Le Wall Street Journal a publié le 19 septembre 2014 un article disant que “la science climatique n’est pas aboutie”. Il a provoqué 2.940 commentaires. Mais, surtout, dès le 21 septembre, le site “Climate Science watch” publiait une réaction violente d’officiels du Giec qui ont dû réagir étant données la qualité de l’auteur et la solidité de ses arguments. Ce n’est que maintenant que ces réflexions très sérieuses circulent en France. Pourquoi la presse française ne se fait-elle jamais le relais de tels prises de positions?
Les2ailes.com transcrivent intégralement ce document.

Source: Wall street journal

Transcription: “les2ailes.com”

Qui est le Dr Koonin ?

Le Dr Koonin a été sous-secrétaire pour la science au département de l’Energie pendant le premier mandat du président Barack Obama et est actuellement directeur du Centre pour la science et le progrès urbain à l’Université de New York. Ses postes précédents l’ont conduit à être professeur de physique théorique, prévôt à Caltech, ainsi que scientifique en chef de BP, où son travail a porté sur les technol-ogies renouvelables et d’énergie à faible émission de carbone.

L’auteur et quelques autres avaient fini par obtenir du GIEC qu’il annulât sa déclara-tion de 2007 sur le caractère “irréfutable” (en anglais “incontrovertible”) du Réchauf-fement dû à l’activité humaine, sur une base logique simple : “irréfutable” est un terme anti-scientifique.

Qu’affirme le Dr Koonin ?

Nous nous contentons de retranscrire intégralement, ci-dessous, son article:

L'idée selon laquelle "la science climatique est réglée " court aujourd’hui dans les débats populaires et politiques. Malheureusement, cette affirmation est erronée. Il a non seulement faussé nos débats publics et nos politiques sur les questions liées à l'énergie, aux émissions de GES et à l'environnement. Mais il a aussi inhibé les dis-cussions scientifiques et politiques que nous devons avoir sur notre avenir climati-que.

Ma formation de physicien -couplée avec une carrière de 40 ans de recherche scientifique, de conseil et de gestion dans les milieux universitaires, gouvernemen-taux et du secteur privé, m'a donné une perspective à la fois large et précise sur la science du climat. Les discussions techniques détaillées de la dernière année avec les plus grands scientifiques du climat m’a donné une meilleure idée de ce que nous savons, et de ce que nous ne savons pas sur le climat. J’en suis venu à apprécier le défi intimidant de répondre aux questions scientifiques que les décideurs et le public se posent.

La question scientifique cruciale pour le politique n’est pas de savoir si le climat est en train de changer. Voilà une affaire réglée: Le climat a toujours changé et change-ra toujours. Les données géologiques et historiques montrent l'apparition de grands changements climatiques, parfois sur seulement quelques décennies. Nous savons, par exemple, que pendant le 20ème siècle la température moyenne à la surface de la Terre a augmenté de 1,4 degrés Fahrenheit.

La question cruciale n’est pas non pmus de savoir si les humains influencent le cli-mat. Voilà pas un canular: Il y a peu de doute dans la communauté scientifique sur le fait que les quantités sans cesse croissantes de gaz à effet de serre dans l'at-mosphère, sont dues en grande partie aux émissions de dioxyde de carbone prove-nant de l'utilisation conventionnelle des combustibles fossiles, et qu’ils influencent le climat. Il y a également peu de doute que le dioxyde de carbone va persister dans l'atmosphère pendant plusieurs siècles. L'impact de l'activité humaine d'aujourd'hui semble être comparable à la variabilité intrinsèque naturelle du système climatique lui-même.

En revanche, la question scientifique essentielle, qui reste en suspens pour le politi-que, est, "Comment le climat va-t-il changer au cours du siècle prochain sous les in-fluences naturelles et humaines?" Les réponses à cette question aux niveaux mon-dial et régional, ainsi que des questions aussi complexes de la façon dont les éco-systèmes et les activités humaines seront touchés, devraient éclairer nos choix en matière d'énergie et d’infrastructures.

Mais - et c’est le problème- ces questions sont les plus difficiles à résoudre. Elles remettent en cause, d'une manière fondamentale, ce que la science peut nous dire sur les climats futurs.

Même si les influences humaines pouvaient avoir de graves conséquences pour le climat, elles sont physiquement faible par rapport au système climatique dans son ensemble. Par exemple, les apports humains en dioxyde de carbone dans l'at-mosphère d'ici le milieu du 21ème siècle ne devraient déplacer directement l'effet de serre naturel de l'atmosphère que de 1% à 2%. Depuis que le système climatique est très variable par lui-même, ces valeurs faibles mettent la barre très haut pour projeter avec confiance les conséquences de l'influence humaine.

Un deuxième défi pour "connaitre" le climat futur est aujourd’hui notre mauvaise compréhension des océans. Les océans, qui changent au fil des décennies et des siècles, détiennent plus de chaleur du climat et influencent fortement l'atmosphère. Malheureusement, les observations précises et complètes des océans ne sont dis-ponibles que pour les dernières décennies; [à partir de 2006, c’est à dire seulement 1 décennie] les enregistrements fiables sont encore beaucoup trop courts pour comprendre correctement comment les océans vont se comporter et comment cela va affecter le climat.

Un troisième défi fondamental découle des évaluations qui peuvent considérable-ment amplifier ou changer la réponse du climat aux influences humaines et natu-relles. Un feed-back important, qu’on imagine pour à peu près doubler l'effet de chauffage direct du dioxyde de carbone, implique la vapeur d'eau, les nuages et la température.

Mais les feedbacks sont incertains. Ils dépendent du détail de process tels que l'évaporation et le flux d'un rayonnement à travers les nuages. Ils ne peuvent pas être déterminées en toute confiance par les lois fondamentales de la physique et de la chimie, de sorte qu'ils doivent être vérifiées par des observations précises et détaillées qui sont pas, dans de nombreux cas, encore disponibles.

Au-delà de ces défis dans les observation, il y a ceux posés par les modèles infor-matiques complexes utilisés pour prévoir le climat futur. Ces programmes massifs tentent de décrire la dynamique et les interactions des différents composants du Terre système atmosphèrique de la terre, des océans, des continents, de la glace et de la biosphère des êtres vivants. Alors que certaines parties des modèles reposent sur des lois physiques bien testés, d'autres parties nécessitent techniquement des estimations précises. La modélisation informatique des systèmes complexes est plus un art qu'une science.

Par exemple, les modèles climatiques globaux décrivent la Terre par une mosaïque qui est actuellement limitée, par les capacités de l'ordinateur, à une résolution pas plus fine que 60 miles. (La distance de New York à Washington, DC, est donc cou-verte par seulement quatre cellules de la mosaïque). Mais les processus tels que la formation des nuages, la turbulence et la pluie, tout cela se joue à des échelles beaucoup plus petites. Ces processus critiques n’apparaissent alors dans le modèle que par des hypothèses réglables qui précisent, par exemple, comment la couver-ture nuageuse moyenne dépend de la température et de l'humidité moyenne d'une case de la mosaïque. Dans un modèle donné, des dizaines de ces hypothèses doi-vent être ajustés («écoutée», dans le jargon des modélisateurs) pour reproduire les deux observations en question et des données historiques imparfaitement connues.

Nous entendons souvent dire qu’il y a un "consensus scientifique" sur le changement climatique. Mais aussi loin que les modèles informatiques vont, il n'y a pas un consensus utile au niveau pertinent de détail pour apprécier les influences humaines. Depuis 1990, le Groupe intergouvermentale des Nations Unies sur les changements climatiques, ou GIEC, a périodiquement interrogés l'état de la science du climat. Chaque rapport successif de cette aventure, avec des contributions de milliers de scientifiques du monde entier, est venu à être considéré comme l'évaluation défini-tive de la science du climat au moment de sa délivrance.

Pour le dernier rapport du GIEC (Septembre 2013), son Groupe de travail I, qui se concentre sur la science physique, utilise un ensemble de quelque 55 modèles différents. Bien que la plupart de ces modèles soit ajustés pour reproduire les ca-ractéristiques brutes du climat de la Terre, les différences marquées dans leurs détails et projections reflètent toutes les limitates que je viens de décrire. Par exemple:

 

  • Les modèles diffèrent, dans leurs descriptions de la température de surface moyenne mondiale du siècle passé, de plus de trois fois la totalité du réchauffement enregistré pendant cette période. De telles disparités sont également présentes pour de nombreux autres facteurs climatiques de base, y compris les précipitations, ce qui est fondamental pour l'équilibre énergétique de l'atmosphère. En conséquence, les modèles donnent des descriptions très variables de fonctionnement interne du climat. Depuis qu'ils sont en désaccord de façon marquée, pas plus d'un, parmi eux, a peut-être raison.
  • Bien que la température moyenne à la surface de la Terre ait fortement augmenté de 0,9 degré Fahrenheit pendant le dernier quart du 20ème siècle, [y compris les océans, je crois], il a augmenté beaucoup plus lentement pendant les 16 dernières années, alors même que la contribution humaine au dioxyde de carbone atmosphérique a augmenté de quelque 25%. Ce fait surprenant [en effet!] Démontre directement que les influences naturelles et la variabilité sont assez puissantes pour contrer l'influence de réchauffement actuelle exercée par l'activité humaine. Pourtant, les modèles ne sont pas parvenus à capturer ce ralentissement dans la hausse de la température. Plusieurs dizaines de différentes explications de cet échec ont été proposées, en particulier la variabilité océanique plus susceptible de jouer un rôle majeur. Mais l’ensemble de ce fait continue à mettre en lumière les grandes limites de nos modélisations.
  • Les modèles décrivent plus ou moins le rétrécissement de la banquise arctique observée au cours des deux dernières décennies, mais ils ne parviennent pas à décrire la croissance comparable de la banquise antarctique, qui est maintenant à un niveau record.
  • Les modèles prédisent que la basse atmosphère dans les tropiques va absorber une grande partie de la chaleur du réchauffement de l'atmosphère. Mais ce "point chaud" n'a pas été observé en toute confiance, jetant le doute sur notre compréhension de la rétroaction cruciale de la vapeur d’eau sur la température.
  • Même si l'influence humaine sur le climat était beaucoup plus faible dans le passé, les modèles ne tiennent pas compte du fait que le taux d'élévation du niveau de la mer, il y a 70 ans, était aussi grand que celui observé aujourd'hui, environ un pied par siècle.
  • Une mesure cruciale de notre connaissance de la sensibilité des rétroactions est la sensibilité climatique, c’est à dire le réchauffement induit par un doublement hypothétique de la concentration en dioxyde de carbone. Aujourd'hui, la meilleure estimation de la sensibilité (entre 2.7 et 8.1 degrés Fahrenheit degrés Fahrenheit) est pas différent, et pas plus certain, de ce qu'il était il y a 30 ans. Et ce, malgré un effort héroïque de recherche qui coûte des milliards de dollars.

 

Telles sont, et il y en a beaucoup d'autres, les questions ouvertes qui sont, en fait, décrites dans les rapports de recherche du GIEC, même si une lecture détaillée et bien informée est parfois nécessaire pour les discerner. Ce ne sont pas des ques-tions «mineures» qu’il faut «nettoyer» par d'autres recherches.Ce sont plutôt des lacunes qui minent la confiance dans les projections informatiques. Travailler pour résoudre ces lacunes dans les modèles climatiques devraient être parmi les pre-mières priorités pour la recherche climatique.

Pourtant, un fonctionnaire lisant seulement le "Résumé pour les décideurs" du GIEC verrait pas la mesure ou les conséquences de ces carences. Ce sont des enjeux fondamentaux pour notre compréhension des impacts des activités hu-maines sur le climat, et ils ne doivent pas être rejetés par une incantation selon laqquelle «la science du climat est réglée".

Alors que les deux dernières décennies ont vu des progrès dans la science du cli-mat, le terrain n’est pas encore assez mature pour répondre utilement aux ques-tions difficiles et importantes posées à ce sujet. Cet état décidément instable met en lumière ce qui devrait être évident: la compréhension du climat, au niveau de détail correspondant aux influences humaines, est un problème très, très difficile.

Nous pouvons et devons prendre des mesures pour faire des projections climati-ques plus utile au fil du temps. Un engagement international à un système mondial d'observation soutenue climatique devrait générer un enregistrement d’bservations plus précises sur plus longtemps. Et de plus en plus puissants ordinateurs peuvent permettre une meilleure compréhension des incertitudes de nos modèles, des mo-saïques de modèles plus fines et des descriptions plus sophistiqués des processus qui se produisent en leur sein. C’est une urgence scientifique, car nous pourrions être pris au dépourvu si notre compréhension ne s’améliore pas plus rapidement que le climat ne se modifie.

Une rigueur transparente serait également un développement bienvenu, compte tenu notamment des décisions politiques et stratégiques capitales en jeu. Ce pour-rait être appuyé par une règle indépendante, une «équipe rouge», afin se se foca-liser sur des test de robustesse et contester les projections en se concentrant sur leurs lacunes et les incertitudes; ce serait certainement la meilleure pratique de la méthode scientifique. Mais parce que les changements climatiques naturels pen-dant des décennies, il faudra de nombreuses années pour obtenir les données nécessaires pour isoler en toute confiance et de quantifier les effets des influences humaines.

Les décideurs et le public peuvent souhaiter, pour conforter leur certitude dans leur science du climat. Mais je crains que la promulgation de manière rigide de l'idée que la science du climat est "réglé" (ou est un "canular") ne rabaisse et refroidisse l'entreprise scientifique, retardant sa progression dans ces questions importantes. L'incertitude est un moteur d'entraînement et de motivation de la science et doivent faire face de front. Elle ne devrait pas se limiter à des conversations feutrées de “coin de bar” ou à des conférences universitaires.

Les choix de société dans les années à venir ne seront pas nécessairement fondées sur la connaissance incertaine des climats futurs. Cette incertitude ne doit pas être une excuse pour l'inaction. Il est bien justifié la prudence dans l'accélération du développement des technologies à faibles émissions et à des mesures rentables de l’efficacité énergétique.

Mais les stratégies climatiques «sans regrets», au-delà de ces efforts, entraînent des coûts, des risques et des questions d'efficacité, de tels facteurs non scientifi-ques entrent inévitablement dans la décision. Celles-ci comprennent notre tolérance au risque et les priorités que nous attribuons au développement écono-mique, la réduction de la pauvreté, la qualité de l'environnement et l'équité intergénérationnelle et géographique.

Les individus et les pays peuvent légitimement être en désaccord sur ces ques-tions, de sorte que la discussion ne devrait pas être sur «croire» ou «ou ne pas croire» en la science. Malgré les déclarations de nombreuses sociétés scientifiques, la communauté scientifique ne peut prétendre à une expertise particulière dans le traitement des questions liées à des objectifs et des valeurs les plus pro-fondes de l'humanité. Les sphères politiques et diplomatiques sont les mieux adaptées pour discuter et résoudre ces questions, et dénaturer l'état actuel de la science du climat ne fait rien pour relever ce défi.

Toute discussion sérieuse de l'évolution du climat doit commencer par reconnaître non seulement les certitudes scientifiques, mais aussi les incertitudes, en particulier dans la projection de l'avenir. Reconnaîtret ces limites, plutôt que de les ignorer, conduira à une discussion plus sobre et finalement plus productive des politiques de changement climatique et du climat. Agir autrement serait un très mauvais service à la science climatique elle-même.