"Ils sont inconsistants, tous ces gens qui restent dans l’ignorance de Dieu : à partir de ce qu’ils voient de bon, ils n’ont pas été capables de connaître Celui qui est ; en examinant ses œuvres, ils n’ont pas reconnu l’Artisan. C’est le feu, le vent, la brise légère, la ronde des étoiles, la violence des flots, les luminaires du ciel gouvernant le cours du monde, qu’ils ont regardés comme des dieux... S’ils ont poussé la science à un degré tel qu’ils sont capables d’avoir une idée sur le cours éternel des choses, comment n’ont-ils pas découvert plus vite Celui qui en est le Maître ?"
(Sagesse 13,1-9)

Les évêques réunis à Lourdes en novembre 2021, se sont saisis d’une réflexion reprenant la phrase de Laudato si : écouter « la clameur de la terre et la clameur des pauvres », 

Il y a dans ces deux expressions, une magnifique symbolique. Mais comme toute symbolique, elle nécessite une analyse équilibrée si on veut éviter deux confusions :

  • Dans ces deux clameurs, « tout est lié», comme le dit Laudato si. Mais cette relation n’est pas une relation de cause à effet entre notre capacité d'écouter la clameur de la Terre et celle des pauvres. Ce n’est pas une « relation accessoire », comme la qualifient les philosophes. Dans l'expression "tout est lié", il s’agit, disent-ils, d’une « relation essentielle » c'est-à-dire d’une dépendance vitale, en l’occurrence dans Laudato si, de la créature vis-à-vis de son créateur.
  • La création ne peut être considérée comme un simple objet. En effet, comme le dit Laudato si, « toute la réalité contient en son sein une marque proprement trinitaire» (LS § 239), il n’en demeure pas moins que considérer la terre comme un sujet capable de « clamer » son indignation serait risqué.

Essayons de voir en quoi. Nous nous appuierons, à dessein et à plusieurs reprises, sur deux conférences de carême intéressantes, données à Lyon les

Analyse : les2 ailes.com

1-    La "clameur de la terre"  

  1. Le caractère symbolique de l’expression
  2. Une clameur à ne pas confondre avec le cri des ONG ?

2-    La clameur des pauvres

  1. Celle des pauvres en biens matériels
  2. Celle des pauvres en dons spirituels

1-    La "clameur de la terre"

a.      Le caractère symbolique de l’expression

Le dictionnaire Littré évoque l’origine du mot clameur : Ensemble de cris tumultueux, souvent de mécontentement, de réprobation… Le synonyme, cri, est le mot général mais la  clameur le particularise. Le cri est la voix poussée avec effort, mais sans être nécessairement articulée. Un homme qui souffre beaucoup peut jeter des cris, mais non des clameurs. La clameur suppose toujours un sens et des paroles ; elle emporte l'idée de plainte, de demande, d'accusation, de réclamation, voire d'indignation.
Laudato si parle nous appelle à « écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres » (LS § 49).
L’encyclique reprend cette symbolique en parlant de « gémissements de sœur terre  qui se joignent au gémissement des abandonnés du monde, dans une clameur exigeant de nous un changement de direction » (LS § 53).
Il y a dans cette symbolique une reprise de l’expression de « gémissement de la terre » présente chez Saint-Paul (Rm 8, 26-27) et dans la prière chrétienne de Saint-François d’Assise avec la création (Loué sois-tu, Seigneur...). Ce sont des expressions ayant une lourde charge symbolique.
Ainsi Benoît XVI parle de «l’Esprit saint qui prie en nous par des gémissements inexprimables pour nous amener à adhérer à Dieu de tout notre cœur et de tout notre être » (catéchèse, audience du 16.5.2012).
Le Père Cantalamessa, commentait St-Paul en disant que « En tant que telle, [cette création] n’est pas en mesure d’espérer subjectivement, mais Dieu a en tête un rachat pour elle ». Le P. Cantalamessa distingue donc l’« homme », qui a fauté, du reste de « la création » qui, sans faute de sa part, n’a pas la capacité subjective d’espérer. C’est pourquoi, ajoute-t-il, la responsabilité des chrétiens vis à vis du monde est de « manifester, dès maintenant, les signes de la liberté et de la gloire auquel tout l'univers est appelé, en souffrant avec espérance. La souffrance de la création n’est donc pas tant celle du monde matériel qui n’a pas de subjectivité, mais bien de celle de l’homme »[3].
Le caractère symbolique de cette expression  « clameur de la terre » est donc d’emblée à souligner.
D’ailleurs, dans une belle conférence de carême à Lyon, le Père Michel Raquet a raison de recommander, en matière d’éducation, de développer chez les enfants, « à côté de la pensée discursive, la pensée symbolique, et ce qu’on appelle plus largement aujourd’hui l’intelligence émotionnelle » [4]. La parole de Dieu donne en effet une part importante à la symbolique.
Le Père Michel Raquet recourt à une autre expression symbolique de la Bible : « un cœur de chair et non un cœur de pierre » pour faire valoir l’idée que « la perception intellectuelle devient alors un ressenti, une émotion profonde »[5]. Certes, Il y a du vrai dans cette prédication, mais il faudrait éviter une forme de procès d’intention à celui qui attacherait de l’importance à l’analyse scientifique des faits : celui qui serait dissident quant au catastrophisme ambiant, aurait-il un cœur de pierre et non de chair ? Serait-il incapable "d’élargissement de sa conscience" une fois l’analyse avérée des faits ? Serait-il insensible à la clameur des pauvres ?  Bien sûr que l’accès au réel demande bien plus que le recours à une simple rationalité. Le père Raquet a raison de dire que « le réel a une profondeur. Il est épais, il est complexe. Il doit se comprendre sur plusieurs plans et non sur le simple plan de la rationalité technicienne »[6].
À juste titre, Mgr de Moulins Beaufort, dans son introduction du mercredi 3 novembre 2021, à Lourdes a  associé, comme objet de l’écoute de cette clameur, la terre et tout « ce vaste cosmos qui nous entoure et à travers lequel Dieu nous parle »[7]. Il renforce ainsi le caractère symbolique de cet appel à écouter la clameur de la terre, non pas en se culpabilisant, mais en contemplant le créateur de toute chose.  Cet élargissement souligne un caractère symbolique de cette expression qui nous aide à nous « laisser toucher par le créateur, la création et ceux qui l’habitent », comme le souligne le Père Duffé[8]. Laudato si évoque d’ailleurs cette conviction que « tout le cosmos rend grâce à Dieu » (LS § 236).

b.     Une clameur à ne pas confondre avec le cri des ONG ?

En effet, il y a un paradoxe à privilégier la sensibilité, tout en se faisant l’écho, dans les plus belles homélies sur la clameur de la Terre, des discours des ONG et des agences scientifiques internationales qui prédise un avenir catastrophique pour la terre : « le climat change depuis 20 ans, avec des conséquences de plus en plus visibles, que la biodiversité s’effondre aujourd’hui »[9]. Tous ces discours se fondent sur des affirmations prétendument scientifiques.
Il y a donc une forme de dialectique à vouloir opposer sensibilité et raison, par exemple quand Jacques Tassin dit que la sensibilité est une véritable voie de contact et de connaissance du réel que l’intelligence froide et conceptuelle ne remplace pas : «  S’il fallait opposer le sensible à la raison,  ce serait la distance à l’objet, car le sensible rapproche autant que la raison éloigne »[10]. Cette dialectique sert-elle à discréditer la raison quand les faits contredisent l’approche sensible dont rêve ceux qui se targuent de sensibilité ? Le caractère dialectique de cette opposition binaire entre sensibilité et raison ressort également du propos du Père Raquet : « si nous nous comportons mal, aujourd’hui avec la création, si nous avons du mal à changer notre façon d’être et nos priorités, c’est que nous manquons cruellement de sensibilité »[11]. Comme si, refuser certains éco-gestes inutiles relevait d’un « manque cruel de sensibilité ». Et si c’était, a contrario, une grande sensibilité à la clameur du pauvre qui pouvait amener à contester la manière dont nous recevons la clameur de la terre telle que certains idéologues veulent nous l’imposer ? 
Le Père Raquet fait l’analyse suivante : « notre modernité, à laquelle nous participons, a dévalorisé petit à petit la sensibilité »[12]. Mais, peut-être la postmodernité a-t-elle dévalorisé la raison pour laisser la place à des sciences idéologiques et des discours politiques fondés sur l’émotion et la peur. Le Père Raquet ajoute le constat d’un « paradigme du sérieux et de l’efficace » [13] qui contribue à révéler « la un monde qui n’en peut plus, qui ne respire plus, un monde devenu irritable » [14]. Certes, l’efficacité n’est pas une valeur éthique première, comme le serait la dignité de l’homme, la solidarité, etc…. Une morale de l’utilité n’est pas toujours une bonne morale. Mais si l’efficacité respecte les valeurs supérieures, elle devient une nécessité qui, si on la méprise, deviendrait coupable et source de toutes sortes de gaspillages. Car il est des faits qui peuvent être contredits par la raison. Il est paradoxal de dénoncer « les limites du système des experts et la difficulté de les faire dialoguer »[15], mais en même temps, de commencer les réunions pastorales par des interventions d’experts qui mettent en exergue les théories consensuelles catastrophistes et de ne rien faire dans l'Église pour donner la parole à des dissidents climatiques et profondément chrétiens.

Pourtant, au plan scientifique, un déficit de raison nous ramènerait à un comportement ressemblant à celui des géo-centristes opposés à Galilée. Ils croyaient que le soleil tournait autour de la terre. Aujourd’hui, les « carbo-centristes » croient que la cause humaine du réchauffement climatique est une chose entendue. Le dernier rapport du Giec « AR6 » n’a pourtant pas répondu à deux questions essentielles :

  • Pourquoi le Giec ne se fonde-t-il que sur 150 ans d’observations ? Seuls 1000 ans d'observations, reconstituées par la paléoclimatologie, peuvent expliquer les causes de la période chaude médiévale et du petit âge glaciaire.
  • Où sont les calculs de probabilité dans les modèles du Giec ? On en reste à la déclaration du rapport AR5 qui « ne distingue pas explicitement les probabilités "Objectives" et "Subjectives" » !

On est confondu quand le Giec reconnait que "dans la recherche et la modélisation du climat, ... nous avons affaire à un système chaotique, et la prévision à long terme des futurs états climatiques n'est pas possible"  et que leur modèle « n’exige ni n’implique que chaque aspect de la réponse au facteur causal en question soit correctement simulé» !
Il y a donc un paradoxe à dire dans une conférence de carême :« Ce n’est pas tout réduire à des calculs mathématiques et économiques voire politiques, ni cultiver d’ailleurs l’émotion pour l’émotion »[16], tout en se fondant sur le consensus de modèles mathématiques pour parler d’une « destruction de notre si belle planète » [17]!
Pourtant des milliers de publications attribuent la période chaude contemporaine à des variations d’activité solaire. Mais qu’importe, on se pose de moins en moins de questions. Galilée doit se retourner dans sa tombe !

Ne pas écouter un minimum sa raison pourrait bien nous rendre incapable d’entendre la clameur des pauvres :

2-      La clameur des pauvres

a.      Celle des pauvres en biens matériels

Sans un questionnement de la raison, qui entendra la clameur des africains qui nous interpellerons sur notre volonté de dé-carboner les économies, peut-être sans aucun fondement scientifique. Qui entendra la clameur de l’Afrique qui nous reprochera d’avoir ainsi rendu les pays pauvres encore plus pauvres en la privant, sans motif, d’une énergie abondante et bon marché, indispensable au développement.
Aujourd’hui, l’UE dépend à 80% des énergies fossiles. Après  avoir dépensé 1000 milliards d’€ en 20 ans, en éolien et solaire, nous en sommes à 2,5%. Samuele Furfari, fonctionnaire européen pendant 36 ans à la DG Énergie de la Commission européenne, connaît les chiffres : En Afrique, la consommation est de 700 kg d’équivalent  pétrole d’énergie/personne/an contre 3.300 Kg en Europe! 900 millions d’africains cuisinent avec des bouses animales séchées ou du bois vert, ou, si on est riche, avec du charbon de bois. Cela représente 60% de la consommation africaine d’énergie pour la cuisine dont 99% en Ouganda, à Madagascar ou au sud Soudan. En Europe, la consommation électrique est de 6100 kwh/habitant contre 530 en Afrique. 570 millions d’africains n’ont pas accès à l’électricité. Au Kenya, 65% des entreprises sont victimes de déclenchements de deux heures entre 4 et 14 fois par semaine.
Croit-on un instant que l’Afrique pourra se développer dans de telles conditions ? Ni l’éolien ni le solaire ne permettront de rattraper un tel retard. Et quand certains pays d’Afrique envisagent d’investir dans des barrages hydroélectriques, ou des centrales à charbon, les ONG et organisations financières s’insurgent au motif que ce serait contraire au « développement durable » !
Allons-nous entendre également cette clameur ? Ne nous méprenons pas : vouloir compenser ces stratégies économiques par des flux financiers destinés aux pays pauvres ne sera qu’un geste destiné à nous donner bonne conscience et une gigantesque hypocrisie : la France prétend déjà donner 12 milliards chaque année, alors qu’il s’agit de vieux flux accordés à travers l’Agence Française de Développement (AFD) qui ont été repeints à l’aune du climato-compatible. Entendrons-nous la clameur de la zambienne, Dambisa Moyo, qui dénonce une "aide fatale" qui encourage un cycle sans fin de corruption en Afrique.
Sans nier l’existence d’une pauvreté en Afrique et ailleurs, ces questionnements soulignent le risque de ne plus entendre la vraie « clameur des pauvres » si on accorder trop d’importance à une « clameur de la terre », « ou plutôt d’un cri des ONG » qui prétendent s’être  appropriés cette capacité d’écoute.

b.     Celle des pauvres en dons spirituels

Le Pape François disait le jeudi 25 juillet 2013, dans la Favella de Varginha (Manguinhos), lieu symbolique de la pauvreté s'il en est: "il est certainement nécessaire de donner du pain à celui qui a faim ; c’est un acte de justice. Mais il y a aussi une faim plus profonde, la faim d’un bonheur que seul Dieu peut rassasier. Faim de dignité. Il n’y a ni de véritable promotion du bien commun, ni de véritable développement de l’homme quand on ignore les piliers fondamentaux qui soutiennent une Nation, ses biens immatériels: la vie, qui est don de Dieu, valeur à préserver et à promouvoir toujours; la famille, fondement de la vie ensemble et remède contre l’effritement social; l’éducation intégrale, qui ne se réduit pas à une simple transmission d’informations dans le but de produire du profit; la santé, qui doit chercher le bien-être intégral de la personne, aussi dans sa dimension spirituelle, essentielle pour l’équilibre humain et pour une saine vie en commun; la sécurité, dans la conviction que la violence peut être vaincue seulement à partir du changement du cœur humain".

Saurons-nous également entendre la clameur de ceux qui recherchent le bien-être intégral de la personne dans sa dimension spirituelle ? La pauvreté spirituelle de nos contemporains en occident génère une clameur que nous ne savons plus entendre : suicide des jeunes, perte de sens au point de ne plus vouloir avoir d’enfants –souvent d’ailleurs au prétexte de sauver la planète-, dépressions nerveuses et consommation de drogues, etc…

Combien de jeunes ont-ils conscience du plan divin pour chacun d'eux ? Saint-Irénée dit que « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne dieu ». Qui s’emploie à annoncer cette bonne nouvelle, nouvelle absolument incroyable ?

Conclusion

En ces temps où l'Église fait repentance de sa « responsabilité collective » dans les agressions sexuelles pratiquées par certains de ses prêtres, on est admiratif des déclarations de nos pasteurs, comme celle de Mgr Leborgne, vice-président de la conférence des évêques de France et évêque d'Arras. Sur radio Vatican le 9 novembre 2021 [18],  Mgr Leborgne témoignait en écoutant à Lourdes les témoignages de victimes,de sa « peur de perdre ». Il se demandait « qu’est-ce que tu risques de perdre ? … Et tout d’un coup, en écoutant les victimes, leur besoin, leur cri, on n’a plus peur de se dire « mais qu’est-ce qu’on va faire et qu’est-ce qu’on risque? ». Cette écoute est profondément évangélique… À un moment, on nous a dit : « Mais est-ce que ce ne sont pas les medias qui vous stressent ? » Bien sûr, mais on est absolument convaincu que c’est le Seigneur qui nous appelle aujourd’hui ».  
Monseigneur de Moulins Beaufort disait la même chose en parlant de la crédibilité de l’Eglise : «  La question n’est pas celle de l’image de l’Église et de sa crédibilité. Mon seul objectif est de restaurer la possibilité pour les gens de rencontrer le Christ… L’Église, en tant que telle n’est pas mon souci. … L’enjeu de demain, c’est que les hommes et les femmes autour de nous puissent de nouveau ­rencontrer le Christ. Ce qui compte n’est pas l’Église, c’est le Christ »[19].
On peut s’interroger si, dans quelques années, l'Église ne devra pas, sur la thématique de l’Écologie, toute proportion gardée bien sûr, faire repentance pour l’absence de libération de la parole en matière d’écologie. Nous acceptons, bien sûr le caractère disproportionné de cette comparaison tant les agressions sexuelles ont un caractère insupportable. Mais si l'Eglise a craint l'image qu'elle donnait, que  penser aujourd'hui de son refus d’accepter le témoignage contradictoire de scientifiques dissidents qui ne partagent pas le consensus ambiant sur le catastrophisme planétaire ? De quoi l'Église a-t-elle peur ? De l’image qu’elle donnerait à organiser des débats contradictoires ? D’une pression des medias si Elle ne suivait pas aveuglément le consensus du monde en la matière ? La jeunesse d’aujourd’hui n’est-elle pas la grande victime de cette collaboration avec la peur qui la conduit consciemment ou inconsciemment à refuser d’avoir des enfants pour sauver la planète ? Car oui, les jeunes de 12 à 18 ans ont peur et ils en témoignent même dans les lettres qu’ils envoient à leur évêque pour demander la confirmation ! Attention à ce que l'Église, n’instrumentalise pas les jeunes dans les paroisses et les aumôneries, en insistant trop sur l’écoute de  la « clameur de la Terre », comme pour se rassurer elle-même. L'Église-elle prête à écouter la « clameur des pauvres en spiritualité », plutôt que de collaborer avec une peur incompatible avec l’évangélisation. Ce sont les plus jeunes qui seront victimes de cette posture, souvent prise par souci de préserver l’image médiatique de l'Église.
L'auteur de cette chronique ne se sent "ni pur, ni pauvre, ni bon" pour dénoncer le péché de l'Eglise dans sa pastorale écologique qui collabore avec la peur. Il se permet de reprendre un extrait de l'homélie prononcée à Lourdes par Mgr André Dupuy le 7.11.2021. Il citait Carlo Carretto, disciple de Charles de Foucault, fondateur des petits frères de l'Evangile: 
« Église, combien tu es contestable et comble ien je t’aime ; combien tu m’as fait souffrir et combien je te suis redevable. Que de fois tu m’as scandalisé ; et pourtant tu m’as fait comprendre la sainteté … Non ce n’est pas mal de critiquer l'Église quand on l’aime ; c’est mal de la contester quand on se tient sur la touche comme des purs. Non ce n’est pas mal de dénoncer le péché et ses dépravations ; mais c’est mal de les attribuer seulement aux autres et de se croire innocents, pauvres et bons ! » [20]
Mgr Dupuy ajoutait que Carlo Carretto n'a "jamais couvert de silence ce qui devait être connu". Son authenticité séduisait Mgr Dupuy: "C'est au nom de l'authenticité que Jésus fustige hypochrisie du gratin religieux de Jérusalem... Dans un monde où la parole de Dieu est de moins en moins entendue, se laisser nourrir par elle reste le seul moyen  de changer en eaux vives la mer morte qu'est devenue notre société. Pour nous chrétiens, c'est un devoir d'être authentique, d'avoir la passion et le courage de l'authenticité". Peut-on  parler d'authenticité dans nos pastorales écologiques? Sommes nous sûrs que nos pastorales n'encombrent pas nos efforts pour faire entendre la parole de Dieu? Choisissons-nous l'authenticité en matière d'évangélisation ou la cohérence avec les discours du monde?



[1] Conférence de carême de Bruno-Marie Duffé à Lyon, le Dimanche 14 mars à 15h30 avec le père Bruno-Marie Duffé (secrétaire du dicastère pour le service du développement humain intégral au Vatican), sur le thème : Écologie et fraternité. Fruit de la terre et du travail des hommes:

8 :02 « Merci Monseigneur pour ce mot d’accueil… Je suis heureux de partager avec vous, à travers cette conférence, cette mission que le Saint-Père m’a confiée, il y a maintenant quatre ans, pour organiser, piloter, … avec le Cardinal Turkson. Nous essayons, l’un et l’autre, avec une équipe de 60 personnes,  de recevoir, comprendre,  analyser, proposer  accompagner un certain nombre de demandes, de propositions pastorales pour les églises du monde entier sur ces questions d’écologie, de solidarité et de fraternité.
9 :10 Donc, ce que je vais vous proposer, c’est aussi mon travail de chaque jour. Je dédie en particulier cette conférence à des personnes qui sont en grande maladie, en grandes souffrances et qui nous sont confiées depuis mon arrivée hier soir de Rome. Une pensée plus particulière pour un ami qui m’est cher et m’est proche, et qui est évêque dans la région du Tigrée en Éthiopie et qui vit actuellement un drame épouvantable. Il s’agit d’un synode intercommunautaire entre Chrétiens et Erythréens. On peut dire qu’on a dans cette région du monde une guerre épouvantable qui ressemble à un génocide. Et je porte une attention particulière pour Mgr Basile qui est évêque dans cette région.

10 :34 ; Frères et sœurs, vous aurez retenu dans le titre de cette conférence, un fragment de la belle évocation que nous prononçons dans la célébration de l’Eucharistie. « Tu es bénis, Dieu de l’Univers, Toi qui nous donne ce pain, fruit de la terre et du travail des hommes ». Et c’est précisément au moment de l’offrande du pain, symbole essentiel de notre condition humaine, de nos échanges, de notre mémoire du Christ qui s’est donné pour nous comme frère et comme Sauveur : « Tu es bénis, Dieu de l’Univers, Toi qui nous donne ce pain, fruit de la terre et du travail des hommes. Nous te le présentons, il deviendra pour nous le pain de la vie » … Le pain de la Vie ! Invocation qui unit le créateur, la terre,  et l’humanité, dans cette communauté trinitaire et qui donne pleine mesure au mémorial grâce auquel nous actualisons et annonçons le geste même du Christ qui s’offre, qui offre son corps comme pain de vie.

Peut-être que le sous-titre vous aura-t-il interrogé. « Conversion écologique, communion et Fraternité ». Quel rapport, en effet, peut-on poser entre le rite eucharistique et la conversion de nos comportements pour le soin de la Terre ? Y  a-t-il un lien entre l’écologie et la communion fraternelle ? Les mots que nous utilisons sont évidemment marqués par leur histoire et par le sens que nous leur donnons habituellement. Et c’est sans doute le paradoxe de la communication qui est toujours, nous le savons, une chance et un risque. Je prends un risque en vous parlant de tout cela. Car chacun entend le message dans sa propre langue. Ainsi que le soulignait le texte des actes des apôtres au chapitre 2. Si l’on perçoit aisément le lien entre le pain consacré et la communauté fraternelle de ceux qui le partagent et en vivent, il est peut-être moins évident de relier la pensée de la création, l’écologie que nous qualifions d’intégrale dans la pensée de l'Église, de la doctrine récente de l'Église Catholique, et la fraternité, c'est-à-dire la reconnaissance mutuelle et la joie du vivre ensemble.

13 :34 C’est pourtant bien ce qui se dégage de la lecture en écho des deux encycliques de notre Pape François, Laudato si sur la sauvegarde de la maison commune, publiée en mai 2015 et Fratelli tutti sur la fraternité et l’amitié sociale publiée en octobre 2020. L’une et l’autre réflexions déploient en effet, ce que j’appellerais une pensée de la réconciliation avec la Terre et avec les Frères : Laudato si, Fratelli tutti, réconciliation avec la Terre, réconciliation avec les Frères. En cela, nous avons affaire à une même inspiration qui tend à réunifier et à unifier les deux dimensions essentielles de notre tradition chrétienne, la contemplation et l’amour fraternel, le christianisme de la louange- Laudato si- et le christianisme de la rencontre de la solidarité et de la paix. Mes amis, nous avons trop souvent opposé ces deux christianismes, le christianisme de la contemplation et le christianisme social. Il est temps de les réconcilier. Cette réconciliation qui sont les deux moments essentiels ou les deux moments de notre respiration chrétienne apparait comme un défi majeur de notre temps et de notre Église. Pour tenter d’éclairer ce lien, et d’en faire un appui pour notre chemin de carême,  à la veille de Pâques, temps de conversion et temps de partage fraternel,  temps de jeûne, de prière,  et d’amour des frères., nous nous proposons de mettre en perspective trois séries de considérations qui nous paraissent constitutives de notre acte de foi dans les temps que nous vivons.

15 :52  D’abord la conversion dont nous parlons, comme redécouverte de la terre et redécouverte de l’humanité, avec cette triade fondatrice que de toute évidence nous avons perdu, ou en tous cas malmenée : la relation avec Dieu, la relation avec la terre et la relation avec l’autre.

La seconde série de réflexion sera pour dire que le fruit de la terre est appelé à devenir un pain de communion. Ce que nous faisons avec le fruit de la terre nous invite à vivre la communion. Le pain partagé en mémoire du Christ, fait de nous les membres de son corps donné et nous réapprend la fraternité.

Enfin, l’avenir de la terre et l’avenir de la communauté humaine sont entre nos mains.  Nous sommes appelés à prendre soin du jardin et à offrir une espérance au monde. Je pèse ces mots en ces jours où nous vivons encore dans l’inquiétude de l’avenir, où cette inquiétude est à l’intérieur de chacune de nos pensées. Je pense aussi à ceux qui soignent en cet instant. Je pense aussi à ceux qui ont la redoutable tâche de décider pour l’avenir. Essayons d’approfondir cela.

17 :29  Premier temps : renouveler notre regard. La conversion à laquelle nous sommes appelés est d’abord une redécouverte de la terre et de notre humanité. Nous devons dire que nous venons d’une époque, une culture dominante et dominatrice qui a réduit notre approche de la terre à la seule visée instrumentale et qui en a fait une matière à transformer et à produire. En l’espace de quelques générations nous sommes passé du regard sur une terre-mère -une terre maternelle ce que nous ont réappris encore récemment nos communautés indigènes-  nous sommes passé du regard sur une terre-mère que nos grands-parents et nos parents affectionnaient dans l’activité agraire qui marquait leur existence. Nous sommes passés de ce temps d’une relation avec la terre et aux saisons à une visée utilitaire et bien souvent violente à une terre-matière et non plus mère, dont nous voulons tirer toujours plus de produits et de bénéfices rapides. Nous avons, du même coup, perdu le regard de l’étonnement et de l’admiration devant le rythme des saisons, le mouvement de la mer, la beauté mystérieuse des forêts. La logique de l’appropriation et des intérêts immédiats nous ont conduit à augmenter la capacité de nos machines toujours plus, et cela a entraîné un épuisement des hommes. Les hommes suivent la machine et s’épuisent à la suivre, un épuisement des hommes, des femmes, et parfois, même, des enfants. Pour un toujours plus et un écart toujours plus grand entre ceux qui ont, ceux qui ont tiré bénéfice de ces productions, et ceux qui n’ont pas. Ceux qui bénéficient du « progrès » et ceux qui sont laissés sur le bord du chemin.  L’appel à poser un nouveau regard sur le donné de la création apparait donc comme le premier pas de notre conversion en ces temps. La référence au cantique des créatures  de Saint-François d’Assise qui inspire la réflexion du Pape François sur la conversion à une écologie intégrale nous appelle à regarder, à écouter, à vibrer, à comprendre d’une manière nouvelle ce qui nous est donné chaque matin que nous vivons. « Très haut, tout-puissant, bon Seigneur », dit Saint-François d’Assise, « à toi sont les louanges, la gloire et l’honneur, et toute bénédiction. À toi seul, Très-Haut, ils conviennent, et nul homme n’est digne de te nommer.  Loué sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures, spécialement messire frère soleil, qui est le jour, et par lui tu nous illumines. Et il est beau et rayonnant avec grande splendeur, de toi, Très-Haut, il porte le signe. Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur lune et les étoiles, dans le ciel tu les as formées claires, précieuses et belles.  Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère vent, et pour l’air et le nuage et le ciel serein et tous les temps, par lesquels à tes créatures tu donnes soutien.  Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur eau, qui est très utile et humble et précieuse et chaste. Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère feu, par lequel tu illumines la nuit, et il est beau et joyeux, et robuste et fort. Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la terre, qui nous soutient et nous gouverne, et produit divers fruits avec les fleurs colorées et l’herbe. Loué sois-tu, mon Seigneur, pour ceux qui pardonnent par amour pour toi et supportent maladies et tribulations. Heureux ceux qui les supporteront en paix, car par toi, Très-Haut, ils seront couronnés.  Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mort corporelle, à qui nul homme vivant ne peut échapper. Malheur à ceux qui mourront dans les péchés mortels, heureux ceux qu’elle trouvera dans tes très saintes volontés, car la seconde mort ne leur fera pas mal. (14) Louez et bénissez mon Seigneur, et rendez-lui grâces et servez-le avec grande humilité ».

23 :20 Je voulais simplement que nous partagions à nouveau ce cantique des créatures, dans notre carême, comme redécouverte d’une création qui  nous est donnée. Et comme disent certains philosophes, cette lumière du matin qui est comme une bénédiction.  Commencer par le regard et l’écoute, par la louange et l’admiration, cela pourra sembler comme décalé, j’en ai conscience, à ceux pour qui la seule perspective aujourd’hui et demain, est l’avoir ou le pouvoir. A quoi sert de poser le regard à quoi sert de contempler ce qui nous est donné, à quoi sert d’écouter celui ou celle qui vient jusqu’à nous, proche ou étranger, avec son histoire singulière, son espoir d’être reconnu. La contemplation dont nous parle le chapitre 2  de Laudato si n’est pas une fuite devant les choix de la vie quotidienne, devant les décisions de l’action que nous devons assumer. La contemplation consiste à recevoir,  et à se laisser toucher par le créateur, la création et ceux qui l’habitent, par les vivants qui s’y déploient et par ceux qui souffrent et qui tentent de survivre.  Se laisser toucher ! C’est un mot clé de notre Pape François. Se laisser toucher ! Sans doute d’ailleurs, dans notre réflexion autour de l’épidémie, de la crise sanitaire, avons-nous redécouvert l’importance de se laisser toucher par le regard, par l’attention, par la présence partagée. Je pense ici aux plus âgés d’entre nous et je pense aussi aux enfants. Il convient donc de parler de regard contemplatif d’une autre intelligence, d’une autre manière de comprendre au sens premier du terme, prendre ensemble,  ou embrasser. Le message que porte tout vivant depuis l’herbe la plus humble, le grain de blé, la fleur, l’abeille, jusqu’à celui ou celle qui prend soin du jardin, qui produit, qui transforme, s’efforçant à valoriser ce qui est en germe et de procurer à la communauté ce qu’il faut pour que chacun vive. « Tu es béni, Dieu de l’Univers, grâce à toi, la terre et l’homme peuvent produire le pain, fruit du jardin que tu nous as confié et de la main humaine que tu ne cesses d’inspirer et de conduire.
Entendu comme l’expérience à la fois sensorielle et spirituelle, physique et intérieure, la contemplation est une patience, et Dieu sait si nous manquons de patience. La contemplation est une patience, c'est-à-dire une émotion, une inscription dans le temps qui nous permet de recevoir l’autre comme un don, l’autre qu’est la nature elle-même et l’autre humain qu’est notre frère notre sœur, notre ami. La contemplation ne saurait être une inaction. C’est plutôt une relation qui nous fait entrer dans la présence du créateur au sein de toute existence.  La conversion écologique et fraternelle nous conduit, du coup, à regarder l’autre comme une chance. Je suis heureux que tu sois là. Ta présence est pour moi une chance et non comme une menace. Encore moins regarder l’autre comme un objet.

27 :39 Le chapitre 2 de l’encyclique Laudato si, au titre évocateur puisqu’il s’intitule « l’évangile de la création », invite à une nouvelle lecture du monde et de l’existence humaine. Il souligne cette conviction qui est au cœur même de notre foi et la confiance que la foi inspire. Je cite : « le créateur peut dire à chacun de nous, avant même de te former au cœur du ventre maternel, je t’ai connu ». Comme vous le savez, c’est une référence au prophète Jérémie (chap.1er du livre de Jérémie) . Nous avons été conçu dans le cœur de Dieu et donc, chacun de nous est le fruit d’une pensée de Dieu », continue le Pape François, « Chacun de nous est voulu, chacun est aimé, chacun est nécessaire ». La dernière phrase est une phrase empruntée au pape Benoît 16 dans une homélie qu’il avait prononcé en avril 2005. Toujours dans le texte de Laudato si, nous pouvons lire « le récit de la création suggère que l’existence humaine repose sur trois relations fondamentales, intimement liées : la relation avec Dieu,  avec le prochain, et avec la terre. Selon la bible, les trois relations vitales ont été rompues, non seulement à l’extérieur, mais à l’intérieur de nous.  Cette rupture est ce que nous appelons le péché. L’harmonie entre le créateur, l’humanité et l’ensemble de la création a été détruite par le fait de vouloir prendre la place de Dieu en refusant de nous reconnaître comme des créatures, avec nos limites » (Ls § 66). Le regard qui conduit à la conversion, à la redécouverte de la terre et de notre humanité trouvent leur inspiration dans le regard même du Christ. Lui-même pose son regard sur ceux qui sont sur son chemin. En regardant ceux qui espèrent comme ceux qui désespèrent, il amie, il prend soin. Il relève. J’ai souvent dit aux soignants : « vous participez à la mission de Jésus. Certains étaient un peu surpris que je leur dise cela.  Jésus est un soignant, et, dans les premiers temps de l'Église, on parlait du « le Christ médecin ». Oui, à ceux qui désespéraient, comme à ceux qui espéraient, Il a posé Son regard. Il a pris soin et il a relevé. Il a tendu la main pour que ceux qui étaient avec lui et devant lui se lèvent. Son regard et sa parole sont habités par l’amour et par l’amour seul. En redécouvrant la terre et notre humanité, c’est à l’amour que nous sommes appelés, un amour qui considère. Je rappelle que considérer, étymologiquement, signifie s’asseoir avec quelqu’un. La considération n’est pas une abstraction. La considération, c’est s’asseoir à côté de quelqu’un, parfois silencieusement, pour lui montrer  et offrir notre présence. Un amour qui transforme nos intérêts, nos interprétations. Un amour inspiré par la présence et l’expérience du Christ. Cet amour qui est une folie aux yeux du monde, mais qui est la « sagesse aux yeux de Dieu » pour reprendre l’expression de Saint-Paul (1 Cor).

31 :42   Dans le contexte de la crise sanitaire que nous vivons, dans laquelle nous tentons de vivre tant bien que mal, avec espérance, contre toute espérance, nous savons que cet amour, comme tout amour, se traduit de manière concrète par l’offre respectueuse, j’allais dire amoureuse,  de la considération pour les souffrants. Par la main ouverte et experte des soignants et par l’accompagnement doux et patient des proches. Nous avons besoin des uns et des autres et nous sentons la complémentarité des compétences et des expériences entre ceux qui ont appris et qui savent offrir le soin, et ceux qui peuvent offrir l’accompagnement. Les uns et les autres, nous sommes ensemble dans l’expérience de cette traversée. Mis également, nous sentons l’importance d’un appel au partage, partager pour vivre, pour revivre. Partager les biens collectifs, partager les vaccins, partager les thérapeutiques, partager les moyens sanitaires dont nous pouvons disposer, mais aussi partager nos approches de la santé avec une économie nouvelle qui n’épuise pas les personnes, mais qui les valorise. Une économie qui consent à innover à investir pour l’avenir de la planète, et pour l’avenir de la vie sur cette planète, et pour l’avenir de la communauté humaine, une agriculture de qualité, des énergies renouvelables, un nouveau mode de construction de nos maisons, un nouveau mode d’organisation de nos transports, une éducation qui donne le goût aux enfants et aux jeunes de prendre soin de l’environnement,  un art –on n’y pense pas souvent- d’artistes qui prennent soin et nous offre un nouveau regard, une expression de la beauté. De tout cela nous avons besoin, aujourd’hui comme hier. Le terme écologie, comme vous le savez,  a pour racine deux mots grecs, oikos qui veut dire la maison, et logos qui signifie la connaissance. Ainsi, parler d’écologie intégrale, comme le propose le Pape François dans le chapitre 4 de Laudato si, c’est parler de notre manière de construire et d’habiter notre maison commune, la planète, notre ville, notre quartier, notre immeuble, notre village, la demeure familiale qui est la nôtre, la demeure communautaire que nous voulons  chaleureuse, rassurante. Le tissu complexe est toujours nouveau de nos solidarités et de nos amitiés.

Comme l’a exprimé un philosophe célèbre, contemporain, Martin Heidegger, dans une de ses conférences des années 1920 « habiter, bâtir, penser » : « Nous construisons nos maisons, nos institutions, à la manière dont nous les habitons » Il nous faut d’abord habiter, et nous allons construire ce qui nous est nécessaire pour habiter ensemble. La présence partagée prime sur le faire et sur la construction. Et quand la présence fait défaut,  quand l’attention fait défaut, nos constructions, nous le savons, deviennent fragiles et nos maisons peuvent s’écrouler pour reprendre l’image que nous trouvons au chapitre 7 de l’évangile selon St-Mathieu, à propos de l’homme qui a construit sa maison sur du sable.  Au demeurant, c’est la même racine oikos avec laquelle nous avons construit le mot économie, l’économie étant l’organisation de nos échanges, de notre production, tout ce qu’il nous faut pour offrir les uns aux autres ce dont nous avons besoin pour vivre. Et il y a un troisième terme qui est bâti sur la même racine,  c’est le mot œcuménisme. L’œcuménisme, c’est le dialogue et c’est la manière de vivre ensemble, différentes religions chrétiennes, la même maison de Dieu, la même communauté des croyants. En d’autres termes, notre maison commune, notre monde sont à l’image de notre terre intérieure : ou bien un lieu fermé, ou bien un lieu ouvert à l’autre. C’est exactement la ligne qui traverse l’encyclique Fratelli tutti. Un monde centré sur le JE, ou un monde ouvert sur le NOUS. Choisir le monde du NOUS, et rompre avec la seule logique individualiste du JE. Ce sont les chapitres 3 et 4 de Fratelli tutti.

37 :15  Dans l’évangile selon Saint-Jean, au chapitre 14, on parle de la demeure qu’est notre existence, notre communauté humaine ; et ce mot demeure a un sens très fort car il met en lumière que notre existence, notre vie personnelle, et notre vie communautaire, est le lieu où vient habiter notre Dieu, un Dieu d’amour ; et nous savons que celui qui garde la parole, c'est-à-dire qui se souvient du Christ et qui vit cette parole comme un amour, celui-là devient la demeure de Dieu au milieu des hommes. Jésus dit : « nous viendrons chez lui, nous ferons chez lui notre demeure ». La demeure du Père et du Fils, le signe d’une communauté de paix, où chacun peut venir et revenir. Il y a des personnes qu’on a tellement de plaisir à retrouver parce qu’elles raisonnent la paix. C’est de cette demeure-là dont parle Saint-Jean Cette demeure nous fait également pensé à la maison où le Père du prodigue attend son fils. Je cite Saint-Jean : « si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole. Mo Père l’aimera ; nous viendrons vers lui ; nous ferons une demeure chez lui ; je vous laisse ma paix, c’est ma paix que je vous donne ». Le regard nouveau et la relation nouvelle avec le Père, la Terre et le frère qu’engendre le chemin pour une conversion intégrale, trouvent leur expression plénière dans la manière juste, humble et joyeuse d’habiter la création, d’en prendre soin et d’habiter la maison commune en frère et sœur, grâce à la Parole et la confiance. Ainsi, l’écologie pensée comme relation de paix,  et l’amour fraternel vécu comme joie sont liés d’une manière vitale pour aujourd’hui et pour demain. La belle symbolique des racines dont parle également le Pape François, en particulier dans l’exhortation pour les jeunes, nous enseigne que nous sommes d’autant plus épanouis et ouverts aux autres que nous prenons soin de nos raines, car nous puisons dans notre mémoire, dans l’humus de ce que nous avons reçu et dans la tendresse de celles et de ceux qui nous ont porté, qui nous ont encouragé dans l’attention et dans la foi. Et nous comprenons que notre être, à la manière de la fleur ou de l’arbre, se renouvelle sans cesse quand nous laissons monter en nous la sève de la grâce de Dieu qui est toujours un appel à la vie. Dans cette exhortation Christus vivit, adressée aux jeunes, le Pape François s’exprime ainsi : « les racines ne sont pas des ancres qui nous enchaînent à d’autres époques et nous empêchent de nous incarner dans le monde actuel pour faire naître quelque chose de nouveau. Ces racines, au contraire, sont un point d’ancrage qui nous permet de nous développer et de répondre à de nouveaux défis ».

40 :49 Je ponctue cette réflexion en proposant la synthèse suivante : dans la vie de nos racines, dans notre héritage de la création, et dans le pain que nous partageons  la mémoire de Jésus, le pain eucharistique, il y a la promesse de la vie. Dans la rencontre des frères, il y a la parole donnée et il y a le pardon, la parole qui relie et qui réconcilie. Promesse, parole, pardon font venir à la vie une création nouvelle qui nous ouvre à une présence signe de joie pour tous.

41 :27  Cela me conduit à une seconde série de réflexions : la communion et le bien commun, le fruit de la terre et du travail des frères, appelés à devenir pain de la communion. Le chapitre 2 du livres des actes des apôtres présente la première communauté chrétienne, ou la communauté chrétienne prototypique, c'est-à-dire modèle, en disant : « ils se montraient assidus à l’enseignement des apôtres, fidèles à la communion fraternelle,  à la fraction du pain et aux prières. La crainte s’emparait de tous les esprits. Nombreux étaient les prodiges et les signes accomplis par les apôtres. Tous les croyants mettaient en commun tout ce qu’ils possédaient. Ils vendaient leurs propriétés et leurs biens et en partageaient le prix entre tous, selon les besoins de chacun » (Actes 2, 41-44). Le pain est ainsi évoqué dans le geste même de la fraction du pain, c'est-à-dire du partage de la parole reçue des apôtres et qui réalise la communion entre les frères. Et l’on perçoit que dans cette conversion à la parole,  qu’est le Christ lui-même, présent en nous même, toute la vie devient communion eucharistique, jusqu’à la mise en commun des biens pour honorer les besoins de chacun. La communion au même pain eucharistique convertit le regard que nous portons sur les personnes et sur ce que nous possédons. On voit ici ce que nous enseigne l'Église dans les encycliques sociales, comme dans les textes doctrinaux et moraux qui donne le primat du bien commun et aussi l’option prioritaire pour les pauvres. Car il s’agit bien de vivre la communion eucharistique, non seulement comme une démarche intérieure, avec sa beauté évidemment, mais également comme une nouvelle manière de considérer l’avenir de la création, les biens reçus,  leur destination. Autrement dit, si le pain eucharistique a encore le goût de la terre, de ce blé murit au grand vent, de cette farine travaillée par la main des hommes, pain dur de nos traversées, pain heureux de nos retrouvailles,  il prend le goût d’un temps nouveau quand nous nous l’offrons l’un à l’autre : « le corps du Christ pour la vie éternelle ». Pensons à cela quand nous recevons la communion. Quand on est célébrant, c’est toujours émouvant de donner ce pain eucharistique et de voir cette main qui se tend et qui symbolise toute une histoire. Quand nous avons une main ouverte, toute notre histoire est dans notre main. Et c’est dans cette main, comme un réceptacle,  que nous déposons le corps du Christ. « le corps du Christ pour la vie éternelle ». Nous vivons ce geste de communion comme le geste inaugural  d’une humanité ressourcée et enfin réconciliée. Tu reçois le corps du Christ, tu es un être nouveau. Tu es ressourcé. Lorsque chacun est ressourcé, reconsidéré dans sa faim et sa soif, aimé et soigné, chacun selon ses besoins, comme le dit le texte des actes des apôtres, Dès lors, nous ne pouvons plus séparer notre expérience de la création  retrouvée, notre communion eucharistique au même pain, et notre construction de la fraternité. Voilà la ligne forte de cette conférence. Nous ne pouvons plus séparer notre regard sur la création, notre communion eucharistique et notre construction de la fraternité, humble mais enthousiaste et convaincue. Ainsi que l’exprime le Pape François dans sa méditation sur notre mère la terre,  un recueil de réflexions qui a été publié après Laudato si : « nous croyons profondément que le monde est pour l’homme parce qu’il est le don de celui qui nous aime et il est au service de la vie des enfants de Dieu comme chacun de nous est au service des autres ». Comme dans l’eucharistie, le pain et le vin deviennent le Christ,  parce qu’ils sont baignés par l’Esprit, l’amour fraternel du Père, ainsi, toute la création, les personnes, les choses, les animaux, les plantes, le temps, l’espace,  devient une parole personnelle de Dieu quand elle est considérée avec amour pour le bien de l’autre, surtout celui qui a le plus grand besoin. En séparant la communion et le soin des autres, de ceux qui sont en souffrance, nous perdons très vite le gout de la parole et le gout du pain eucharistique que nous avons reçu des mains-mêmes du Christ. Nous courons toujours le risque de nous replier sur nous-même dans une pratique religieuse dont il manque une dimension tirée de l’amour fraternel. Le bien est commun est à la fois un lien commun, une reconnaissance et une exigence de justice et de paix, reconnaissance d’une humanité qui est la demeure de Dieu. Le bien commun que nous sommes appelés à mettre en œuvre dans le soin de la création qui est pour tous les vivants, dans le pain partagé et les biens selon les besoins de chacun. Ce bien commun nous libère de l’excès de toute appropriation. Rien ne nous appartient ; seul l’amour que nous sommes appelés à  donner ; Ce bien commun nous libère de toute appropriation, de toute propriété, de tout raidissement,  de ce que nous pouvons savoir ou avoir, afin de vivre la joie de voir grandir celles et ceux qui vivent avec nous. « Je suis heureux que tu grandisses » ; c’est ce que pensent tous les parents, mais également ce que pensent également tous les frères et sœurs qui sont vraiment animés par cet amour fraternel : « je suis heureux que tu réussisses ».  « Don, repentir, offrande, fraternité », dit encore le Saint-Père, « voilà quatre mots qui donnent une vision de la réalité de la création, mais qui indique encore le chemin de guérison du besoin de possession de pouvoir, d’abus, pour aller vers le partage, la collaboration, le respect, vers une fraternité universelle comme celle que nous a montré François d’Assise, e patron de ceux qui œuvrent pour l’écologie, la véritable écologie humaine, parce qu’elle a la saveur de la manière avec laquelle Dieu sauve le monde. Voilà quel est mon grand espoir pour notre temps », dit encore le Saint-Père.  Il semble donc essentiel que le lien entre communion et bien commun, que symbolise le pain qui devient le corps du Christ dans l’eucharistie, s’accomplisse tous les jours de plus en plus. Comment, dès lors,  pourrions-nous oublier nos frères lorsque nous venons communier ? En demandant à ses disciples de partager le pain pour la foule de ceux qui sont venus l’écouter, Jésus leur confie la communauté humaine. « Donnez-leur vous-même à manger ». Ce n’est pas seulement le pain qu’il fallait offrir, mais c’est aussi l’espoir, la fraternité. C’est ce que mettront en lumière les pères des premiers siècles de l'Église. Saint-Basile va ouvrir à Césarée ce qu’on appelle les basiliades pour y recevoir ceux qui souffrent de la faim et du froid. Jean Chrysostome dira « si tu veux  être chrétien, ne te dérobe pas devant celui qui demande à manger, celui qui est ta propre chair ». A Milan, saint-Ambroise prêchera sa conviction que l’amour est, avant tout, le soin des sans-abris. Chaque siècle va voir se lever des témoins de l’amour et de la fraternité. Je pense au Pape Paul III qu’on connaît peu, qui, en 1537 rappelle à tous les catholiques le droit et la dignité des indiens. Je pense au pasteur Martin Luther King que cite le Pape François à la fin de sa dernière encyclique, marchand avec les noirs en Amérique. Je pense au frère Charles de Foucauld dont la canonisation est en cours et sera célébrée et qui a donné à ses frères Touaregs et priant Dieu pour devenir le frère universel. La pointe du lien entre communion, fraternité et création célébrée dans l’eucharistie, nous conduit à offrir avec le pain, la création entière et à communier avec le Christ à l’espérance de tout ce qui vient à la vie. Comme l’avait magnifiquement exprimé le père Pierre Teilhard de Chardin, jésuite du milieu du 20ème siècle dans sa « messe sur le monde » absolument étonnante : « Au fond de cette masse informe, ce pain, notre effort, ce vin, notre douleur, vous avez mis, j’en suis sûr mon Dieu parce que je le sens, un irrésistible et sanctifiant désir qui nous fait tous crier, depuis l’indigne jusqu’au fidèle : Seigneur, faites de nous une unité, un monde UN et réconcilié » (texte daté de 1923 publié en 1965).

52 :20 La Création, contenue dans chaque graine du pain et rassemblé et accomplie par le Christ présent et offert à la manière du désir qui habite le vivant, eh bien cette création entre donc en communion, dans un monde eucharistique, on pourrait dire un monde entier devenu eucharistie, un monde de la reconnaissance, enfin réuni, enfin en paix. Cette vision, le terme vision convient ici pour annoncer la réconciliation entre Dieu, la terre et les hommes, telle que le fait vivre le texte de l’Apocalypse selon St-Jean, cette vision n’est pas une illusion d’un autre monde, d’un monde illusoire, qui nous rassurerait. Cette vision est un appel à vivre aujourd’hui, chaque jour, une alliance  nouvelle avec toutes les formes de vie. Quelle biodiversité dont on parle beaucoup, qui est une bio-complémentarité : nous avons besoin les uns des autres. Nous avons besoin que chaque vivant puisse compter sur un autre vivant. Au cœur du débat sur le devenir de notre planète, il s’agit d’une alliance qui protège et rend possible l’accomplissement de la promesse inscrite par Dieu en chaque être. Dans les choix déterminants que nous devons et que nous devrons faire, pour traverser les crises contemporaines, écologiques, économiques, financières,  sociales, morales et spirituelles,  crises qui s’amplifient et nous appellent à un mode de vie radicalement nouveau, nous percevons que désormais l’alternative est claire ; l’alternative est claire : partager ou mourir. Partager le savoir, l’avoir, l’accueil,  la terre, le pain, les biens, ou mourir de solitude, de désespérance et d’épuisement. Partager ou mourir.

54 :35. On se souvient du propos du Pape François à propos de la « culture du déchet », de ce gaspillage de la nourriture, alors même que certains ont faim, de cette nourriture que nous volons, dit-il, à la table des plus pauvres quand nous la gaspillons. La communion inspire une nouvelle économie dans laquelle investir –je me suis permis de dire cela récemment à des grands investisseurs et dirigeants d’entreprise- investir veut dire : « je fais confiance et je participe à l’avenir de l’humanité et de la maison commune ; je veux faire confiance à ceux qui sont porteurs de projets, de talents, et je veux participer à l’avenir de la maison commune ». Nous ne serons riches qu’ensemble. Souvenez-vous de ce pauvre riche, si j’ose dire, que Jésus rencontre et à qui il dit : « mais c’est insensé, cette nuit même, on va te demander ton âme, et tout ce que tu as accumulé, tout seul, qu’est-ce que cela va devenir ? » Nous ne pouvons être riches qu’ensemble, car notre richesse est dans notre complémentarité, ce « charisme du vivre ensemble », c’est une expression du Pape François qu’il a prononcé lors d’une AG de la Caritas international, nous est donné par l’esprit du Dieu vivant. Partager et espérer ensemble, ou mourir dans la solitude !

56 :08  Troisième et dernière série de réflexions : Ce chemin de conversion,  prendre soin du jardin, offrir une espérance au monde ! La responsabilité est dans nos mains. L’avenir de la terre, l’avenir de nos communautés humaines sont entre nos mains. Dieu nous a fait confiance. Dieu nous fait confiance ! Dieu fera encore confiance. Dans notre vie personnelle,  sociale, professionnelle, comme dans notre vie collective,  les défis peuvent nous sembler démesurer et, à certains jours, hors de portée. La terre promise où ruisselle le lait et le miel, ou le fruit du travail est réellement partagé. Cette terre nous parait bien lointaine. Devant l’angoisse des migrants et des camps de Lesbos ou de Lampedusa, devant les victimes des guerres sans fin en Syrie, au Soudan, au Yémen, en Éthiopie, devant les marcheurs désespérés du Honduras, ou du Guatemala, devant les familles endeuillées en Indonésie, au Brésil, en Colombie, nous pouvons nous sentir bien pauvres. Nous sommes un peu comme les disciples : nous n’avons dans nos mains que cinq pain d’orge et trois poissons. Cela peut-il nourrir l’humanité ? Nous n’avons dans notre cœur que quelques points de repères et pourtant, c’est ce PEU que nous avons, lorsqu’il est partagé, qui est signe d’espérance. Nous avons compris, avec la veuve de Sarepta, lorsque le prophète Elie lui demande de préparer une galette, et qu’elle dit « je n’ai qu’un tout petit peu de farine et un peu d’huile ; je vais préparer quelque chose pour mon fils et pour moi, et ensuite nous allons mourir ». Et le prophète lui dit : « prépare cette galette ». Et offrant ce pain, qui est symbolique de l’eucharistie déjà, la farine ne s’épuise pas et la farine ne s’épuise pas, et le texte du 1er livre des rois nous dit qu’ils ont eu longtemps de quoi manger. Eh bien ce pain symbolique, nous l’avons reçu de la terre et du travail des frères, et nous l’offrons à ceux avec qui nous sommes en communion. Sobriété et fraternité dessine un horizon de pardon et nous ouvre à des parcours de paix, paix avec cette nature blessée et maltraitée ; pardon avec celles et ceux que nous avons laissé sur le bord du chemin sans leur offrir le regard et ce PEU que nous pouvions donner et qui était déjà beaucoup. Le PEU que nous avons est déjà beaucoup quand il est partagé. Et, bien souvent, le PEU, quand il est partagé avec bienveillance,  nous ouvre à l’abondance. Ne nous trompons pas d’abondance. L’abondance n’est pas de posséder ; l’abondance est de partager. C’est cela le sens de cette référence au premier livre des rois. Vous pensez peut-être qu’une initiative généreuse ne change pas le cours de l’histoire du monde, qu’un acte de charité auquel nous sommes invités dans le carême de dimanche prochain,  que cet acte ne va pas changer le monde. Nous avons besoin en effet, comme nous le lisons dans l’encyclique Fratelli tutti, d’une architecture de la paix et d’un artisanat de la paix. Nous avons besoin, à la fois, du petit geste d’amour et d’une grande pensée de la Paix. Et comme l’a dit très justement Mère Teresa : « le geste de l’amour est comme une goutte d’eau dans l’océan, mais sans la goutte d’eau, l’océan ne serait pas l’océan ». Le geste de fraternité le plus discret est déterminant dans le flot de l’indifférence et des violences quotidiennes de notre histoire humaine. Le détour effectué par le samaritain –vous savez que c’est la référence centrale de cette dernière encyclique Fratelli tutti- dans cette parabole qui est devenue une histoire universelle –qui ne connais pas l’histoire du bon Samaritain ?- ce détour est à la fois un mouvement physique : il a changé son itinéraire, de chemin pour s’approcher  de l’homme blessé. Certes la fraternité n’est pas de tout repos. On peut dire qu’elle nous désinstalle, qu’elle nous interroge et parfois nous empêche de dormir, car elle est un détour intérieur qui nous conduit à lâcher prise pour laisser parler la parole qui est en nous, pour laisser parler l’amour qui est en nous. Ce détour qui est la parole centrale de l’encyclique sur la fraternité et l’amitié sociale, nous conduit à une pensée de la liberté spirituelle : être libre de changer de parcours, pour aller rejoindre un migrant, un parent, un enfant malade, une personne âgée dépendante,. Elle nous donne à penser que nous sommes, certains jours, l’homme blessé et que nous aimerions que quelqu’un fasse le détour pour nous, qu’à d’autres jours, nous sommes de ceux qui passent à côté de la personne abandonnée, mais qu’à certains jours, nous sommes aussi le samaritain. Nous pouvons être le samaritain qui se laisse toucher, être proche du soufrant et de l’abandonné. Nous pouvons devenir le bon samaritain.
« En période de crise, dit le Pape François,  ce choix devient pressant. Nous pourrions dire que, dans la situation où nous nous trouvons aujourd’hui, toute personne qui n’est pas un briguant, ou qui ne passe pas outre, ou bien elle est blessée, ou bien elle se charge du blessé, elle le prend sur ses épaules. Dans sa parabole, Jésus ne propose pas d’alternative. Il se plie au meilleur de l’esprit humain et l’encourage, par la parabole à adhérer à l’amour, à réintégrer l’homme souffrant et à bâtir une société digne de ce nom » (Fratelli tutti § 70-71). Voilà pourquoi le temps du carême et l’horizon de Pâques qui déjà s’annonce avec les premiers signes du printemps nous invite à libérer en nous des énergies nouvelles, afin de vivre pleinement ce que nous croyons, à travers l’expérience volontaire des trois implications spirituelles que sont le jeûne, la prière et l’aumône. Le jeûne vécu comme une expérience du manque dit le pape François dans son message de carême,  conduit ceux qui le vivent, dans la simplicité du cœur, à redécouvrir le don de Dieu et à comprendre notre réalité de créature, à son image et ressemblance, qui trouvent en Lui, son accomplissement. En faisant l’expérience d’une pauvreté consentie, ceux qui jeunent deviennent pauvres avec les pauvres et ils amassent la richesse de l’amour reçu et partagé. Compris et vécu de cette façon, le jeûne nous aide à aimer Dieu et notre prochain, car, comme le dit St-Thomas d’Aquin, il favorise le mouvement qui conduit à l’attention à l’autre en l’identifiant à soi-même. Dans le recueillement et  la prière silencieuse, l’espérance nous est donnée comme une inspiration et une lumière intérieure qui éclaire les choix de notre mission. Voilà pourquoi il est déterminent de se retirer pour prier. Jeûner, prier ; expérience du manque, pour recevoir la plénitude de Dieu. Prier dans le secret pour redécouvrir la tendresse du Père.  On pense ici à la belle réflexion d’Olivier Clément : « la prière transforme l’angoisse en confiance pacifiée, comme le jeune, l’invocation implique une anthropologie, une manière de penser notre humanité unifiée. Le jeûne doit éveiller en nous la faim de Dieu ». L’invocation éveille le cœur, car le cœur de l’homme disait Nicolas Cabacinha, a été créé comme un écrin capable de contenir Dieu lui-même. Ce qui en définitive pousse l’homme à prier, c’est l’exigence d’être et l’être se révèle être communion. L’homme trouve dans la prière, c'est-à-dire  dans la relation confiante avec Dieu, la joie d’être, si chère à la spiritualité orientale. L’homme est prière. Et l’un des interlocuteurs du pèlerin russe, un moine expérimenté peut dire en paraphrasant Saint-Augustin : « prie et fais ce que tu veux ».

1 :06 :17. Enfin, la charité ! Le jeûne, la prière et l’aumône. La charité, quant à elle, -l’aumône, le don,-  la charité est faite don, elle donne sens à notre vie. Ce n’est qu’avec un regard dont l’horizon est transformé par la charité, que les pauvres sont découverts, valorisés dans leur immense dignité, dans leur mode de vie propre, dans leur culture et par conséquent intégrés dans notre communauté (Message de carême du Pape François). Comment ne pas repenser ici à la belle intuition du philosophe Paul Ricoeur, ce penseur qui avait trouvé la traduction de sa foi dans le langage contemporain de l’éthique, il s’agit disait-il d’œuvrer pour une vie accomplie avec et pour l’autre, dans des institutions justes. Ainsi en est-il de la fraternité. Elle est une proximité, elle est une construction, elle est une communauté.  Jeûne, prière et aumône ; Foi espérance et amour ;  Notre conversion à la parole de la vie qui nous fait redécouvrir le gout de la terre, le goût du pain eucharistique et le goût de l’amitié. Ce chemin de carême est un chemin de bonheur, un bonheur simple, sans ostentation, ni condescendance. Et dans la douceur d’un matin de Pâques, où apparaissent déjà les premiers bourgeons des amandiers et du pommier du Japon, fragiles magnifiques petites pousses dans chacune de nos vies, petites fleurs qui nous sont encore données à tous et chacun, pour que nous soyons dans l’émerveillement d’une création qui donne tout ce qu’elle porte et qui enfante la vie, une création qui se relève et qui continue dans la bénédiction de chaque matin. Avec ce détour intérieur qui est le chemin même de Pâques, traversée de la mort pour la vie, nous ne sommes ni idéalistes, ni résignés. Nous sommes au travail. Nous sommes en mission, chacune et chacun, là où le Seigneur nous met, là où il nous envoie. Pour prendre soin de la semence, que le Seigneur a semé et qu’il fait grandir pour protéger la vie qu’il nous a confiée, pour produire, pour pétrir le pain, pour le partager, et pour protéger la vie.

1:0915 ; Je termine cette conférence avec la prière que vous trouverez vous-mêmes à la dernière page de cette encyclique Tous frères, Fratelli tutti,  tous frères et sœurs dans le Christ : « Notre Dieu, Trinité d’amour, par la force communautaire de ton intimité divine, fais couler en nous le fleuve de l’amour fraternel. Donne-nous cet amour qui se reflétait dans les gestes de Jésus
dans sa famille de Nazareth et dans la première communauté chrétienne.

Accorde aux chrétiens que nous sommes de vivre l’Évangile et de pouvoir découvrir le Christ en tout être humain, pour le voir crucifié dans les angoisses des abandonnés et des oubliés de ce monde  et ressuscité en tout frère qui se relève. Viens, Esprit Saint, montre-nous ta beauté reflétée en tous les peuples de la terre, pour découvrir qu’ils sont tous importants, que tous sont nécessaires, qu’ils sont des visages différents de la même humanité que tu aimes. Amen ! »

[2] Conférence de carême du Père Michel Raquet (délégué épiscopal à l’écologie, professeur à l’UCLy), sur le thème : « Se rendre sensible à la clameur de la Terre et des pauvres ». Le Dimanche 21 mars 2020 à 15h30 h

(02 :50  à 40 :09)

02 :50 –  « Se rendre sensible à la clameur de la Terre et des pauvres », mais aujourd’hui, dit le Pape François, nous ne pouvons pas nous empêcher de reconnaître qu’une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale qui doit intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres. Alors, quand le Pape François parle de la clameur de la terre et de la clameur des pauvres pour lier ensemble la double crise humaine et environnementale,  c’est pour définir une vision plus intégrative, plus complète, un style de vie qui s’intègre d’avantage au tissu de nos réalités terrestres et qu’il appelle l’ « écologie intégrale ».  Dans cette perspective, il s’agira d’écouter  ces deux clameurs et ne pas se contenter de l’entendre, ou simplement de la connaître ou d’en recevoir l’information.  Il s’agit donc de se convertir à l’écologie intégrale par cette écoute de clameur de la terre et des pauvres. Le pape d’ailleurs, ne dit pas « entendre la clameur », mais « écouter la clameur ». La différence entre les deux verbes est capitale, car si j’en reste à entendre, à recevoir l’information, par exemple que le climat change depuis 20 ans, avec des conséquences de plus en plus visibles, que la biodiversité s’effondre aujourd’hui,  qu’est-ce que cela change pour moi, dans ma vie ? Une information de plus ? À la rigueur sur le moment, une petite indignation de ma part ou une résignation, voire un déni confortable ? La planète en a vu d’autres, elle s’en remettra !

04 :50 - Bref, cette écoute n’est pas allée au cœur. Elle est restée au niveau du cerveau comme on dit dans le langage courant. Elle n’est pas venue de l’intérieur, elle ne m’a pas beaucoup touché. Cette affaire d’écoute,  écouter au lieu d’entendre,  ici la clameur de la planète et des pauvres, trouve un étroit parallèle avec la question du livre de la nature.  Je cite le pape François : « Saint-François, fidèle à l’écriture, nous propose de reconnaître dans la nature comme un splendide livre dans lequel Dieu nous parle et nous révèle quelque chose de sa bonté et de sa beauté. La grandeur et la beauté des créatures, font contempler par analogie leur auteur, dit le livre de la Sagesse. Et ce que Dieu a d’invisible, depuis la création du monde, il laisse voir à l’intelligence, à travers ses œuvres, son éternelle puissance et sa dignité dit St-Paul ». Si je comprends superficiellement cette analogie entre la nature et un livre écrit par Dieu, alors j’aurai tendance à en faire un beau livre d’image, un beau spectacle, une belle couverture de plaquette d’agence de voyage. Je pourrai en rester à la perception première, à la page de couverture. Mais comment comprendre plus profondément que la nature me parle ou que Dieu me parle à travers elle, si cette nature ne me touche pas profondément, si je ne ressens pas au plus profond de moi quelque chose de son mystère et de sa vérité ? La nature ne se vit pas avec des concepts ou des sujets de prédicat qu’on utilise dans la logique grammaticale, comme on déchiffre un livre écrit de main d’homme. La création parle à une autre sensibilité et une autre ouverture de cœur. Comme le disait le génial Saint-Exupéry,  « on ne voit bien qu’avec le cœur ». Si je me contente d’entendre la clameur qui monte de la planète et des pauvres,  je ne manque pas d’intelligence et de compréhension de la situation, mais cela ne déplace pas mes priorités, ni mon regard sur les êtres, ni ma propre place dans cet univers. Alors, je pourrai bien parler des valeurs du monde, mais ce serait des paroles creuses ; je pourrai me conforter dans ma bien-pensance, et ne rien faire à la sortie, ni pour la terre ni pour les pauvres. Comment, dans ces conditions, me sentir frère et sœur de la création ? Comment rejoindre de l’intérieur la souffrance des maltraités et des surexploités ? Écouter et non pas entendre, c’est vivre une expérience intérieure d’illumination et de bouleversement, une expérience personnelle et intime qui m’ouvre et me fait grandir. En plus de Laudato si qui nous parle des fraternités universelles et de communion avec tous les êtres, François nous a laissé sa dernière encyclique Fratelli tutti pour développer l’importance de la fraternité entre  les hommes, pour ce n’est ni dans Laudato si ni dans Fratelli tutti que j’ai trouvé cette expression saisissante pour dire ce que je veux dire. Je l’ai trouvé, en revanche, dans l’exhortation du Pape François « Amoris laetitia » (« la joie de l’amour ») Au début du chapitre 149 après avoir rappelé que Dieu aime l’épanouissement de ses enfants et que le problème c’est d’être assez libre pour accepter que le désir trouve d’autres formes d’expression dans les différents moments de la vie, François ajoute : « dans ce sens, on peut suivre la proposition de certains maîtres orientaux qui insistent sur l’élargissement de la conscience pour ne pas nous trouver piégés dans une expérience très limitée qui nous ferme à des perspectives ». Il s’agit donc bien, par le verbe écouter, d’élargir sa conscience et sa perception du réel pour que celui-ci me touche, me concerne,  et m’invite à évoluer, à participer d’avantage à l’aventure même du monde qui m’entoure, du cosmos. Je voudrais, à ce niveau-là, citer  Ardelès-Aldo Léopold, professeur d’écologie : « Le fait de se sentir extrêmement petit au regard des dimensions du cosmos permet de s’ouvrir et de s’approfondir soi-même ; et l’on accepte alors avec enthousiasme ce que les autres prennent pour une corvée : prendre soin de la planète. Prendre soin de la planète devient une source de joie et non plus simplement quelque chose qu’on fait pour survivre ». Cela, ajoute-t-il, implique un élargissement de la conscience qui permet à Aldo Léopold de « penser comme une montagne » ; C’est le titre d’un de ses livres.

09 :46 - Oh, on me dira, ce n’est pas chrétien, c’est de l’écologie profonde, de la deep écology ! Mais rappelons-nous cette pensée de Saint-Paul, une pensée d’inclusion et de discernement (épitre aux Philippiens 4, 8) : « Enfin,  tout ce qu’il y a de vrai, de noble,  de dur, de juste, d’honorable, tout ce qu’il peut y avoir de bon, voilà ce qui doit vous préoccuper ; alors le Dieu de la paix sera avec vous ». Et, c’est ainsi que le Pape François reprend cette expression d’élargir la conscience.

10 :25 – Élargir le champ de la conscience, c’est justement le cœur de la conversion écologique.  C’est non seulement un passage obligé de la conversion. C’est l’espace même de sa réalisation. « Cherchez le royaume de Dieu et sa justice », dit le Christ, « et le reste vous sera donné par surcroît ». Le reste suivra, les idées,  les actions, les projets, l’invention collective d’une nouvelle économie,  d’une nouvelle façon d’habiter la terre, de la respecter, comme de respecter tout ce qui est vulnérable et fragile sur terre. Cela suivra. L’espace creusé en moi pour accueillir le royaume de Dieu, c’est une conscience élargie, c’est un cœur, pour employer l’expression biblique, un cœur de chair et non un cœur de pierre. La perception intellectuelle devient alors un ressenti, une émotion profonde, un remue-ménage intérieur, à l’image d’ailleurs de ce que Dieu connaît, ce Dieu auquel nous croyons, qui, dans les entrailles de sa miséricorde est ému de compassion.

11 :31 « Comment t’abandonnerai-je Ephraïm ? Te livrerai-je, Israël ? Comment te traiterai-je comme  Seboïm ? Mon cœur en  moi est bouleversé. Toutes mes entrailles frémissent » dit Dieu dans la bouche du prophète Osée (Osée 11,8). Eh bien, ce registre du cœur et de la conscience élargie, c’est d’abord fondamentalement une question de ce qu’on appelle aujourd’hui la sensibilité, donc se rendre sensible pour écouter la clameur de la terre et des pauvres. En effet, l’accès au réel demande bien plus que la simple sensation, la vue et l’ouïe, par exemple. C’est bien plus qu’un savoir conceptuel, relevant par exemple de ce que le Pape François appelle le paradigme techno-scientifique, car le réel a une profondeur. Il est épais, il est complexe. Il doit se comprendre sur plusieurs plans et non sur le simple plan de la rationalité technicienne ou commerciale. Comme dit si bien un chercheur du CIRAD (Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement), Jacques Tassin, dans son livre qui vient de paraître « Pour une écologie du sensible », la sensibilité, justement est une véritable voie de contact et de connaissance du réel que l’intelligence froide et conceptuelle ne remplace pas. Je le cite : «  S’il fallait opposer le sensible à la raison,  ce serait la distance à l’objet, car le sensible rapproche autant que la raison éloigne. Dans la succession des états intérieurs qu’il dégage dans notre corps, il ne possède rien, il ne dirige rien, n’anéantit rien. Il ne fait que produire de la présence du sensible, installe la présence des êtres au monde. En particulier le ressenti et l’imaginaire qui font partie de la sensibilité permettent à la réalité de raisonner en nous ». Je pense qu’une des plus grandes causes de la crise écologique actuelle est l’état d’aliénation personnelle par rapport à la nature, dans lequel vivent de nombreux individus. « Ce qui nous fait défaut, c’est un sens étendu de l’intimité avec  le monde vivant » (citation de Robert Michaël Pyle dans le livre que je viens de citer,). Et Jacques Tassin dit cette phrase si juste : « l’érosion de notre monde résulte d’abord de l’érosion de nos expériences sensibles ». Rappelons-nous d’ailleurs, en cette occasion,  ce qui a fait bouger l’occident par rapport au drame de l’immigration. Ce n’est pas l’accumulation des articles ou des informations, mais une image terrible d’un enfant mort sur le rivage. La sensibilité, c’est bien plus que l’émotion, cependant. Cette émotion peut être manipulable, comme d’ailleurs, la grande distribution sait utiliser des données des neurosciences pour manipuler malgré nous les consommateurs que nous sommes. Non, la sensibilité appartient à ce que nous sommes profondément en tant qu’êtres vivants. C’est la sensibilité qui nous relie, concrètement et de l’intérieur, au monde. C’est le rôle irremplaçable de l’expérience sensible chère au philosophe Maurice Merleau-Ponty. Le sensible nous relie avec les gens, nous fait sentir avec eux et avec le monde. C’est encore la sensibilité qui relativise l’hégémonie du cérébral et son éloignement du réel, c’est elle qui nous permet de rejoindre le tout et de faire grandir en nous le sentiment d’appartenance à une maison commune. C’est elle qui, par le ressenti nous tourne vers notre intériorité. Et, en fait, c’est la sensibilité qui fait prendre en compte la vulnérabilité et la fragilité humaine comme celle des écosystèmes terrestres. C’est justement la sensibilité qui nous permet d’être en relation première avec les êtres vivants, comme le pape le dit à propos de la place du corps. Je cite Laudato si au § 155 : « Il faut reconnaître que notre propre corps nous met en relation directe avec l’environnement et avec les autres êtres vivants. L’acceptation de son propre corps comme don de Dieu est nécessaire pour accueillir et pour accepter le monde tout entier comme don du Père et maison commune ; tandis qu’une logique de domination sur son propre corps devient une logique, parfois subtile, de domination sur la création. Apprendre à recevoir son propre corps, à en prendre soin et à en respecter les significations, est essentiel pour une vraie écologie humaine ».

16 :30 – C’est parce que nous sommes capables de ressentir le monde en nous qu’il nous est présent. La sensibilité, donc, est la première condition de la rencontre, de l’ouverture à la communion avec les autres êtres. Mais cette sensibilité présente une couleur proprement humaine qui récapitule la sensibilité végétale,  la sensibilité animale, dans la perspective de l’homme microcosme, comme le dit si bien Hildegarde de Bingen. Aujourd’hui encore, l’anthropologie chrétienne tente de valoriser, vous le savez, une composition tripartite de notre être, à savoir la dimension corporelle, la dimension psychique et la dimension spirituelle, selon la phrase de la première lettre de Saint-Paul aux Thessaloniciens : «  Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie tout entiers ; que votre esprit, votre âme et votre corps, soient tout entiers gardés sans reproche pour la venue de notre Seigneur Jésus Christ » (1 Thess 5,23). Or, justement, ce qui fait le lien entre le spirituel,  et ses facultés supérieures que sont la mémoire, la volonté et l’intelligence, et le corps qui nous relie à la réalité de la nature, c’est justement la dimension psychique de l’âme, le siège de la sensibilité.

17 :52- Alors, après avoir défendu la sensibilité, a contrario, on peut donc concevoir que si nous nous comportons mal, aujourd’hui avec la création, si nous avons du mal à changer notre façon d’être et nos priorités, c’est que nous manquons cruellement de sensibilité. Pour que la clameur de la terre et des pauvres soit écoutées, il faut des oreilles attentives, capables de la percevoir, et une âme qui s’en émeut au point de se retourner elle-même, de changer radicalement son chemin intérieur, en un mot de se convertir. Oui, visiblement, nous sommes devenus bien insensibles, car notre modernité, à laquelle nous participons, a dévalorisé petit à petit la sensibilité  au nom même de la civilisation du progrès. Et bien que cette modernité subisse quelques fractures et fissures, puisqu’on parle de postmodernité, nous sommes encore fondamentalement des modernes, trop modernes en quelque sorte.

18 :54 – En effet, au plan de la civilisation, la lecture de la modernité au 16° et 17° siècle,  a consisté à considérer que les usages passés relevaient soit d’un obscurantisme, qu’il fallait vite oublier, soit d’une enfance de l’humanité dont il fallait sortir. La civilisation de la Renaissance s’est déplacée justement de la campagne vers la ville, ce qui signifie déjà physiquement un certain éloignement de la nature. L’idéal de la chevalerie a fait place, petit à petit à l’idéal du riche bourgeois, le sens de l’honneur, celui de devoir protéger la veuve et l’orphelin a fait place au sens des affaires, au profit, au calcul politique et économique. Faut-il rappeler que René Descartes, un des fondateurs de la science moderne, était un rentier qui passait son temps, soit à cheval, soit à cogiter dans son lit et avec lui, l’occident a promu le sujet, l’ego, comme centre du monde et a considéré le reste comme de la chose étendue, comme un objet de curiosité ou d’accaparement physique ou intellectuel. En quelque sorte, le monde a été désensibilisé. Il est devenu une mécanique. Le Père Nicolas de Malebranche, un des successeurs de Descartes, dira, en donnant un jour un coup de pied à un chien,  répondit à son ami philosophe Bernard de Fontenelle : « eh quoi, ne saviez-vous pas que cela ne sent point ». Au même moment, au 17° siècle,  avec l’Augustinisme et en particulier janséniste, nous avons constitué une figure d’homme un peu monstrueuse, grand logicien, cerveau froid, maître de lui-même, victorieux de ses désirs, de sa sensibilité, de ses passions : un être impassible. Avec les Lumières,  le dualisme de la modernité ne s’appellera plus « sujet/objet », ni « corps/âme », mais « culture/nature ». Alors, il est vrai qu’au début du 19° siècle, le grand courant du romantisme a été un des derniers feux d’un monde encore sensible, poétique et contemplatif, un monde où les hommes avaient le droit de pleurer en public et d’exprimer leurs sentiments. Mais ce courant a fait place, très vite, au triomphe de l’ère industrielle qui a promu un idéal d’homme et de société qui va achever ce dualisme, par exemple le dualisme patron/ouvrier, riche/pauvre, et l’émergence d’un monde plus rentable, de l’efficace, du temps chronométré : « Time is business » ou « pour réussir, il faut être ingénieur ou rien d’autre ». Cette même époque a valorisé aussi le confort dans la culture la plus domestique. Nous vivons dans la civilisation du confort qui se comprend comme une amélioration des conditions de vie, et en ce sens comme un vrai progrès humain. Mais, pris comme une fin en soi, un but de l’existence, ce confort nous anesthésie, il nous rend sourd aux cris extérieurs, que ce soit du frère ou de la sœur qui souffre, ou de la terre elle-même.

22 :22 -Le coup de grâce a été porté, à mes yeux, avec  l’imposition, à la fin des années soixante, des mathématiques modernes qui ont dévalorisé, pour longtemps, les filières littéraires et le travail manuel ou artisanal. Cela nous a éloignés un peu plus de la terre, physiquement et émotionnellement. À ce que le Pape François appelle le paradigme techno-pratique ou technoscientifique, j’ajouterai donc le paradigme du sérieux et de l’efficace, de l’objectif et de la froide arrogance de se considérer désormais comme nécessairement supérieur et xxx. Le monde moderne est devenu bruyant, avec toute ses machines, mécanisé à outrance,  et, paradoxalement, nous vivons dans un monde d’hyper sensibilité, c'est-à-dire d’une sensibilité qui n’est pas intégrée à l’ensemble des dimensions intérieures et qui explose sous forme d’hystérisassions du débat, du « pétage de plomb », comme on dit, du burn-out, du stress, et de fléau de notre société qu’est la dépression. En creux, c’est la révélation d’un monde qui n’en peut plus, qui ne respire plus, un monde devenu irritable, faute d’être vraiment sensible. L’hyper-mécanisation de ce monde s’appelle aujourd’hui numérisation. Cela ne change rien à ce que je raconte.

Le constat que je fais est un peu schématique, un peu dur, mais j’espère globalement un peu vrai, même s’il est certainement faux en particulier. Mais il me semble nécessaire de le faire pour aller à la racine du mal qui est, à mes yeux, dans cette dévalorisation de la sensibilité, en tous cas dans la très grande difficulté de l’intégrer à la construction de soi et aux priorités de note civilisation. En effet, dans ces conditions, dans cette culture qui est la nôtre, quid du sentiment d’appartenance à la nature au cosmos et au créé ? Quid de la clameur de la terre et des pauvres noyée dans la fureur et le bruit du monde ? Quid de l’attention au petit, au vulnérable dans un monde qui veut nous faire rêver de grandeur de pouvoir et d’exaltation de soi ? La gestion de la crise de la Covid, au-delà d’une polémique stérile, révèlera certainement la fragilité et les limites du système des experts et la difficulté de les faire dialoguer, comme, surtout, de faire sentir l’ensemble, les difficultés de tout un chacun dans des pans entiers de notre société. Car aujourd’hui, tout est question de gestion, d’appui technique, de projection stratégique, ou de conquête. Les mots utilisés le disent bien. Quid de la poésie, de l’art de vivre, du bien-être et de l’harmonie ? Quid de la littérature qui nous parle si bien de nous ?

25 :15- Alors quelle proposition faire pour remédier à cette perte de sensibilité qui rétrécit notre conscience et qui nous rend sourds, indifférent ou apathique, face au cri de la terre ou des pauvres ? Quelle solution proposer pour revaloriser justement cette sensibilité. Sur quoi s’appuyer, pour la faire grandir en soi, et mieux l’articuler avec ses autres dimensions personnelles ? Comment la faire progresser dans le monde de demain ?

Eh bien, je voudrais le faire en vous donnant quelques pistes. Cela vaut ce que cela vaut, mais cela me permettra de sortir d’un discours trop peu concret, trop abstrait, trop intellectuel.

La première dimension pour le changement, devrait concerner l’éducation. Dans le livre qui va sortir pour reprendre une partie des conférences de ce carême 2021 à Lyon, je reprends l’expression  du pape Paul VI en 1967,  quand il parle du développement intégral de la personne humaine, en développant la construction personnelle au sein d’une écologie intégrale.

Cela implique, à mes yeux, de repenser l’éducation et les priorités éducatives. Par exemple, je vous livre quelques pistes :

  • la place du corps, et pourquoi pas, de la gymnastique quotidienne chaque jour à l’école.
  • L’apprentissage du dialogue et de la joie du vivre ensemble
  • Écouter et faire aimer la poésie
  • Revaloriser le travail manuel
  • Développer, à côté de la pensée discursive, la pensée symbolique, et ce qu’on appelle plus largement aujourd’hui l’intelligence émotionnelle.
  • Valoriser dans des choses simples mais profondes les choses qui nous humanisent si elles sont vécues de l’intérieur et si elles sont partagées avec les autres
  • Cette éducation devra passer par la construction de soi dans une plus grande harmonie, ne serait-ce que dans la façon d’intégrer sa part féminine quand on n’est un homme et sa part masculine quand on est une femme, parce qu’on a besoin de la dualité pour se construire, non comme repoussoir, mais pour « s’individuer soi-même » comme le dirait le psychanalyste Karl Yung. Ce n’est pas un mélange des genres dont je fais la promotion, mais un refus de caricaturer la complexité humaine ; parce que l’être humain est affaire de relations multiples. C’est une histoire non linéaire de croissance et de maturation personnelle
  • Revaloriser le jeu comme un moyen pédagogique d’apprentissage, ce jeu qui malheureusement aujourd’hui est instrumentalisé en vue d’une fin dite sérieuse, mais la vie n’est-elle pas un jeu un jeu important avec des enjeux, un jeu avec des règles ? Mais un jeu, parce que dans la vie, il y a de la liberté, il y a du hasard, de la joie de jouer ensemble et non chacun de son côté, qui fait partie d’une vie digne et pleine. Cette perspective a été remarquablement développée par Romano Guardini qui est un auteur souvent cité dans Laudato si.
  • L’expérience de la beauté, et spécialement l’expérience du sublime qui reste indispensable dans l’éducation, car le sublime est un mélange subtile de fragilité et de vraie grandeur. La semaine, en écoutant la Passion du Seigneur, nous ferons l’expérience de ce sublime, d’un Dieu qui meurt sur la croix, qui va boire le calice amer de la souffrance et de la mort et tout cela par amour pour l’humanité, ses pauvres créatures. Cela relève du sublime.


Autre proposition concernant la vie plus personnelle

  • La possibilité, pour être plus sensible, de faire un petit potager, même sur son balcon
  • Faire, nous aussi de la gymnastique quotidienne en ouvrant la fenêtre et en respirant profondément le matin après son petit temps de prière
  • Acheter local à des producteurs locaux et parler avec eux de la façon dont ils cultivent leurs légumes et élèvent leurs animaux
  • Accepter de payer plus cher les petits producteurs en refusant le système qui les surexploitent et qui fait travailler des enfants à l’autre bout de la planète
  • Faire beaucoup de chose par soi-même plutôt que d’acheter des choses toutes faites exportées
  • Cultiver, comme le dit si bien le Pape François ses qualités qui permettront l’émergence d’une sobriété heureuse : « la simplicité, l’amour des petites choses, des petits gestes d’amour, l’humilité et la recherche de paix intérieure »
  • Et puis lire de la poésie régulièrement, Prévert n’étant pas réservé aux seuls enfants.

 

Autre piste dans le monde de l’entreprise et du travail

  • Revaloriser la sensibilité dans le monde du travail, c’est remettre un peu d’humanité dans les relations professionnelles
  • Attacher de l’importance à ce qu’on appelle l’informel et l’échange spontané
  • Décloisonner le monde administratif ou managérial avec moins de hiérarchie
  • Choisir un manager, à la tête de l’entreprise plus empathique, sensible, capable de faire la cohésion du groupe et d’intégrer dans la vie même de l’entreprise une culture du petit, de le handicapé, par exemple, avec un profil dont le contenu intellectuel sera traité par un riche coefficient émotionnel. Un manager humain, tout simplement et pas seulement obsédé de la performance
  • Pour faire un peu sourire, commencer dans le monde de l’entreprise à prendre conscience que la présence de plantes vertes fait du bien et qu’on travaille mieux avec des plantes vertes autour de soi

 

Ajoutons, quelques éléments concernant la vie sociale

  • Au plan de la mode, revaloriser les couleurs. Pourquoi sommes-nous tous habillés de gris, de bleu foncé et de noir ? Où sont la sensibilité et l’amour des couleurs
  • Arrêter de tout rapporter au prix de la valeur sur le marché. Il est épouvantable de réduire la valeur d’un chef d’œuvre artistique aux nombres de millions de $ avec lequel ce chef d’œuvre a été acheté. La valeur artistique vaut d’abord par sa capacité à toucher les gens, à son ressenti

 

Et dans la spiritualité

  • regarder différemment la Bible. La Bible est d’abord un livre poétique. La pensée symbolique, l’analogie sont à l’œuvre dans la Bible
  • Ne pas négliger, quand on la lit tout ce qu’il y a d’informel et de touchant dans l’écriture, parce que, par-là, Dieu nous parle aussi
  • Rappeler, dans le registre de la foi chrétienne, l’importance de la sensibilité. Le Dieu, dans lequel nous croyons et qui se révèle à nous, est un Dieu plein de sollicitude envers ses créatures. C’est un Dieu sensible au malheur des humains, un Dieu qui sait admirer la beauté et la bonté de sa création : « Et Dieu vit que cela était bon » lit-on dans la Genèse. Jésus le Christ, lui-même, a été un être sensible. Je vous cite encore le Pape François dans Amoris laetitia : « Jésus, en tant que vrai homme, vivait les choses avec une charge émotive. C’est pourquoi le rejet de Jérusalem lui faisait mal (cf. Mt 23, 37), et cette situation lui arrachait des larmes (cf. Lc 19, 41). Il compatissait aussi à la souffrance des personnes (cf. Mc 6, 34). En voyant pleurer les autres, il était ému et troublé (cf. Jn 11, 33), et lui-même a pleuré la mort d’un ami (cf. Jn 11, 35). Ces manifestations de sa sensibilité montraient jusqu’à quel point son cœur humain était ouvert aux autres » (Al § 144). Eh bien, là, se situe tout le grand sillon spirituel de la sainte humanité du Christ qui a été très développée à partir du 12° siècle et malheureusement oublié dans le grand siècle du 17°
  • Revaloriser la sensibilité et la mettre au cœur de la vie spirituelle me paraît totalement chrétien.
  • Cultiver l’empathie, c’est la base de la compassion
  • Cultiver la culture de l’émerveillement, c’est la base de la louange et de la contemplation
  • Cultiver l’accueil en soi de la réalité, avant de vouloir la transformer et la maîtriser, c’est remercier le créateur de notre existence et de celle des autres
  • Si la sainteté est la quintessence de notre humanité, et que l’humanité est la quintessence du vivant, alors, la grâce qui fait la sainteté demande un xxx humain ayant incorporé en lui la dimension d’être un vivant, un être créé. En d’autres termes, comment penser devenir saint sans être d’abord humain, et pleinement humain ? Et comment être humain, sans être d’abord vivant, c'est-à-dire sensible, car la vie est sensibilité ?

 

35 :33- Pour conclure cette conférence sur l’écoute de la clameur et des pauvres, je voudrais rappeler simplement que écouter, c’est accepter et travailler à élargir sa conscience pour savoir communier à plus large que soi, à plus grand que soi. Commencer par ressentir l’existence du monde avant de le penser. Se rendre sensible c’est peut-être accepter de souffrir d’avantage devant la détresse des autres et la destruction de notre si belle planète. Mis c’est surtout la ressentir de l’intérieur et communier avec cet univers qui nous entoure, qui nous nourrit et qui nous porte. C’est prendre le risque, tout simplement, par la sensibilité, de se laisser toucher par le réel, ne pas tout contrôler, ne pas tout comprendre, et surtout pas tout, tout de suite. Devenir plus humain, tout simplement, parce que étymologiquement parlant, humain signifie être bon, bienveillant, compatissant et sensible. Se sentir relié au tout, c’est  ressentir cette appartenance à un univers beau qui nous précède et qui nous porte, qui fait sens en nous, qui exprime le logos créateur. Tout est affaire d’harmonie et d’équilibre entre l’intelligence et le cœur, et cet équilibre s’appelle un chemin de sagesse.

« Cherchez le royaume de Dieu, et sa justice. Le reste sera donné par surcroît », dit Jésus. Comment comprendre que le chemin propre de la conversion personnelle, c’est élargir sa conscience pour rejoindre la présence des autres humains ou non-humains et la présence de Dieu lui-même. Ce n’est pas tout réduire à des calculs mathématiques et économiques voire politiques, ni cultiver d’ailleurs l’émotion pour l’émotion, mais c’est chercher le sens et toucher le réel par le sensible. Le chemin du Christ, c’est la religion du cœur. Ce n’est pas une infantilisation au mauvais sens du terme, ni une ir-responsablisation, voire du laxisme de la conscience, mais au contraire l’épanouissement de ce que nous sommes, c'est-à-dire des êtres personnels, intrinsèquement relationnels ouverts et sensibles au mystère de la présence, un cœur qui bat, qui aime, qui ressent, qui soufre. Et quel cœur plus sensible que celui du Christ, plus poétique plus pur et simple qui relie que le Sien. Se rendre sensible,  c’est retrouver le chemin du réel, bien au-delà des images qui nous assaillent et des idéologies, des slogans de la pensée toute faite, voire des clichés, mais c’est là l’image d’un épanouissement humain dans et par la sensibilité.

38 :26 – La conversion écologique demandée par le Pape François exige un supplément d’âme, mais une âme qui ressent, une âme sensible, qui sait écouter.
Alors pour vraiment terminer, je voudrais vous citer l’académicien François Cheng sur les trois sens du mot SENS, puisque c’est la racine du mot sensibilité : « la beauté par son pouvoir d’abstraction contribue à la   constitution de l’ensemble des présences en un immense réseau de vie organique où tout se relie et tout se tient, ou chaque unicité prend sens face aux autres unicités et prend, par-là, par au tout. Oui, on prend part et on va quelque part. Cela peut être résumé par un seul mot : le mot SENS. Ce mot polysémique est un diamant du vocabulaire français : comprimé en une seule syllabe, il donne lieu à trois définitions, à savoir sensation, direction et signification. Ces trois définitions marquent en réalité les trois étapes ou les trois étages de notre existence.  Et c’est justement à la lumière de la beauté que ces trois définitions acquièrent leur sens plénier ».

Se rendre sensible pour écouter la clameur de la Terre et des pauvres, c’est  notre chemin d’humanité et c’est certainement une des voies indispensables pour répondre à l’appel d’une conversion écologique, et participer à la venue d’un monde plus humain et plus respectueux de la création toute entière. Je vous remercie de votre écoute.

[3] P. Cantalamessa , première prédication de Carême (Traduit de l'italien par Zenit) Vendredi 13 mars 2009

[4] Ibid Père Raquet, conférence (§ 25 :20)

[5] Ibid Père Raquet, conférence (§ 11 :29)

[6] Ibid Père Raquet, conférence (§ 11 :35)

[7] Introduction de la séquence « clameur de la terre et clameur des pauvres », à l’AG des évêques de Lourdes et accueil des évêques et de leurs invités diocésains par Mgr Eric de Moulins-Beaufort le mercredi 3 nov 2021 à 9h  (§ 02 :48)

« Alors c’est avec émoi, avec joie, la joie de tous les évêques de vous voir avec nous, ici dans cette basilique Sainte-Bernadette. Aujourd’hui et demain, nous reprenons notre travail que nous avons commencé, il y a trois ans, sur l’encyclique Laudato si et sur la crise écologique dans laquelle nous sommes. Et nous sommes heureux de travailler avec vous, vos invités diocésains qui sont là un peu partout, et vous aussi, les personnes en précarité qui avez accepté de venir nous raconter quelque chose de votre expérience de ce que c’est de vivre avec peu, dans un monde d’abondance dans lequel nous nous trouvons. Nous avons commencé notre travail il y a trois ans, et nous étions trois cents. Nous avons été très heureux de nous retrouver brusquement, non pas à 100 évêques, mais à 300 avec des gens de tous âges, … Cette fois-ci nous sommes encore un peu plus nombreux et c’est bien. Après cette première assemblée de novembre 2019,  à cause de la crise sanitaire, nous avons dû à renoncer à une séance, à une assemblée sur des sujets. Après, nous avons eu deux séquences, l’une sur « cultiver la terre et se nourrir », et sur « produire, créer » que nous avons pu faire en vidéo-conférence.
01 :46- Alors, nous sommes très désireux d’approfondir l » thème « clameur de la terre et cri des hommes ». C’est une des grandes intuitions de la lettre du Pape François. La question écologique et la question sociale sont liées. « Tout est lié », nous dit le Pape, mais surtout, le cri de la terre, le cri du cosmos –je prends la terre au sens large- et puis celui des hommes et des femmes qui se trouvent dans ce monde parfois en difficultés. Vous allez nous aider à entendre ce cri de la terre, ce cri du cosmos, et ce cri des hommes. Vous allez nous aider à écouter, à vous écouter, et en vous écoutant, nous apprendrons à mieux écouter toutes sortes de personnes, tout le monde et tout l’univers qui nous entoure. Et nous entendrons à travers cela, ce que Dieu a à nous dire.

 2 :47 – Parce que, nous les évêques, nous sommes parfois un peu cérébraux, nous aimons bien faire des discours ; nous aimons bien exprimer des discours construits. On va en entendre un petit peu pour commencer. Et il faut certainement que nous progressions dans notre capacité d’écouter, d’entendre ce qui est porté par des personnes ou par ce vaste cosmos qui nous entoure et à travers lequel Dieu nous parle. Nous savons depuis le prophète Elie qu’il a entendu Dieu dans la brise légère, mais cela nécessite un effort d’attention. Je vous remercie donc vraiment, au nom des évêques, vous les invités diocésains qui allez nous aider dans ce travail, mais surtout vous, personnes en difficulté avec ceux et celles qui vous accompagnent qui allez nous aider, nous obliger à progresser dans notre capacité à écouter. Et on verra bien ce que cette écoute produit, ce qu’elle provoque si tant est qu’elle ait besoin de produire quelque chose. En tous cas, nous sommes heureux et même fiers d’être avec vous ici à Lourdes. Vous avez fait un long voyage, parfois, pour venir, vous avez pris du temps et nous vous en sommes très reconnaissants à vous tous qui êtes venus nous rejoindre pour cette journée

04 :05 – Et puis il y a un lien très intime, très intense puisque tout est lié, ente ce que nous allons vivre maintenant avec vous et ce à quoi nous avons réfléchi hier et ce que nous avons à affronter après-demain jusqu’à lundi sur la question des abus. Parce que, finalement nos sociétés occidentales sont pleines de richesses et elles suscitent des situations de précarité et de pauvreté, et ce n’est pas supportable. Eh bien, de même, il n’est pas supportable que l'Église du Christ suscite des crimes et transporte en elle des actes destructeurs. Et donc, il me semble qu’il y a un lien intense et intime entre ce que nous vivons là et ce que nous avons à affronter ensemble. Donc merci de nous aider à entendre, non seulement ce cri de la terre, ce cri du cosmos et ce cri des pauvres, et aussi, plus largement, entendre le cri de toutes les victimes, quelles qu’elles soient, et à entendre le cri et l’attente de tous les hommes et  toutes les femmes à l’égard de l'Église de vie. (05 :15) »

[8] Ibid Conférence de Bruno-Marie Duffé (§ 23 :25).

[9] Conférence de carême du Père Michel Raquet (délégué épiscopal à l’écologie, professeur à l’UCLy), sur le thème : Se rendre sensible à la clameur de la Terre et des pauvres. Le Dimanche 21 mars à 15h30

[10] Extrait du livre de Jacques Tassin, chercheur du CIRAD (Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement : « Pour une écologie du sensible », cité par le Père  Michel Raquet Ibid, conférence (§ 11 :35)

[11] Ibid Père Raquet, conférence (§ 17 :52)

[12] Ibid Père Raquet, conférence (§ 17 :55)

[13] Ibid Père Raquet, conférence (§ 22 :19)

[14] Ibid Père Raquet, conférence (§ 22 :24)

[15] Ibid Père Raquet, conférence (§ 25 :10)

[16] Ibid Père Raquet, conférence (§ 37 :00)

[17] Ibid Père Raquet, conférence (§ 35 :35)

[18] Mgr Leborgen, radio Vatican le 9 novembre 2021 (13 :42 à 14 :38) "Alors moi, personnellement, sans hésitation [je suis prêt à aller jusqu’au bout de la démarche]. Il y a eu comme une bascule : A un moment on voulait écouter les victimes. Je me suis rendu compte à un moment qu’inconsciemment, j’avais peur de perdre. J’écoutais, mais, en même temps, je me demandais, mais qu’est-ce que tu risques de perdre ? Et tout d’un coup, en écoutant les victimes, de leur besoin, de leur cri, on n’a plus peur de se dire « mais qu’est-ce qu’on va faire et qu’est-ce qu’on risque? ». Cette écoute est profondément évangélique. J’ai le sentiment qu’on veut tous aller jusqu’au bout. À un moment, on nous a dit : « Mais est-ce que ce ne sont pas les medias qui vous stressent ? » Bien sûr, mais on est absolument convaincu que c’est le Seigneur qui nous appelle aujourd’hui. C’est lui qui nous a poussés sur ce chemin et on ne peut pas faire demi-tour ».
[19] Interview de Mgr de Moulins-Beaufort, LeFigaro 9 novembre 2021 (page 13)

[20] Carlo Carretto, disciple de Charles de Foucault,  fondateur des petits frères de l’Évangile : « J’ai cherché et j’ai trouvé », Paris, Cerf, 1983 p.159