La revue « Limite » du 25.4.2017 interrogeait ainsi Gautier Bès de Berk  « Pensez-vous que l’écologie intégrale… puisse être un chemin d’évangélisation pour notre monde sécularisé ? ». Il répondait : « Tout dépend de ce qu’on cherche par l’évangélisation. Si c’est attendre de celui qui ne l’est pas qu’il devienne catho, alors c’est d’avance voué à l’échec et l’écologie intégrale n’apportera rien. Si l’évangélisation, c’est mettre les évangiles en mouvement, aller chercher dans notre quotidien là où ils rentrent en questionnement avec nos pratiques et accrochent nos contradictions, alors l’écologie intégrale peut devenir un moteur intéressant pour nourrir notre propre démarche… ».
Patrice de Plunkett n’a pas le même regard: « L’écologie est enfin un chemin d’évangélisation et de témoignage catholique. Ni superflu ni dissidence, on est dans le cœur du message chrétien ! ».
Vincent Neymon, parle de son côté de l’écologie intégrale comme d’un « outil d’évangélisation »[1].
Il y a dans ces sémantiques une confusion entre les concepts d’évangélisation, de cheminement avec les incroyants, et de nécessité de « l’exigence de la rencontre pour rejoindre les personnes là où elles sont », comme le disait le pape François au cours d’une audience  le 18.11.2019.
La peur écologique est certes un signe des temps. Mais la tolérance et le subjectivisme également, la sexualité comme objet de consommation aussi. Nul ne penserait à évoquer comme un chemin d’évangélisation de notre temps l’idée de partager avec nos contemporains, un peu de subjectivisme. Quant à certaines communautés religieuses qui ont rejoint la génération 68 en faisant la promotion  de la libération sexuelle pour être dans l’ère du temps, on sait les ravages que ces discours ont fait dans l'Église. On pourrait également évoquer l’évangélisation du prolétariat par des pasteurs qui ont pensé devoir faire « un bout de chemin » avec le marxisme?
Alors est-il si sûr que rejoindre les personnes sensibles à l’écologie doive passer par une collaboration avec la peur écologique, même un tant soit peu ?  
Avant de parler de « chemin d’évangélisation », il faudrait préciser ce que l'Église entend par évangélisation.

Analyse "les2ailes.com"

1- Qu’est-ce que l’évangélisation ?

 a) La véritable nature de l’évangélisation

Il faut relire le début du très beau décret conciliaire sur l’activité missionnaire de l'Église, Ad gentes :

  • Le Dessein du Père - Par nature, l’Église, durant son pèlerinage sur terre, est missionnaire, puisqu’elle-même tire son origine de la mission du Fils et de la mission du Saint-Esprit, selon le dessein de Dieu le Père[2]. Ce dessein découle de « l’amour dans sa source », autrement dit de la charité de Dieu le Père qui, étant le principe sans principe, de qui le Fils est engendré, de qui le Saint- Esprit procède par le Fils, nous a créés librement dans sa surabondante bonté et miséricorde, et nous a de plus appelés gracieusement à partager avec lui sa vie et sa gloire ; qui a répandu sur nous sans compter sa miséricorde et ne cesse de la répandre, en sorte que lui, qui est le créateur de toutes choses, devienne enfin « tout en tous » (1 Co15, 28) en procurant à la fois sa gloire et notre bonheur. …
  • La mission du Fils - …Son Fils, par qui aussi il a fait les siècles[3], il l’a établi héritier de toutes choses, afin de tout restaurer en lui (cf. Ep1, 10).Car le Christ Jésus a été envoyé dans le monde comme le véritable médiateur entre Dieu et les hommes. Puisqu’il est Dieu, « toute la plénitude de la divinité habite en lui corporellement » (Col 2, 9) ; dans sa nature humaine, il est le nouvel Adam, il est constitué Tête de l’humanité renouvelée, il est rempli de grâce et de vérité (Jn 1, 14). Aussi par les voies d’une incarnation véritable, le Fils de Dieu est-il venu pour faire participer les hommes à la nature divine ; il s’est fait pauvre alors qu’il était riche afin de nous enrichir par sa pauvreté (2 Co 8, 9). Le Fils de l’Homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir lui-même et donner sa vie en rançon pour beaucoup, c’est-à-dire pour tous (cf. Mc 10, 45). …
    Ce qui a été une fois proclamé par le Seigneur ou accompli en lui pour le salut du genre humain doit être proclamé et répandu jusqu’aux extrémités de la terre (Ac 1, 8), en commençant par Jérusalem (cf. Lc 24, 47), de sorte que ce qui a été accompli une fois pour toutes en vue du salut de tous, produise ses effets chez tous au cours des âges.
  • La Mission du Saint-Esprit
    Mais pour obtenir pleinement le résultat, le Christ a envoyé d’auprès du Père le Saint Esprit, qui accomplirait son œuvre de salut à l’intérieur des âmes et pousserait l’Église à s’étendre. … Le jour de la Pentecôte, il descendit sur les disciples pour demeurer avec eux à jamais (cf. Jn 14, 16) ….
     À travers toutes les époques, c’est le Saint-Esprit qui « unifie l’Église tout entière dans la communion et le ministère, qui la munit des divers dons hiérarchiques et charismatiques[4] », vivifiant à la façon d’une âme[5] les institutions ecclésiastiques et insufflant dans le cœur des fidèles le même esprit missionnaire, qui avait poussé le Christ lui-même. …
  • L’Église envoyée par le Christ - Dès le début de son ministère, le Seigneur Jésus … envoya ses Apôtres dans le monde entier en leur donnant cet ordre : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit » (Mt 28, 19 s.) ; « Allez par le monde entier proclamer la bonne nouvelle à toute la création. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, celui qui ne croira pas sera condamné » (Mc 16, 15 s.). C’est de là que découle pour l’Église le devoir de propager la foi et le salut apportés par le Christ… La mission de l’Église … continue et déploie, au cours de l’histoire, la mission du Christ lui-même, qui fut envoyé pour annoncer aux pauvres la bonne nouvelle ; c’est donc par la même voie … que… l’Église doit marcher, c’est-à-dire par la voie de la pauvreté, de l’obéissance, du service et de l’immolation de soi jusqu’à la mort, dont il est sorti victorieux par sa résurrection. …
  • L’activité missionnaire - … L’Église, bien que de soi elle possède la totalité ou la plénitude des moyens de salut, n’agit pas ni ne peut agir toujours et immédiatement selon tous ses moyens ; elle connaît des commencements et des degrés dans l’action par laquelle elle s’efforce de conduire à sa réalisation le dessein de Dieu ; bien plus, elle est parfois contrainte, après des débuts heureux, de déplorer de nouveau un recul, ou tout au moins de demeurer dans un état d’incomplétude et d’insuffisance. En ce qui concerne les hommes, les groupes humains et les peuples, elle ne les atteint et ne les pénètre que progressivement, et les assume ainsi dans la plénitude catholique. Les actes propres, les moyens adaptés doivent s’accorder avec chaque condition ou état.

… La fin propre de cette activité missionnaire est l’évangélisation et la plantation de l’Église dans les peuples ou les groupes humains dans lesquels elle n’a pas encore été enracinée[6]. … Mais le moyen principal de cette implantation, est la proclamation de l’Évangile de Jésus Christ ; c’est pour annoncer l’Évangile que le Seigneur a envoyé ses disciples dans le monde entier, afin que les hommes, ayant acquis une nouvelle naissance par la Parole de Dieu (cf. 1 P 1, 23), soient agrégés par le baptême à l’Église … »

Ce texte conciliaire explique bien que « la fin propre de l’évangélisation est la plantation de l’Église dans les peuples et

  • de faire connaître le dessein du Père, qui appelle les hommes à la divinisation,
  • d’annoncer que son fils Jésus est le véritable médiateur entre Dieu et les hommes, et qu’il a pris la condition d’homme pour faire participer l’humanité à la nature divine
  • d’expliquer la mission de l'Église qui, avec l’aide du Saint-Esprit, est de baptiser toutes les nations et à propager la foi

b) Pourquoi la nécessité d’une « nouvelle évangélisation » ?

Paul VI observe que l’engagement de l’évangélisation « s’avère toujours plus nécessaire également, à cause des situations de déchristianisation fréquentes de nos jours, pour des multitudes de personnes qui ont reçu le baptême mais vivent totalement en dehors de la vie chrétienne, pour des gens simples ayant une certaine foi mais connaissant mal les fondements de cette foi, pour des intellectuels qui sentent le besoin de connaître Jésus Christ sous une lumière autre que l’enseignement reçu dans leur enfance, et pour beaucoup d’autres» (Evangelii nuntiandi, n. 52). 

Jean-Paul II a repris ce constat de la déchristianisation de nos contemporains en introduisant le terme de « Nouvelle évangélisation » en 1979 au cours d'un voyage apostolique en Pologne[7].

« Une nouvelle évangélisation est commencée, comme s’il s’agissait d’une deuxième annonce, bien qu’en réalité ce soit toujours la même. La croix se tient debout sur le monde qui change. … L’évangélisation du nouveau millénaire doit se référer à la doctrine du Concile Vatican II.»

Benoit XVI, à son tour, a institué un Conseil pontifical pour la nouvelle évangélisation[8] en 2010 en insistant sur la mission évangélisatrice de baptiser :   

« L’Église a le devoir d’annoncer toujours et partout l’Évangile de Jésus Christ. Premier et suprême évangélisateur, le jour de son ascension au Père, il donna ce commandement aux disciples: «Allez donc! De toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit; et apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés» (Mt 28, 19-20)… C’est pourquoi, la mission évangélisatrice, continuation de l’œuvre voulue par le Seigneur Jésus, est pour l’Église nécessaire et irremplaçable, expression de sa nature même »[9].

 c) L’urgence de la rencontre avec les personnes là où elles sont

Le risque existe de faire de cet objectif une sorte de posture illusoire, surtout si elle utilise le concept souvent confus de gradualisme dans la rencontre.

Le pape François a expliqué en 2019 ce que signifie pour lui « rejoindre les personnes là où elles sont » dans une perspective d’évangélisation. Il ne s’agit pas de faire des constats scientifiques en commun, mais de partager nos expériences de rencontre avec le Christ :

« Il est donc urgent que nous fassions nôtre l’exigence de la rencontre pour rejoindre les personnes là où elles vivent et agissent. Si nous avons rencontré le Christ dans notre vie, nous ne pouvons pas le garder seulement pour nous. Il est déterminant que nous partagions aussi cette expérience avec les autres ; c’est la voie principale de l’évangélisation.
N’oubliez pas : chaque fois que vous rencontrez quelqu’un, il se joue une histoire vraie qui peut changer la vie d’une personne. Et ce n’est pas faire du prosélytisme, c’est rendre témoignage. Cela s’est toujours passé ainsi. Quand, en passant le long du lac, Jésus vit Pierre, André, Jacques et Jean qui travaillaient, il fixa son regard sur eux et transforma leur vie (cf. Lc 5,1-11). » [11] 

Devant le même public de cellules paroissiales d’évangélisation, il avait dit : « Je vous encourage à faire de l’Eucharistie le cœur de votre mission d’évangélisation, afin que chaque cellule soit une communauté eucharistique dans laquelle rompre le pain équivaut à reconnaître la présence véritable de Jésus Christ parmi nous »[12] 

d) Surfer sur la peur : une incompatibilité avec l’évangélisation

En 2000, le Cardinal Ratzinger avait montré[13] que le chemin de la nouvelle évangélisation ne passe pas par un constat anxiogène : « Comment apprend-t-on l'art de vivre? Quel est le chemin du bonheur? Évangéliser signifie: montrer ce chemin - apprendre l'art de vivre ». Mais Jésus n’est pas venu nous montrer l’art écologique de vivre. Le Cardinal Ratzinger explique : «  Jésus a dit au début de sa vie publique: …  j'ai la réponse à votre question fondamentale; je vous montre le chemin de la vie, le chemin du bonheur - mieux: je suis ce chemin ». On est loin d’une pastorale qui surfe sur la peur.  « La joie … que donne l'abondance de toutes choses"  (Deutéronome 28, 47). est l’antidote de la peur écologique et le Cardinal Ratzinger insiste sur l’incompatibilité entre ces sentiments :

« La pauvreté la plus profonde est l'incapacité d'éprouver la joie, le dégoût de la vie, considérée comme absurde et contradictoire. Cette pauvreté est aujourd'hui très répandue, sous diverses formes, tant dans les sociétés matériellement riches que dans les pays pauvres. L'incapacité à la joie suppose et produit l'incapacité d'aimer, elle produit l'envie, l'avarice - tous les vices qui dévastent la vie des individus et du monde. C'est pourquoi nous avons besoin d'une nouvelle évangélisation - si l'art de vivre demeure inconnu, tout le reste ne fonctionne plus. Mais cet art n'est pas un objet de la science - cet art ne peut être communiqué que par celui qui a la vie - celui qui est l'Évangile en personne ».

C’est donc un contre-sens de l’évangélisation  de prétendre commencer un chemin d’évangélisation par des constats écologiques anxiogènes.

2- Le risque de prosélytisme dans l’évangélisation

Le dicastère est conscient qu’« une confusion s'est produite lorsqu'on a pris les termes « prosélytisme» et « évangélisation » comme synonymes. Cette confusion s'est répercutée dans le domaine civil »[14]. Une « note doctrinale sur certains aspects de l’évangélisation »[15] met en garde sur un certain « prosélytisme, dans le sens négatif attribué à ce terme » (§ 12). Il y est précisé que, « originairement, … dans le milieu juif … le « prosélyte » indiquait celui qui, provenant des « nations », était passé à faire partie du « peuple élu ». Ainsi dans le milieu chrétien, le terme prosélytisme a été souvent employé comme synonyme de l’activité missionnaire. Récemment le terme a pris une connotation négative … avec des moyens et des motifs contraires à l’esprit de l’Évangile, qui ne respectent pas la liberté et la dignité de la personne » [16]

Quels sont les risques susceptibles de ne pas respecter la dignité de la personne ? Ils se résument à tout ce qui relève d’une « pression indue » sur les personnes (§ 12). La note précise les choses en citant une mise en garde formelle du Concile :

« Dans la propagation de la foi et l'introduction des pratiques religieuses, on doit toujours s'abstenir de toute forme d'agissements ayant un relent de coercition, de persuasion malhonnête, ou simplement peu loyaux, surtout s'il s'agit des gens sans culture ou sans ressources »[17].

Vouloir à tout prix rejoindre les personnes là où elles en sont, peut avoir un relent de coercition. En effet, se rallier au consensus écologique ambiant qui génère de grandes peurs peut  devenir une forme de persuasion malhonnête en faisant croire que les pasteurs, et ou leurs conseillers pastoraux, ont une compétence sur les questions, mêmes graves, ou même que ce serait leur mission. Or le Concile est formel : « les laïcs ne doivent pas attendre » cela (Gaudium et spes, 43-2). L’approche n’est pas non plus loyale, car un consensus n’est qu’un argument d’autorité et n’apporte aucune autorité aux arguments. L’approche est d’autant plus dangereuse qu’elle s’adresse à des gens sans culture, en particulier la jeunesse qui est souvent instrumentalisée par des adultes en vue de l’utiliser comme agent de changement de la société.

Cette note ajoute :

« Dans tous les cas, évangéliser ne signifie pas seulement enseigner une doctrine mais plutôt annoncer Jésus Christ…» [18].

Si donc évangéliser ne consiste pas à enseigner une doctrine théologique, cela consiste encore moins à devenir le portevoix de personnes cherchant à convaincre d’une crise qui est plus anthropologique qu’écologique. Certes l'Église a mission de « discerner les signes des temps », et la peur écologique en est probablement un. Mais il précise que l’objectif est de leur apporter des « réponses éternelles » (Gaudium et spes n. 4). Il n’est pas sûr que rejoindre les opinions écologiques en élaborant des labels paroisses vertes  fondés à 60 % sur des critères climatiques, relèvent de « réponses éternelles ».
En tout état de cause, « C’est le Seigneur Jésus Christ lui-même qui, présent dans son Église (cf. Mt 28, 20), précède l’œuvre des évangélisateurs » [19]. Peut-on imaginer qu’il précède nos parcours d’évangélisation en cautionnant des discours de peur ?

3- Réflexion à partir de là 1ère  épitre aux Corinthiens (1 Cor 8, 1-7,11-13)

L'épître de saint-Paul (1 Cor 8, 1-7,11-13) est difficile à comprendre: 

"1Pour ce qui est des viandes immolées aux idoles, nous avons tous la science, nous le savons. La science gonfle, alors que l’amour bâtit. 2Si quelqu’un pense connaître quelque chose, il ne connaît pas encore comme il faut connaître ;3mais si quelqu’un aime Dieu, celui-là est connu de Lui.
4Donc, pour ce qui est de manger des viandes immolées aux idoles, nous savons qu’une idole n’est rien dans le monde et qu’il n’y a de Dieu que l’Unique. 5Car, bien qu’il y ait de prétendus dieux, soit au ciel, soit sur terre –et de fait, il y a quantité de dieux et quantité de seigneurs-, 6pour nous, du moins, il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui viennent toutes choses et pour qui nous sommes, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par sont toutes choses et par qui nous sommes.
7Mais tous n’ont pas la science. Certains, accoutumés encore à l’idole, mangent de la viande immolée comme telle, et leur conscience, qui est faible, est salie. 8Ce n’est pas un aliment qui nous rapprochera de Dieu. Si nous n’en mangeons pas, nous n’avons rien de moins ; et si nous en mangeons, nous n’avons rien de plus. 9Mais prenez garde que ce droit que vous avez ne devienne un achoppement pour les faibles. 10Si, en effet quelqu’un te voit, toi qui as la science, attablé dans un temple d’idoles, sa conscience, à lui qui est faible, ne sera-t-elle pas fondée à manger des viandes immolées aux idoles ? 11Et ta science alors va perdre le faible, ce frère pour qui Christ est mort ! 12En péchant ainsi contre les frères et en blessant leur conscience, qui est faible, c’est contre Christ que vous péchez. 13C’est pourquoi, si un aliment doit scandaliser mon frère, je ne mangerai jamais de viande, pour ne pas scandaliser mon frère (1Cor 8, 1-13)".

Que penser de cette épître dans une perspective écologique?

Il est des formes d’écologisme qui peuvent être de véritables religions. Il est, également, des cultes que notre époque rend de nouveau à la déesse Gaïa ou à la Biodiversité. Au début de sa première lettre aux Corinthiens, saint Paul, montre qu’il y avait, à l’époque, des problèmes plus graves et plus urgents, ceux relevant de l’autorité apostolique, de l’appel aux tribunaux païens en cas de disputes communautaires, de la fornication, de l’inceste, du mariage ou de la virginité. Aujourd’hui également, il y a des sujets plus graves que celui de savoir s’il faut utiliser du pain et du vin label bio dans l’eucharistie, s’il faut réintroduire la fête des rogations dans la liturgie, construire des églises en label haute qualité environnementale, ou produire des fruits bio dans les fermes de monastères. Tout cela ne revient-il pas à manger des viandes immolées aux idoles, à être crédule quant aux idéologies de notre temps, dont l’écologisme ?

Saint Paul nous rappellerait sans doute à l’ordre et à la priorité de la conversion personnelle pour mettre en place des organisations -économiques notamment- qui assurent le respect de la destination universelle des biens, ou du bien commun. Il rappellerait sûrement à toutes nos communautés de chrétiens leur devoir de s’engager dans la nouvelle évangélisation. Ce sont des enjeux autrement plus graves.
Comme du temps de saint Paul, la mission de l’Église est bien « de connaître et de comprendre ce monde dans lequel nous vivons, ses attentes, ses aspirations, son caractère souvent dramatique » (Gaudium et Spes § 4-1).

Dans ce texte, saint Paul rappelle d’abord à ceux qui ont la prétention d’avoir la science et le sentiment aigu de ce qu’il convient de faire, de se méfier d’eux-mêmes, car cette connaissance est bien peu de chose en comparaison de l’amour. Elle ne sert qu’à nous enfler, à nous gonfler d’orgueil, alors que c’est « l’amour [qui] bâtit ». De plus la connaissance est toujours partielle ; nous ne savons rien avec une connaissance pleine et absolue. Saint Paul expliquait par ces mots : « Si quelqu’un pense connaître quelque chose, il ne connaît pas encore comme il faut connaître. » (1 Cor 8, 2)Alors que si nous aimons Dieu, nous pouvons être assurés que nous sommes connus de Lui, et probablement plus près de la vérité.
Quant aux idoles, nous dit Saint Paul, elles ne sont rien dans le monde, pas plus que quantités de faux dieux et de faux seigneurs qui peuplent ciel et terre, car le seul Dieu est le Dieu Unique.
Comment qualifierons-nous, dans quelques années, tous les chevaux de bataille de l’écologisme, si la cause anthropique du réchauffement climatique n’est pas plus fondée que les dangers des OGM, ni que les bienfaits d’une décroissance pour limiter l’empreinte écologique de l’homme ?
Que toutes ces idées soient vénérées ou non comme de vrais dieux, cela ne change pas notre foi dans « le Père, de qui viennent toutes choses », ce Père Créateur pour qui nous sommes. Nous savons que les viandes offertes aux idoles ne nous rapprocheront ni ne nous éloigneront de Dieu (1Cor 8,8) ; ou autrement dit, peu importe que nous ayons telle ou telle sensibilité écologique. Nos visions écologiques peuvent différer. Certains peuvent manger de la viande et d’autres ne pas en manger. Il n’y a aucun avantage à faire d’une manière, comme il n’y a aucun inconvénient à faire de l’autre, si nous veillons, comme le demande saint Paul, à ne pas être occasion de chute pour le plus faible. Car tous n’ont pas la science, et voir un chrétien attablé dans un temple d’idoles, peut troubler gravement de nombreux croyants dont la conscience est peut-être faible. Sommes-nous conscients qu’en assénant des vérités sans être ouverts au dialogue, nous pouvons blesser gravement ceux qui nous entendent ? Comment faut-il se comporter face à cette situation ? Que doit faire l’Église ?

Nous devons savoir que toute une frange de chrétiens, même si elle « a moins de visibilité et est moins aguerrie[20] », ne se retrouve pas aujourd’hui dans les discours écologistes courants. Pour beaucoup d’entre eux l’écologisme est une idéologie vide de sens, même s’ils reconnaissent à ce courant de pensée des aspirations légitimes. Mais s’attabler dans un temple d’idoles en adhérant, par exemple, à des ONG prônant des doctrines sociales opposées à celle de l’Église, c’est se laisser emporter par la connaissance et «courir le risque de devenir une pierre d’achoppement pour les autres[21]. »
« Et ta science alors va faire périr le faible. » Ceux, parmi nos contemporains chrétiens, qui n’arrivent pas à discerner, parmi certains discours écologistes ambiants, ce qui relève de la foi de l’Église, de ce qui relève de la sensibilité de leurs membres, risquent alors d’être paralysés au point de ne plus pouvoir témoigner de leur Foi, ce[s] frère[s] pour qui Christ est mort ! Blesser la conscience d’un frère est pécher contre le Christ.
Face à ce risque, saint Paul préfère ne plus se passer de viande à tout jamais. C’est dans cet esprit que le magistère rappelle que « l’Église, avec sa doctrine sociale, n’entre pas dans des questions techniques et ne propose pas de systèmes ou de modèles d’organisation sociale : ceci ne relève pas de la mission que le Christ lui a confiée. L’Église a la compétence qui lui vient de l’Évangile » (Compendium § 68), afin qu’elle ne laisse pas quelque sensibilité que ce soit « se sentir étrangers dans la communauté des chrétiens » (Concile- Dignitatis humanae § 9).
Cette recommandation de saint Paul s’applique d’abord, nous semble-t-il, aux évêques qui ont la mission de proclamer à haute voix le kérygme, c’est-à-dire l’énoncé premier de la foi[22]. Certes l’Église doit veiller à la rationalité des réalités terrestres. Nous avons donc le devoir d’argumenter, mais, comme le dit Jean-Luc Marion, « dans l’Église, cette responsabilité n’échoit pas d’abord au magistère […]. Le kérygme ne peut, comme tel, immédiatement jouer le rôle d’un argument dans le débat de la place publique »[23].
L’appel de saint Paul de se passer de viande, c’est-à-dire de ne pas s’attabler avec les dispensateurs d’idéologie, écologiste ou autres, s’adressent également à nous, les laïcs. Mais, comme le dit également Jean-Luc Marion, « chez le baptisé, l’erreur n’est pas toujours un péché », alors que, chez l’évêque, « l’erreur est toujours un péché, et non le moindre ». En effet, « la vérité a le pouvoir de faire vivre » mais si « elle se pervertit, elle a celui de laisser mourir, voire de tuer directement[24] ». Attention donc aux laïcs qui sont les plus proches de leurs évêques et qui les conseillent dans les disciplines environnementales, de ne pas être les initiateurs de ce péché.

Nous passer de viande, nous aidera à être facteurs d’unité dans l’Église. Quelques soient nos regards en matière d’écologie, nous sommes membres du même corps du Christ, l’Église qui est Une, Sainte, et appelée à le devenir.

4- La leçon des disciples d’Emmaüs (Luc 24, 13-35)

Quelle attitude doit avoir l’église dans un monde envahi par la peur écologique et les questions temporelles qui en résultent ?

L’attitude du Christ est exemplaire. Il marche avec les disciples et commence par leur poser des questions et les écouter : « Le troisième jour après la mort de Jésus, deux disciples faisaient route vers un village appelé Emmaüs, à deux heures de marche de Jérusalem, et ils parlaient ensemble de tout ce qui s’était passé.  Or, tandis qu’ils parlaient et discutaient, Jésus lui-même s’approcha, et il marchait avec eux. Mais leurs yeux étaient aveuglés, et ils ne le reconnaissaient pas. Jésus leur dit : « De quoi causiez-vous donc, tout en marchant ? » Alors ils s’arrêtèrent, tout tristes ». L’un des deux, nommé Cléophas, répondit : « Tu es bien le seul, de tous ceux qui étaient à Jérusalem, à ignorer les événements de ces jours-ci ». Il leur dit : « Quels événements ? » Ils lui répondirent : « Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth : cet homme était un prophète puissant par ses actes et ses paroles devant Dieu et devant tout le peuple. Les chefs des prêtres et nos dirigeants l’ont livré, ils l’ont fait condamner à mort et ils l’ont crucifié. Et nous qui espérions qu’il serait le libérateur d’Israël ! »

Visiblement les disciples quittent Jérusalem en ayant peur des ennuis qu’ils encourent. Ils sont comme englués dans les problèmes temporels : celui de libérer Israël de la présence des Romains. Aujourd’hui nous dirions que les disciples sont envahis par toutes sortes de peurs écologiques et du problème temporelle qui en résulte : comment sauver la planète et la libérer de l’emprise de l’homme?

L’attitude du Christ ne consiste pas à rajouter de la peur en leur disant : « vous avez bien raison d’avoir peur : vous serez tous martyrs de votre foi ». Son attitude ne consiste pas non plus à leur donner des conseils sur la manière de se libérer des Romains. L’attitude de l’église ne doit donc pas être d’en rajouter avec une analyse catastrophique amplifiant la peur de nos contemporains ni même de proposer des solutions et autres ecogestes aux questions temporelles qui se posent. L’attitude de l’église, dans un premier temps, consiste simplement à écouter en silence, éventuellement à poser des questions pour que les disciples expriment leur peur et leurs soucis. C’est d’ailleurs ce que le concile exprime : « l’église est appelée à discerner les signes des temps et à leur apporter des réponses éternelles ».

Quel est donc la « réponse éternelle » du Christ ? « Il leur dit : « Vous n’avez donc pas compris ! Comme votre coeur est lent à croire tout ce qu’ont dit les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Messie souffrît tout cela pour entrer dans sa gloire ! » Et, en partant de Moïse et de tous les prophètes, il leur expliqua, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait ». Là encore, l’attitude du Christ est exemplaire pour l’église : sa réponse éternelle consiste à citer l’écriture et l’histoire des prophètes.  La réponse aux questions écologiques est celle du dieu créateur dans la Genèse, dans la mission donnée à l’homme de cultiver et garder cette terre, la garder comme un gouverneur raisonnable ou comme un bon père de famille. Pour ce qui est de transformer cet appel en responsabilité pour chacun, l’église n’a pas mission d’entrer dans le détail. Le concile dit d’ailleurs : « les laïcs n’ont pas à attendre de leur Pasteur qu’ils aient une réponse à toutes les questions même graves, ni même que ce soit leur mission ».

À l’issue de cette marche avec les disciples, Le Christ partage le pain « Quand il fut à table avec eux, il prit le pain, dit la bénédiction, le rompit et le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards ». Tel est l’appel du Christ à l’église: faire mémoire de sa mort et de sa résurrection, De l’Ascension vers une terre nouvelle à laquelle il nous appelle.

Si l’église suis le modèle du Christ, elle répondra aux véritables attente des fidèles : « Alors ils se dirent l’un à l’autre : « Notre coeur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route, et qu’il nous faisait comprendre les Écritures ? »

« À l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem ». C’est bien ainsi que les chrétiens retournerons à la mission d’évangélisation..

5- Conclusion

Est-il donc approprié de parler d’écologie comme « chemin d’évangélisation » ? Notons que le mot d’évangélisation n’est d’ailleurs pas prononcé dans Laudato si.

Par ailleurs, sur les questions purement d’ordre prudentiel, il est bon de s’en remettre à Benoît XVI parlant d’évangélisation :

« Silence et parole. S'éduquer à la communication veut dire apprendre à écouter, à contempler, bien plus qu'à parler, et ceci est particulièrement important pour les acteurs de l’évangélisation : silence et parole sont les deux éléments essentiels et parties intégrantes de l’action de communiquer de l'Église, pour un renouveau de l’annonce du Christ dans le monde contemporain ».[25]

Mgr Rey a raison de parler de la « beauté comme chemin d’évangélisation quand on est saturé de mots »[26]

La mission d’évangélisation ne consiste pas pour l’église, à se donner une bonne image en adhérant aux consensus écologiques, surtout quand ils sont sources de peurs de toutes sortes.


[1] Minute 12, interview de Vincent Neymon présentant le magazine Webzine de la CEF, le 8.9.2020

[2] Conc. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium : AAS 2 (1965), p. 5-6.

[3] He 1, 2 ; Jn 1, 3.10 ; 1 Co 8, 6 ; Col 1, 16.

[4] Conc. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. 4

[5] Saint Augustin, Sermon 267, 4 : PL 38, 1231

[6]  Déjà Saint Thomas parle de la charge apostolique de planter l’Église : cf. Sent., liv. I, dist. 16, q. 1, a. 2, ad 2 et 4 ; a. 3 sol. ; Somme théologique I, q. 43, a. 7 ad 6 ; I-II, q. 106, a. 4, ad 4

[7] Jean-Paul II, Homélie du 9 juin 1979 au sanctuaire de la Sainte-Croix à Mogila, Cracovie

[8] Benoît XVI, motu proprio Ubicumque et semper, 21 septembre 2010

[9] début de Ubicumque et semper

[10]. Pape François, Exhortation apostolique Amoris Laetitia, 2016, 293.

[11] Audience  le 18.11.2019, les membres du Service pour les Cellules paroissiales d’Évangélisation (CPE) ; À l’occasion du trentième anniversaire de sa fondation, et en présence du fondateur, Pier Giorgio (« don Pigi ») Perini.

[12] (http://www.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2015/september/documents/papa-francesco_20150905_cellule-parrocchiali-evangelizzazione.html)

[13] Jubilé des catéchistesConférence du Cardinal Ratzinger sur le thème de la nouvelle évangélisation (10.12.2000)

[14] Rapport « évangélisation, prosélytisme et témoignage commun » publié par le Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens  (§97)

[15] Congrégation pour la doctrine de la foi, 3.12.2007 - Benoît XVI, durant l’audience du 6 octobre 2007, a approuvé et ordonné la publication de cette Note doctrinale,

[16] Id : « Note doctrinale sur certains aspects de l’évangélisation, Congrégation pour la doctrine de la foi, 3.12.2007, (Note de bas de page n° 49)

[17] Conc. œcum. Vat. II, Décl. Dignitatis humanae, n. 4.)

[18] Id : « Note doctrinale sur certains aspects de l’évangélisation, Congrégation pour la doctrine de la foi, 3.12.2007, (§ 2)

[19] Id : « Note doctrinale sur certains aspects de l’évangélisation, Congrégation pour la doctrine de la foi, 3.12.2007, (§ 1)

[20] Mgr Crepaldi, Commentaire à l’issue du séminaire du Conseil pontifical justice et paix sur le climat, 4 janvier 2008 (source Fides).

[21] Commentaire de Franck Binford Hole (1874-1964).

[22] « Le point central de l’annonce demeure toujours le même : le Kérygme du Christ mort et ressuscité pour le salut du monde, le Kérygme de l’amour de Dieu absolu et total pour tout homme et pour toute femme. Ce Kérygme a culminé dans l’envoi du Fils éternel et unique, le Seigneur Jésus qui ne dédaigna pas de prendre la pauvreté de notre nature humaine, l’aimant et la rachetant du péché et de la mort en s’offrant lui-même sur la croix » (Benoît XVI, Message pour la journée mondiale des missions, 2012).

[23] Jean-Luc Marion, Le Croire pour le voir, op. cit., p. 111.

[24] Ibid., p. 99. 

[25] Benoit XVI, « Message pour la 46ème journée mondiale des communications sociales » (24 janvier 2012)

[26] https://www.youtube.com/watch?v=pH1Bx_XCJU8