Stanislas de Larminat est intervenu au centre Garnelles le samedi 28 septembre 2024 à 20h45, 6 rue Jean Nicot à Paris. Il a proposé une réflexion sur Laudato si en soulignant les perspectives à approfondir et les éclairages à attendre.
Dans une première partie, il a souhaité purger la question climatique dont il est question dans l'encyclique. Ce préalable lui permit de développer les principaux messages de Laudato si, en particulier la théologie de la relation essentielle à la compréhension de l'expression "Tout est lié" Il a défini le concept d' "écologie intégrale" et cherché à faire comprendre le mystère trinitaire de la création.
Dans une troisième partie, Stanislas de Larminat a expliqué pourquoi il apprécierait que des éclairages soient apportés sur certains points de l'encyclique, en particulier les questions relatives à la manière d'intégrer les principes de subsidiarité et de suppléance dans la gouvernance mondiale, le concept de péché contre la création, celui de bien commun et celui d'un agir responsable en écologie.

Le texte de cette conférence est repris ci-après.

Reprise: "les2ailes.com"

Pourquoi ce titre "Perspectives à approfondir"? Parce que certaines thématiques de Laudato si sont méconnues et ganeraient à être comprises dans toutes leurs profondeurs. Pourquoi poursuivre avec "Eclairages à attendre"? Parce qu'une saine herméneutique de la continuité peut nous amener à nous interroger sur d'autres thématiques plutôt que de nous y précipiter tête baissée! 

1- « L’état de la maison commune »

Au risque de vous étonner, je vais commencer par purger la question climatique qui obsède tant de responsables de pastorales écologiques.  Laudato si dit au § 61:  « l’Église n’a pas de raison de proposer une parole définitive et elle comprend qu’elle doit écouter puis promouvoir le débat honnête entre scientifiques, en respectant la diversité d’opinions »; et Laudato si continue au § 188 : « je répète que l’Église n’a pas la prétention de juger des questions scientifiques ni de se substituer à la politique, mais j’invite à un débat honnête et transparent » (§ 188).

Comment un débat peut-il être honnête s’il n’est pas contradictoire ? Comment peut-il être transparent s’il n’est pas public et cantonné au huis-clos de prétendus experts ?

Malheureusement ces débats contradictoires sont trop rares dans l’Eglise. Mgr Stenger, évêque de Troyes, a eu le mérite de m’en proposer un avec la vice-présidente du Giec pendant 2 journées de 6 h.

  • J’ai entendu, là, que la probabilité que le réchauffement ait une origine humaine n’est pas une probabilité calculée, mais une « probabilité subjective ».
  • J’ai entendu, là, qu’un modèle « n’exige ni n’implique que chaque aspect de la réponse au facteur causal en question soit correctement simulé» (Giec- AR5- chap 10.2.1, page 873)
  • J’ai entendu, là, que les principaux centres de modélisation climatiques paramétraient leurs modèles « pour obtenir les propriétés souhaitées » (Giec- AR5- chap1)
  • J’ai compris, là, que leurs modèles sont limités à 150 ans d’observations, empêchant d’expliquer la période chaude médiévale et le petit âge glaciaire entre Louis XIV et la Beresina.

Bref, cela m’a confirmé que le débat contradictoire est indispensable. Malheureusement, les relais d’opinion n’approfondissent pas les rapports du Giec. Je m’en suis rendu compte lors d’un débat contradictoire avec Olivier Rey, pourtant agrégé de mathématiques et censé comprendre comment fonctionne un modèle. Ce n’est pas le lieu, ce soir, d’approfondir. Pour ceux que cela intéresse, je leur propose de se faire leur propre idée en écoutant mon débat avec Olivier Rey sur Youtube.

Malgré l’appel de Laudato si au débat, force est de reconnaître que l’Eglise n’est pas exemplaire. Il n’y avait jamais eu de débat contradictoire à l’Académie Pontificale des Sciences. Son président avec qui j’ai dialogué pendant plusieurs heures, l’a reconnu. Les climatologues qui en sont membres, sont tous des membres du Giec !

Alors, si vous permettez, je vais en rester à ce que dit le concile, dans Gaudium et spes (1§ 43-2) que les laïcs ne doivent pas attendre de leurs pasteurs qu’ils « aient une compétence telle qu’ils puissent leur fournir une solution concrète et immédiate à tout problème, même grave, qui se présente à eux, ou que telle soit leur mission ».

Certains militants écologistes chrétiens ont tort de s’appuyer sur Laudato si pour cautionner des discours scientifiques rédigés par des proches du Pape qui l’ont poussé à sortir de la mission d’une encyclique. Pourquoi en est-on arrivé là ? Je pourrais vous exposer mon point de vue pendant les questions. En aucun cas, ce n’est pour moi un motif pour renier mon appartenance à l’Eglise. Comme le dit Carlo Caretto, fondateur des petits frères de l’Evangile, "on peut critiquer l'église à condition de l'aimer". Or j’aime l’Eglise comme ma mère. Sans elle, je ne serais rien.

Restons-en là pour mieux entrer dans …

2- Les messages de Laudato si

Il y a dans ce texte des réflexions importantes, concernant l’anthropologie chrétienne, le sens chrétien du travail, les bienfaits et les risques de la technologie, la vertu de sobriété, l’éloge du fait urbain, le concept de rétribution (Serons-nous récompensés par nos comportements ?), et bien d’autres thèmes.

Je me propose d’en approfondir trois perspectives :

  • Le slogan « Tout est lié »
  • L’écologie intégrale
  • Le mystère trinitaire dans Laudato si

2.1- « Tout est lié »

Le pape répéte à neuf reprises cette affirmation  ; il montre ainsi son attachement à une théologie de la relation : « Tout est lié, tout est en relation »

Les plus philosophes parmi vous savent qu’il existe trois types de relations en fonction du rapport liant deux réalités

- La relation "arbitraire"
Elle relève plus de la comparaison, par exemple entre une petite et une grande personne. La signification métaphysique est faible.

-  La relation "accidentelle"
Le fondement de cette relation ne consiste pas dans l’essence du sujet.  C'est le cas par exemple d'une relation du disciple au maître. Aucun ne disparaît si l’un des deux disparait.

- La relation "essentielle"
Par exemple, la relation de la Créature au Créateur est « essentielle » : on ne peut détruire, même par la pensée, le fondement de la relation sans détruire tout le sujet de la relation.

On est loin de ce que j’ai entendu, un jour, dans la bouche d’une personne pourtant éminemment respectable, qui s’interrogeait en ouverture d’une conférence : « le refroidissement de la foi ne serait-il pas l’envers du réchauffement climatique ? », comme s’il y avait une relation de cause à effet. Il s’agissait, certes, d’un trait d’humour et d’un effet oratoire.

Il n’empêche qu’il faut éviter d’en arriver à tout mélanger : les relations d’ordre écologique et celles d’ordre ontologique. Relisez le contexte des 9 citations où Laudato si affirme que « tout est lié », et vous verrez qu’il s’agit bien de relations essentielles, c’est-à-dire faisant écho à l’essence même de notre existence, à ce qui constitue notre substance, notre nature.

Le Pape dit la même chose à sa manière : "les personnes divines sont des personnes subsistantes" (LS § 240). Qu'est-ce à dire ? Tout cela n’est pas facile à comprendre pour qui n’est pas philosophe. La subsistance est en quelque sorte le mode d'existence de la substance (ou nature). Cela s’applique à la fois au créateur et à toutes les créatures :

  • L'unité de Dieu réside dans cette relation entre sa nature et son mode d'existence : en Dieu, essence et relation s'identifient. 
  • Concernant l’homme, le cardinal Ratzinger expliquait qu’il faut considérer l’homme comme l’unité d’une subsistance (ou personne) et d’une substance (ou nature). 
  • Pour le reste du monde créé, sa substance est matière et sa subsistance s'identifie à l'être matériel.

C'est que dit l'encyclique : « le monde créé selon le modèle divin est un tissu de relations » (LS § 240)

Pourquoi insister sur cette théologie compliquée de la relation ?
Si vous devinez ces concepts, vous comprendrez ce qu’on entend par …

2.2- Ecologie intégrale.

Cette expression est utilisée 10 fois dans Laudato si et tout le 4ème chapitre. Le texte dit d’ailleurs : « une écologie intégrale requiert une ouverture à des catégories qui transcendent le langage des mathématiques ou de la biologie, et nous orientent vers l’essence de l’humain » (§ 11). Cela étant, nombreux sont ceux qui parlent d’écologie intégrale et sont incapables de le définir. Dans le pire des cas, ils évoquent l’intégralité de l’écologie, le climat, l’eau, la biodiversité… Bref, l’intégralité du discours écologique mondial.

Or l’écologie intégrale, c’est l’intégralité des 4 relations essentielles, celles qui lient l’homme à son créateur, l’homme avec lui-même, l’homme avec son prochain, et l’homme avec les créatures non humaines. Une seule de ces relations vient à disparaître, et c’est toute l’écologie intégrale qui s’effondre.

Si vous devinez ces concepts, vous comprendrez également la merveilleuse envolée du pape François à la fin de Laudato si qui parle du …

2.3- Mystère trinitaire de la création

Au § 239, il écrit : « toute créature porte en soi une structure proprement trinitaire ».

Comme le dit l’encyclique, le regard de l’être humain est « limité, obscur et fragile ». Essayer de « lire la réalité avec une clé trinitaire » est un véritable défi.

Rentrés chez-vous, méditez lentement ce texte de Laudato si : « Le monde, créé selon le modèle divin, est un tissu de relations… Plus la personne humaine grandit, plus elle mûrit et plus elle se sanctifie à mesure qu’elle entre en relation, quand elle sort d’elle-même pour vivre en communion avec Dieu, avec les autres et avec toutes les créatures, … [plus] elle assume ainsi, dans sa propre existence, ce dynamisme trinitaire que Dieu a imprimé en elle depuis sa création » (§ 240).

Laudato si, associe cette réflexion à une dimension eucharistique : "Dans l’Eucharistie, la création trouve sa plus grande élévation... L'Eucharistie unit le ciel et la terre (§ 236)".

Comment ne pas faire l’éloge de Laudato si, quand on approfondit son contenu ?

Malgré tout, j’aimerais qu’une seconde encyclique puisse apporter

3- Quelques éclairages qui seraient utiles

En particulier sur …

  • La neutralité de la science et de la technique
  • L’écologie humaine et la sexualité
  • La valeur propre de chaque créature

Devant vous, je vais m’interroger sur quatre autres points :

  • Les principes de subsidiarité et de suppléance.
  • Le concept de péché contre la création.
  • Le concept de bien commun
  • L’agir responsable

3.1- Les principes de subsidiarité et de suppléance.

L’encyclique évoque la question de la gouvernance mondiale. Elle parle à plusieurs reprises de la nécessité "de régulation ... de contrôles suffisants" (§ 29), de "mécanismes adéquat de contrôle, … de sanction en cas de manquement, ... " (§ 167). Elle regrette "l’absence de mécanismes sévères de réglementation, de contrôle et de sanction …" (§ 174).  L’encyclique évoque la nécessité d’un "pouvoir pour sanctionner" (§ 175).

Mais le mot subsidiarité n’est prononcé qu’une seule fois à propos de Gouvernance mondiale

L’encyclique fait sienne le propos de Benoît XVI dans Caritas in veritate : "Pour le gouvernement de l’économie mondiale, … pour assurer la protection de l’environnement …, il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité politique mondiale …I » (§ 175).

Mais, paradoxalement, Laudato si coupe la phrase qui suit immédiatement après dans le texte de Caritas in veritate : "Une telle autorité devra …, se conformer de manière cohérente aux principes de subsidiarité et de solidarité". Or parler de gouvernance mondiale et de subsidiarité est un exercice subtil. En effet, l’étymologie du mot « subsidiarité » est celle d’une aide (subsidium), qu’une autorité supérieure doit apporter aux cellules sociales les plus réduites.

La subsidiarité évoquée par l’Europe se réfère plutôt au politologue Guy Héraud qui parle alors d’« exacte adéquation » comme principe d’action politique. Selon ce principe, les solutions sont imposées par le haut, par une élite sensée tout savoir. Dans l’exacte adéquation, chaque niveau de collectivité reçoit, d’une source supérieure mal définie, la compétence pour résoudre des questions qui, en raison de leur nature, ne seraient solubles qu’au sommet hiérarchique. On est à l’opposé de la subsidiarité.

Le compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise est très clair : « À la lumière du principe de subsidiarité, toute suppléance institutionnelle ne doit se prolonger ni s'étendre au- delà du strict nécessaire ». La suppléance revêt un « caractère d'exception ». (CDSE § 188). Les écologistes militants mettront précisément en avant des urgences pour justifier des structures de suppléance permanentes, souvent liberticides. « Le principe de subsidiarité protège les personnes des abus des instances sociales supérieures », explique le Compendium (§ 187). Car confiance en l’homme rime avec patience. La résilience de nos équilibres planétaires est probablement plus puissante que les erreurs humaines, même accumulées par des milliards d’individus. Le respect de ce droit de l’humanité à suivre des chemins détournés est une forme d’aide (subsidium) donnée aux personnes pour qu’elles puissent développer leur capacité d’agir et de penser par elles-mêmes, c’est-à-dire d’être libres.

3.2- L’idée de « péché contre la création »

L’encyclique évoque une vision orthodoxe : « Le Patriarche Bartholomée ... s’est exprimé à plusieurs reprises …, nous invitant à reconnaître les péchés contre la création : « Que les hommes dégradent l’intégrité de la terre en provoquant le changement climatique, en dépouillant la terre de ses forêts naturelles ou en détruisant ses zones humides ; que les hommes portent préjudice à leurs semblables par des maladies en contaminant les eaux, le sol, l’air et l’environnement par des substances polluantes, tout cela, ce sont des péchés ».
La question est la suivante : Quand y a-t-il péché ? Le catéchisme de l’Eglise Catholique rappelle que « La moralité des actes humains dépend … de la fin visée ou l’intention et des circonstances de l’action » (§ 1750). Où intégrer, dans cette perspective, la matérialité de nos actes, leur proportionnalité ?

En théologie, le proportionnalisme est une théorie qui est apparue avec le jésuite Peter Knauer en 1965 pour dénoncer l’attachement à la matérialité de l’acte humain. ... C’est l’intention qui orienterait l’acte ; ils deviennent moralement bons ou mauvais une fois posés. Un des problèmes majeurs de cette théorie est l’absence de moyens pour évaluer la proportion. Ce qui conduit inévitablement à l’accentuation de l’intentionnalité subjective. Deux conséquences s’en suivent : le risque du relativisme qui réside dans l’absence du critère de vérité.  Jean-Paul II, lui aussi, parle de téléogisme la « splendeur de la Vérité » : « la vie morale possède un caractère téléologique fondamental, car elle consiste dans l’orientation délibérée des actes humains vers Dieu, bien suprême et fin (telos) ultime de l’homme ». À ses yeux, le proportionnalisme ne prend pas suffisamment en compte la volonté qui est impliquée dans le choix ».

Quant au compendium de la DES, il évoque la difficulté de définir la matérialité d’un acte environnemental : « Les autorités appelées à prendre des décisions pour faire face aux risques sanitaires et environnementaux se trouvent parfois face à des situations où les données scientifiques disponibles sont contradictoires ou quantitativement rares » (§ 469). Il évoque la nécessité de retenir des décisions « proportionnelles aux mesures déjà appliquées pour d'autres risques ». Ainsi, une "précaution" mal comprise ne risque-t-elle pas d’être disproportionnée par rapport à d’autres risques par exemple en matière de finance (gaspillage de milliards consacrés en vain à une inflexion du réchauffement climatique), ou en matière de justice (un modèle de « croissance-zéro » imposé aux pays les plus pauvres) ?

Est-il donc moral de faire l’impasse sur un approfondissement des réalités scientifiques disponibles, même quand elles sont contradictoires ?
Certes l’encyclique appelle au dialogue « honnête et transparent » en matière scientifique, mais comment peut-elle parler de « péché » sans risquer de prendre parti dans les débats scientifiques, ce qui ne relève ni de la mission de l’Eglise, ni de sa compétence ?

3.3- Le climat est-il un bien commun » ?

C’est ce que Laudato si écrit au § 23. L’expression « bien commun » est citée 29 fois, précédée de l’article défini « le bien commun » au singulier. Mais, en parlant du climat, l’expression est précédée de l’article indéfini « un bien commun », impliquant qu’il puisse y avoir plusieurs biens communs. Le compendium défini « le bien commun » comme la dimension sociale du bien moral » (CDSE § 164). Quand le compendium parle de « destination universelle des biens » (au pluriel), il se réfère à « l’usage des biens » (§ 172). Au singulier, le bien a une dimension opposée au mal moral. Au pluriel on est dans le concept du bien économique (§ 323), et relève du matériel, de l’observable, alors que le « bien commun », au singulier, est d’ordre immatériel, et relève de l’éthique, du vrai, du beau, du juste, etc…

Un prix Nobel d’économie a été attribué en 2009 à ce sujet à Elinor Ostrom, qui a défini un bien commun comme étant à la fois rival et non-excluable.

Qu’est-ce à dire ?

Rivalité. Un bien est rival quand sa consommation par un individu limite ou interdit sa consommation par tout autre individu. Il est non rival si plusieurs individus peuvent l’utiliser sans se gêner mutuellement, comme dans le cas d’un enregistrement musical.

Excluabilité. Un bien est excluable quand on peut facilement priver quelqu’un de sa consommation. Il pourra, par exemple, suffire d’en augmenter le prix ou de créer une loi avec cet objectif. À l’inverse, par exemple, l’air qu’on respire est un bien inexcluable.

Imaginez une matrice avec ces deux dimensions de rivalité et d’excluabilité, c’est-à-dire à deux lignes et deux colonnes.

Un bien privé est à la fois rival et excluable : si je mange une pomme, je suis en rivalité avec autrui qui ne pourra manger la même pomme et je peux facilement me priver de pomme. La propriété de cette pomme est excluable et rivale.

Dans la théorie des « biens communs », un bien commun, rival et inexcluable, se distingue d’un « bien public » qui est non rival et non excluable. Par exemple, le réseau d’eau d’une ville est un « bien public » : on peut difficilement en priver quelqu’un, et son usure est faible s’il est consommé par davantage de personnes.

Alors le climat est-il un bien commun ? On ne conçoit pas qu’il soit rival, sauf à considérer que c’est le rejet de CO2 dans l’air qui limiterait un autre consommateur dans ses propres rejets. On retombe dans la question scientifique de la climatologie.

Il existe toute une communauté mondiale universitaire. Je vais vous en citer quelques-uns. Ils sont assez unanimes à reconnaître que "Les "communs" se définissent essentiellement par le statut et le régime juridique qui sont associés à ces systèmes de biens". Mais certains tombent dans des sous-entendus idéologiques :

  • Olivier Weinstein (Paris) réfléchit aux conditions à mettre en œuvre "si l'on souhaite faire des communs un dépassement du capitalisme actuel", avec l’idée que la propriété n'est pas un droit, mais une simple fonction sociale.
  • Michel Bauwens (Bruxelles) propose même « un plan de transition vers les communs (…) en attente d’une économie fondée sur la “commonisation” de la terre. Voilà qui rappelle des heures bien sombres de la réflexion économique et politique.
  • François Meunier (Paris), commentant ce « retour des communs », affirme que « l’encyclique Laudato si’ est sous cette influence ». D’ailleurs, Partha Dagusta (Cambridge) est académicien pontifical des sciences, ce qui explique probablement la référence de Laudato si au concept de « maison commune » pour désigner la planète. Il y a une confusion entre le contenu et les contenant. Les ressources naturelles, dans une certaine mesure, sont rivales, mais la planète ne l’est pas.

Tout cela mériterait des éclaircissements. Une chose est sûre, l’usage des mots bien et commun, entretient bien des confusions dans l’esprit du lecteur de Laudato si.

Cette question du péché renvoie à une autre question :

3.4- Quand peut-on parler de responsabilité ?

Laudato si dit : « nous pouvons faire un usage responsable des choses » (§ 69) et appelle à « une sauvegarde responsable de l’environnement » (§ 109). En écho, le Pape s’insurge sur nos comportements irresponsables (§ 6), l’utilisation irresponsable des biens (§ 2), une « domination despotique et irresponsable sur les autres créatures » (§ 83). Mais où commence notre responsabilité ? Quand a-t-on des comportements irresponsables ?

Il est bon de se référer à une figure courageuse comme Yvan Illich, porteuse d’une attention profonde au monde de la nature, au nom même de sa foi chrétienne.

Yvan Illich a probablement raison de dire : « Je ne suis pas responsable de la planète, j'habite la terre et ce qui doit dicter mon comportement … c'est la vertu ». Yvan Illich est très critique vis-à-vis du concept de responsabilité à laquelle nous appellent les écologistes. « Les personnes qui parlent de Gaia et de responsabilité globale, et qui supposent qu'un jour nous devrions faire quelque chose à ce sujet, dansent une danse folle, qui les rend fous… je ne peux être responsable que des choses pour lesquelles je peux faire quelque chose, et je ne peux m'empêcher de rire de ces jeunes…, qui se promènent dans les rues d'une ville du Midwest et crient : "Nous ne voulons pas du réchauffement climatique ! Nous sommes contre la pollution !" Des danses de la pluie ! ». Illich fait probablement allusion au Livre des rois dans lequel le prophète Élie se moque des adeptes de Baal qui « dansaient à cloche pied près de l'autel qu'ils avaient fait » pour faire tomber la pluie.

On n’a jamais tant parlé de responsabilité qu’en cette période charnière de la fin du xxe et du début du xxie siècle. La responsabilité est devenue un maître mot dans les discours contemporains dès que l’on parle de l’agir individuel ou collectif.

C’est à Max Weber qu’on attribue la distinction qu’il fit en 1919 entre  « éthique de responsabilité » et « éthique de conviction ». L’éthique de responsabilité est téléologique, c’est-à-dire rapportée à une fin. Elle a le souci de l’efficacité par rapport à une fin. L’éthique de conviction, a le souci de ne pas trahir une valeur, en particulier celui de dire la vérité. Weber ajoutait : « le chrétien doit agir selon la justice, et il s'en remet à Dieu pour le résultat ».

L’ éthique de conviction porte à l’absolu ; elle ne connaît pas de compromis utilitaires. Elle se sert de critères moraux a priori qui sont à l’abri de toute contingence. Au contraire, l’éthique de responsabilité adapte le comportement de l’homme à la prévision des conséquences de son action. Elle se sert des règles susceptibles d’entraîner les meilleurs résultats pragmatiques, du point de vue de la réalité des choses et des circonstances.

A force de fuir le moralisme légaliste, on en est arrivé à une éthique relative que Yvan Illich qualifie d’éthique nébuleuse. C’est, dit Yvan Illich, « la base idéale pour construire la nouvelle religiosité ».

Paradoxalement, Laudato si met en garde contre le paradigme technocratique (§ 108). Pourtant Weber reconnaît que l’éthique de responsabilité est née avec la maîtrise grandissante de la technoscience sur la nature, le vivant et l’humanité elle-même (P. Ricoeur, « Postface au Temps de la responsabilité », p. 272‑278.)

On dira, dans un mouvement dialectique de compromis que l’opposition entre les deux éthiques n’exclut pas qu’elles puissent être conciliées dans la prise de décision et dans l’action, une conciliation que Max Weber aurait jugée souhaitable chez l’homme qui prétend à la vocation pour la politique. Mais une éthique de responsabilité ne peut faire l’économie minutieuse des réalités afin de prendre les décisions appropriées. Dans les situations extrêmes, l’homme a le choix entre la vérité et le succès. Tel est le prix à payer de la vulnérabilité humaine.

La question se pose donc : est-ce être responsable de refuser le dialogue contradictoire qui, en science, est la condition sine qua non de la confrontation de l’esprit avec la réalité. Il y a un côté irresponsable à refuser de faire un travail personnel, à ne se contenter que d’un consensus qui, en définitive, n’est qu’un argument d’autorité qui ne n’apporte aucune autorité aux arguments.

Cette dernière réflexion me conduit à conclure :

4- Conclusion

Il y aurait beaucoup encore à dire.
Je propose de conclure avec la mise en garde de Laudato si sur la primauté du faire : « toute solution technique que les sciences prétendent apporter sera incapable de résoudre les graves problèmes du monde si l’humanité perd le cap » (§ 200)

Benoit XVI le disait déjà : On ne doit pas penser "que la technique se suffit à elle-même, quand l’homme, en s’interrogeant uniquement sur le comment, omet de considérer tous les pourquoi qui le poussent à agir" (Caritas in veritate, § 70).

Alors quel est le Cap à poursuivre ? Laudato si n’oublie pas d’entrer dans une vision eschatologique : toute la création est appelée vers une terre nouvelle. Je cite LS (§ 99) :  « le destin de toute la création passe par le mystère du Christ, qui est présent depuis l’origine de toutes choses : « Tout est créé par lui et pour lui ». A la fin de Laudato si, on lit :  "la création est tendue vers la divinisation, vers les saintes noces, vers l’unification avec le Créateur lui-même" (§ 236).
Il s’agit bien d’une nouvelle création, celle qui a fait dire à saint Irénée : Dieu s’est fait homme pour que l’homme soit divinisé.

La tentation du militantisme chrétien doit donc être soumise à la vertu d’espérance chrétienne. Est-ce à dire que nous n’avons rien à faire en attendant la Terre Nouvelle ?  Non, car le concile dit que « l’attente de la nouvelle terre, loin d’affaiblir en nous le souci de cultiver cette terre, doit plutôt le réveiller. ... Car, …tous ces fruits de notre nature et de notre industrie, que nous aurons propagés sur terre selon le commandement du Seigneur et dans son Esprit, nous les retrouverons plus tard, mais purifiés de toute souillure, illuminés, transfigurés, lorsque le Christ remettra à son Père, un Royaume éternel et universel » (Gaudium et spes, n° 39-2 et 3).

Je vous remercie de votre attention. Si vous souhaitez retrouver le contenu de cette intervention, vous pouvez la retrouver en ligne sur mon blog « les2ailes.com »

Je suis prêt, maintenant à répondre à vos questions.