Après avoir été interpellée par des centaines de climatologues qui s'indignaient des attaques répétées de Claude Allègre contre certains d'entre eux, la ministre Valérie Pécresse avait demandé en avril 2010 à l'Académie des Sciences un état des lieux des connaissances sur cette question.  L’académie des Sciences a rendu son rapport le 28 octobre 2010.  L’historique de ce rapport laisse rêveur quant à l’allégeance des scientifiques à l’égard du politique…

Commentaire de « les2ailes.com »

1- Le livre de Claude Allègre

Tout commence avec la publication de le 16 février 2010  « l’Imposture Climatique » de Claude Allègre. Il s’en prenait aux thèses des scientifiques sur le réchauffement climatique.

Il ne s’agit pas ici de faire une défense de Claude Allègre. Les habitués de « les2ailes.com », savent que  Claude Allègre pourrait bien être qualifié de « dissident autorisé » de l’écologisme. En effet, il conteste la cause humaine du réchauffement climatique, mais « tout en réduisant progressivement les émissions de CO² » [1] ! Il en propose sa « séquestration » [2] et croit à l’écologie comme « moteur de croissance » ! Il tient les propos d’un dissident mais il est favorable à l’essentiel du programme écologiste. Surtout, il n’hésite pas à dire que « le véritable problème qui se pose à la planète est à coup sûr la démographie » [3]. Il joue, lui aussi de peurs infondées : « Les questions alimentaires … risquent de devenir tragiques ». Il plaide pour les bons vieux slogans du Planning familial : « La question qui est posée est évidente : pouvons-nous ralentir cette évolution démographique? La réponse est paradoxalement oui, …à cause de quelques politiques démographiques réussies, et surtout de la généralisation de la pilule » ! Il dit des contre-vérités puisqu’on sait que la croissance démographique est pleinement compatible avec un développement intégral et solidaire [4].

La dissidence autorisée est toujours très efficace car elle permet d’embrouiller les frontières.

Avec l’affaire de l’Académie des Sciences, le brouillage atteint des sommets :

2- Lettre ouverte des chercheurs à leur ministre de tutelle.

Dans une lettre ouverte à Valérie Pécresse, aux dirigeants de l'Académie des sciences et des organismes de recherche comme le CNRS, les scientifiques demandaient à la ministre de l'Enseignement supérieur une "réaction" et "l'expression publique de sa confiance" vis-à-vis de leur "intégrité et du sérieux" de leurs travaux. En bref, ils souhaitent qu'elle se désolidarise des allégations de Claude Allègre.

Cette lettre du 1er avril commence par : « Nous, scientifiques du climat, attachés au devoir de rigueur scientifique, interpellons les structures référentes de la recherche scientifique française, face aux accusations mensongères lancées à l’encontre de notre communauté. »

Cette plainte auprès d’un ministre parait dérisoire à bien des titres !  Comme le dit, ironique, Laurent Berthod : « Galilée en appelle au Saint-Office contre ses méchants collègues »

  • D’abord, les plaignants admettent que « leurs pairs sont les arbitres de cette rigueur, à travers les processus critiques de relecture, de vérification, de publication des résultats ». A croire qu’ils n’admettent pas que l’opinion publique soit pris à témoin de leurs divisions. Ils se plaignent que « ces accusations ou affirmations péremptoires ne passent pas par le filtre standard des publications scientifiques. Ces documents, publiés sous couvert d’expertise scientifique, ne sont pas relus par les pairs, et échappent de ce fait aux vertus du débat contradictoire ». Qu’attendent-ils pour démontrer que ces accusations sont fausses. Ils oublient que les procédés de revue par les pairs ressemblent à une censure de fait : les scientifiques savent très bien que le choix des « pairs » pour les relectures, fait l’objet de cooptations souvent coupables parce qu'incestueuses.
  • Ils en appellent à « l’éthique scientifique », comme si l’éthique devait être tranchée à huis clos, sans intervenant extérieur ! Si « pacte moral » il doit y avoir, ce n’est pas entre eux, mais entre la science et la société. Si les scientifiques s’estimaient être l’objet d’une diffamation, c’est à la justice qu’ils devraient en appeler pour demander réparation. Elle seule est habilitée à trancher ce type de litige.
  • Ensuite, ils se déclarent « demandeurs d’un vrai débat scientifique serein et approfondi ». Mais ils en appellent au politique pour animer ce débat et à une Académie des Sciences dont on va voir qu’elle est sous tutelle du même politique. Ils oublient ce que le philosophe Weber avait rappelé : "le mélange entre science et politique conduit immanquablement à un affaiblissement de la première".

Tout cela est d’autant plus dérisoire qu’il se pourrait bien qu’une querelle en cache une autre, celle de l’organisation de la recherche en France.

Il n'est pas inutile de rappeler que l'ancien ministre de la Recherche Claude Allègre défraya la chronique en engageant une réforme importante du CNRS en 1998. Il avait donné un interview au Monde le 10 novembre 1998 sur le projet de réforme du CNRS et son rapprochement avec l'Université. Il avait déclaré "la réforme du CNRS se fera... la solution se situe pour une grande partie dans la mobilité des chercheurs vers l'université, vers l'industrie". Il faut rappeler que son annonce avait provoqué, à l'époque, une véritable onde de choc parmi les chercheurs. Il n'est pas exclu que bien des chercheurs en veuillent encore à un ministre qui voulait leur imposer "de la mobilité : que les chercheurs restent pendant une période chercheurs à plein temps, puis qu'ils aillent faire de l'enseignement ou travailler dans l'industrie,quitte à revenir ensuite à la recherche à plein temps...  je ne veux pas de chercheurs à plein temps et à vie sans mobilité". Ce genre de propos était inacceptable ! (source: interview du ministre Allègre en décembre 1998)

Tout cela n’a pas échappé non plus à Rémy Prud’homme, professeur d’Université, qui remarque que, sur les 400 signataires, « les chercheurs universitaires sont très minoritaires : 16%. Bien plus nombreux sont les chercheurs du CNRS (27%) et les chercheurs des grands organismes de recherche (40%) comme le CEA, l’IRD (anciennement l’ORSTOM), Meteo-France, ou l’IFREMER ».
R. Prud'homme ajoute: "il n’est pas interdit de penser que certains des signataires règlent ici un vieux contentieux, et en veulent autant à MM. Allègre et Courtillot pour leurs critiques de l’organisation de la recherche française que pour leurs critiques des thèses carbocentrées". C'est une hypothèse parmi d'autres, et comme le précise le professeur d'économie : le point important à mes yeux est la différence de réaction entre grands instituts et universités, dont l'ampleur m'a surpris (R. Prud'homme, communication personnelle du 2 juin 2010).

Visiblement, Valérie Pécresse ne veut pas d'une fronde comme celle à laquelle avait du faire face Allègre. Elle semble avoir interprétée la lettre ouverte des chercheurs dans ce sens puisqu'elle s'était voulue rassurante dans Libération (avril 2010), Elle a d'ailleurs bien confirmé le lien entre le pouvoir et le savoir d'une communauté officiellement désignée : "Ce n’est pas par hasard si j’ai proposé que le climatologue Jean Jouzel préside le Haut conseil de la science et de la technologie. C’est un signe de confiance du gouvernement envers cette communauté".

3- Le débat à l’Académie des Sciences.

  • Un huis clos surprenant !
    L’Académie des sciences a « refusé de communiquer sur l’organisation du débat. Elle a refusé de répondre aux questions de la presse » [5].
    Le journal Le Monde a enquêté sur le choix des invités : il a été opéré après que les principaux organismes et institutions de la recherche française (Centre national de la recherche scientifique, Commissariat à l'énergie atomique, Collège de France, etc.) ont été sollicités pour fournir une liste de leurs chercheurs les plus à même de participer à ces joutes oratoires. L'opacité du processus de sélection a suscité la méfiance de certains scientifiques. "Nous ignorons malheureusement les critères selon lesquels les noms proposés ont été retenus ou non", aurait ainsi regretté, selon Le Monde, un des participants [6].
    Mais peu importe, Jean-Loup Puget s’est voulu rassurant : "Le rapport final ne comprendra pas une remise en cause substantielle du réchauffement." Il faut l'espérer, sinon l'Académie peut s'attendre à affronter un temps mauvais." [7]. Comme l’a conclut le journal Le Monde : La science déteste le secret car elle aime partager. L’Académie des sciences cultive le secret, la science n’aime pas l’Académie des sciences [8].
  • L’absence de consensus
    Le débat n’a duré qu’une seule journée, le 20 septembre 2010, conduisant chacun des scientifiques présents à ne parler que 7 minutes.
    Le débat a montré, au moins, l’absence de consensus.
    Mais la qualité des « juges » a surpris puisqu’il semble qu’un de ses membres, interrogé sur les sources sur lesquelles il se fondait pour évoquer le risque de disparition du « Gulf Stream », aurait répondu : le film catastrophe « le jour d’après », de Roland Emmerich (2004)  [9] !  C’est un argument que le député vert Yves Cochet pouvait se permettre d’exploiter en commission des affaires économiques le 4 mars 2004 lors de la préparation du projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement. Mais à l’académie des sciences, la chose est surprenante !
    Le communiqué final révèle une absence de consensus : « l’effet des variations de l’insolation liées à celles de l’orbite de la Terre est incontesté. En revanche, l’importance de l’impact des cycles de l’activité solaire reste en débat. » Puis il ajoute : « Concernant les gaz à effet de serre, dont le CO2 émis par les activités humaines, s’il existe un consensus sur leur impact direct, le rôle de leurs effets indirects est encore controversé. Parmi les mécanismes identifiés pour comprendre l’évolution du climat, la physicochimie des nuages est apparue comme une direction de recherche active et à renforcer » [10].
    Le moins qu’on puisse dire, c’est que le propos est incertain quant à la cause humaine. Curieusement, ce n’est pas ce qui ressortira du rapport final.

4- Le rapport de l’Académie des Sciences.

Le rapport de l’Académie des Sciences a été rendu public le 28 octobre 2010. Les sceptiques n’ont pas eu leur mot à dire sur la rédaction du rapport final. Il a été rédigé par Jean-Loup Puget, astrophysicien, et René Blanchet, géologue [11].

Son contenu est quelque peu ambigu : le mot « incertitude » est utilisé 12 fois.
Le rapport reconnait que « tous les mécanismes pouvant jouer un rôle dans la transmission et l’amplification du forçage solaire ne sont pas encore bien compris ».
« Les incertitudes sur l’effet global indirect d’un changement de concentration du CO2, avec toutes les rétroactions prises en compte, font l’objet de débats au sein de la communauté des climatologues » (page 10).
« La validité des projections pour les décennies à venir et leurs incertitudes  sont une question centrale. La comparaison des résultats de ces projections  fournit une indication sur les incertitudes dues aux différences de modélisation de certains mécanismes. De plus, les mécanismes non encore identifiés ne sont naturellement pas inclus dans les modèles » (page 12).
« Les éventuels comportements fortement instables ou chaotiques du système  atmosphère-océan-cryosphère-surfaces continentales sont un autre facteur  important d’incertitude » (page 12).
« Des incertitudes importantes demeurent sur la modélisation des nuages, l’évolution des glaces marines et des calottes polaires, le couplage océan-atmosphère, l’évolution de la biosphère et la dynamique du cycle du carbone » (page 13).
« Les projections de l’évolution climatique sur 30 à 50 ans sont peu affectées par les incertitudes sur la modélisation des processus à évolution lente. Ces projections sont particulièrement utiles pour répondre aux préoccupations sociétales actuelles, aggravées par l’accroissement prévisible des populations » (page 13).

Malgré toutes ces incertitudes, le rapport indique : « Plusieurs indicateurs  indépendants montrent une augmentation du réchauffement climatique de 1975 à 2003. Cette augmentation est principalement due à l’augmentation de la concentration du CO2 dans l’atmosphère. L’augmentation de CO2 et, à un moindre degré, des autres gaz à effet de serre, est incontestablement due à l’activité humaine » (page 13).

Tout cela est bien contradictoire !

Le Monde commente ce rapport en disant : « Celui-ci, dont certains passages âprement négociés, fleurent plus le compromis politique que la science, est paré d'une opacité qui correspond très peu aux canons de la démarche scientifique : contributions écrites maintenues confidentielles, débat à huis clos, version définitive du rapport adoptée en "comité secret" et en l'absence des chercheurs compétents. Et, pour finir, absence criante de toute référence scientifique pour étayer les assertions du texte... » [12].

Monsieur allègre a été invité à signer le document, ce qu’il a accepté, non sans faire le commentaire suivant : « Le rapport me satisfait pleinement, parce que ce que je dis depuis le début, c'est qu'il y a de grandes incertitudes et qu'on ne peut pas prévoir le climat à un siècle ».

5- Conclusion

Malgré son contenu, la presse n'a retenu que l'écologiquement correct avec des titres laissant croire que le dompteur Allègre avait été mangé par le lion GIEC :

Et, en définitive, c’est Mme Pécresse qui a le mot de la fin en déclarant : « la polémique est close ». Ainsi en a décidé le politique ! L'académie des sciences n'a pas commenté la déclaration de la ministre ! Elle n'a plus qu'à se taire.


[1] « Ma vérité sur la planète » de Claude Allègre, 2007, page 80,

[2] Ibid,  page 57

[3] Le Point.fr du 29 octobre 2009.

[4] Cf. Jean-Paul II, Encycl. Sollicitudo rei socialis, 25: AAS 80 (1988) 543-544,  et  « Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise », 2 avril 2004, § 483

[5] (source : le Monde.fr 18.9.2010 )

[6] (source : le Monde.fr 18.9.2010 )

[7] (source : Le Point du 22 septembre 2010 )

[8] (source : Le Monde.fr du 20 septembre 2010 )

[9]  (source : Le Monde.fr  13 novembre 2010)

[10] (Source : communiqué de presse de l’Académie des Sciences du 20 septembre 2010)

[11] (Source : Communiqué de presse du 26 octobre)

[12] (Source :Le Monde.fr  13 novembre 2010)