Sous la plume de Jean-Marie Guénois, le Figaro du 1er septembre a publié un article sur la journée de prière de la sauvegarde de la création. Il a demandé une contribution à Stanislas de Larminat qui a fait le commentaire suivant: "Tout est lié ! La création et toute vie valent un jour de prière, car "la défense de la nature n’est pas compatible avec la justification de l’avortement" (Laudato si § 120). Mais se mobiliser sur le climat, c’est se soumettre au GIEC qui ne propose qu’une "évaluation subjective", sans avoir prévu le plafond des températures depuis 1998. Ce sont de ces "questions concrètes, [sur lesquelles] l’Église n’a pas de raison de proposer une parole définitive" (§ 61). Prenons garde : "il y a une pollution tout aussi dangereuse que la pollution de l’air : la pollution de l’esprit" (Benoît XVI)".
Sur le fond, que penser du principe de cette journée de prière?

Commentaire "les2ailes.com"

Le pape François a décidé d’instituer dans l’Église catholique aussi une « Journée mondiale de prière pour la sauvegarde de la création ». Les chrétiens sensibles à l’écologie auront vite fait de confondre cette journée de prière avec une sorte de "fête de la nature" destinée à rendre un culte à la création.

Chacun a besoin de prier pour que la sauvegarde de la création ne soit pas une thématique matérialiste : L’encyclique «Laudato si » a en effet mis en garde contre l’illusion du primat du faire : "toute solution technique que les sciences prétendent apporter sera incapable de résoudre les graves problèmes du monde si l’humanité perd le cap, si l’on oublie les grandes motivations qui rendent possibles la cohabitation, le sacrifice, la bonté". (§ 200).
Il faut donc bien lire la lettre du Pape annonçant sa décision pour en voir le contexte essentiellement œcuménique et les dimensions spirituelles.

1- Le texte de la lettre du Pape

Le texte exact de la lettre du pape François est le suivant:
"À mes vénérés frères,
- le cardinal Peter Kodwo Appiah Turkson, président du Conseil pontifical Justice et Paix ;
- le cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens.
Partageant avec mon frère bien-aimé, le patriarche œcuménique Bartholomée, les préoccupations pour l’avenir de la création (cf. lettre encyclique Laudato si’, 7-9), et accueillant la suggestion de son représentant, le métropolite Jean de Pergame, qui est intervenu lors de la présentation de l’encyclique Laudato si’ sur la sauvegarde de la maison commune, je désire vous communiquer que j’ai décidé d’instituer dans l’Église catholique aussi une « Journée mondiale de prière pour la sauvegarde de la création ». À partir de cette année, elle sera célébrée le 1er septembre, comme c’est le cas depuis un certain temps dans l’Église orthodoxe.
En tant que chrétiens, nous voulons apporter notre contribution pour surmonter la crise écologique que l’humanité est en train de vivre. C’est pourquoi, nous devons avant tout puiser dans notre riche patrimoine spirituel les motivations qui alimentent la passion pour la sauvegarde de la création, en nous souvenant toujours que, pour les croyants en Jésus-Christ, le Verbe de Dieu fait homme pour nous, « la spiritualité n’est déconnectée ni de notre propre corps, ni de la nature, ni des réalités de ce monde ; la spiritualité se vit plutôt avec celles-ci et en elles, en communion avec tout ce qui nous entoure » (ibid., 216). La crise écologique nous appelle donc à une profonde conversion spirituelle : les chrétiens sont appelés à une « conversion écologique qui implique de laisser jaillir toutes les conséquences de leur rencontre avec Jésus dans leurs relations avec le monde qui les entoure » (ibid., 217). En effet, « vivre la vocation de protecteurs de l’œuvre de Dieu est une part essentielle d’une existence vertueuse ; cela n’est pas quelque chose d’optionnel ni un aspect secondaire dans l’expérience chrétienne (ibid.).
La Journée mondiale annuelle de prière pour la sauvegarde de la création offrira aux croyants et aux communautés une occasion précieuse de renouveler leur adhésion personnelle à leur vocation de gardiens de la création, en élevant à Dieu leurs remerciements pour l’œuvre merveilleuse qu’il a confiée à nos soins, invoquant son aide pour la protection de la création et sa miséricorde pour les péchés commis contre le monde dans lequel nous vivons. La célébration de cette Journée, à la même date, avec l’Église orthodoxe sera une occasion fructueuse pour témoigner de notre communion croissante avec nos frères orthodoxes. Nous vivons en un temps où tous les chrétiens affrontent des défis identiques et importants auxquels, pour être plus crédibles et efficaces, nous devons donner des réponses communes. Pour cette raison, je souhaite que cette Journée puisse aussi impliquer d’une façon ou d’une autre d’autres Églises et communautés ecclésiales et être célébrée en harmonie avec les initiatives promues sur ce thème par le Conseil œcuménique des Églises.
À vous, Cardinal Turkson, président du Conseil pontifical Justice et Paix, je demande de faire connaître aux commissions Justice et Paix des Conférences épiscopales, ainsi qu’aux organismes nationaux et internationaux engagés dans le domaine de l’écologie, l’institution de la Journée mondiale de prière pour la sauvegarde de la création afin qu’en harmonie avec les exigences et les situations locales, la célébration soit préparée comme il se doit avec la participation de tout le peuple de Dieu : prêtres, religieux, religieuses et fidèles laïcs. Dans ce but, votre dicastère veillera, en collaboration avec les Conférences épiscopales, à mettre en œuvre d’opportunes initiatives de promotion et d’animation afin que cette célébration annuelle soit un moment fort de prière, de réflexion, de conversion et d’adoption de styles de vie cohérents.
À vous, Cardinal Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, je demande de prendre les contacts nécessaires avec le patriarcat œcuménique et avec les autres réalités œcuméniques, afin que cette Journée mondiale puisse devenir le signe d’un chemin parcouru avec tous les croyants dans le Christ. Il reviendra en outre à votre dicastère d’organiser la coordination avec les initiatives similaires lancées par le Conseil œcuménique des Églises.
Je compte sur la plus ample collaboration possible afin de lancer et développer au mieux la Journée mondiale de prière pour la sauvegarde de la création et j’invoque l’intercession de la Mère de Dieu, la Très Sainte Vierge Marie, et de saint François d’Assise, dont le Cantique des créatures inspire tant d’hommes et de femmes de bonne volonté à vivre dans la louange du Créateur et le respect de la création. La bénédiction apostolique que je vous donne de tout cœur, Messieurs les Cardinaux, ainsi qu’à ceux qui collaborent à votre ministère, soutient les vœux que je forme.
Au Vatican, le 6 août 2015, fête de la Transfiguration du Seigneur".

2 - Les points clés de cette lettre

Soulignons certains éléments clés pour rappeler le contexte essentiellement œcuménique de cette décision et ses dimensions spirituelles :

Un souci  œcuménique
Il s’agit d’une lettre envoyée non seulement au Cardinal Turkhson, en charge du Conseil Pontifical Justice et Paix et donc de l’écologie, mais aussi au cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens.
La date retenue est celle du 1er septembre déjà retenue à cette fin dans l’Église orthodoxe.
Le Pape insiste sur le fait que ce sera une "occasion fructueuse pour témoigner de notre communion croissante avec nos frères orthodoxes".

Une journée de prière
Le point est important: le Pape appelle ,es chrétiens à "renouveler leur adhésion personnelle à leur vocation de gardiens de la création, en élevant à Dieu leurs remerciements pour l’œuvre merveilleuse qu’il a confiée à nos soins".

Une journée de conversion
Il s'agit, pour les chrétiens, de "laisser jaillir toutes les conséquences de leur rencontre avec Jésus dans leurs relations avec le monde qui les entoure". Le pape nous appelle à invoquer Dieu pour qu'il nous accorde "son aide pour la protection de la création et sa miséricorde pour les péchés commis contre le monde dans lequel nous vivons".

3- Une proposition : réinventer la traditionnelle fête des Rogations

La décision du pape François pourrait être une occasion de réactiver la tradition des "rogations", bénédiction des fruits de la Terre avec les paysans qui le souhaitent afin de donner une vision cosmique de la Création.

La liturgie des Rogations : rétablir un ordre menacé

Rappelons que les Rogations étaient une liturgie qui s’étalait sur trois jours précédant l’Ascension et que le mot rogations vient de rogare, c’est à dire demander. Il ne s’agissait pas d’une fête de la nature, mais d’une supplication qui commençait le dimanche précédent par la lecture de l’Évangile de saint Jean : « demandez ce que vous voudrez et vous l’aurez » (Jn15,7). Les rogations étaient une période de jeûne précédant la fête de l’Ascension, suivie de journées d’action de grâce.
Cette fête a été instituée par saint Mamert, évêque de Vienne en Dauphiné, en 470. Vienne était affligée de fréquents et affreux tremblements de terre qui renversaient beaucoup de maisons et d'églises. Pendant la nuit, on entendait, des bruits et des clameurs répétés. Quelque chose de plus terrible arriva : le feu du ciel  tomba le jour de Pâques et consuma le palais royal tout entier. Il y eut un autre fait plus merveilleux. De même que, par la permission de Dieu, des démons entrèrent autrefois dans des pourceaux, de même aussi par la permission de Dieu, pour les péchés des hommes, ils entraient dans des loups et dans d'autres bêtes féroces et sans craindre personne, ils couraient en plein jour non seulement par les chemins mais encore par la ville, dévorant çà et là des enfants, des vieillards et des femmes. Or, comme ces malheurs arrivaient journellement, le saint évêque Mamert ordonna un jeûne de trois jours et institua des litanies. Ces tribulations s’apaisèrent avec le temps et, par la suite, furent approuvées par l'Église, de sorte qu'elles furent observées universellement.
Dans cette explication, on notera le rappel des calamités qui ont suscité l'institution de la fête. Le feu du ciel, des catastrophes naturelles et l'invasion des démons menacent le cycle normal de la fécondité et remettent en cause l'organisation harmonieuse de la société. La fête des Rogations est donc instituée pour rétablir un ordre menacé.
La fête des Rogations avait reçu le nom de litanie mineure, de rogations et de procession. "Procession", parce qu'alors l'Église organise généralement une procession. On y porte la croix, on sonne les cloches, on porte la bannière; Dans certaines églises on portait un dragon avec une queue énorme et on implorait spécialement le patronage de tous les saints.
Si l'on y portait la croix et si l'on sonnait les cloches, c'était pour que les démons effrayés prennent la fuite. Les sonneries de cloches permettaient d'éloigner les tempêtes. Il s'agissait donc de favoriser l'avènement des meilleures conditions météorologiques possibles pour les récoltes.
Lors du Concile d'Orléans, en 511, les évêques réunis sanctionnèrent la pratique par des décrets et son usage fut institué à toutes les provinces reconnaissant l'autorité de Clovis avant d'être véritable étendu à toute la Gaule. En 567, les décisions du concile sont renforcées par les confirmations des conciles locaux de Lyon et de Tours qui rendent aussi fériés ces trois jours. Entre le VIIe et le IXe siècles, les rogations s'étendirent dans tout l'Occident.

Les rogations : des dates variables avec le temps

Concernant les Rogations, un décret de la Congrégation pour le culte divin a été publié en 2011. Ce décret rappelle que « les rapports entre la Liturgie et la piété populaire sont très anciens » [1]. En effet, à l’époque où a été introduite la fête des rogations, Grégoire le Grand veilla à ce que « ces formes liturgiques […], tout en correspondant à la sensibilité populaire, [soient] solidement ancrées dans la célébration même des mystères divins [2] ». C’est pourquoi le décret a proposé des « orientations en vue de l’harmonisation de la piété populaire avec la liturgie » et, précisé que « la procession des rogations, dont la date est fixée actuellement dans chaque pays par la Conférence des Évêques, a pour objet de demander publiquement la bénédiction de Dieu sur les champs et sur le travail de l’homme, et elle a aussi un caractère pénitentiel [3] ».

Les rogations, une prière qui pourrait être très contemporaine

Nos pays développés, qui ne sont pas soumis aux famines, pourraient profiter de ce caractère pénitentiel des Rogations pour demander, rogare, des grâces pour ce qu’ils ont quelque peine à vivre.
L’instauration de la Journée mondiale de prière pour la sauvegarde de la création pourrait s’inspirer de nos liturgies eucharistiques, dans lesquelles toute la création est déjà associée à notre prière : « toute la création proclame ta louange [...] » (prière n°3). C’est la création qui rend gloire à Dieu, et non pas l’homme qui rend gloire à la création. C’est à cette condition qu’on évitera toute forme de syncrétisme pour ne pas tomber dans des cultes à une sorte de déesse Gaïa.
Nous pourrions proposer des jours de rogations pour demander que le monde ait plus le souci du bien commun en matière de développement des pays les moins avancés. La Journée mondiale de prière pour la sauvegarde de la création pourrait faire écho aux veillées de prières pour la vie proposées par Benoît-XVI pour bien montrer que l’encyclique Laudato si a eu raison de dire que « tout est lié ».
Nous pourrions donc célébrer cette journée mondiale de prière pour la sauvegarde de la création, le 1er septembre de chaque année, en intégrant, dans une même célébration, la veillée pour la vie si souvent réclamée par le pape Benoit XVI. Cela aurait le mérite de bien mettre l’accent sur le fait qu’il n’y a pas d’écologie environnementale sans écologie de l’homme, En effet, "tout est lié, la défense de la nature n’est pas compatible avec la justification de l’avortement" (Laudato si § 120).

Conclusion sous forme d'une recommandation concrète

Le rituel de cette liturgie mineure pourrait se dérouler en plusieurs temps :
-    Commencer par une procession pénitentielle derrière une statue de la Vierge pour implorer le pardon de nos communautés pour tous nos manquements à la culture de vie.
-   Continuer par des lectures : récits de la création, dans la Genèse, et de l’annonciation faite à Marie de l’incarnation du Christ.
-   Homélie catéchétique, théologique ou pastorale.
-   Adoration eucharistique, ponctuée de récits de la "seconde création" pascale. 
-   Action de grâces à Dieu pour sa Création et le don de son Fils.
-   Terminer par une bénédiction épiscopale et un appel à un jeune vespéral signe de la sobriété joyeuse à laquelle nous sommes appelés pour mieux nous tourner vers Dieu et Lui rendre gloire pour Son don, à la fois de l’univers et de la vie humaine.


[1] Congrégation pour le culte divin, Directoire sur la piété populaire et la liturgie, n° 1532/00/L, Vatican, 17 décembre 2011, § 22.

[2] Ibid., § 27.

[3] Ibid., § 245.