faut que la vérité soit, c’est très important, et ce serait déformer les faits que d’imaginer que nous nous engageons dans une querelle. Nous sommes dans une démarche paisible, de correction fraternelle.
Comme nous l'expliquons dans cette page, il nous semble réellement que le Groupe de travail écologie et environnement souffre d'un véritable déficit d'ouverture à des compétences plurielles sur les questions environnementales. Est-ce le fait d'un vrai dysfonctionnement de ces groupes de travail ? Faut-il réformer ces groupes ? Nous faisons confiance à nos évêques pour réfléchir à cette question de ce déficit d’ouverture qui nous semble le point le plus important à souligner. Il vaut mieux être ouvert aux avis divergents que de laisser croire en l'existence d'un consensus qui sonnerait faux.
Nous savons combien nos évêques veulent aller à l’essentiel, à l’urgence de leur tâche d’évangélisation et de guide pastoral. Il est donc normal qu'ils fassent confiance à des laïcs pour des questions techniques, scientifiques, ou de gouvernance. Mais nous voudrions nous adresser à ces laïcs qui participent aux groupes de travail et leur dire que, plus on est proche de l’Eglise, plus on a reçu sa confiance, plus on doit se mettre à la hauteur de cette confiance et, avec nos pasteurs, s'ouvrir et écouter tout chrétien, même faisant état d'une expertise différente.
Nous sommes, bien sûr, dans l’espérance en voyant tout ce qui est merveilleux dans notre église locale, même si nous sommes, aussi, peiné de voir tant d’énergie mal exploitée dans des commissions manquant d’ouverture.
Quels sont donc les points que nous tenons à souligner?
CONCERNANT la lecture chrétienne de la crise écologique
1- La question climatique… Comment rester vulnérable à de nouveaux points de vue ?
Dès la seconde page de la première partie, les évêques partent d’une affirmation qui mériterait d’être justifiée : « Une consommation qui n’a pas de limite… conduit inéluctablement à ce constat que font les scientifiques : … les changements climatiques,… » (p. 20). Aucune place n’est laissée au débat : « inéluctablement »,… « constat… ». Le ton n’est-il pas trop péremptoire ?
Cette affirmation conduit à un glissement de la pensée : « Le caractère non durable de notre développement », prétend l'ouvrage, est caractérisé par une conséquence qui serait que « sa poursuite met gravement les possibilités de vie des générations futures » (p. 20). C’est effectivement le discours officiel de notre société. Or, ce qui n’est pas durable ne serait-il pas plutôt qu’une consommation sans limite… conduit inéluctablement à dépendre de l’homme au lieu de dépendre de Dieu qui est toute source ? Elle nous empêche de nous tourner vers Dieu.
N'est-il pas dommage que les auteurs ne tirent pas les leçons de ce qu’ils écrivent eux-mêmes : « L’incertitude [est] promesse d’une nouveauté radicale » (p.23). Or l’incertitude est par essence le lot de la science, mais les évêques se laissent entraîner dans des affirmations péremptoires. C’est dommage car, cela conduit nos pasteurs à renverser malencontreusement les priorités. Ils parlent d’une « sobriété heureuse ». Mais quel est l'objectif d'une vie sobre?
- Ou bien rechercher « un effet direct sur les conditions de vie de demain » (p. 22) en argumentant qu’accessoirement cette sobriété nous aidera à nous tourner vers Dieu ?
- Ou bien nous aider, prioritairement, à nous retourner vers Dieu, et accessoirement, si les faits scientifiques étaient avérés, à améliorer la « santé » de la planète ?
Le premier objectif se fonde sur une philosophie de la tour de Babel: le faux consensus nous fait croire que c’est l’homme qui assurera le salut de la planète. Serons nous sauvés à force de "briqueter des briques" écologiques ?
Le second objectif, en intégrant la « dispute » au sens grec du terme, conduit à une « nouveauté plus radicale » en réfléchissant à l’essentiel. D’ailleurs, dans la parabole du bon grain, Dieu refuse d’éliminer la « zizanie » qui est la traduction grecque et également araméenne du mot ‘ivraie’. En effet, cette « zizanie » n’est pas incompatible avec la récolte du bon grain. Il y a une sorte de vertu dans l’acceptation du débat qui fait partie de la « culture de vie ». On peut regretter que les membres du groupe de travail des évêques aient un peu le comportement de Mme Valérie Pécresse, qui, après l’avis controversé de l’académie des Sciences, avait déclaré que « le débat est clos ». Comme si un débat scientifique pouvait être clos ! Le refus de l’autre a toujours quelque chose qui appartient à la « culture de mort ».
Ainsi, « dans les contraintes, …nous sommes … confrontés à la possibilité d’inventer de nouveaux modes de vie » (p. 24)! Certes, mais sous quelle contrainte ? Celles de menaces non scientifiquement prouvées, ou celles qui pèsent sur l’homme quand il se détourne de Dieu ? Entre ces deux menaces, la seconde est probablement plus fondée que la première !
2- La question écologique… Comment rester ouvert à de nouvelles expertises ?
L’ouvrage se propose d’être un acteur dans la réflexion : « l’Eglise… peut disposer de divers groupes d’expertises, telles la Commission Justice et Paix ou l’Antenne Environnement et Modes de vie » (p. 41).
Malheureusement, on ne peut que regretter l’absence de transparence sur ces « groupes d’expertises ». Certes, l’ouvrage indique les noms de laïcs et de diacres qui ont « participé au groupe de travail ». Ce sont des personnalités reconnues au plan de la culture générale scientifique, philosophique ou théologique. Mais ce ne sont pas des experts en agronomie, génétique, climatologie, océanographie, ou astronomie qui sont des disciplines essentielles quand on veut se faire une idée.
Les auteurs rappellent que l’Eglise a le « devoir de rechercher une information fiable, approfondie et plurielle » (p. 41). Mais, on se pose légitimement la question de cette ouverture du groupe de travail à des expertises "plurielles" quand on sait que de deux des proches collaborateurs du groupe de travail ont déclaré (ou semblé) ignorer les conclusions du "projet CLOUD", menés par le très sérieux CERN, dont les responsables disent qu’il "faut revoir les modèles utilisés pour simuler le climat".
Lorsque le magistère a réuni des colloques scientifiques, par exemple sur les OGM [4], ou sur le climat [5], il a toujours laissé filtrer la liste des experts invités, ainsi que l'essentiel des interventions faites par certains des experts. On peut alors voir à quel point les expertises sont « plurielles » et cela a toujours conduit le magistère à beaucoup de prudence en matière d’expertise technique. On aimerait que nos groupes de travail épiscopaux retiennent cet esprit de pluralité et de transparence.
3- La question écologique … et celle de la gouvernance mondiale
Le groupe de travail évoque la crise écologique qui « bouscule les limites politiques en nous poussant à chercher de nouvelles formes de gouvernance mondiale »(p. 25). Le propos est vague. Il est dommage que le propos ne soit pas assorti d’un rappel au principe de subsidiarité. Le mot n’est pas prononcé, alors que, dans tous les documents du magistère, le mot « gouvernance » est toujours et immanquablement assorti du mot « subsidiarité ».
4- Faut-il faire l’éloge de la proximité ?
« Les enjeux écologiques provoquent une tension forte entre global et local ». Fallait-il ajouter : « ils impliquent une reconsidération positive de la proximité » (p. 26)?
- En un certain sens oui,
dans la mesure où l'économie, en temps de crise, est souvent accusée de tous les maux, il n'est pas inutile de rappeler que le commerce n'a pas comme seul objectif d'échanger des biens. Son autre vocation est de créer du lien. Il peut participer à un véritable projet de vie en commun. Il y a là une pertinence qui peut aider à faire évoluer nos modèles économiques. En créant du lien, il permet à l'économie de laisser une place au don et à la gratuité.
- Mais dans un autre sens,
l'éloge de la proximité, dans le jargon écologique, se résume trop au concept des « AMAP (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) » (p. 43) qui militent pour une production alimentaire « bio » par des producteurs « locaux ». Les auteurs de l'ouvrage épiscopal ne manquent pas, d'ailleurs, d'y faire référence. Est-ce vraiment le modèle de l'économie du don?
A trop se focaliser sur le concept de "proximité", on risque de négliger une problématique autrement plus grave: une certaine conscience collective nous pousse à adhérer à un certain libéralisme douanier qui est à l’opposé du maintien d’une agriculture paysanne dans les pays éloignés qui sont souvent les plus pauvres.
L’Eglise veut « favoriser des solidarités entre les producteurs et les consommateurs et promouvoir la prise de conscience de responsabilités écologiques partagées » (p. 43). L’Eglise a donc raison de dire que résister à « ce qui induirait un repli sur la seule préoccupation du voisin proche » (p. 26). Il ne faut donc pas se limiter à des solidarités locales ou à l’organisation de réseaux sociaux avec des consommateurs qui se qualifient eux-mêmes de « locavores ». Le risque existerait de considérer l’écologie comme une forme « d’esthétisme de luxe » comme le soulignait Mgr Vingt-Trois le 9 novembre 2011.
Une distance, qu'on l'appelle proximité ou exotisme, n'est pas une valeur en soi. Tout dépend ce qu'on sous entend derrière cette sémantique. Il est des mots comme "proximité", ou "diversité", qui peuvent devenir des idéologies.
5- Le juste rapport de l’homme et de la nature.
Les membres du groupe de travail ont raison d’alerter le lecteur sur le fait que « donner la priorité à l’homme ne signifie pas mépriser la nature mais plutôt trouver un bon équilibre ». Mais le bon équilibre consiste-t-il à parler de réciprocité, « c'est-à-dire d’une relation où chacun, l’homme et la nature, donne et reçoit de l’autre » (p.28). La nature est, ici, un peu assimilée à une personne, à un autrui, à un « autre ». Cette manière de parler peut conduire à une forme de syncrétisme identifiant la nature à une "déesse qui donne".
On aurait préféré écrire que l’homme reçoit de Dieu qui nous donne sa création, et que l’homme, en réciprocité, rend gloire à Dieu pour sa création.
La « relation de partenariat » est-elle, comme le disent les auteurs, « à établir entre l’homme et la nature », ou entre l’homme et Dieu ? L’homme doit-il célébrer « le projet de cette Création » (p. 29) ou célébrer le Créateur pour son projet ?
Il nous semble plus important de nous centrer sur le Créateur plus que sur la Création. On peut se demander, au demeurant, pourquoi les évêques tiennent tout au long de l’ouvrage à une orthographe de ce mot commençant par une Majuscule !
Tout cela peut paraître n’être qu’une argutie sémantique. Mais un ouvrage portant la signature de plusieurs évêques se doit d’être d’une extrême précision. En effet, dans la suite de l’ouvrage, ils « encouragent l’instauration de fêtes de la Création » (p. 40). Ont-ils raisons de vouloir que la « liturgie devienne ainsi éducatrice aux questions environnementales » ? Les laïcs qui s'empareront de cette idée ne risquent-ils pas d’oublier le sens de la liturgie qui est d’abord, dit le Concile, l’exercice de « l’œuvre de notre rédemption ». La liturgie est « un avant goût de cette liturgie céleste qui se célèbre dans la sainte cité de Jérusalem » (Concile- « Sacrosanctum Concilium »). La liturgie est « le lieu privilégié de la Parole de Dieu » (exhortation apostolique Verbum Domini) et non de la parole des hommes, aussi « éducatrice » puisse-t-elle être !
CONCERNANT les propositions d’action
1- Quelle théologie de la Création ?
Toute catéchèse de la création devrait intégrer celle dont l’Eglise parle plus rarement : la ‘seconde création’, celle que les chrétiens célèbrent pendant la vigile de Pâques. C’est pourquoi, le peuple chrétien, sorti des eaux du baptême est envoyé partout dans le monde pour témoigner de ce salut qui adviendra en même temps qu'une "terre nouvelle".
En 1990, Jean-Paul II mettait en garde contre une éducation à la responsabilité écologique qui ne doit pas « s'appuyer sur le refus du monde moderne ou le désir vague d'un retour au "paradis perdu" ». Avec Pâques, nous savons qu’il ne faut pas suivre n’importe quel messianisme qui nous promettrait un salut ici bas, un retour vers le passé, celui du paradis perdu ; avec Pâques, nous ne pouvons plus nous tromper de paradis: il est devant nous !
2- Qu’est-ce qu’une « sobriété heureuse » ?
L’expression est reprise tout au long de l’ouvrage (pp. 40, 46 et 58)
Ne risque-t-on pas de créer un malaise à préconiser, dans un ouvrage sur l’écologie, « le jeûne pour stimuler la relation à la nature » (p. 40)? Dans toute la tradition chrétienne, en particulier monastique, l’ascèse répond à une pédagogie spirituelle. L’enjeu est de permettre à l’homme de se soustraire de tout ce qui le détourne de Dieu. S’il y a une « sobriété heureuse », c’est bien celle qui résulte de cette proximité retrouvée avec Dieu, grâce à une conversion personnelle.
Benoit XVI l’a rappelé discrètement pendant l’Angelus du 4 décembre 2011 : « le style de Jean-Baptiste devrait rappeler à tous les chrétiens de choisir comme style de vie la sobriété ». Mais aussitôt après, Benoit XVI explicite ce qu'a été la mission de Jean-Baptiste, celle d' « un appel extraordinaire à la conversion ». Benoit XVI montre ensuite que « l’appel de Jean va donc au-delà de la sobriété du style de vie, et plus en profondeur : il appelle à un changement intérieur, à partir de la reconnaissance et de la confession du péché personnel ».