Le commentaire de Mgr Giampaolo Crepaldi, sur l'encyclique Laudato si, était très attendu puisqu'il a été le secrétaire du Conseil Pontifical Justice et Paix, et, à ce titre, il a été un des principaux auteurs du "Compendium de la Doctrine Sociale de l'Église" qui fait autorité dans l'Eglise sur la doctrine sociale. Nous présentons ici  le texte intégral de la présentation qu'il a faite au "Séminaire de lancement - points clés pour un dialogue social européen", tenu à Malte les 2-3 décembre 2015. L'archevêque Crepaldi est président de la commission Caritas veritate du CECE (Conseil des Conférences Épiscopales de l'Europe).

Outre les regards théologiques avec en particulier le rappel que "le centre est Jésus Christ, par qui tout a été fait (Jn 1:3)", on notera le recul de Mgr Crepaldi sur les "interprétations scientifiques... toujours en cours de discussion". On entend déjà la critique de certains que Mgr Crepaldi appelle "ceux qui ont chanté les éloges de "Laudato si" bien trop à la hâte, espérant ainsi la tirer dans leur système de pensée, pour laquelle elle aurait constitué une sorte de confirmation". Ils seront tentés de dire que Mgr Crepaldi n'y connait rien.
C'est oublier que dans sa position de secrétaire du Conseil Pontifical Justice et Paix, il a été le seul, au Vatican, à organiser, en 2007, une confrontation contradictoire sur la question climatique. Il avait écouté les tenants des thèses scientifiques opposées et avait conclu de façon équilibrée [19]. Même l'Académie Pontificale des Sciences ne s'est jamais donnée la peine d'une telle confrontation, se contentant de faire appel aux seuls proches des thèses du Giec [20]. Mgr Crepaldi a donc très probablement une culture scientifique sur le sujet largement supérieure à tous les commentateurs qui n'ont probablement jamais lu eux-mêmes les rapports du GIEC. 
Mgr Crepaldi clôt aujourd'hui la question par cette évidence: "la perspective de Christ ne va dans aucune école de pensée humaine".

Source: Observatoire Cardinal van Thûan

Transcription "les2ailes.com"

Texte intégral de l'allocution de Mgr Crepaldi. La traduction n'est pas officielle et méritera d'être confirmée. Seules les mises en exergue de certaines citations sont celles de "les2ailes.com"

L'enseignement social de l'Église ressemble beaucoup à un fleuve majestueux coulant longuement et apportant toujours ses eaux au contact de nouveaux rivages. Rien en elle ne se perd : tout est préservé et rénové en même temps. La seule vraie façon de la conserver est de la renouveler et pour cela la vivre. L'enseignement social de l'Église, sur la question de l’écologie également, vient de loin [1] et a fait un long parcours dans le lit de ce grand fleuve. Maintenant que les eaux de cette rivière sont devenues plus profondes et que le trésor de cet enseignement s'est développé  en ampleur et en dimension, le Pape François récapitule, lance de nouveaux regards, les systématise vers le futur. Laudato sì, comme le Pape Francis l’a écrit, "est maintenant ajouté au corps de l'enseignement social de l'Église" [2]. La genèse de cette lettre Encyclique remonte loin en amont et  se prépare maintenant - ceci est notre espoir - pour nourrir la mer immense de la vie sociale en l’irriguant concrètement.

Cette métaphore du grand fleuve  est destinée à traduire en termes visuels la nature de la Doctrine Sociale de l'Église, qui est toujours égale à elle-même et toujours nouvelle [3]. En fait, c'est l'annonce du Christ [4] et le Christ n'est pas une figure remarquable du passé. À la lumière de la foi de l'Église, Il est vivant dans notre milieu aujourd'hui comme la vigne et les sarments.

La destination universelle des biens:  ...il ne s’agit pas seulement de biens matériels comme les ressources du sous-sol ou de la terre, mais aussi des biens intellectuels comme les résultats de la recherche, le know how d'entrepreneur et de l’économique, la science, l'art. Aujourd'hui ils s'appelleraient des biens immatériels.

La lettre Encyclique du Pape François Laudato sì sur le soin pour la maison commune, sur l'écologie [5] est alimenté par les principes majeurs de la Doctrine Sociale de l'Église. Parmi eux, outre le principe du bien commun [6], qui revêt dans le cas présent une importance considérable, il y a le principe de la destination universelle des biens créés. Je voudrais rappeler que, à la demande de Jean-Paul II, la commémoration du centenaire de Rerum novarum en 1991 devait avoir pour thème cette destination universelle des biens créés [7]. Dans l'esprit de saint Jean-Paul II, ce principe nécessitait devait être repensé et réactualisé sur deux sujets importants. Le premier était qu'ayant une destination commune il ne s’agit pas seulement de biens matériels comme les ressources du sous-sol ou de la terre, mais aussi des biens intellectuels comme les résultats de la recherche, le savoir faire de l'entreprise et de l’économie, la science, l'art. Aujourd'hui ils s'appelleraient des biens incorporels. Le deuxième était que la destination universelle des biens demandait la solidarité intergénérationnelle afin que chaque génération puisse laisser à ses propres fils une planète apte à être encore habitable par l'homme. Habitable n'a pas seulement un sens environnemental naturel mais aussi  environnemental humain.

Nous pouvons maintenant dire que l'encyclique Laudato si du Pape François, avec le recul de près de  vingt-cinq ans, reprend ces exigences et les porte à leur accomplissement [8]. Nous pouvons dire aussi qu'elle les porte à cet accomplissement toutes les deux dans leur interdépendance. Elle ne limite pas, en effet, à éviter à nos fils et petits-enfants une terre déshumanisée, non cultivée, non gérée avec justice pour le bien de tous. Le soin de la maison commune ne signifie pas abandon, négligence, ni renoncement au rôle de l'homme pour la faire rapporter à au profit de tous ni, encore moins, à un appauvrissement. Le soin de la maison commune appelle au savoir,  et à mélanger avec la prudence nécessaire, la science et la technique, l'économie et la production. En d’autres termes, elle appelle à penser comme choses à partager, comme étant à destination universelle, le savoir et la nature, les valeurs humaines et les ressources naturelles. Dans Laudato si, cet entrelacement d'éléments humains et naturels, spirituels et matériels est très évident et exigeant. Il se résume dans l'idée d’ "écologie intégrale" avec laquelle le Pape François reprend et retravaille le concept d’ "écologie humaine" de Jean-Paul II [9]. L' "écologie intégrale" exige une combinaison des connaissances et des lois de la nature, mais il demande une attitude morale et religieuse aussi vis-à-vis de la création. L'attitude morale et religieuse consiste dans le respect de la vie et de la famille avant tout. Jean-Paul II avait appris à parler d' "écologie humaine", en soutenant que la famille est la première structure d'une "écologie humaine". Il l'avait aussi fait en rappelant le devoir de respecter la vie. La société, écrivait-il dans Evangelium vitae, n'est pas un amas d'individus placés l'un à côté de l'autre[10] et le milieu naturel n'est pas seulement un amas de pierres. Il y a un ordre dans les choses qui nous parle, fruit de la sagesse et de l'amour du Créateur. Aussi , à plusieurs reprises, le Pape François parle, dans Laudato si, des exclus de la vie de ceux qui sont rejetés: les embryons humains, les bébés avortés avant de naître, les personnes âgées contraintes de quitter de la vie avec une "mort douce". Benoît XVI, dans Caritas in veritate, avait fait valoir qu'aucune attitude de véritable accueil et de soin n’est possible s'il y n'a pas avant tout le respect de la vie naissante et complémentarité dans le mariage, de laquelle naît la famille [11]. Maintenant, le Pape François développe tout ceci, en soutenant que l'écologie fait partie intégrante et concerne l'ensemble de la personne et et de toutes les personnes, et pas seulement la préservation de l'équilibre naturel, sinon, il y n'en aura pas non plus dans ce champ-là. Intégrale veut dire qu'elle est partout, sinon elle ne sera nulle part. Le monde est en effet non seulement un système d’interconnexions horizontales multiples mais encore plus verticales.

"Laudato si" n'est pas, à vrai dire, seulement une encyclique écologique mais une encyclique christologique... Beaucoup de commentateurs laïcs ont retenu une approche superficielle de "Laudato si," l’interprétation d’une encyclique placée au niveau des problèmes, d'une encyclique "laïque" tant dans la langue que dans des thèmes. Le Pape François accueille quelques interprétations scientifiques extrêmes et embrasse certaines des préoccupations d'aujourd'hui qui sont largement partagées, bien que toujours en cours de discussion....
Nombreux ont été ceux qui ont chanté les éloges de "Laudato si" bien trop à la hâte, espérant ainsi la tirer dans leur système de pensée, pour laquelle elle aurait constitué une sorte de confirmation. Mais ils ont été déçus, parce que la perspective de Christ ne va dans aucune école de pensée humaine.

Laudato si n'est pas, à vrai dire, seulement une encyclique écologique mais une encyclique christologique. Elle traite d'écologie mais dans une vision plus large, éminemment christologique. Comme Saint François [12], le Pape François voit aussi  la création comme éclairée par le Verbe et comme destinée à être récapitulée en Christ: "la destinée de la création entière passe à travers le mystère du Christ" [13]. Et, vraiment, cette vision catholique se distingue des nombreuses perspectives qui aujourd'hui sont présentes dans le domaine de la culture sociale. A une époque où, pour beaucoup de motifs, la théologie de la création reste un peu dans l’ombre, cette vision proposée par le Pape François dans le second chapitre de l'encyclique me semble de grande importance, en ce qu’elle attribue la création, lumière réfléchie, au Créateur, qui est lumière originaire et pleine. rPendant de nombreux siècles, on s’est efforcé de séparer la nature du Créateur, mais comme le dit le Concile : " la créature sans Créateur s’évanouit[14]. Ceci vaut aussi pour la considération du Créateur [15] , aujourd'hui très souvent simplement représenté dans la "nature". Ce que  veut nous dire le Pape François, c’est que la question écologique nous parle plus que d’écologie-même. Les crises de type matériel ne sont jamais seulement matérielles. Elles indiquent que l'homme a perdu non seulement le sens pratique, mais aussi la sagesse. Le Pape François parle d'un problème aujourd'hui ressenti par tous. Sur cela, le magistère s'était déjà prononcé mais pas en un sens si complet et organique. De cette manière, il se met sur le terrain de la sensibilité de l'homme contemporain, il parle de ce qui le soucie, donne le ton avec ses préoccupations vives pour ensuite élargir la vision du problème jusqu'à en faire, non pas le problème de l'homme, mais celui du Christ et de l'Évangile. En termes de méthodologie, c’est une dimension à ne pas sous-estimer. Beaucoup de commentateurs laïcs ont retenu une approche superficielle de Laudato si, l’interprétation d’une encyclique placée au niveau des problèmes, d'une encyclique "laïque" tant dans la langue que dans les thèmes. rLe Pape François donne beaucoup de crédit à certaines interprétations scientifiques et adopte certaines des préoccupations qui sont largement partagées aujourd'hui, bien que toujours en cours de discussion [15bis]. Néanmoins, au moment même où il approfondit le problème avec l'utilisation de tous les motifs possibles de la raison, il en propose une interprétation centrée sur le Christ, la place dans une vision puissante de foi et l'élève à une perspective sans précédent pour les "écologistes professionnels". Nombreux ont été ceux qui ont chanté les éloges de Laudato si bien trop à la hâte, espérant ainsi la tirer dans leur système de pensée, pour laquelle elle aurait constitué une sorte de confirmation. Mais ils ont été déçus, parce que la perspective du Christ ne va dans aucune école de pensée humaine.

"Laudato si"... n'offre pas d’indications pour des pratiques quotidiennes, mais développe "une spiritualité écologique" dont le centre n'est pas l'écologie; le centre est Jésus Christ, par qui tout a été fait (Jn 1:3)
Surgit ainsi une spiritualité écologique qui n'a rien à voir avec les tendances actuelles "new age", ou avec le nouveau consumérisme syncrétique écologiquement durable..

On peut voir comme caractéristique la plus approprié à Laudato si, le fait qu'elle n'offre pas d’indications pour des pratiques quotidiennes, mais développe une "spiritualité écologique" dont le centre n'est pas l'écologie; le centre est Jésus Christ, par qui tout a été fait (Jn 1:3). Il est nécessaire de promouvoir ce nouveau regard sur l'âme créée des choses qui sont à côté de nous et que nous utilisons chaque jour. Laudato si prête attention et s’appuie sur les questions en suspens d'économie, de finance et de politique et, en ce sens, porte sur les institutions. On avait reproché à Benoît XVI de ne pas avoir fait ainsi de façon opportune dans Caritas in veritate. L'encyclique, cependant, traite aussi des petits gestes quotidiens ordinaires que ce soit au travail, à la maison dans la famille ou pendant nos temps libres qui nous lient à l'environnement et, par cela, avec d'autres personnes et avec Dieu. Le point est le suivant: considérez que quand nous sommes liés aux choses, nous sommes aussi liés avec d'autres personnes et avec le Créateur. Surgit ainsi une spiritualité écologique qui n'a rien à voir avec les tendances actuelles "new age", ou avec le nouveau consumérisme syncrétique écologiquement durable. La durabilité dont parle Laudato si est une durabilité écologique, humaine et chrétienne.

La "conversion écologique": Cette expression a souvent été lue et comprise comme une conversion "à l'écologie", presque comme si la terre, la planète et les facteurs d'équilibre environnemental étaient l'objet de la conversion.
La conversion consiste dans l'observation de la création "en Dieu", dans Son plan de salut et à la lumière de sa providentielle volonté et non pas dans l'adhésion à des formes d'écologisme.

rSelon cette encyclique du Pape François, la "spiritualité écologique" devrait prendre une forme concrète de "conversion écologique" [16]. Cette expression a souvent été lue et comprise comme une conversion "à l'écologie", presque comme si la terre, la planète et les facteurs d'équilibre environnemental étaient l'objet de la conversion. Bien sûr, face à des comportements graves, méprisants et  nocifs pour la nature, il est possible de parler de la nécessité de changer la perspective générant notre action, en cela c’est une conversion. Ceci, cependant, doit être compris  dans un sens limité, dépourvu de la signification religieuse du mot tel qu'il est compris dans son contexte Chrétien. L'objet de cette conversion, cependant, ne concerne ni l'eau, qui doit être sagement utilisée, ni l’air, qui ne doit pas être pollué, parce qu'autrement cette perspective revient à diviniser la nature. L'objet de cette conversion est Dieu, qui exige aussi de nous un changement sur la considération de la création. rLa conversion consiste à observer la création "en Dieu", dans Son plan de salut et à la lumière de sa volonté providentielle et non pas dans l'adhésion à des formes d'écologisme. Ici aussi le modèle reste Saint François d'Assise [17].

Comme Laudato si la présente, la spiritualité écologique présuppose la perspective d'une "logique du don". Dans ce sens je vois une continuité plutôt significative entre Caritas in veritate [18] et Laudato si. Il est poursuivi et développé le principe que le recevoir précède le faire. Benoît XVI avait fait également ce raisonnement Chrétien avec la "logique du don" comme point de référence pour un renouvellement des institutions économiques, indiquant des itinéraires pour revoir nos concepts traditionnels quant à l'entreprise, aux entrepreneurs et au profit. La spiritualité de Laudato si, vue dans cet esprit, ne peut pas rester une spiritualité simplement intime et personnelle mais se développe, avec ses propres catégories, pour avoir un impact sur la construction de la société en général. Dès lors, la prière avec laquelle le Pape François conclut cette lettre encyclique devient une source d'espoir réel et concret, une espérance solide et "organisée" pour le bien de toutes les hommes.

Source: Version anglaise [21]


[1] Entre les principaux enseignements du  magistère précédents le Laudato si, nous rappelons au moins les suivants: Jean-Paul II, Lett. Enc. Centesimus annus, nn. 37-40; Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale de la paix, 1 janvier 1990: "Paix avec Dieu créateur, paix avec toute le création"; Conseil Pontifical pour la justice et la paix, Compendium de la Doctrine sociale de l'Église, nn. 451-487; Benoît XVI, Lett. Enc. Caritas in veritate, nn. 48-51. Retour article

[2] Laudato si, n. 15. Sull'enciclica Laudato si' du Pape François, on peut voir: D'ÉDITION, Lettre encyclique Laudato Si sur la sauvegarde de la maison commune, "Nova & Vetera", XC (2015, 3, pp. 245-250; FARES, Diego S.I., Pauvreté et fragilité de la planète, " La Civiltà Cattolica ", n. 3961, le 11 juillet 2015, pp. 23-34; LARIVERA, Luciano S.I., L'encyclique au-delà des critiques idéologiques, " La Civiltà Cattolica ", n. 3961, le 11 juillet 2015, pp. 23-34.; SPADARO, Antonio S.I., Laudatosi." Il guide à la lecture de l'encyclique de Pape Francesco, " La Civiltà Cattolica ", n. 3961, le 11 juillet 2015, pp. 3-22. Retour article

Le commentaire de Mgr Giampaolo Crepaldi, sur l'encyclique Laudato si, était très attendu puisqu'il a été le secrétaire du Conseil Pontifical Justice et Paix, et, à ce titre, il a été un des principaux auteurs du "Compendium de la Doctrine Sociale de l'Église" qui fait autorité dans l'Eglise sur la doctrine sociale. Nous présentons ici  le texte intégral de la présentation qu'il a faite au "Séminaire de lancement - points clés pour un dialogue social européen", tenu à Malte les 2-3 décembre 2015. L'archevêque Crepaldi est président de la commission Caritas veritate du CECE (Conseil des Conférences Épiscopales de l'Europe).

Outre les regards théologiques avec en particulier le rappel que "le centre est Jésus Christ, par qui tout a été fait (Jn 1:3)", on notera le recul de Mgr Crepaldi sur les "interprétations scientifiques... toujours en cours de discussion". On entend déjà la critique de certains que Mgr Crepaldi appelle "ceux qui ont chanté les éloges de "Laudato si" bien trop à la hâte, espérant ainsi la tirer dans leur système de pensée, pour laquelle elle aurait constitué une sorte de confirmation". Ils seront tentés de dire que Mgr Crepaldi n'y connait rien.
C'est oublier que dans sa position de secrétaire du Conseil Pontifical Justice et Paix, il a été le seul, au Vatican, à organiser, en 2007, une confrontation contradictoire sur la question climatique. Il avait écouté les tenants des thèses scientifiques opposées et avait conclu de façon équilibrée [19]. Même l'Académie Pontificale des Sciences ne s'est jamais donnée la peine d'une telle confrontation, se contentant de faire appel aux seuls proches des thèses du Giec [20]. Mgr Crepaldi a donc très probablement une culture scientifique sur le sujet largement supérieure à tous les commentateurs qui n'ont probablement jamais lu eux-mêmes les rapports du GIEC. 
Mgr Crepaldi clôt aujourd'hui la question par cette évidence: "la perspective de Christ ne va dans aucune école de pensée humaine".

Source: Observatoire Cardinal van Thûan

Transcription "les2ailes.com"

Texte intégral de l'allocution de Mgr Crepaldi. La traduction n'est pas officielle et méritera d'être confirmée. Seules les mises en exergue de certaines citations sont celles de "les2ailes.com"

L'enseignement social de l'Église ressemble beaucoup à un fleuve majestueux coulant longuement et apportant toujours ses eaux au contact de nouveaux rivages. Rien en elle ne se perd : tout est préservé et rénové en même temps. La seule vraie façon de la conserver est de la renouveler et pour cela la vivre. L'enseignement social de l'Église, sur la question de l’écologie également, vient de loin [1] et a fait un long parcours dans le lit de ce grand fleuve. Maintenant que les eaux de cette rivière sont devenues plus profondes et que le trésor de cet enseignement s'est développé  en ampleur et en dimension, le Pape François récapitule, lance de nouveaux regards, les systématise vers le futur. Laudato sì, comme le Pape Francis l’a écrit, "est maintenant ajouté au corps de l'enseignement social de l'Église" [2]. La genèse de cette lettre Encyclique remonte loin en amont et  se prépare maintenant - ceci est notre espoir - pour nourrir la mer immense de la vie sociale en l’irriguant concrètement.

Cette métaphore du grand fleuve  est destinée à traduire en termes visuels la nature de la Doctrine Sociale de l'Église, qui est toujours égale à elle-même et toujours nouvelle [3]. En fait, c'est l'annonce du Christ [4] et le Christ n'est pas une figure remarquable du passé. À la lumière de la foi de l'Église, Il est vivant dans notre milieu aujourd'hui comme la vigne et les sarments.

La destination universelle des biens:  ...il ne s’agit pas seulement de biens matériels comme les ressources du sous-sol ou de la terre, mais aussi des biens intellectuels comme les résultats de la recherche, le know how d'entrepreneur et de l’économique, la science, l'art. Aujourd'hui ils s'appelleraient des biens immatériels.

La lettre Encyclique du Pape François Laudato sì sur le soin pour la maison commune, sur l'écologie [5] est alimenté par les principes majeurs de la Doctrine Sociale de l'Église. Parmi eux, outre le principe du bien commun [6], qui revêt dans le cas présent une importance considérable, il y a le principe de la destination universelle des biens créés. Je voudrais rappeler que, à la demande de Jean-Paul II, la commémoration du centenaire de Rerum novarum en 1991 devait avoir pour thème cette destination universelle des biens créés [7]. Dans l'esprit de saint Jean-Paul II, ce principe nécessitait devait être repensé et réactualisé sur deux sujets importants. Le premier était qu'ayant une destination commune il ne s’agit pas seulement de biens matériels comme les ressources du sous-sol ou de la terre, mais aussi des biens intellectuels comme les résultats de la recherche, le savoir faire de l'entreprise et de l’économie, la science, l'art. Aujourd'hui ils s'appelleraient des biens incorporels. Le deuxième était que la destination universelle des biens demandait la solidarité intergénérationnelle afin que chaque génération puisse laisser à ses propres fils une planète apte à être encore habitable par l'homme. Habitable n'a pas seulement un sens environnemental naturel mais aussi  environnemental humain.

Nous pouvons maintenant dire que l'encyclique Laudato si du Pape François, avec le recul de près de  vingt-cinq ans, reprend ces exigences et les porte à leur accomplissement [8]. Nous pouvons dire aussi qu'elle les porte à cet accomplissement toutes les deux dans leur interdépendance. Elle ne limite pas, en effet, à éviter à nos fils et petits-enfants une terre déshumanisée, non cultivée, non gérée avec justice pour le bien de tous. Le soin de la maison commune ne signifie pas abandon, négligence, ni renoncement au rôle de l'homme pour la faire rapporter à au profit de tous ni, encore moins, à un appauvrissement. Le soin de la maison commune appelle au savoir,  et à mélanger avec la prudence nécessaire, la science et la technique, l'économie et la production. En d’autres termes, elle appelle à penser comme choses à partager, comme étant à destination universelle, le savoir et la nature, les valeurs humaines et les ressources naturelles. Dans Laudato si, cet entrelacement d'éléments humains et naturels, spirituels et matériels est très évident et exigeant. Il se résume dans l'idée d’ "écologie intégrale" avec laquelle le Pape François reprend et retravaille le concept d’ "écologie humaine" de Jean-Paul II [9]. L' "écologie intégrale" exige une combinaison des connaissances et des lois de la nature, mais il demande une attitude morale et religieuse aussi vis-à-vis de la création. L'attitude morale et religieuse consiste dans le respect de la vie et de la famille avant tout. Jean-Paul II avait appris à parler d' "écologie humaine", en soutenant que la famille est la première structure d'une "écologie humaine". Il l'avait aussi fait en rappelant le devoir de respecter la vie. La société, écrivait-il dans Evangelium vitae, n'est pas un amas d'individus placés l'un à côté de l'autre[10] et le milieu naturel n'est pas seulement un amas de pierres. Il y a un ordre dans les choses qui nous parle, fruit de la sagesse et de l'amour du Créateur. Aussi , à plusieurs reprises, le Pape François parle, dans Laudato si, des exclus de la vie de ceux qui sont rejetés: les embryons humains, les bébés avortés avant de naître, les personnes âgées contraintes de quitter de la vie avec une "mort douce". Benoît XVI, dans Caritas in veritate, avait fait valoir qu'aucune attitude de véritable accueil et de soin n’est possible s'il y n'a pas avant tout le respect de la vie naissante et complémentarité dans le mariage, de laquelle naît la famille [11]. Maintenant, le Pape François développe tout ceci, en soutenant que l'écologie fait partie intégrante et concerne l'ensemble de la personne et et de toutes les personnes, et pas seulement la préservation de l'équilibre naturel, sinon, il y n'en aura pas non plus dans ce champ-là. Intégrale veut dire qu'elle est partout, sinon elle ne sera nulle part. Le monde est en effet non seulement un système d’interconnexions horizontales multiples mais encore plus verticales.

"Laudato si" n'est pas, à vrai dire, seulement une encyclique écologique mais une encyclique christologique... Beaucoup de commentateurs laïcs ont retenu une approche superficielle de "Laudato si," l’interprétation d’une encyclique placée au niveau des problèmes, d'une encyclique "laïque" tant dans la langue que dans des thèmes. Le Pape François accueille quelques interprétations scientifiques extrêmes et embrasse certaines des préoccupations d'aujourd'hui qui sont largement partagées, bien que toujours en cours de discussion....
Nombreux ont été ceux qui ont chanté les éloges de "Laudato si" bien trop à la hâte, espérant ainsi la tirer dans leur système de pensée, pour laquelle elle aurait constitué une sorte de confirmation. Mais ils ont été déçus, parce que la perspective de Christ ne va dans aucune école de pensée humaine.

Laudato si n'est pas, à vrai dire, seulement une encyclique écologique mais une encyclique christologique. Elle traite d'écologie mais dans une vision plus large, éminemment christologique. Comme Saint François [12], le Pape François voit aussi  la création comme éclairée par le Verbe et comme destinée à être récapitulée en Christ: "la destinée de la création entière passe à travers le mystère du Christ" [13]. Et, vraiment, cette vision catholique se distingue des nombreuses perspectives qui aujourd'hui sont présentes dans le domaine de la culture sociale. A une époque où, pour beaucoup de motifs, la théologie de la création reste un peu dans l’ombre, cette vision proposée par le Pape François dans le second chapitre de l'encyclique me semble de grande importance, en ce qu’elle attribue la création, lumière réfléchie, au Créateur, qui est lumière originaire et pleine. rPendant de nombreux siècles, on s’est efforcé de séparer la nature du Créateur, mais comme le dit le Concile : " la créature sans Créateur s’évanouit[14]. Ceci vaut aussi pour la considération du Créateur [15] , aujourd'hui très souvent simplement représenté dans la "nature". Ce que  veut nous dire le Pape François, c’est que la question écologique nous parle plus que d’écologie-même. Les crises de type matériel ne sont jamais seulement matérielles. Elles indiquent que l'homme a perdu non seulement le sens pratique, mais aussi la sagesse. Le Pape François parle d'un problème aujourd'hui ressenti par tous. Sur cela, le magistère s'était déjà prononcé mais pas en un sens si complet et organique. De cette manière, il se met sur le terrain de la sensibilité de l'homme contemporain, il parle de ce qui le soucie, donne le ton avec ses préoccupations vives pour ensuite élargir la vision du problème jusqu'à en faire, non pas le problème de l'homme, mais celui du Christ et de l'Évangile. En termes de méthodologie, c’est une dimension à ne pas sous-estimer. Beaucoup de commentateurs laïcs ont retenu une approche superficielle de Laudato si, l’interprétation d’une encyclique placée au niveau des problèmes, d'une encyclique "laïque" tant dans la langue que dans les thèmes. rLe Pape François donne beaucoup de crédit à certaines interprétations scientifiques et adopte certaines des préoccupations qui sont largement partagées aujourd'hui, bien que toujours en cours de discussion [15bis]. Néanmoins, au moment même où il approfondit le problème avec l'utilisation de tous les motifs possibles de la raison, il en propose une interprétation centrée sur le Christ, la place dans une vision puissante de foi et l'élève à une perspective sans précédent pour les "écologistes professionnels". Nombreux ont été ceux qui ont chanté les éloges de Laudato si bien trop à la hâte, espérant ainsi la tirer dans leur système de pensée, pour laquelle elle aurait constitué une sorte de confirmation. Mais ils ont été déçus, parce que la perspective du Christ ne va dans aucune école de pensée humaine.

"Laudato si"... n'offre pas d’indications pour des pratiques quotidiennes, mais développe "une spiritualité écologique" dont le centre n'est pas l'écologie; le centre est Jésus Christ, par qui tout a été fait (Jn 1:3)
Surgit ainsi une spiritualité écologique qui n'a rien à voir avec les tendances actuelles "new age", ou avec le nouveau consumérisme syncrétique écologiquement durable..

On peut voir comme caractéristique la plus approprié à Laudato si, le fait qu'elle n'offre pas d’indications pour des pratiques quotidiennes, mais développe une "spiritualité écologique" dont le centre n'est pas l'écologie; le centre est Jésus Christ, par qui tout a été fait (Jn 1:3). Il est nécessaire de promouvoir ce nouveau regard sur l'âme créée des choses qui sont à côté de nous et que nous utilisons chaque jour. Laudato si prête attention et s’appuie sur les questions en suspens d'économie, de finance et de politique et, en ce sens, porte sur les institutions. On avait reproché à Benoît XVI de ne pas avoir fait ainsi de façon opportune dans Caritas in veritate. L'encyclique, cependant, traite aussi des petits gestes quotidiens ordinaires que ce soit au travail, à la maison dans la famille ou pendant nos temps libres qui nous lient à l'environnement et, par cela, avec d'autres personnes et avec Dieu. Le point est le suivant: considérez que quand nous sommes liés aux choses, nous sommes aussi liés avec d'autres personnes et avec le Créateur. Surgit ainsi une spiritualité écologique qui n'a rien à voir avec les tendances actuelles "new age", ou avec le nouveau consumérisme syncrétique écologiquement durable. La durabilité dont parle Laudato si est une durabilité écologique, humaine et chrétienne.

La "conversion écologique": Cette expression a souvent été lue et comprise comme une conversion "à l'écologie", presque comme si la terre, la planète et les facteurs d'équilibre environnemental étaient l'objet de la conversion.
La conversion consiste dans l'observation de la création "en Dieu", dans Son plan de salut et à la lumière de sa providentielle volonté et non pas dans l'adhésion à des formes d'écologisme.

rSelon cette encyclique du Pape François, la "spiritualité écologique" devrait prendre une forme concrète de "conversion écologique" [16]. Cette expression a souvent été lue et comprise comme une conversion "à l'écologie", presque comme si la terre, la planète et les facteurs d'équilibre environnemental étaient l'objet de la conversion. Bien sûr, face à des comportements graves, méprisants et  nocifs pour la nature, il est possible de parler de la nécessité de changer la perspective générant notre action, en cela c’est une conversion. Ceci, cependant, doit être compris  dans un sens limité, dépourvu de la signification religieuse du mot tel qu'il est compris dans son contexte Chrétien. L'objet de cette conversion, cependant, ne concerne ni l'eau, qui doit être sagement utilisée, ni l’air, qui ne doit pas être pollué, parce qu'autrement cette perspective revient à diviniser la nature. L'objet de cette conversion est Dieu, qui exige aussi de nous un changement sur la considération de la création. rLa conversion consiste à observer la création "en Dieu", dans Son plan de salut et à la lumière de sa volonté providentielle et non pas dans l'adhésion à des formes d'écologisme. Ici aussi le modèle reste Saint François d'Assise [17].

Comme Laudato si la présente, la spiritualité écologique présuppose la perspective d'une "logique du don". Dans ce sens je vois une continuité plutôt significative entre Caritas in veritate [18] et Laudato si. Il est poursuivi et développé le principe que le recevoir précède le faire. Benoît XVI avait fait également ce raisonnement Chrétien avec la "logique du don" comme point de référence pour un renouvellement des institutions économiques, indiquant des itinéraires pour revoir nos concepts traditionnels quant à l'entreprise, aux entrepreneurs et au profit. La spiritualité de Laudato si, vue dans cet esprit, ne peut pas rester une spiritualité simplement intime et personnelle mais se développe, avec ses propres catégories, pour avoir un impact sur la construction de la société en général. Dès lors, la prière avec laquelle le Pape François conclut cette lettre encyclique devient une source d'espoir réel et concret, une espérance solide et "organisée" pour le bien de toutes les hommes.

Source: Version anglaise [21]


[1] Entre les principaux enseignements du  magistère précédents le Laudato si, nous rappelons au moins les suivants: Jean-Paul II, Lett. Enc. Centesimus annus, nn. 37-40; Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale de la paix, 1 janvier 1990: "Paix avec Dieu créateur, paix avec toute le création"; Conseil Pontifical pour la justice et la paix, Compendium de la Doctrine sociale de l'Église, nn. 451-487; Benoît XVI, Lett. Enc. Caritas in veritate, nn. 48-51. Retour article

[2] Laudato si, n. 15. Sull'enciclica Laudato si' du Pape François, on peut voir: D'ÉDITION, Lettre encyclique Laudato Si sur la sauvegarde de la maison commune, "Nova & Vetera", XC (2015, 3, pp. 245-250; FARES, Diego S.I., Pauvreté et fragilité de la planète, " La Civiltà Cattolica ", n. 3961, le 11 juillet 2015, pp. 23-34; LARIVERA, Luciano S.I., L'encyclique au-delà des critiques idéologiques, " La Civiltà Cattolica ", n. 3961, le 11 juillet 2015, pp. 23-34.; SPADARO, Antonio S.I., Laudatosi." Il guide à la lecture de l'encyclique de Pape Francesco, " La Civiltà Cattolica ", n. 3961, le 11 juillet 2015, pp. 3-22. Retour article