Aucun politique français n’aura fait le déplacement à Durban pour la 17e conférence des Parties de la convention-climat de l'ONU qui se tient du 28 novembre au 9 décembre 2011. Leurs préoccupations sont ailleurs ! Peu importe : 12 000 délégués, ministres, experts, ONG et journalistes ! Les experts avancent de manière occulte et imposent leur vision. Il n’est qu’à voir la composition de la délégation française et ses déclarations.
Source: Libération-sciences.fr du 28 novembre 2011
Commentaire « les2ailes.com »
La délégation française.
Elle est composée de fonctionnaires et de chercheurs. Le président Sarkozy n’a pas fait le déplacement, comme il l’avait fait à Copenhague, ni Nathalie Kosciusko-Morizet, son ministre de l’écologie !
La France était représentée par :
- Serge Lepeltier, Ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique,
- M. Gérard Araud, représentant permanent de la France auprès des Nations unies
- Une importante représentation de CDC Climat , c'est-à-dire de fonctionnaires de la Caisse des Dépôts et Consignations, avec en particulier Guido Schmidt-Traub, Directeur général CDC Climat Asset Management, Benoit Leguet, son directeur de la recherche, Emmanuel Legrand, son Directeur adjoint des investissements,
- Une délégation d’experts du Centre international de recherches sur l'économie et le développement (CIRED).
Le CIRED est une Unité Mixte de Recherche (UMR 8568) dépendant, du Centre National de la Recherche Scientifique, de l’École des PontsParisTech, de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, de AgroParisTech-ENGREF et du CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement).
Le conseil de laboratoire du CIRED, dirigé par Jean-Charles Hourcade, est composé de plusieurs collèges.
- Un collège d’enseignant et de chercheurs : M. Bernard Barraqué (Socio-économie, politiques publiques au CNRS), Minh Ha-Duong (Spécialiste de « l'incertitude dans la modélisation intégrée des problèmes d'environnement global » au CNRS), Olivier Sassi (Ingénieur des Ponts et Chaussées)
- Un collège de Doctorants et Post-doctorants : Mme Mériem Hamdi-Chérif (mathématicienne, spécialiste de la modélisation de l’économie informelle dans les pays en voie de développement), Mlle Hypathie Nassopoulos (économiste de l'environnement), M. Henry Waisman (prospective économique)
- Un collège d’ingénieurs, Techniciens et Administratifs : Mme Catherine Boemare (Ingénieur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales), Christophe Cassen (Modélisation prospective à l’ENGREF), Patrick Mabire (CNRS)
- Un collège nommé pour représenter chaque fondateur du CIRED : Nicolas Bouleau (Mathématicien à l’ENPC), Naceur Chaabane (du CNRS), Bruno Dorin (économiste agricole au CIRAD), Dominique Finon (Programme Énergie au CNRS), Stéphane Hallegatte (économiste à Météo-France), Laurent Mermet (ingénieur de Sciences Economiques, Sociales et de Gestion (SESG) à AgroParisTech)
Comme on le voit, il ne s’agit pas d’une délégation de climatologues mais d’économistes et de spécialistes en modélisation. On aimerait savoir les hypothèses retenues dans leurs modèles. On peut s’inquiéter quand on voit à quel point les modèles des spécialistes du Club de Rome avaient pu se tromper !
Il n’empêche : ce sont eux qui, depuis 1994, constituent l’essentiel de la contribution française au groupe III du GIEC. Ils sont également experts auprès de l’Agence Internationale de l’Energie, de la Banque Mondiale et de l'OCDE.
En France, ils assurent un soutien technique à la négociation climat depuis 1992 et sont régulièrement appelé par les principaux ministères (CAS, MEDAD, IDDRI).
La CIRED ne s’occupe pas de climat. Ils prennent les hypothèses du GIEC, auxquellss au demeurant ils contribuent, et ensuite s’organisent en équipes intitulées :
- « Economie, technique, système naturel : prospective intégrée et évaluation des politiques » dont l’objet est la construction et la confrontation aux données empiriques de modèles hybrides faisant intervenir à la fois un aspect économique et un aspect climatologique. La partie économique se fonde essentiellement sur des modèles macro-économiques de production, consommation, épargne et transports. On ne s’étonnera pas de leur a priori politique quand on voit qu’ils étudient, notamment, des politiques climatiques à travers la taxe carbone, et l'anticipation du développement économique en fonction des politiques locales et mondiales.
- « Environnement et vulnérabilité des sociétés » dont l’objet est de modéliser et aider la prise de décision sous environnement incertain, plus particulièrement l'incertain climatologique. Un audit de l’agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, pourtant souvent complaisante, a tout de même jugé en mars 2009 que la pertinence du regroupement de ces chercheurs ne semblait pas « évidente » et que leurs « recherches ont un aspect relativement fractionné »
- « Gestion publique face aux enjeux du développement durable » qui aborde les questions du développement durable et de l'impact des politiques publiques par des outils issus de la microéconomie. Plus particulièrement, des études portent sur l'intégration des marchés énergétiques et leur régulation, sur la correction de la concurrence imparfaite par des politiques d'investissement public, l'efficacité du marché des quotas d'émission carbone en situation d'asymétrie d'information, et sur les impacts des choix de localisation sur le transport et la soutenabilité du développement.
On voit qu’il s’agit bien de modèles économiques et non climatiques. Quel était l’état d’esprit de ces « représentants » de la France en arrivant à Durban ?
L’état d’esprit de la délégation française à Durban
Il est intéressant d’écouter Jean-Charles Hourcade, directeur du CIRED, dans une interview réalisée juste avant son départ pour Durban.
Ses propos sont d’abord ceux d’un militant déçu.: « le contexte est particulièrement défavorable… l’administration américaine est bloquée par un Congrès hostile… L’Europe est polarisée sur la question de la dette et la fragilisation de l’Euro… Des engagements quantifiés sur des quotas d’émissions de gaz à effet de serre et conduisant à l’établissement d’un marché mondial de permis d’émission négociable n’ont aucune chance d’être adopté : les USA, les Chinois, les Indiens et les Russes ont bien fait savoir qu’il n’en était pas question.. »
Son vœu n’est pas celui d’un expert, mais bel et bien de peser sur le pouvoir politique. Il souhaite donc « un «changement de paradigme» de la négociation ». Il reconnait d’ailleurs bien que « derrière le langage diplomatique, c’est de finances il s’agit ». Est-ce aux experts de juger des priorités financières ?
J.C. Hourcade s’appuie d’ailleurs sur un a priori non démontré : il explique la crise actuelle comme celle « d’un mode de développement fondé sur l’illusion d’une énergie abondante, peu chère et non génératrice de tensions politiques » Il propose une fausse recette, celle de la taxe carbone : « La façon désastreuse dont a été gérée la taxe carbone montre le déficit d’information et de débats politiques articulés sur ces sujets. Pourtant c’est bien parce qu’il y a crise financière et de l’emploi, qu’on devrait débattre de la fiscalité carbone et de la finance carbone comme d’utiles éléments de réponse… comme le disait très bien le rapport Rocard, il s'agissait d’abord d'un recyclage de la taxe pour disposer une fiscalité plus favorable à l’emploi. Mais pour cela il fallait négocier la taxe carbone avec les syndicats et tous les acteurs sociaux ». Ses propos sont bien ceux d’un militant politique !
Conclusion
Ce qui nous parait le plus inquiétant, c’est cette sempiternelle attaque contre les « marchands de doute ». J.C. Hourcade dévoile la stratégie du monde des « experts » consistant à « ne pas en rajouter sur "l’alerte climatique", le registre qui permet aux marchands de doute de trouver une audience ». Il est vrai que dans l’opinion publique, la bataille de la soi-disant cause humaine du réchauffement climatique est gagnée. Qui aujourd’hui n’y croit pas ? Les experts peuvent donc maintenant avancer masqués derrière les grandes conférences mondiales, derrière les cabinets ministériels, pour imposer leurs choix, des choix qui pourront nous mener à une nouvelle bulle financière, une « green crise » qui éclatera quand les marchés ne croiront plus à la « croissance verte », ni aux marchés artificiels de « bénéfices éco-systémiques » sans fondements !