Le Cardinal Scola, archevêque de Milan, est intervenu le 17 novembre 2015 au collège des Bernardins, sur le thème "le Christ et l’univers". Ce regard sur l’écologie lui a permis d’insister sur la nécessité d’un "principe unitaire théorique et pratique".  "Les2ailes.com" ont retranscrit la première partie de cet échange. La seconde partie concernant le dialogue avec le public n’a pas été repris, ni l’homélie-prière finale méditant sur la lettre de St-Paul aux Romains évoquant les douleurs de l’enfantement de la création.
Mgr Beau avait introduit cette intervention en expliquant pourquoi il avait pris le parti de ne pas annules cette soirée malgré les attentats survenus au Stade de France et au "Bataclan" quelques jours auparavant.

Source: KTO-TV

Information "les2ailes.com"

"Les2ailes.com" reprennent le texte exact de cette intervention. Les titres intermédiaires sont ceux de "les2ailes.com"

1- Propos introductif du Cardinal Scola

« Avant tout, je veux redire ma solidarité pour tout le peuple français ou victime. Dimanche passé, dans toutes les messes du diocèse de Milan, on a fait une prière commune pour montrer notre participation à cette immense tragédie et j’ai redit aujourd’hui au Cardinal Vingt-Trois notre partage de cette épreuve qui d’ailleurs est pour tout le monde, pour toute l’Europe et certainement nous avons pour quelques décennies de travail et de douleur à passer afin que tout cela puisse trouver, avec la grâce de Dieu,  une solution. Et, prier, c’est fondamental parce que la prière n’est pas une fuite. Au contraire, c’est se rendre présent à Dieu, et donc à évaluer, à juger ce qu’il se passe et surtout à agir, à se convertir en vue d’une recherche véritable de la paix. ...

I

La manière la plus adéquate pour le chrétien, de parler d’écologie, c’est de faire sien le regard du Christ sur la création

«Regardez les oiseaux du ciel: ils ne sèment ni ne moissonnent… et votre Père céleste les nourrit» (Mt 6,26). «Observez les lis des champs, comme ils poussent: ils ne peinent ni ne filent. Or je vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme l’un d’eux» (Mt 6, 28-29).
«Ne vous inquiétez donc pas en disant: «Qu’allons-nous manger? Qu’allons-nous boire? De quoi allons-nous nous vêtir? Votre Père céleste sait bien que vous avez besoin de toutes ces choses. Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice et tout cela vous sera donné par surcroît» (Mt 6, 31-33).
Sans aucun doute, pour le chrétien, la manière la plus adéquate pour parler d’écologie, dans le cadre de laquelle se pose la question climatique, c’est de faire sien le regard du Christ sur la création. Nombreux sont les textes bibliques qui le confirment.
A la citation de Matthieu, Sören Kierkegaard a consacré un de ses "discours édifiants" intitulé: Ce que nous apprennent les lis des champs et les oiseaux du ciel [1]. Il en arrive à dire que nous devons considérer sérieusement le lis et l’oiseau comme des maîtres [2] parce que l’Evangile n’est pas si spirituel que l’on ne puisse se servir du lis ou de l’oiseau, ni si terrestre – comme le suggère le Père Marie-Joseph Le Guillou – que l’on n’y puisse entrevoir un niveau à la fois réaliste et contemplatif. Il est impossible de réduire le regard de Jésus sur la nature à de la poésie ou à du sentimentalisme.
Ce que nous pouvons apprendre reste décisif pour nous, hommes post-modernes. Que nous enseignent donc le lis des champs et l’oiseau du ciel? Chercher d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, comme le dit avec insistance l’Evangile de Matthieu. Une attitude qui nous conduit à découvrir derrière chaque être l’acte libre de Dieu qui crée le monde. Alors le discours que tient la création est un discours plein de sagesse.
C’est de lui que les hommes qui ont reçu le don du langage peuvent apprendre l’amour. L’amour est tissé de respect, parce qu’il "possède avec détachement". Dans le détachement respectueux de la création, le regard du Christ nous apprend à laisser de l’espace à Dieu, à son Règne, c’est-à-dire au Créateur et à son œuvre de justice à l’égard de toutes les créatures qui alors nous deviennent familières. Dans cet amour, qui ne connaît pas la crainte, se concentre aussi toute la question écologique. Pour s’exprimer comme le Pape François, la "spiritualité écologique"[3] est le respect de toute créature, de sa durée, de son propre rythme. Un respect qui laisse "l’autre" être lui-même. Même dans la Trinité, l’amour plein de respect qui circule entre les trois Personnes, garantit leur réciproque "laisser être" dans la plus radicale des différences subsistant dans l’unité absolue.

II

N’attendez pas de moi que je fasse une sorte de slalom entre les piquets étroits qui jalonnent la piste tortueuse de la question climatique... Le débat est beaucoup plus complexe qu’une certaine vulgate veut nous le faire croire.

N’attendez pas de moi que je fasse une sorte de slalom entre les piquets étroits qui jalonnent la piste tortueuse de la question climatique. Non seulement parce que je n’en ai pas la compétence, mais aussi parce que le débat est beaucoup plus complexe que ce qu’une certaine vulgate veut nous le faire croire. Pour cela je vous renvoie à la Lettre encyclique Laudato si’ du Pape François, à l’Appel du 26 octobre dernier lancé à Rome à la COP 21 par des Cardinaux, des Patriarches et des Evêques représentants des conférences épiscopales des différents continents et à celui, tout récent, des Evêques de la COMECE.
Ce qui me tient le plus à cœur c’est donc la priorité évangélique du Royaume de Dieu et de sa justice. Ce qui m’intéresse c’est le regard de Jésus  sur la création qui voit, avec un amour plein de respect, toutes les choses en transparence. Son regard nous demande une conversion radicale en vue de préserver la création, indépendamment du niveau et des causes de sa dégradation que d’ailleurs tout le monde connaît.
Nous sommes des milliards, nous les hommes, à vivre sur notre belle planète qui n’est ni la "gaïa holistique vivante", ni un puzzle de pièces réparties en un ensemble chaotique. Nous sommes tous appelés à regarder le cosmos entier comme Jésus regarde le lis des champs et l’oiseau du ciel. Il est superflu d’ajouter que c’est une tâche pour le présent comme pour le futur, pour notre génération comme pour les prochaines.
Dans cette optique, ce qu’il m’importe avant tout de dire en ce qui concerne la question climatique, c’est que le dépassement du dualisme souvent critiqué entre anthropocentrisme et géocentrisme exige l’affirmation d’un principe unifiant théorique et pratique, le seul qui, sans annuler la diversité, peut freiner les conséquences pernicieuses d’un rapport faussé entre l’homme, la famille humaine et la création[4].
La question de la centralité de l’homme dans la création a rencontré, surtout ces dernières décennies, un certain nombre de critiques. Il y a eu ceux qui ont imputé aux récits de la création (cosmogonie et antropogonie), contenus dans le livre de la Genèse (Gen 1-3,25), la responsabilité d’une attitude prédatrice à l’égard de la création. Au contraire, la foi biblique nous fait reconnaître «que nous ne sommes pas Dieu. La terre nous précède et nous a été donnée»[5]. De plus: la vision chrétienne de la création nous a permis de démythifier et de démystifier la nature en reconnaissant soit la consistance et la valeur de chaque être créé, soit la spécificité de l’être humain[6].
Certainement l’action destructrice de la planète, réduite à être une sorte de mine à exploiter jusqu’au bout de ses possibilités, n’a pas trouvé les chrétiens, comme les autres hommes d’ailleurs, assez vigilants et attentifs. Ils ont souvent contredit l’invitation du Créateur à sauvegarder avec soin et sagesse la Création, que ce soit dans le domaine de la "cultivation" (coltura), de la culture et du cultuel (les trois termes ont la même racine). Quand ils ont agi de cette façon, ils ont trahi la signification et la valeur de l’enseignement de la Genèse.
De nombreux mouvements écologistes actuels, qui ont tant d’influence sur la mentalité dominante, opposent à l’anthropocentrisme un biocentrisme radical qui met sur le même plan tous les êtres de la biosphère, en leur accordant les mêmes droits. Telle est la thèse soutenue sous des formes diverses par des auteurs comme Paul Taylor, Arne Naess, Tom Ryan, Peter Singer[7]. Mais annuler la diversité ne promeut pas de droits selon la justice et finit par empêcher la réalisation individuelle. Sans cette prémisse, il est impossible d’édifier un monde juste.
Le problème des changements climatiques comme les autres questions écologiques – la rupture des cycles, la destruction de la couche d’ozone, la déforestation, les pluies acides, la diminution de la biodiversité, la désertification, la contamination de l’atmosphère, de l’eau et du sol exige [donc] un principe unifiant théorique et pratique respectueux de chaque créature.
Pour le déterminer, les mystères de la foi chrétienne nous aident beaucoup. Et pas seulement la foi au Dieu Créateur, mais également et de façon plus définitive, la foi au Christ, mort et ressuscité, juge des vivants et des morts, qui récapitule toute la création. «Le but n’est pas un "autre monde", mais la transfiguration de celui-ci. Les réalités terrestres ne doivent être ni niées ni méprisées, parce qu’elles seront avec nous dans notre destin de gloire»[8]. Que nous offre une pareille certitude? Elle introduit la tension bénéfique vers ce respect qui naît de la conscience que tous les êtres ont une communauté de destin. Elle requiert une attention empressée et ordonnée à la création. En ce qui concerne la question écologique, la foi chrétienne émerge avec toute sa capacité d’intégration et d’unité entre des pôles qui, à première vue, sembleraient opposés: c’est l’homme, corps et âme mais vraiment un (corpore et anima unus, cfr. Gaudium et spes 14), dans sa nature de microcosme, qui révèle le destin de transfiguration commun à tous les êtres.

III

Dans le contexte d’extraordinaire beauté qu’offre cette matrice culturelle, illustre et universelle que représente le Collège des Bernardins, nous pouvons tenter de répondre à la question qui concerne le principe unitaire. Nous trouvons un chemin important pour cela chez Saint Paul. Et, plus précisément dans ce qu’on nomme Les lettres de la captivité’ (Ephésiens, Philippiens, Colossiens et Philémon).
Depuis les Pères de l’Eglise jusqu’à l’exégèse contemporaine, on s’est beaucoup concentré sur le "Christ Cosmique", thème clé de ces lettres de saint-Paul, c’est-à-dire sur le rapport entre le Christ et l’Univers. Paul y attribue à Jésus Christ, Celui «en qui, par qui et pour qui tout a été créé» la récapitulation finale de tous les êtres. Le regard de Jésus sur la création, auquel nous avons fait référence au début, s’approfondit en une forme de possession dans le détachement, qui est eschatologique, finale et définitive et qui assure à tous les êtres, en même temps, leur consistance réelle et autonome et leur pleine relation avec les autres.
La création est en réalité une symphonie de créatures respectées dans leur diversité singulière et dans leur relation avec les autres. C’est cela la beauté.
Pour revenir au Christ cosmique, autour des années 60 de notre ère, Paul se trouvait affronté à quelque chose de semblable, dans ses causes, à notre actuelle crise écologique qui «se manifeste aussi à travers les symptômes de maladie que nous observons dans le sol, dans l’eau, dans l’air et dans les êtres vivants»[9]. Paul stigmatise le climat culturel et religieux qui a tenté d’utiliser toutes les médiations (les puissances angéliques, les sciences philosophiques, les visions) de manière autonome, en finissant par obscurcir la seule et vraie médiation du Christ dans laquelle seulement toutes les autres se composent harmonieusement.

Une vérité qui soit universelle et qui donc dépasserait en intégrant toute médiation, se brise contre le pouvoir exorbitant d’une sorte d’universalisme scientifique

Il n’est pas du tout déplacé de proposer cette lecture dans le contexte culturel actuel. Aujourd’hui, la thèse qui nie la possibilité de connaître – bien sûr non sans de graves difficultés et avec des erreurs – une vérité qui soit universelle et qui donc dépasserait, en l’intégrant, toute médiation, se brise contre le pouvoir exorbitant d’une sorte d’universalisme scientifique qui, dans les faits, va au-delà du principe "inattaquable" de falsification sur lequel se fonde le chemin de la technoscience. Toute découverte merveilleuse et souvent très bénéfique de la technoscience est saluée par la pensée courante comme un progrès absolu et définitif. Cela réduit de fait la possibilité qu’une autre recherche de sens puisse aller au-delà de l’empirique. Les biotechnologies et bien plus encore bientôt les neurosciences ne présentent-elles pas un risque dans cette direction?
Cette façon de comprendre et de pratiquer la technoscience ne finit-elle pas par rappeler, au-delà des mutations radicales de contenus et de langage, les puissances angéliques ou les sagesses philosophiques ou les visions dont parle Paul, qui voulaient se substituer au principe unifiant qu’est le Christ ou, plus généralement, à la recherche unifiante de sens (à la fois signification et direction), même envisagée avec toutes les nécessaires médiations autonomes?
Pour revenir à Paul, la singularité divino-humaine du Christ est le facteur qui tient ensemble toute la création, elle est la destination de toute chose. En Christ se voit la nouvelle harmonie entre création et histoire. Il est à leur origine, Il les fait subsister, Il est leur fin. Lui sur qui la mort n’a plus aucun pouvoir. Il est la médiation constitutive en qui tout le cosmos est récapitulé et irréversible.
L’Eglise est le lieu "corporel" de telle unité et de telle réconciliation. Elle est le lieu où la tête (le Christ) manifeste sa seigneurie. Sa résurrection inaugure dans l’histoire un processus qui attire à lui toute les créatures. Il porte le cosmos à son achèvement.
Assumer l’attitude de Paul, c'est-à-dire se référer à la «pensée» (nous) (I Cor 2,16) et aux «sentiments» (Ph 2,5) du Christ est la condition décisive pour une écologie équilibrée. Maxime le Confesseur décrit d’une façon stupéfiante ce que signifie avoir la pensée du Christ: «Moi aussi, en effet, je dis que j’ai la pensée du Christ – "nous christou" – moi qui pense selon Lui et pense Lui à travers toute chose» [10]. Dans cette tâche du nouveau millénaire, les chrétiens, tout en reconnaissant leurs erreurs et sans aucune intention hégémonique, sont appelés à proposer à la liberté de tous les sujets qui composent la société plurielle des styles de vie qui témoignent de ce rapport renouvelé avec la création.

IV

Ce n’est que dans la reconnaissance d’un principe unificateur que peuvent être affrontés les défis écologiques actuels. La question du sens (à la fois signification et direction) est universelle et inéluctable. C’est pourquoi Benoît XVI parlait de la nécessité d’une écologie humaine à côté d’une écologie environnementale [11].
Le Pape François, dans son encyclique Laudato si’, articule cette idée en proposant une écologie intégrale [12] à la "spiritualité" de laquelle nous devons tous nous former. Cette écologie intégrale implique une écologie environnementale, une écologie économique et sociale, une écologie culturelle pour aboutir à une écologie de la vie quotidienne. C’est un long travail qui s’offre aux hommes s’ils veulent modifier leur rapport avec la création parce qu’il demande à des milliards de personnes de changer des centaines de comportements. Pourtant, seule une telle écologie peut triompher de la dégradation humaine et sociale surtout en vue de vaincre l’injustice «pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres»[13]. Les Pères de l’Eglise disaient «Donne à manger à celui qui meurt de faim car si tu ne lui as pas donné à manger, tu l’as tué»[14]. Sans une telle écologie, une solidarité globale, la seule qui soit respectueuse de la destination universelle des biens, est impossible.

V

«O beauté! ô monde ivre d’amour éternel, de vie éternelle». Ce sont les paroles ajoutées par Mahler au texte du dernier mouvement du Chant de la terre (Das Lied von der Erde, 1907-1909). Beauté[15], monde, ivresse (pas celle des poètes maudits – Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Mallarmé… – celle qu’ils cherchaient dans l’absinthe), amour (la force qui «meut le soleil et les autres étoiles»[16]) et éternité: la création dans toutes ses manifestations révèle une soif inépuisable d’éternité. En chaque être il y a quelque chose d’éternel. Le grand musicien, marqué profondément en ces années par la mort (à cause de la mort de sa fille et de la maladie mortelle dont il souffrait lui-même) mais toujours «avide de vivre», reconnaît que «l’habitude de vivre est plus douce que jamais»[17]. Dans le «tourment (qui) dévore éternellement (son) cœur», devant les questions ultimes – "D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Pourquoi souffrons-nous?", il parvient à affirmer: «Je ne serais pas surpris de me retrouver dans un corps nouveau [transfiguration]. C’est étrange, quand j’entends de la musique, même si c’est moi qui la dirige, je trouve des réponses précises à toutes mes questions et tout pour moi est parfaitement clair et évident. Ou plutôt, ce que je crois percevoir avec clarté c’est qu’il ne s’agit absolument pas de questions»[18].
Ici, le monde de la musique se rapproche beaucoup de celui de la foi, dans la recherche du sens de la réalité, d’une écologie équilibrée. Qu’est-ce, en effet, que la musique sinon une ouverture qui invite à traverser toute la création?

Merci (26.53)

 

2 - Dialogue avec un journaliste

Journaliste

« En vous entendant, en vous écoutant, on est frappé par l’ampleur de la conversion écologique à laquelle, d’ailleurs, tous les papes depuis Jean-Paul II nous appellent. Conversion ! Le mot n’est pas trop fort. Il s’agit de se convertir à l’écologie pour convertir l’écologie qui, comme vous l’avez souligné, en a beaucoup besoin. Mais, d’un autre côté, vous avez aussi laissé entendre, que nous autres chrétiens avons peut-être un examen de conscience à faire pour notre « manque de vigilance », comme vous l’avez dit,  dans ces domaines, et également dans le modèle économique global qui est, il faut bien le dire, la cause du saccage de la planète. Comme pasteur, quelle explication voyez-vous à cette relative indifférence des chrétiens et des catholiques envers ces questions, jusqu’à une date relativement récente, mais c’est en train de se terminer : le réveil a commencé à marcher.

Cardinal Scola.

Il n’est pas suffisant d’attaquer seulement certaines modifications de caractère technocratique pour renverser la situation

C’est vrai, vous avez raison : les deux points de votre question sont très justes.J’ai beaucoup apprécié le fait que le magistère nous parle de conversion écologique. Parce que, avec cette expression, on peut mesurer encore la distance qu’il y a entre l’expérience réelle d’assomption de la création dans sa globalité et la pratique, disons, de tout cela ; le fait de dépasser l’idée de la création comme pépinière de laquelle on peut toujours prendre tout ce que l’on veut. Mais, vous avez raison aussi de dire que, depuis quelques décennies, les catholiques et les chrétiens en général, et les chercheurs du sens, on commencé à apprendre tout cela. Et donc l’examen de conscience est nécessaire. Je veux dire un mot sur le fait du modèle économique global qui introduit à cette notion d’écologie intégrale et que le pape, dans Laudato si, a décliné avec une série de passages : écologie de la création, écologie sociale, écologie de la culture,  et même écologie de la vie quotidienne. « Tout est lié » ! Il est vrai que le modèle économique global est à la racine de cette situation et il n’est pas suffisant d’attaquer seulement certaines modifications de caractère technocratique pour renverser la situation. Mais cela nous amène au problème fondamental que j’appelais de la nécessité de retrouver dans sa vie, un principe unitaire, unifiant, à la fois théorique et pratique, c’est à dire quelque chose qui se vit. C’est à dire, ça commence avec la modalité dans laquelle j’emploie l’eau le matin quand je me fais la barbe. C’est différent de laisser le robinet toujours ouvert ou de le fermer. C’est une petite chose. ... et il y en a beaucoup de ces petites choses. Il est très important, sur ce thème qui nous pousse à nous impliquer radicalement. Ma préoccupation, pour le dire clairement, aussi envers certaines réalités, -je parle du milieu italien que je connais, catholique, je ne veux pas faire une critique radicale- c’est de ne pas comprendre que si on affronte ce problème traitant l’écologie comme une partie, on ne retrouvera pas le problème. Je comprends très bien que parler de principe c’est une catégorie trop abstraite, théorique. Mais il s’agit d’expérience qui est capable d’articuler en unité tout ce que nous vivons dans le quotidien. L’écologie a à faire avec la vie de la famille, avec la modalité avec laquelle on travaille, avec laquelle on vit la douleur, on vit la tragédie, on vit les moments joyeux, on vit la fête. C’est vraiment quelque chose qui touche tout, mais il faut avoir un sens unifiant pour vivre. C’est pour cela que j’ai rappelé la relation du Christ à la vie unitaire, cette capacité de regarder les choses en transparence et donc de respecter la croissance et le rythme de chaque créature, ce qui implique bien sûr de respecter avant tout l’existence, la croissance et le rythme de l’homme qui est toujours en relation avec la famille humaine, avec le cosmos.

Journaliste

Dans l’encyclique Laudato si, le Pape dit d’ailleurs que notre changement de façon de vivre est le seul moyen, à condition qu’il se diffuse, qu’il se répande dans un certain volume critique, c’est le seul moyen d’obliger les dirigeants de la politique et de l’économie à prendre enfin les décisions que l’on attend depuis plusieurs dizaines d’années. Que pensez-vous de cela, que le changement de vie dans les petites choses peut finalement modifier les grandes ?

Réponse Cardinal Scola

On pense qu’il suffit d’avoir des technocrates qui font un projet pour résoudre le problème.

Cela a toujours été comme cela dans l’histoire : les choses changent à partir de la base. On le voit dans l’Église. Si nos églises européennes sont très fatiguées aujourd’hui, c’est qu’on fait trop de projets, trop de programmes, on donne trop de services. Tout cela est juste ; il le faut. Mais si on ne vit pas un mouvement qui, à partir de la base, retrouve la beauté et la joie de suivre le Christ en établissant des rapports véritablement fraternels entre eux nous, les chrétiens et avec tous les gens et avec une ouverture totale de la préférence donnée aux pauvres. Comme nous sommes fatigués à ce sujet, il est évident que l’église se fatigue à changer. J’ai parlé des milliards de personne qui doivent changer des centaines de comportement. Mais si cela se met en mouvement, cela peut arriver seulement de la mise en relation de rapports entre les personnes, entre les gens. Il est difficile que puisse arriver un changement. C’est très  difficile parce que la politique, au sens profond du mot, mais aussi au sens institutionnel du mot, est le gouvernement par la gestion de la vie sociale. La grande équivoque, aujourd’hui, c’est la politique qui se fonde sur le domaine de la technocratie. Notre politique, à cause de la relation vitale  entre production et finance, se fait par des voies technocratiques.  Alors,  on pense qu’il suffit d’avoir des technocrates qui font un projet pour résoudre le problème. Non ! Le problème implique toujours que moi, je m’implique directement avec la réalité, que mon expérience quotidienne de moi-même et de mes relations puissent produire ce changement que, nous les chrétiens, appelons conversion, qui peut réellement changer la base de la soi-disant société civile

Journaliste

S’en remettre aux technologies pour résoudre la crise écologique n’est pas une attitude adéquate.

Cardinal Scola

Pour nous, le sens c’est le Christ. On doit expliciter tout cela selon une logique de témoignage qui n’est pas proposable simplement comme le bon exemple

Exactement, ce n’est pas du tout suffisant. Alors, cela implique que, nous les européens, on se prenne la main comme peuple, comme capacité de relations entre nous, des relations qui soient fondées sur le sens. Pour nous, le sens c’est le Christ. On doit expliciter tout cela selon une logique de témoignage qui n’est pas proposable simplement comme le bon exemple. Mais elle est aussi une modalité de connaissance adéquat de la réalité, et donc il devient une modalité de communication de la vérité. On doit retrouver la densité de cette expérience avec nos paroisses, avec les groupes, avec les communautés chrétiennes, mais aussi, avec bien sûr toutes les distinctions nécessaires, avec toutes les personnes qui habitent cette société qui est devenu plurielle, et dans laquelle on doit quand même vivre ensemble.

Journaliste

Pensez-vous, justement, que les paroisses soient suffisamment mobilisées sur ces questions ? EN Italie, je crois qu’il y a un peu de progrès et d’avancées par rapport à la situation française qui est un peu « commençante » dans ce domaine

Cardinal Scola

En réalité, pendant ces 10 dernières années en Italie, beaucoup de choses sont nées à ce sujet.

Journaliste

... Il y a un dimanche diocésain de l’environnement depuis 15 ans...

Cardinal Scola

...C’est un dimanche de la création. Mais il y a beaucoup de groupes, mais ce n’est pas qu’à cause des sujets écologiques, mais c’est justement cette fragmentation : il y a dans telle paroisse le groupe qui s’occupe de l’écologie et tout le reste ne compte pas. Il y a le groupe qui fait la catéchèse, et tout le reste ne compte pas...

Journaliste

...Vous avez dit tout à l’heure que l’écologie et la justice sont deux notions tout à fait liées , contrairement à ce que croient beaucoup de gens....

Cardinal Scola

Je ne peux pas trouver l’énergie dans un problème ; je ne peux la trouver que dans des relations

C’est la grande nouveauté de l’Encyclique, parce qu’elle a placé dans l’optique, pour nous chrétiens, le thème dans l’optique de la création et de la résurrection, et de là  le dégager pour tout le monde avec la possibilité de voir véritablement la réalité écologique et pas seulement dans la perspective unitaire qui est la seule. Parce que pour repartir, tous les matins, depuis les tranches paresseuses du sommeil, je ne peux pas trouver l’énergie dans un problème ; je ne peux la trouver que dans des relations, dans des rapports intimes à partir de la famille et qui s’élargissent à tout le monde, ce qui me donne le sens du chemin, qui me donne le désir de s’aimer : c’est ma passion. Alors parfois -mais je ne veux pas critiquer- mais quand je vais en paroisse, je vois toujours des fatigues ! Alors, lorsqu’on se lève,  on devient un peu ennuyeux et les gens n’ont pas envie d’aller dans des lieux qui les ennuient.

Journaliste

Peut-être aussi, là où il y a du retard dans la prise de conscience des paroissiens sur les questions de responsabilité vis à vis de l’environnement, c’est peut-être dû au fait de la diversité, la richesse et l’ampleur de la pensée de l’Église, le fait qu’elle s’applique à tous les domaines, parce que « tout est lié », n’est pas assez suffisamment perçu. Il y a peut-être qu’un certain nombre de gens restent sur une conception spiritualiste, ce qui ne correspond peut-être pas complètement à l’incarnation.

Cardinal Scola

Nous les catholiques, nous sommes les plus matérialistes qui existent

Je vous remercie beaucoup, parce que, depuis une trentaine d’années, j’attaque le spiritualisme, parce que, nous les catholiques, nous sommes les plus matérialistes qui existent. C’est clair : tout le monde le reconnait ici, parce que nous sommes fils d’un Dieu qui s’’est incarné. Il s’est impliqué dans l’histoire, a fait notre expérience sauf le péché. Mais Il a accepté d’être traité comme un pécheur pour faire l’expérience lui-même de ce que c’est, l’expérience de combien le péché est terrible, l’expérience de l’éloignement que le péché pose entre Dieu et l’homme. ET alors,  nous sommes les fils de l’esprit saint qui est l’esprit de Jésus incarné qui a subi la passion, qui est mort pour nous et qui est ressuscité. Nous sommes bien enracinés dans la création et dans la réalité. Et cela, on doit le témoigner. Par exemple, la grande thèse sur laquelle insiste l’encyclique est celle de l’enseignement catholique, depuis longtemps, de la destination universelle des biens, c’est à dire la justice. Mais une justice qui ne peut pas ne pas demander quelque chose de plus grand qui est la miséricorde, bien que nous, comme hommes, nous n’arrivons pas à trouver un équilibre entre ces deux éléments. Nous avons la certitude que, en Dieu, miséricorde et justice coïncident. Et cela, nous donne comme une voie, un chemin, parce que, sur cette terre, il nous est très difficile, voire impossible de faire coïncider les deux choses. Mais, si nous entrons dans ce sillage de la destination universelle des biens, cela signifie que je dois assumer la responsabilité, lorsque je traite les autres,  lorsque je fais des achats, lorsque j’entre en relation avec l’eau, avec un panorama,  etc, de me poser la question du comment je suis en train d’agir. Lorsque j’achète une voiture plutôt qu’une monte, je suis en train de respecter la destination universelle des biens. Il n’ y a pas quelqu’un, évidemment, qui puisse m’obliger, mais c’est ma liberté qui est mobilisée. Le rappel que le Pape François continue à faire pour que les gens viennent au point de vue de la pauvreté sur toute la réalité, comme un point de vue privilégié, substantiellement privilégié. Parce que, lorsqu’on est en rapport avec la pauvreté, on voit aussi des grandes misères spirituelles, mais la radicalisation de cette expérience nous permet de regarder de la périphérie au centre, de vivre les choses d’une manière nouvelle. Tout cela est important dans le domaine de notre relation avec la création .

Journaliste

Cela, traduit dans le domaine sociétal, comme on le dit maintenant, cela veut dire  que la seule foi au Christ est la seule vraie révolution.

Cardinal Scola

Je pense que, certainement, sans cela, je ne serais pas là à parler de ces choses. C’est vraiment,  parce que le jour où par hasard, je trouverai un autre sens plus profond, je laisserai tomber. Je n’ai pas trouvé, à 74 ans !

Journaliste

Est-ce que vous ne pensez pas que le fait que le Christ soit incarné dans la nature, fait de Lui, comme le disais un théologien,  la cellule inaugurale du monde nouveau. Donc, le chrétien, le croyant au Christ ne peut pas traiter la matière comme le paganisme moderne la traite. C’est peut-être le fondement théologique de la démarche chrétienne en écologie.

Cardinal Scola

Cette question de climat devient tellement technique ! Il est  injuste, profondément injuste et non-démocratique, que toutes les personnes simples ne soient mises en condition d’avoir les éléments qui leur mette en commun de désirer une spiritualité de conversion

Sans oublier que nous, dans le Credo, nous parlons de la résurrection de la chair, oui de la chair ; pas de l’immortalité de l’âme. La résurrection de la chair ! C’est parce que nous avons cette perspective que le retour glorieux du Christ rendra évident toute personne. Il n’y aura plus la possibilité de dire que je ne vois pas, que je ne comprends pas. Ce sera l’évidence absolue. Alors, en étant fils de quelqu’un qui  nous a précédé à travers la passion et la mort, je pense à la tragédie des hommes qui sont mort d’une manière tellement horrible. Le calvaire : on doit passer par là. Mais on débouche sur un corps véritable. Le canon de Pâques, nous dit cela : Corpus deum ! Il y aura continuité avec ce corps. Comment ? On ne le sait pas, mais je retrouverai mon corps et mes relations constitutives, et, dans l’éternité, nous serons dans un état qui est corporel. Et cela constitue une raison profonde pour traiter les questions dont nous sommes en train de parler.
Et je veux vous dire une chose qui n’est pas apparemment immédiatement liée à cela : avec l’écologie et les sciences écologiques, comme avec l’économie et surtout la finance, la technocratie n’arrive pas à communiquer aux gens simples, à quelqu’un comme moi, qui n’a pas d’expérience, qui n’a pas eu la possibilité d’étudier ces problèmes, la véritable valeur de ce qui est en jeu. Par exemple, cette question de climat devient tellement technique ! Mais il est  injuste, profondément injuste et non-démocratique, que toutes les personnes simples ne soient mises en condition d’avoir les éléments qui leur mette en commun de désirer une spiritualité de conversion vis à vis de l’écologie, de la justice, vis à vis de la finance.

3- Méditation finale du Cardinal Scola

"J’estime en effet que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit se révéler en nous. Car la création attend ardemment la révélation des fils de Dieu. La création, en effet, a été assujettie à la vanité – non de son propre gré, mais par l’autorité de celui qui l’y a assujettie- dans l’espérance que cette création aussi sera libérée de l’esclavage de la corruption pour avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons en effet, la création tout entière gémit et souffre jusqu’à ce jour dans les douleurs de l’enfantement. Elle n’est pas la seule : nous aussi, qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons intérieurement dans l’attente de notre adoption et de la rédemption de notre corps. Car nous avons été sauvés, mais c’est en espérance. Or, voir ce qu’on  espère ce n’est plus espérer ; ce qu’on voit, en effet, comment pourrait-on l’espérer encore ? Mais espérer ce que nous ne voyons pas, c’est l’attendre avec persévérance". (Romains 8,18-25)

[1] Cfr.S. KIERKEGAARD, Le lis dans le champ et l’oiseau dans le ciel. Discours 1849-1851, Virgolette 51, Donzelli, Rome, 2011.

[2] Ibid 36.

[3] François, Laudato si’ 216.

[4] Cfr. A. Scola, Cosa nutre la vita?, Centro Ambrosiano, Milano 2013, 13-24.

[5] François, Laudato si’, 67.

[6] Cfr. ibid, 81

[7] Cfr. P. Klett Lasso De La Vega, P. Martinez de Anguita, Justicia con la naturaleza, Dykinson Madrid, 2013, 68.

[8] Cfr. G. Biffi, Linee di escatologia cristiana, Jaca Book, Milano 1984, 50.

[9] François, Laudato si’, 2.

[10] Maxime le Confesseur, Il Dio-uomo,a cura di Aldo Ceresa-Castaldo, Jaca Book, Milano, 1980, 103.

[11] Cfr. Benoit XVI, Caritas in veritate, 51.

[12] Cfr. François, Laudato si’, 137-142.

[13] Ibid, 49.

[14] Cité in Gaudium et spes, 69: Décret de Gratien, c. XXI, dist. LXXXVI.

[15] Augustin, De musica VI, 13,38, «Dis-moi, je t’en prie ce qu’on peut aimer d’autres que des choses belles».

[16] Dante, Paradis XXXIII, 143.

[17] Cfr. B.WALTER, Gustav Mahler, Editori riuniti, Roma 1981.

[18] Ibidem.