"Ils se figurent qu'ils pensent et ce sont des êtres sans pensées qui s'érigent en arbitres de ceux qui pensent vraiment" (Jack London "Martin Eden", Ed G. Grès et Cie- 1926,p. 240)
Il se dit volontiers, même dans les bandes dessinées de Jean-Marc Jancovivi [1], qu’à l’équateur, l’air serait saturé d’humidité, et que, si la température de l’air dépasse celle de la peau ; on en mourrait, et plus d’1/3 de la population serait concernée ! Effectivement, le corps humain résiste aux hausses de température grâce à sa capacité à transpirer. L’évaporation est exothermique et permet donc le refroidissement de la peau.
Certes, Jean-Marc Jancovici reconnait: "Je n’ai pas publié d’article dans des revues scientifiques. Je ne suis pas un scientifique". On est tout de même en droit de s'interroger, a-t-il la compétence pour lire les publications scientifiques sur le sujet?
En effet, de nombreuses études souligne qu'il n’est pas pertinent de comparer la température de l’air et celle de la peau. C’est la température humide qu’il faut considérer, et non la température sèche. La valeur de 35°C humide est souvent présentée comme létale. Et, « il n'y a probablement pas de seuil critique à fixer, en particulier dans les environnements à faible humidité. En revanche, les individus subissent des hausses de température de la peau (Tsk) là où les températures humides sont presque constantes entre 30 et 31°C » (Daniel J. Vecellio & others). Le seuil théorique est établi pour une humidité saturée à 100%. Or cette saturation complète est extrêmement rare. « La raison probable de ce plafond apparent de Tw est un mécanisme d'instabilité convective. Les valeurs qui dépassent un seuil déterminé par les températures en altitude produiront une activité de tempête qui refroidira l'air près de la surface. Ce plafond de Tw, augmente avec la pression » (Steven C. Sherwood & others)
Il convient de garder en mémoire que le consensus n’a pas sa place en science : en 1931, 100 scientifiques menés par Hans Israel et al. publient un livre contestant la théorie de la relativité d'Einstein. Celui-ci répondit: "Pourquoi cent ? Si je me trompe, il n'en faut qu'un" (cité par Stephen Hawking "A brief history of Time" (London Bantam, 198, p. 178)
Ne pas se laisser porter par l’émotion nécessite toujours un effort de compréhension : La saturation de l’air à 100% ne se produit que lorsque la température humide est égale à la température de l’air sec. Mesurer la température sèche est courant avec nos thermomètres domestiques. Mais peu nombreux sont ceux qui font le lien entre température, humidité relative de l’air et pression atmosphérique. Encore moins nombreux sont ceux qui maitrise le concept de température humide !
Ces données sont liées les unes aux autres dans un diagramme scientifique connu de tous les physiciens, le diagramme psychométrique de Carrier. (cf video [2]). Or, les médecins et scientifiques savent qu’il n’est pas pertinent de comparer la température de l’air et celle de la peau. C’est la température humide qu’il faut considérer, et non la température sèche.
Le seuil fatidique de température humide est d’environ 35°C. Ce seuil de létalité diminue avec l’altitude et dépend du taux d’humidité : à 85 %, le seuil fatidique de température humide passe de 35 à 37,8 °C.
Quelles sont donc les régions à risque ? Dans le diagramme de Carrier, la température humide est hélas indiquée sur un axe oblique. Le retourner et le faire pivoter permet de la rendre lisible sur une abscisse horizontale.
Il est alors possible de reporter sur ce graphe les données météorologiques mondiales recensées sur le site ASHRAE.
Quelles conclusions formelles en tirer ?
- Là où l’humidité relative augmente, les températures humides sont toujours inférieures à 30°C, y compris sous l’équateur à Libreville.
- Les maximas de température humides ne dépassent, pratiquement nulle part, le seuil de 34° pendant des durées dépassant quelques 35 heures par an. Les régions humainement les plus pénibles sont à proximité de mers tropicales relativement fermées : Mer Rouge (Eilat), Golfe Persique (Koweït, Dubaï, …), Golfe de Californie (Culiacan), côte nord de la Mer d’Arabie (Aden, Karachi).
La région à risque n’est donc pas l’Afrique équatoriale. Des études publiées par Steven Sherwood le confirment : « ces conditions, proches ou supérieures à la tolérance physiologique humaine prolongée, ne se sont produites, pour la plupart, que pendant 1 à 2 heures ».
Le cas de la province de Sindh au Pakistan est un cas particulier. Jacobabad, au nord de cette province, est la ville réputée la plus chaude au monde. En juin, sa température atteint effectivement 36°C en valeur humide (toujours avec une occurrence maximale de 35 h/an). Les médias ont laissé croire que le réchauffement climatique avait aggravé la situation. Les températures humides relevées à Karachi manquent sur le 20ème siècle, mais depuis 2009, ils montrent une étonnante stabilité. Par ailleurs, Jacobabad est une ville peu peuplée, sortie de sa semi-somnolence avec le formidable projet d’irrigation avec la digue de dérivation sur l’Indus à Sukkur, à 80 km au SW de Jacobabad et terminée en 1932. Cette région du delta de l’Indus est donc de population récente, même si, à l’âge du bronze d'environ 2600 av. J.-C. à 1900 av. J.-C, la civilisation de l’Indus avait bâti des villes complexes sur quelques 100 à 150 hectares (Mohenjo-daro, Harappa, Mehrgarh, …), avant que celles-ci ne se vident subitement. Pourquoi ? Des éléments plaident en faveur d’une sécheresse soudaine qui, déjà à cette époque, a déstabilisé la région.
Quelles projections en tirer ?
Ces considérations n’ont pas pour objet de sous-estimer la pénibilité du travail pendant les périodes les plus chaudes… mais, même dans le pire des scenarios, il est faux de prétendre qu’1/3 de la population serait concernée par un seuil létal de température humide. Les grandes canicules ont toujours entraîné des pics de décès, en particulier d’enfants ou de personnes âgées.
En France, d’énormes canicules ont eu lieu pendant les étés du « petit âge glaciaire » : plus de 700.000 morts en France en 1718 et 1719 ; 200.000 victimes lors des étés 1747 et 1779. Plus tard, en 1911, environ 40.000 personnes ont été victimes des conséquences de la canicule. On est loin des 15 à 20.000 victimes de 2003 ou des 3000 victimes de 2022 ! Tous sont morts en période de chaleur, mais sont-ils morts de chaleur ?
Les médecins savent que la capacité de résistance de l’homme à la chaleur dépend également d’éventuelles fragilités internes des métabolismes de thermorégulation de chacun, de la qualité des nutriments ingérés, de la capacité à limiter son activité physique et de se mettre à l’abri. Une étude scientifique très détaillée confirme que « les décès associés à des températures inconfortables ont une cause principale attribuable à une maladie chronique ». Enfin, il est paraoxal de rappeler que la mortalité liée au froid (environ 61 décès pour 100.000 habitants par an) est 20 fois supérieure à celle liée à la chaleur (3/100.000).
Les morts climatiques sont d’abord des victimes de la pauvreté qui réduisent les capacités d’adaptation aux catastrophes naturelles. La surestimation démesurée de la cause humaine du réchauffement actuel entraîne les pays pauvres dans une décarbonation de leurs économies qui les rendra encore plus pauvres.
[1] Jancovici, dans « Le monde sans fin » (p. 113)
[2] Comprendre le diagramme psychrométrique : https://www.youtube.com/watch?v=dQOJBJKvYlM