Il est intéressant de voir ce que dit Romano Guardini, prêtre et philosophe allemand,  au sujet du concept de crise : « une "crise" est toujours un choix entre des possibilités négatives et des possibilités positives. La question essentielle consiste à savoir quelle décision sera prise. Si, en face de cette crise, on a l'impression que les dangers qui représentent les aspects négatifs d'injustice et de destruction, grandissent à l'extrême, c'est là un fait nouveau par son degré seulement, et non par nature. Ces dangers sont dans l'homme en tant qu'homme, et non seulement dans celui des temps en devenir ». Il ajoute : « s'élever contre l'identification de l'humanité en une époque qui prend fin, à l'humain en général, … serait là cette sorte de pessimisme qui décide a priori que le combat se terminera par la défaite ».
De telles citations ne peuvent qu’encourager nos contemporains sensibles à l’écologie à relire ce philosophe qui a été cité trois fois par le Pape François dans Laudato si. Benoit XVI avait suivi ses cours et Mgr Giampaolo Crepaldi, principal rédacteur du « Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église » a analysé le concept de nature chez R. Guardini dans un opuscule Italien « Écologie environnementale et écologie humaine »[1].
Nous reprenons ici un passage de Romano Guardini[2] qui montre que Jean-Paul II avait raison de mettre en garde l’éducation écologique pour qu’elle n’entretienne pas « un rêve de retour au paradis perdu ».

Transcription "les2ailes.com"

Le passé : un rêve ou pas...

(...) Pour situer dans leurs véritables rapports ce qui précède et ce qui suit, il est nécessaire d'introduire ici une remarque. Ce qui vient d'être exposé pourrait donner l'impression que tout ce processus est considéré comme une décadence de l'humanité. Effectivement, une opinion aujourd'hui très répandue l'envisage ainsi, mais je me vois obligé de contredire cette opinion.
Celui qui l'adopte met sur le même plan, souvent inconsciemment, ce qui est humain en général et l'humanité d'une certaine époque historique, longue, il est vrai. L'abondance et la qualité de ce qu'elle a produit l'y incitent, et plus encore le fait que les racines de sa propre culture plongent en elle. En même temps, il commet ordinairement certaines erreurs. D'abord, il ne voit pas les possibilités négatives qui se rencontrent également dans le passé. Ce n'est pas en vain que nous avons fait suivre l'analyse philosophique de la puissance de son explication théologique. Le désordre intérieur dont parle la Révélation ne se rapporte pas à des époques déterminées, mais bien à l'homme en général. Lorsque les temps modernes, considérés comme un phénomène historique d'ensemble, s'écartent de la Révélation, c'est naturellement, du point de vue chrétien, une décadence, et l'on comprend que la considération chrétienne de l'histoire se complaise particulièrement au moyen âge. Mais ceci ne doit pas faire oublier que l'application directe par une époque, pour ainsi dire officiellement chrétienne, des vérités de la Révélation aux problèmes de ce monde, a aussi ses zones d'ombre. Elle oublie facilement que ces vérités ne vont absolument pas de soi, mais représentent tout autant un jugement qu'une grâce, que leur connaissance, comme leur réalisation pratique, suppose donc une "metanoia" constante. S'il n'en va pas ainsi, on voit naître alors un christianisme d'apparence, qui ne pénètre pas la substance réelle de la vie. En outre, à l'époque pré-technique, toutes les possibilités d'injustice et de destruction existent aussi, seulement, elles se manifestent à l'intérieur d'une attitude d'ensemble qui, en raison de l'harmonie organique qui constitue son caractère fondamental, les fait paraître plus inoffensives que celles de l'époque suivante. De ce point de vue, les dangers qui commencent à apparaître dans les temps modernes et deviennent pressants à notre époque, décèlent des possibilités qui ont toujours été à l'oeuvre. 
Mais alors - et pour poser une question plus fondamentale - lorsqu'on prend "l'humain" pour norme, que faut-il entendre par là ? Cette norme peut signifier l'ensemble des possibilités qui, d'une façon générale, sont dans l'homme, c'est-à-dire l'ensemble des différents modes selon lesquels il peut entrer en relation avec le monde, des tâches susceptibles de s'offrir à lui et des réalisations par lesquelles il peut les accomplir. Mais celui qui se sent chez lui dans le passé incline à limiter ces possibilités à celles qui se sont présentées jusqu'à un point quelconque du passé : le moyen âge, ou le commencement des temps modernes, ou le classicisme allemand, ou la première guerre mondiale. De même, il incline à identifier les conditions préalablement nécessaires à une existence digne, aux normes qui répondent à l'époque en question qu'il préfère. Il s'ensuit qu'il considère nécessairement l'époque suivante comme infidèle à ce qui est véritablement humain ; c'est ce qui arrive sans cesse dans le domaine des conceptions humanistes partout. 
Mais, ce faisant, on considère le concept de l'homme de façon trop étroite. Il est dans la nature de l'homme de pouvoir franchir les limites de l'harmonie organique et, lorsqu'il agit ainsi, il n'est pas moins "homme" qu'il ne l'était avant de les avoir dépassées. Naturellement, les dangers dont nous avons parlé se présentent avec beaucoup plus de force et de netteté, de sorte que l'homme entre historiquement dans la crise véritable et manifeste de l'humanité qu'il représente.

Mais une "crise" est toujours un choix entre des possibilités négatives et des possibilités positives. La question essentielle consiste à savoir quelle décision sera prise. Si, en face de cette crise, on a l'impression que les dangers qui représentent les aspects négatifs d'injustice et de destruction, grandissent à l'extrême, c'est là un fait nouveau par son degré seulement, et non par nature. Ces dangers sont dans l'homme en tant qu'homme, et non seulement dans celui des temps en devenir ;

prendre la position qui convient, ce ne peut être qu'accepter la situation donnée et la maîtriser en partant de l'intérieur et en s'appuyant sur les forces les plus pures de l'esprit et de la grâce. L'échec ne signifierait pas que notre époque est, en soi, une chute et une déchéance ; il devient manifeste, au contraire, que l'homme est à toute époque en état de chute et de déchéance et qu'il a besoin de rédemption ce qui, à certaines époques et dans certaines circonstances, peut être toutefois plus voilé qu'en d'autres. 
Ce qui précède ne représente certes pas une approbation pure et simple de ce qui se passe aujourd'hui et de ce qui se passera à l'avenir ;

 il s'agit seulement de s'élever contre l'identification de l'humanité en une époque qui prend fin, à l'humain en général, et contre l'imputation à la nouvelle  époque, exclusivement, des possibilités de destruction qui se montrent aujourd'hui. Ce serait là cette sorte de pessimisme qui décide a priori que le combat se terminera par la défaite. (...)

 

[1] Giampaolo Crepaldi e Paolo Togni « Ecologia ambientale ed ecologia umana »- Politiche dell’ambiente e Dottrina sociale della Chiesa » (Edizioni Cantagalli - 2007)

[2] Extrait de « La Puissance - Essai sur le règne de l'homme » , Chapitre 3 - Le Déploiement de la puissance