Une « lettre ouverte » est, trop souvent, utilisée pour critiquer ouvertement. L’art est difficile dans le cas présent des conférences de carême données à ND par Fabrice Hadjadj. L’homme est en effet admirable à tant de points de vue : sa personnalité, sa conversion du judaïsme au catholicisme qui fait de lui un des grands témoins contemporains de nos racines juives, la maîtrise de la langue française tant écrite qu’orale, la profondeur de sa réflexion philosophique. Soulignons aussi son courage : dénoncer devant un parterre de diplomates, les dérives eugénistes de l’UNESCO. Toutes ces qualités font de Fabrice Hadjadj un homme public écouté. Concernant ses conférences à ND, il faut commencer par souligner ce qui nous a marqué positivement. Pour cela il doit être remercié. Nous voudrions toutefois l’interpeller sur la manière dont il a surfé sur certains thèmes écologiques d’habitude réservés à des orateurs ayant le souci du clientélisme, ce qui n’est pas le cas de Fabrice Hadjadj.
La manière dont sont évoqués le désastre écologique, l’eucharistie ou  le thème de la création, mérite d’être approfondie

Commentaire: "Les2ailes.com"

1- Merci  au diocèse de Paris d’avoir appelé Fabrice Hadjadj pour les conférences de carême 2018

Avant de poser quelques questions à Fabrice Hadjahdj, il doit d’abord être remercié de nous avoir souligné, avec le style qui lui est propre, un certain nombre de vérités : 

1.1- Dimanche 18.2.2018

Je suis d'accord que « l’exigence de l’aumône nous fait découvrir que nous avions trop d’argent ; celle du jeûne, trop de nourriture ; celle de la prière, trop de pouvoir encore ; et qu’il faut s’en délester pour se souvenir que l’on est poussière »
OUI, « L’homme prétendument augmenté est en vérité un homme diminué qui délègue aux machines la tâche de soutenir sa vie. »
et qu'« il est assez drôle de réclamer l’immortalité à un dispositif fondé sur l’innovation et l’obsolescence programmée. Nos gadgets électroniques ont une durée d’utilisation de plus en plus brève. Par conséquent, le transhumain qui ne mourra plus, non seulement tombera en panne, mais sera aussi soumis à la péremption des produits à la mode. Le surhomme du futur est un homme jetable ». 

1.2- Dimanche  25.2.2018

Je suis d'accord que  « Le christianisme n’est pas une religion du cosmos. Dès le début, les chrétiens affirment qu’il y aura la fin du monde. La fin du monde est en quelque sorte leur point de départ. »
et que cela choquait les païens, « pour qui le monde était la totalité harmonieuse, perpétuelle et absolue ».  

1.3- Dimanche  4.3.2018

Je suis d'accord que  « le propre d’un progrès, c’est qu’il nous rapproche du but et qu’il finit par nous le faire atteindre L’idée d’un progrès illimité est une contradiction dans les termes : comment garantir que l’on progresse si le but recule toujours ? Ce serait confondre le chemin de la perfection et le supplice de Tantale ».
que « l’économie doit d’abord se tourner vers le bien des familles … »
et que « ce serait une erreur non moins grave que de diaboliser la technologie au nom d’une technique proche de la main. Les innovations technologiques sont en elles-mêmes des marques de notre inventivité » 

Merci donc à Fabrice Hadjadj pour ce qu’il est, pour sa maîtrise de la langue qui nous permet de discerner des vérités ignorées.

Mais, nous aimerions lui poser quelques questions sur d’autre propos qu'il a tenus, avec le tranchant dans le verbe qu'on apprécie chez lui.

2-  Quelques questions à Fabrice Hadjadj

2.1- Les allégations écologiques : « Après l’attente du grand soir, l’attente du dernier soir » ?

Le catastrophisme n’est pas nouveau. Déjà Gégoire le Grand, commentait l’évangile de Saint-Luc en alléguant que « « Les signes dans le soleil, la lune et les étoiles, en revanche, nous ne les avons pas encore vus clairement ; mais qu’ils soient imminents nous le comprenons bien par l’altération du climat »[1]. Plus récemment, nos grands parents alléguaient que le téléphone allait « détraquer le temps ».
En matière de phénomènes planétaires, seules des disciplines comme l’« identification des systèmes complexes » permettent de quantifier des relations de cause à effet, de comprendre sur des périodes, d’au moins mille ans, les variations. Malheureusement le Giec n’utilise ces disciplines que sur 150 ans, ce qui rend leurs conclusions non crédibles et leurs prévisions erronées depuis 15 ans.
Au plan ponctuel, les discours anxiogènes sont repris en boucle sur le caractère cancérigène des aliments produits en dehors des filières bio, sur la dangerosité des OGM ou des ondes radios émises par les compteurs « Linky ». En la matière, ce genre d’allégations ne devrait être fondé que sur des « études épidémiologiques » que peu de chercheurs veulent engager, étant donné leur coût. Pourtant, la vérité est à ce prix.

En sciences, le consensus n'est qu'un argument d'autorité. Le lieu n'est pas ici d'expliquer pourquoi, mais l'autorité des arguments, voire les preuves, ne peuvent venir que de disciplines "dures" comme l'identification des systèmes dynamiques et de l'épidémiologie.  En biologie des écosystèmes, des milliers de pollutions ponctuelles ne s’additionnent pas pour faire des pollutions globales ! Comment, dès lors, parler d’écologie intégrale ? Il ne suffit pas de placer l’homme au sommet de nos réflexions si la base écologique est idéologique : faute de ces règles scientifiques élémentaires, ce sera toute la pédagogie de l’écologie intégrale qui s’effondrera.
Une bonne manière d'éviter de tomber dans le catastrophisme consiste à accepter d'entendre des expertises plurielles sur ces sujets. Mais le débat contradictoire est quasiment impossible sur ces sujets, y compris dans l'Eglise et les communautés chrétiennes ! Le président de l'Académie Pontificale des Sciences que j'avais rencontré en son temps, avait reconnu qu'aucun débat contradictoire n'a jamais été engagé sur la question climatique dans son Académie. Quant à son chancelier, Mgr Sorondo, il m'a répondu personnellement, le 11 sept. 2017, que "l'Académie Pontificale des Sciences suit [sic] le magistère du Pape François sur le changement climatique comme formulé dans l'encyclique Laudato Si… " ! La mission de l’Académie n’est-elle pas au contraire d’éclairer le magistère ? 

Le philosophe peut-il donc prendre le risque de s’aventurer sur un terrain qu’il ne connaît pas ?
Chantal Delsol, pour sa part, ne s’y risque pas : « je ne prétends aucunement donner un point de vue scientifique… Je parle en tant que philosophe observateur et analyste », évoquant un « discours mu par les émotions davantage que par la raison, ce qui l’exclut de la science, en dépit de ses prétentions »[2]. C’est Chantal Delsol qui, avec humour, nous fait comprendre que l’écologisme, avec son apocalypse annoncée, une forme de « dernier soir », a remplacé le communisme et son « grand soir » !

Cher Fabrice Hadjadj- je me permets de m’adresser ainsi, directement à vous, sans aucune  fausse flatterie, au simple motif de l’admiration que je vous porte. Vous dites :

« Les abeilles n’assurent que le tiers de notre alimentation, ce qui aboutirait à une calamité comparable à quelques explosions nucléaires, mais pas à notre extinction totale ».
« … Par-delà le désastre écologique et social, il y va encore d’un désespoir ontologique ».

Ma question est donc la suivante :

Sur quel science vous fondez-vous pour évoquer ce « désastre écologique », expression que vous citez deux fois pendant vos conférences ?  Y croyez-vous vraiment ? Pourquoi nous faire peur, même sur le ton de l’euphémisme ? Heureusement, vous ajoutez « Je ne suis pas pessimiste. Je suis simplement apocalyptique », à l’opposé des Thessaloniciens (5, 3) qui croyaient, à tort, « que l’espérance est démobilisatrice »
Un discours scientifique doit toujours éviter l’esquive, l’invective, l’extrapolation abusive, les sophismes, ou l’amalgame.  Si désastres il y a, ils sont d’abord humains : les guerres, les messianismes totalitaires, sont autrement plus désastreux que ceux que l’homme ferait subir à la planète. Suffit-il de dire que « tout est lié » ? Nous attendons un approfondissement sur la nature de cette liaison, accidentelle, accessoire ou essentielle comme les classent les philosophes. 

Pourquoi ce recours à l’amalgame en disant que  

« De nos jours, [les cierges] sont très majoritairement constitués de paraffine – un produit extrait des résidus solides du pétrole. La bougie immaculée fraternise avec le moteur 6 cylindres du poids lourd ». Le propos est amusant, mais, il y a un côté confusant à « avouer que la lumière du Christ dépend à présent d’un résidu d’hydrocarbure » ?

Certes, vous avez raison de vous interroger. Sommes-nous face à  « un romantisme déplacé ? Une nostalgie aveugle ? Un reste païen de religion cosmique ? ».
Mais pourquoi alors mettre en exergue Saint-Augustin disant que

« l’œuvre de l’abeille est sainte, puisque les rois et les sujets s’emparent de ses travaux pour entretenir leur santé » ?

Votre référence n’est-elle pas inutilement utilitariste : dans quelques décennies, peut-être reconnaîtra-on à Jérôme Lejeune -Dieu fasse qu’il soit alors canonisé - un propos proche de celui-ci « Combien l’œuvre des virus est sainte, puisque les généticiens s’emparent de leurs travaux pour guérir les trisomiques de leur maladie ».
En écologie, on est face au complexe. Comme Chantal Delsol, vous reconnaissez d’ailleurs, à propos des abeilles qu’« on ne sait pas la cause principale de ces disparitions soudaines » et qu’y répondre « n’est toutefois pas le but de cette conférence ». Il n’empêche : ce qui est évoqué est dit. Pourquoi donc vouloir surfer sur une forme de catastrophisme que l’auditoire, même dans une cathédrale a soif d’entendre dans la bouche de quelqu’un d’éclairé ?

2.2- A propos de l’eucharistie 

La rédaction du code de droit canonique (article 924) de 1983[3] est pratiquement la même que celle du code de 1917 : « Le vin doit provenir naturellement de la vigne et ne pas être corrompu » (art 815)[4]. Or les phytosanitaires n’existaient pas à cette époque. Et en 1917, le pain offert devait être préparé avec des blés pollués de mycotoxines mortelles !
Les chrétiens, aujourd’hui sensibles à l’écologie, aiment à s’interroger sur la « corruption » des espèces au sens du droit canon. A force d’être obsédés par une prétendue dangerosité des phytosanitaires, ils y voient le symbole de la « corruption ».
Or, une analyse rapide de l’histoire du code de droit canonique  devrait couper court à ceux qui comprennent mal le vocabulaire utilisé par l’Église au point de proposer d’offrir « du pain et du vin label bio »[5] dans l’eucharistie.

Cher Fabrice Hadjadj,  vous dites :

« le pain et le vin pour la consécration  proviennent-ils d’une économie juste et d’une écologie intégrale ? L’offrande du mont Calvaire s’est-elle rendue dépendante du Roundup de Monsanto ?

Est-ce à dire que l’utilisation de produits issus des usines de Monsanto sont incompatibles avec l’écologie intégrale ?

« Y a-t-il des sulfites dans le sang du Christ ? Y a-t-il des pesticides dans son Corps ?

Croyez-vous vraiment ce que vous dites, ou jouez-vous de l’émotion de votre auditoire ?

« Quand je pose ces questions, je n’entre pas dans ce qui relève de la validité ou de la licéité – j’interroge la dignité du signe apporté sur l’autel, et la manière dont l’évangile assume et porte la culture au lieu de la laisser se faire dévorer par le paradigme techno-économique ».

A force de contorsions et d’interrogations ne portez-vous encore plus atteinte à la dignité de ce qui se réalise pendant la liturgie eucharistique ?

« Et je n’accuse pas d’incurie la curie romaine, les évêques ou les prêtres – le pharisaïsme étant de ne voir le pharisien qu’en l’autre ; je m’accuse moi-même, je nous accuse, nous, laïcs, car, comme les Israélites devaient apporter pour la liturgie du temple des bêtes sans défaut et la meilleure fleur de farine, c’est à nous de veiller à la matière de l’offrande ».

Pourquoi vous accuseriez-vous de quelques choses qui n’est en rien incompatible avec la dignité de nos offrandes ?

Ma question est en effet la suivante :

Pourquoi mettre nos pauvres idéologies au cœur de l’eucharistie ? Certes, vous ne prétendez pas accuser « d’incurie la curie romaine ». Mais n’est-ce pas une forme d’esquive pour ne pas entrer dans la réflexion du magistère sur le sujet ? Or, de quelle « corruption » parle le magistère ?
On peut remonter sans difficulté au « décret de Gratien » rédigé entre 1140 et 1150 et au code « corpus juris canonici » de 1582, suivant de peu le concile de Trente qui ont fait autorité jusqu’au code de 1917. On voit alors que cette évocation d’ajout de “substances étrangères” dans le pain et le vin n’a rien à voir avec les phytosanitaires mais concerne « l’espèce » offerte. Ce qui était en cause remonte à des « corruptions » autrement plus graves dont parle Saint-Augustin. Il évoquait, en particulier,

  • celles des cataphrygiens et des pépuziens, en Phrygie, qui célébraient leur eucharistie en faisant du pain avec du sang de petits enfants, qu'ils tiraient de tout leur corps par de petites piqûres, et qu'ils mêlaient à la farine".
  • ou celles des aquariens qui, sous prétexte de sobriété, n'offraient dans ce sacrement que de l'eau.

Plus tard, Saint-Thomas d’Aquin[6] évoquera également d’autres types de « corruptions » résultant de la complète « décomposition » du pain et du vin, par exemple en vinaigre. Saint-Thomas utilise également le mot de « corruption » en évoquant en particulier la question du pain avec ou sans levain : « le levain symbolise la charité à cause de certains de ses effets, parce qu'il donne au pain plus de goût et plus de volume. Mais il symbolise la ‘’corruption’’ à cause de sa nature même ». En écrivant cela, St-Thomas ne conclut pas. Mais c’est bien de cette question de corruption qu’il s’agit. Il rappelle d’ailleurs que l’Église a longuement débattu de cette question :

  • Pour les uns, le Christ « a institué ce sacrement avec du pain fermenté car, comme on le voit au livre de l'Exode (12, 15), les Juifs, conformément à la loi, ne commençaient à user de pain azyme que le jour de la Pâque… Or le Christ a institué ce sacrement à la Cène qu'il célébra " avant le jour de la fête pascale" (St-Thomas- art 4)»
  • Pour d’autres «  l'eucharistie est le sacrement de la charité, comme le baptême est le sacrement de la foi. Mais la ferveur de la charité est symbolisée par le levain, comme le montre bien la Glose sur le texte de S. Matthieu (13, 33) : "Le royaume des cieux est semblable à du levain..." Ce sacrement doit donc être fait avec du pain levé».

Saint Thomas conclut : « Être azyme ou fermenté, pour du pain, ce sont des accidents qui ne changent pas l'espèce. …dans ce sacrement on ne doit pas tenir compte de ce que le pain est ou azyme ou fermenté ».

Cher Fabrice Hadjadj,

Faites-vous la distinction entre ce qui est nécessaire et ce qui est « convenable », au sens où, à propos de la question du pain avec ou sans levain, Saint-Thomas faisait une distinction entre « deux points de vue : celui de la nécessité, et celui de la convenance » :

  • ’Ce qui est nécessaire, …c'est que le pain soit fait avec du froment, sans quoi le sacrement n'est pas accompli. Or il n'est pas nécessaire au sacrement que ce pain soit azyme ou fermenté : l'un ou l'autre permet une consécration valide’’.
  • ‘’Mais ce qui est convenable, c'est que chacun observe le rite de son Église dans la célébration du sacrement. Or, sur ce point, les Églises ont des coutumes divergente".

Cette distinction est très éclairante pour les questions que nous nous posons aujourd’hui : serait-il « convenable » ou « nécessaire » d’introduire, dans nos pays riches, une nouvelle coutume, celle du « pain et du vin bio » ?
En reconnaissant le pain préparé avec du blé OGM, l’Église refuse de se prêter à des polémiques idéologiques. En définitive, elle reconnait que des agriculteurs, qui essaient de nourrir la planète avec une agriculture raisonnée et raisonnable, peuvent, en quelque sorte,  se présenter à l’eucharistie avec le « fruit de la vigne et [de leur] travail » ? Car c’est bien notre travail et son fruit que nous devons offrir à Dieu.
Sinon, faudrait-il un jour également baptiser avec de l’eau distillée, au motif que nos eaux sont polluées par des résidus de contraceptifs. ? Tout cela paraitrait un peu ridicule.  D’ailleurs, Saint-Thomas disait : « Dans le baptême on ne tient aucun compte des accidents divers qui affectent l'eau »… Et on sait que nos eaux sont « affectées » de bien des manières !
S’engager dans cette voie nous éloignerait de ce que nous enseigne le catéchisme (n° 1351): « Dès le début, les chrétiens apportent, avec le pain et le vin pour l’Eucharistie, leurs dons pour le partage avec ceux qui sont dans le besoin ». Le vrai débat est celui du partage de nos offrandes, celui de l’offrande de notre vie.
Certes, vous dites : « On filtre le moucheron et l’on avale le chameau ». Mais, on finit par se demander ce qu’est pour vous le moucheron ou le chameau ? La qualité du pain offert (et produit par autrui) ou celle de l’offrande de ma propre vie (pas celle d’autrui) ?

Pour clore ce point, cher Fabrice Hadjadj, vous ironisez pour condamner des paysans complices de l’agro-alimentaire :

 « Pourquoi, dans nos bénédicités, continuer à chanter : « Bénis le labeur des paysans de France » et non pas avec plus de vérité : « Bénis les innovations de l’industrie agro-alimentaire » ? 

Est-ce à dire qu’on doit exclure de nos bénédictions,  les agriculteurs du Brésil, fournisseurs de la plus puissante agro-industrie du monde, alors qu’ils servent maintenant de modèle au monde entier en matière d’agriculture « intensivement écologique » (sans labour, cultures dérobées, réduction des pesticides, etc…) ? Ont-ils le droit de se présenter à l’eucharistie en faisant l’offrande « de leurs fruits et de leur travail » ? La même question se pose pour  tous les agriculteurs refusant de s’engager dans une agriculture « biologique » qu’ils jugent, à tort ou à raison, comme idéologiquement motivée. Doivent-ils s’auto-excommunier en  s’éloignant du sacrement eucharistique et se limiter à celui de la confession ?

2.3- La confusion entre « création » et « monde naturel » dans lequel nous vivons 

Les lois naturelles du monde corrompu ne sont pas les lois naturelles du monde originel. La théologie parle de lois préternaturelles pour éviter toute confusion.  Le cosmos lui-même, à la suite du péché d'Adam, « est assujetti à la vanité, livré au pouvoir du néant» ((Rom. 8 : 20) ). Seul le péché originel peut expliquer la présence massive du mal physique dans un monde créé pourtant par un Dieu bon.
Dans des conférences de carême, il serait bon de rappeler le sens de cette faute originelle à laquelle notre monde ne croit plus.  Voilà un point à transmettre 

Cher Fabrice Hadjadj, le seul moment où vous avez évoqué le péché originel est le suivant :

Un personnage des Particules élémentaires de Michel Houellebecq fait ce constat : « Avoir des enfants, autrefois, impliquait la transmission d’un état, de règles et d’un patrimoine. … Aujourd’hui, tout cela n’existe plus : je suis salarié, je suis locataire, je n’ai rien à transmettre à mon fils.» … N’en est-il pas mieux ainsi ? La transmission fut aussi celle des maladies, des guerres, du péché originel. Peut-être vaut-il mieux passer à un autre univers.

Comment mettre sur le même plan, les maladies et guerres que nous sommes appelés à éradiquer. Mais peut-on éradiquer le péché originel ? C’est, malheureusement une transmission inévitable !
L’absence de réflexion contemporaine sur le péché d’Adam conduit à une confusion entre nature et création

Ma question est donc la suivante :

Lorsque vous dites :

 « On ne peut aimer le Créateur, si l’on n’aime pas sa création »,

est-ce la création que nous avons sous les yeux, ou le monde naturel, corrompu par le péché ? Adam avait tout lieu d’aimer la création, mais peut-on aimer ce monde naturel dans lequel le crocodile se régale d’une gazelle, ce monde naturel dans lequel l’ivraie est en permanence mélangé au bon grain, les abeilles et les doryphores nuisibles soumis aux mêmes pesticides, pour le meilleur et pour le pire ? Le Christ a une réponse très claire sur la nécessité ou non de les séparer !
Oui, vous avez raison de poursuivre : « Et on ne peut aimer le Sauveur, si l’on n’aime pas sa créature même blessée à mort »

Mais, peut-on dire, avec les rabbins, que

« les mouches, les puces et les moustiques, font partie intégrante de la création » ?

Toutes ces espèces, telles que nous les connaissons, présumées répugnantes, mais, à tout le moins piquantes, l’étaient-elles lors de la création ? La violence du crocodile et le venin mortel du serpent ne constituent -ils pas en quelque sorte la preuve de l’existence du péché originel qui a asservi la création ?
Ce ne sont pas les programmes écologiques qui sauveront la terre de la violence. Seul le Christ sera en mesure de récapituler toute le cosmos visible. 

2.4- Et si l’écologisme ambiant n’était qu’une culture de mort ?

La réflexion qui suit n’est pas tirée des conférences de carême 2018, mais des cours que vous avez a dispensé pendant un cours de troisième cycle de bioéthique à l’Institut Politique Léon Harmel, en 2009. Vous aviez analysé magistralement ce qui fonde une « culture de mort. Dans la mesure où vous évoquez ce « signe des temps » qu’est l’écologie, la question se pose : sommes-nous face à une culture de mort ou à une culture de vie ?

Cher Fabrice Hadjad, vous vous appuyez sur l’expression « fin de vie » dont vous voyiez un double sens : d’un côté, le but ou la finalité de toute vie, et, de l’autre, l’issue ou le terme d’une vie.

  • Le premier concept de « fin de vie » est celui qu’avait déjà posé Aristote en disant que chaque choix humain a pour « fin » ultime son bonheur, ce qu’il appelle le désir d’un « souverain bien », celui qui comble l’homme au point de ne plus rien laisser à désirer, sauf le débordement d’un bien toujours plus grand. C’est d’ailleurs ce que Dieu déclara à Moïse en lui remettant le décalogue: « Vois, je te propose aujourd'hui vie et bonheur, mort et malheur »[7].
    Tout acte délibéré a pour fin de nous rapprocher du « souverain bien ». C’est parce qu’on désire le bonheur que le malheur paraît inadmissible. En revanche, lorsqu’on fait le mal, c’est qu’on choisit un bien inférieur à celui de notre vocation, ce qui ne pourra jamais nous combler, et progressivement, on va haïr ce qu’on a aimé indument.
  • Le second concept de « fin de vie » est celui de l’issue ou du terme de la vie. Il concerne l’expérience de la séparation de l’âme et du corps, avec la souffrance, la peur et l’angoisse, qui accompagnent la mort. Il s’agit de la fin dernière qui est déchirure.

Ces deux « fins » sont en contradiction, expliquiez-vous : on aspire au bonheur, mais on doit mourir. La mort viendrait donc contrecarrer cette quête du bonheur.
Le chrétien, par la résurrection de Jésus Christ, sait que sa mort est, en quelque sorte, la réconciliation de ces deux termes. Par Notre Seigneur, nous sommes appelés au souverain bonheur, éternel, par le don de notre vie dans l’amour. Le souverain bien revient, en quelque sorte, à se perdre soi-même. Cette dépossession de nous-mêmes nous permet une renaissance pour l’éternité.
Notre société, qui a éclipsé « le sens de Dieu et le sens de l’homme » a perdu, en sus, le sens de la mort. En perdant le sens de Dieu, il deviendrait « vital » pour l’homme de perdre le sens de la mort.
Pour parvenir à oublier la mort, l’homme développe toutes sortes de stratégies d’esquive devant le drame de cette déchirure entre deux réalités, le désir de bonheur d’une part, et la conscience que la vie a un terme, d’autre part. Vous faisiez la typologie des efforts mis en place par notre société pour oublier la mort. Tous ces artifices reviennent à réduire cette fracture et ce drame en minimisant le poids de chacun des deux concepts de la mort :

  • soit par un obscurcissement de la conscience de la mort,
  • soit par un affaiblissement des désirs de bonheur.

Mes questions sont donc les suivantes :

  • Au titre de l'obscurcissement de la conscience de la mort

- Quand l’écologisme justifie ses programmes en disant qu’ils participent à la « croissance verte », n’est-on pas en plein divertissement consumériste ? Quand on propose des « modèles de développement » aux pays du Sud que nous serions bien incapables d’appliquer, ne perd-on pas conscience de notre pouvoir mortifère sur autrui. Il en est de même dans l’écologisme : autrui devient un bouc émissaire qui justifie, pour être écologiquement correct, qu’on tue son prochain pour consommer plus librement.
- Quand, Boutros Ghali, dans son discours final au sommet de la Terre à Rio, plaidait pour un retour aux civilisations pré-chrétiennes et appelait à rendre un culte à la déesse Gaïa, n’est-on pas dans ce que vous appelez un « divertissement extatique », proche de ces « spiritualités » de certaines philosophies hindouistes importées en occident ?
- Quand l’écologisme nous propose l’homme diminué, en sélectionnant les plus petits pour qu’ils émettent moins de CO², n’est-on pas en plein  « divertissement technocratique » ? De même quand il nous est proposé d’ensemencer les nuages de sels d’argent réfléchissants pour compenser le réchauffement climatique par des mécanismes réfléchissants ?

  • Au titre des affaiblissements de désirs de bonheur

- Quand l’écologisme nous présente l’homme comme le pire des prédateurs, n’est-on pas en plein « discours cynique », celui du « beau ténébreux », disiez-vous, qui tient un discours blasé. Que pensez-vous de ces objectifs de développement durable de l’ONU (les 18 ODD) qui utilise la « santé reproductive » comme un moyen de réduire la population mondiale ? Ne croyez-vous pas qu'il y a un certain cynisme, pour tuer l’idée de créateur, à pousser les peuples à rendre un culte aux créatures ?
- Ne croyez-vous pas que l’écologisme, en jouant d’une forme de frugalité heureuse est en plein « discours réducteur ». Il consiste à éteindre le maximum de désirs en partant de l’idée que la racine des souffrances, est le désir. Réduire ses désirs, c’est éviter de souffrir. C’est le discours du « blasé mondain », disiez-vous ? Oui la « frugalité choisie » est une vertu, mais croyez-vous à la « frugalité par précaution », celle de la décroissance pour sauver la planète ?
- Quand l’écologisme nous alarme avec des concepts non scientifiques comme l’« empreinte écologique », n’est-on pas en plein  « discours terroriste » ? Le catastrophisme, même éclairé est une forme de terrorisme sur les esprits. 

Tels sont les six artifices qui, pour vous, étaient les symboles de la culture de mort. Vous y retrouvez-vous ? En quoi consisterait une « culture de Vie » ? On pourrait raisonner « a contrario » en disant qu’il s’agirait de garder intact nos désirs de bonheur tout en étant conscient que la mort est déchirure. La grandeur de l’homme consiste à accepter la condition tragique de l’homme, celle de ne pas être maître de tout.

3- Conclusion

Dans une intervention à l’Unesco lors du Parvis des  Gentils, vous aviez interpelé tout un parterre de diplomates en posant la question : « devons-nous prendre pour directeur Julian Huxley [8]» ? La réponse était dans un propos précédant la question : «  l’UNESCO est … dévorée par la logistique technocratique, c’est-à-dire par le désir de résoudre des problèmes au lieu de reconnaître le mystère ». 
Iriez-vous jusqu’à reconnaître que les institutions internationales sont dévorées par l’idéologie écologiste ? Je vous renvoie à une réflexion sur les "grandeurs et vicissitudes des Objectifs du développement durable" de l'ONU. 
Vous n’étiez pas dupe des illusions vendues par les messianiques: « On se met à prendre des vessies pour des lanternes et des lanternes pour des messies… Ainsi s’explique la facilité pour tout un peuple de se ruer après … l’utopie à la mode... Mais le pauvre peuple… est si abattu qu’il se précipite sur le prochain faux messie, la prochaine planification de la cité idéale » [9].

Auriez-vous changé d’avis ? L'écologie deviendrait-elle, aujourd'hui, un point incontournable de la pensée?

 

[1] Homélie n° 1 prononcée devant le peuple dans la basilique du St-apôtre Pierre, le premier dimanche de l’avent. Les « homélies sur les évangiles pour le temps de l’avent, des Gésimes et du Carême » de Saint-Grégoire le Grand datent de 590 et 593. Il fut pape de 590 à 604. 

[2] "Le catastrophisme climatique et la perception du temps et de l’histoire" (Blog www.chantaldelsol.fr

[3] Source : droit canon de 1983 - § 127

[4] Source : droit canon de 1917- titre 3 – L’eucharistie 801à 869

[5] l’Appel aux évêques pour l'écologie, publié le 2 novembre 2011 dans La Vie.fr.  On y lisait que « des hosties et du vin de messe issus de l’agriculture biologique est un premier pas essentiel ». Ce texte était issu de la rencontre de chrétiens réunis lors de la Fête de la Nature le 21 mai 2011 et signé par de nombreuses personnalités dont François Euvé s.j.

[6] Source : (Somme théologique-III-a, question 74) - site « docteur angélique »

[7] Deut. 30, 15. 19

[8] Unesco, intervention explosive de Fabrice Hadjadj contre l'idéologie eugéniste des pères fondateurs de l'UNESCO. lors de l'évènement du "Parvis des gentils" en 2011

[9] « Réussir sa mort » Fabrice Hadjadj, Presses de la Renaissance, 2005, p. 77